Comment concevoir l’évolution d’une relation thérapeutique

pendant et après la détention

Evry ARCHER*

 

 

L’augmentation rapide et importante du nombre des personnes appréhendées et incarcérées pour des délits et des crimes à caractère sexuel, l’horreur de certaines affaires largement diffusées et commentées dans les médias, l’intérêt croissant aux victimes, à leur souffrance, à celle de leurs familles, l’accroissement et la diversification des convocations adressées par la collectivité aux psychiatres alors même qu’on laisse la profession s’installer dans la pénurie et la crise, la volonté politique de prévenir les récidives d’agressions sexuelles et de prendre en compte l’émoi collectif, avaient conduit les autorités de l’Etat à la conviction de l’urgence d’une loi pour rendre les soins obligatoires  avant même de les rendre possibles partout en France – ce qui n’aurait pas été difficile dans un délai raisonnable, si on y avait mis  le prix – en s’appuyant sur les recommandations de trois commissions (CARTIER, LEMPERIERE, BALIER), sur les points forts de l’organisation des soins en milieu carcéral, sur les avancées de la réflexion clinique et éthique, sur les expériences pratiques de certaines équipes, sur les progrès de la pensée criminologique et de l’esprit de concertation pluridisciplinaire. Dès le 12 mars 1997, l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP) avait déclaré : « il est à craindre que l’obligation de soins ne soigne, en fin de compte, davantage l’opinion publique que les auteurs d’agressions sexuelles, sans bénéfice thérapeutique ni de sécurité ».

 

Au delà du désir individuel , écrit Jocelyn AUBUT (Forensic, 1999,n°21, p18) , il y a la volonté institutionnelle de prendre en charge les agresseurs sexuels (…) Au delà du mot, il y a nécessairement mise en place de moyens permettant la prise en charge. Engagement de professionnels, allocation de locaux adéquats à la prise en charge intra ou extra carcérale, facilitations de l’accessibilité aux détenus dans les milieux carcéraux, budgets de formation

continue sont autant de moyens concrets qui témoignent de la réalité et de l’authenticité du désir institutionnel de prise en charge des agresseurs. »

 

 

En milieu ouvert, la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles déborde le champ d’application de la loi du 17 juin 1998, puisqu’une place subsiste et est appelée à s’y développer,  même en situation post-carcérale, pour les demandes spontanées de soins, des traitements non obligés, des suivis hors contrôle judiciaire.

 L’influence de cette loi est théoriquement bien moindre en milieu carcéral. Cependant, il est facile de comprendre que « le type de description » de l’évolution de la relation thérapeutique pendant et après la détention - surtout en regard de la nécessaire continuité entre les soins que les auteurs d’agressions sexuelles reçoivent en milieu carcéral et ceux dont ils bénéficient après leur libération - se réfère implicitement aux dispositions de cette loi et à ses textes réglementaires d’application**. De même tout ce qui suit concerne ceux des auteurs d’agressions sexuelles qui relèvent du soin, du suivi, de la prise en charge.

 

I    Le cadre thérapeutique

 

 

A-Exigence éthique d’une démarche réflexive

 

Le concept de cadre thérapeutique n’est réductible, ni au lieu d’exercice et aux conditions légales et réglementaires du soin, ni même aux indications et méthodes adoptées par les équipes soignantes et au statut de celles-ci.

 

Alors que nous tenons à l’illusion d’une médecine fondée sur un savoir librement élaboré par elle-même, et affranchie des représentations du malade, de la maladie et du soignant dans la société où elle évolue, tout un système cohérent, imperceptible à force de se confondre avec notre horizon, crée et organise ces représentations, lesquelles s’expriment dans les missions, les statuts et les rôles des acteurs, dans les modèles prévalents de recueil de données, d’explications et d’interventions, dans l’organisation des soins et même dans le vécu et l’expression des symptômes individuels. La signification de l’action thérapeutique et son inscription dans le juridique sont en relation dialectique avec le sens que la société accorde, au moment considéré, à l’état de malade, à la souffrance éprouvée ou provoquée dans  cet état, au statut de la maladie en tant que punition ou malheur, épreuve ou purification, conséquences naturelles de la génétique, du mode de vie et de l’environnement, ou phénomènes de causes inconnues ou incertaines, mais aussi en tant  que nuisances sociales, risques pour l’ordre public et la sécurité collective.

 

Ainsi, le travail du psychiatre en milieu carcéral  n’a pas la même signification quand il s’agit, dans une société où la peine et le soin sont distincts sans s’exclure ni se confondre, de traiter, là où elles vivent, des personnes qui présentent des troubles psychiques, ou lorsque la peine de prison n’est plus seulement une sanction punitive dont la durée exprime la gravité de l’acte commis, mais une mesure de sûreté dans le cadre d’une prophylaxie sociale, pour éloigner le sujet du risque de récidive, et mettre à profit le temps de son incarcération pour traiter les troubles psychiques à l’origine de l’infraction.

 

En deçà même de l’importante question du droit d’accepter ou de refuser la nouvelle mission ainsi définie, la volonté de comprendre le sens de sa propre démarche dans les contextes actuels est un devoir fondamental. D’où l’intérêt majeur de réflexions éthiques. Celles-ci ne doivent ni prendre la place des élaborations et recherches cliniques, ni fonder des abstentions injustifiées, mais inspirer une dynamique, orienter des choix, éviter des dérives, garantir l’efficacité des démarches de soins et le maintien de la relation thérapeutique. Or, cette démarche réflexive agace parfois et de nombreuses initiatives tendent « à démoraliser l’éthique ».

 

B- Respect des règles déontologiques élémentaires

 

Est-il nécessaire de rappeler que la relation thérapeutique en milieu carcéral est régie par les mêmes règles déontologiques qu’en  milieu ouvert ? Le médecin exerce sa mission dans le respect de la personne et de sa dignité (article 2 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale), respecte en toutes circonstances les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine (article 3), ainsi que le secret médical (article 4). Il ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit (article 5). Il doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience  toutes les personnes, quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée  (article 7). Un médecin amené à examiner une personne privée de liberté ou à lui donner des soins ne peut, directement ou indirectement, serait-ce par sa seule présence, favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale de cette personne ou à sa dignité. S’il constate que cette personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l’accord de l’intéressé en informer l’autorité judiciaire  (article 10).

 

II   L’implication des acteurs

 

A-    Les soignants

 

En application de l’article R.50.33 du code de procédure pénale, les personnes condamnées pour le meurtre ou l’assassinat d’un mineur de quinze ans, précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou pour toute infraction visée aux articles 222-23 à 222-32 et 227-25 à 227-27 du code pénal – c’est-à-dire le viol, les agressions sexuelles autres que le viol et les atteintes sexuelles sans violence commis par un majeur sur un mineur de quinze ans ou, par une personne ayant autorité, sur un mineur de plus de quinze ans – exécutent leur peine dans des établissements pénitentiaires permettant d’assurer un suivi médical et psychologique adapté.

 

Certains auteurs ont vu dans cette disposition, l’affirmation originale et nette dans un texte juridique que la prévention de la récidive d’un condamné doit commencer, non à l’approche de la libération, mais dès l’écrou dans l’établissement pour peines. Certes, l’idée qui serait ainsi affirmée est une évidence pour toutes les équipes de soins intervenant en milieu carcéral, malgré les difficultés considérables de la tâche auprès des personnes condamnées à de très longues peines. Mais dire que cette disposition l’exprime automatiquement, n’est-ce pas reconnaître à ce « suivi médical et psychologique adapté » l’intérêt essentiel et l’objectif unique de la protection sociale ? Or le soin en milieu carcéral, qu’il s’agisse de toxicomanes, d’auteurs d’agressions sexuelles ou de tout autre patient, ne se justifie pas uniquement par la préparation à la sortie et la prévention de la récidive.

 

Les établissements pénitentiaires désignés à l’article R-50-33 sont sièges de l’un des trois  types de dispositifs de soins psychiatriques suivants : un service médico-psychologique régional, une unité fonctionnelle rattachée à un service médico-psychologique régional, ou une équipe psychiatrique pluridisciplinaire émanant d’un secteur de psychiatrie générale, en application des protocoles prévus par les articles R-711-10 à R-711-17 du code de la santé publique. Comme les détenus mis en examen des mêmes chefs d’inculpation et en attente de jugement sont écroués dans des maisons d’arrêt, lesquelles appartiennent comme l’ensemble des établissements pénitentiaires de France à l’une ou l’autre des trois catégories désignées ci-dessus, il en résulte que toutes les équipes de psychiatrie intervenant en milieu carcéral en France sont impliquées dans la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles. « Le dispositif de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire , qui a pour mission de répondre aux besoins de santé mentale de l’ensemble des détenus, quelle que soit la nature des infractions et délits présumés ou commis, est pleinement compétent en ce qui concerne le suivi médico-psychologique des condamnés visés ci-dessus » (circulaire du 11 juillet 1996). Il ne restait plus qu’à passer de la compétence administrative généralisée, bien légitime, à la compétence technique, bien inégale.

 

 

La loi du 17 juin 1998 et ses décrets d’application prévoient la nécessaire confirmation de l’accord du médecin traitant pour prendre en charge le patient, dans le cadre du suivi socio-judiciaire. S’agit-il de vérifier sa volonté de suivre de tels patients ou son acceptation des règles régissant l’injonction aux soins ou encore, plus simplement, qu’il est réellement informé d’avoir été choisi par l’intéressé. L’accord du médecin traitant qui exerce en milieu carcéral n’est pas sollicité : il n’est pas choisi par le patient, sa présence dans une prison semble indiquer qu’il veut suivre ces patients dont il sait qu’ils y sont relativement nombreux et, face aux obligations de soins déguisées que constituent les effets de l’engagement du patient dans le soin sur les aménagements de peines, il doit s’en accommoder ou  tenter, avec le juge de l’application des peines, d’en réduire les conséquences nocives sur la qualité du suivi et le risque de pseudo-thérapies et de fausse sécurité.

 

Lorsque les équipes soignantes sont étoffées, la prise en compte du volontariat du thérapeute est possible, mais dans certaines conditions, notamment en évitant une surspécialisation inutile, appauvrissante, peu conforme à l’efficacité de la prise en charge et une désignation trop aisée de la spécificité de la consultation.

 

Ce volontariat et cette spécialisation auraient permis cependant  de faciliter la  qualification et la formation des  seuls soignants concernés. En fait, c’est de tous qu’il s’agit.

   

B-   Le sujet

 

a-  La motivation

 

Sigmund FREUD, qui avait écrit en 1927 que le fétichisme était ressenti par le sujet plutôt comme une anomalie et non comme un symptôme douloureux pouvant conduire à une demande d’analyse (Le Fétichisme. -  La Vie Sexuelle, PUF, Paris, 1992), avait bien noté en 1938 que cette demande pouvait être cependant motivée par la souffrance psychique qui  accompagne la perversion. Cette souffrance s’exprime souvent par des signes dénommés improprement parfois, de nos jours, « comorbidité ». La motivation peut être liée non seulement à cette souffrance primaire, mais à celle secondaire aux conséquences du passage à l’acte, sur l’image de soi, sur les relations affectives du sujet, et sur sa vie quotidienne.

 

 

Cependant, s’il est généralement admis que la légitimité et l’efficacité du soin dépendent de la motivation du sujet, l’évaluation préalable de celle-ci ne doit pas déboucher sur un choix binaire : indication ou contre-indication de la prise en charge.

 

La non-demande ou le refus du suivi peut avoir des causes diverses, dont l’approche, l’explicitation et la neutralisation nécessitent des entretiens qu’il importe de proposer au détenu.

 

Ainsi, une faible motivation pour la psychothérapie peut être liée à la pleine conscience du sujet de ses propres difficultés de verbalisation, du fait de son niveau socio-éducatif, de son appartenance culturelle ou de l’alexithymie incluse dans le tableau clinique.

 

Un certain nombre d’auteurs d’agressions sexuelles ont du mal à imaginer qu’on peut changer quelque chose rien qu’en en parlant.

 

Certains manifestent une confiance très forte et parfois sincère, voire, peut-être, justifiée, dans leur propre capacité à éviter tout seul la récidive. Si les enjeux en termes de santé et de sécurité publiques n’étaient pas si grands, contrastant avec les possibilités matérielles réduites de renouveler régulièrement les évaluations, le constat qu’un grand nombre de personnes non traitées  n’ont connu ni rechute, ni récidive aurait pu conduire à reconsidérer l’évidence de conclure à une dangerosité devant tout refus de prise en charge. Lorsque le sujet, sous l’effet de quelques influences extérieures ou de quelques réflexions personnelles, comprend qu’il avait surestimé son propre contrôle, il accepte plus facilement une aide visant à renforcer celui-ci : ce qui peut induire ou favoriser une demande de suivi.

 

Dans les établissements pénitentiaires où la composition des groupes thérapeutiques d’auteurs d’agressions sexuelles, est accessible à tous, certains ne veulent pas se désigner à la vindicte des détenus, habituelle à l’encontre des « pointeurs ».

 

L’extraordinaire confiance que les anti-hormones inspirent à l’opinion publique, aux parlementaires qui la représentent et aux magistrats, explique non seulement, sans doute, certaines anomalies des textes juridiques – l’absence des psychologues et de la psychothérapie, la sous-estimation de l’importance du secret médical dans le déroulement du suivi…- mais aussi certaines demandes pressantes de médicaments dont le patient pense qu’ils vont suppléer, sans effort de sa part, sa volonté défaillante. Rappelons que , pour HANSON R.K. et HARRIS A., «  il se pourrait que les antiandrogènes augmentent le risque de récidive,  si la consommation de ces médicaments est associée à une diminution de la vigilance de la part du délinquant et/ou de l’agent en charge de le surveiller » . Lorsqu’un produit dans ce contexte, prend la place d’une surveillance et d’un suivi, les ressources du sujet risquent de ne pas être suffisamment mobilisées dans une relation thérapeutique pour prévenir rechutes et récidives .

 

Pour toutes ces raisons, l’offre de soins ne consiste pas seulement à indiquer les heures de consultations et la manière de se signaler à l’équipe soignante : elle comprend aussi des entretiens éducatifs, pré-thérapeutiques ou déjà thérapeutiques dans une relation d’étayage, pour évaluer les causes, les motifs, les prétextes de l’insuffisance ou de l’absence de motivation et apporter des informations utiles sur les méthodes et les objectifs, voire des solutions institutionnelles. L’ambiguïté de la demande de soins n’empêche pas de commencer un travail thérapeutique, notamment l’analyse de celle-ci.

 

b-  La reconnaissance des faits

 

Le déni de l’acte est un obstacle majeur à l’établissement d’une relation thérapeutique.

 

Il importe de ne pas se contenter d’indiquer si le sujet nie ou non les faits, mais de distinguer plusieurs niveaux de reconnaissance de ceux-ci (ARCHER et coll., 1992).

 

1 - Le sujet affirme que les faits n’ont jamais eu lieu, et, par exemple, qu’il est victime de l’accusation mensongère d’une enfant manipulée, alors qu’un divorce est imminent, en cours ou récent ;

 

2 - Le sujet reconnaît avoir eu un comportement qui aurait pu prêter à équivoque, mais nie toute préméditation sexuelle, voire toute connotation de conduite sexuelle ;

 

3 - Le sujet reconnaît avoir eu des contacts sexuels avec la victime, mais en refuse le caractère criminel ou délictueux, du fait notamment de l’assentiment implicite de la victime, ou de la banalisation de l’acte (« gros calin, trop poussé, « dérapage » sans conséquence etc..) ;

4 - Le sujet reconnaît les faits comme étant anormaux, voire délictueux, mais les explique, sinon les justifie par des facteurs extérieurs qu’il ne comprend pas et ne cherche pas à comprendre, mais qui entraînent de véritables accidents ne correspondant pas à sa vraie personnalité et qui de toute manière – il en est certain – ne se reproduiront pas, même sans intervention médicale ou judiciaire ;

 

5 - Le sujet reconnaît avoir commis un délit ou un crime et s’interroge sur les déterminants, internes et externes, personnels et environnementaux, du passage à l’acte.

 

Une forme plus subtile de déni consiste à prendre au mot le thérapeute pendant la prise en charge ou lors de la proposition de soins, en incriminant directement les mécanismes et facteurs sur lesquels il agit, et ainsi à se dispenser de l’engagement réel dans le soin : « ce n’est pas moi, ce sont mes hormones », « ce sont mes pulsions » . Le même processus peut être à l’œuvre et, en tous cas, évoqué après coup dans la séquence qui conduit à la récidive. « Je n’avais pas pu prendre le produit qui m’empêche de recommencer ».

 

Récemment, Salifou BOLMEYE de Châteauroux et Samuel LEMITRE de Paris, (Québec, 2001) propose d’engager le débat sur « les formes du déni », autour de stratégies défensives qui ne répondent pas forcément aux choix conscients du sujet :  « La   reconnaissance des faits apparaît comme un paradigme nouveau, utile pour l’évaluation expertale et le suivi des sujets transgressifs. L’apport de la criminologie dans ce domaine nous a permis de repérer différentes attitudes du sujet face à ses actes : la sur-reconnaissance, la reconnaissance, la reconnaissance partielle, la minimisation, la dénégation et le déni. En dépit de ces efforts de catégorisation permettant des repérages clairs, la non-reconnaissance prend parfois des formes subtiles amenant le négateur à adopter des attitudes plus ou moins paradoxales de reconnaissance et de déni qui se confondent, se juxtaposent ou s’alternent. Notre pratique quotidienne auprès d’auteurs d’agressions sexuelles, nous a permis de repérer différentes stratégies du négateur, parmi lesquelles « l’identité d’emprunt », « l’identité de surface » ou « l’identité escamotée » ».

 

En maison d’arrêt, lorsque le sujet mis en examen et en attente de jugement en première instance ou en appel, affirme au thérapeute qu’il est innocent, il n’est pas conforme à l’éthique médicale et au Droit de le présumer coupable, de l’intégrer dans un groupe consacré aux auteurs d’agressions sexuelles avec le projet de « faire avec lui un travail sur le déni ». Une telle attitude dénote parfois une confusion entre mécanisme de défense du moi  et stratégie de défense judiciaire. L’offre de soins peut se poursuivre cependant dans le cadre des entretiens thérapeutiques individuels de psychologie clinique ou de psychiatrie polyvalentes ou d’une guidance pré-thérapeutique, non étiquetés « destinés aux auteurs d’infractions à caractère sexuel ».

 

En tous cas, il serait utile de procéder à une étude précise du  « travail sur le déni », sur ses présupposés, son contenu et ses objectifs ? Que signifie « forcer le déni » ?

 

Le rejet d’emblée des négateurs de toute prise en charge, de toute action pré-thérapeutique ne leur laisse pas la possibilité de tenter de concilier, d’une part, la stratégie de défense judiciaire par négations et dénégations, et, d’autre part, une demande de soins par le biais d’autres symptômes présentés ou d’une certaine curiosité « Je n’ai rien fait, mais votre groupe m’intéresse ».

 

C- L’implication du juge de l’application des peines

 

Il est heureux que la plupart des juges de l’application des peines s’impliquent dans l’incitation aux soins auprès des auteurs d’agressions sexuelles incarcérés. Cependant, sous l’effet de ces  incitations légitimes et de la menace, plus discutable, de ne pas bénéficier d’aménagements et de réduction de peines, on peut observer certaines difficultés souvent liées à l’injonction de soins, alors que celle-ci n’est pas effective, officiellement, en prison :

 

 

 

L’application simple et ferme – mais très difficile dans certains établissements pénitentiaires – des règles élémentaires de déontologie médicale, permet d’éviter ou atténuer très nettement ces difficultés. Le souci de l’efficacité du soin ne justifie pas l’exterritorialité des prisons par rapport à l’éthique  et à la déontologie médicale. Au contraire.

 

A Poitiers, en 1983, au Congrès de Psychiatrie et Neurologie de Langue française, JEANSON, FLECHEUX et DRUCKER, dans une communication intitulée « Sur la pratique du secret médical en psychiatrie », regrettaient les interventions malencontreuses de certains Parquets « comprenant aussi mal les contraintes de la psychiatrie, que mal informés des règles de droit qu’ils ont le devoir de faire respecter ». A la lecture de certains attendus de la cour d’appel d’Angers dans l’affaire de l’association Montjoie du Mans en 1994, il y avait de quoi s’inquiéter « la nécessaire efficacité de la loi commande aux personnes liées par le secret de rompre celui-ci, surtout que chacune d’entre elles tenait sa compétence de l’autorité judiciaire : les deux jeunes étaient confiés au service de placement familial par le juge des enfants ». Ainsi, tous les médecins exerçant leur art au bénéfice de personnes qu’ils sont appelés à examiner et à soigner là où elles ont été  placées par décision de justice doivent rompre le secret médical au nom de la « nécessaire efficacité de la loi » ! Tous les médecins, notamment ceux qui exercent en milieu pénitentiaire, doivent souhaiter vivement que cette décision ne fasse pas jurisprudence. On ose à peine imaginer qu’un médecin généraliste d’exercice libéral soit tenu de violer le secret médical au bénéfice du juge des enfants lorsque son acte médical n’a été possible que par ce que le juge avait confié un enfant, soit à la nouvelle famille constituée par le père, soit à celle qu’a fondée la mère….

 

Une large diffusion du Droit du secret médical et de celui de l’obligation de soins tant dans les milieux judiciaires, que dans ceux du soin et de l’accompagnement socio-éducatif permettra de prévenir des conflits inutiles entre les équipes et surtout de fonder une saine collaboration entre elles, dans l’intérêt de tous.

 

 

Il n’y a pas une autonomie irréductible entre l’incitation judiciaire aux soins et la motivation réelle du sujet. L’énoncé et l’énonciation de cette incitation peuvent être vraiment pré-thérapeutiques, ou, au contraire, induire des illusions, des malentendus, voire des distorsions cognitives que les thérapeutes tenteront de corriger.

 

La connaissance par les autorités judiciaires du cadre, des moyens et des objectifs thérapeutiques facilite la bonne exécution de l’incitation aux soins.

 

Le thérapeute ne doit pas contester avec le patient ou en sa présence les décisions judiciaires. Il ne doit pas s’immiscer de manière inconsidérée dans la relation entre lui et le magistrat instructeur ou le juge de l’application des peines. Il peut, cependant, lui expliquer, lui aussi, les modalités d’applications du suivi sociojudiciaire après sa libération.

 

Les choses se compliquent lorsque le patient présente au médecin traitant des recommandations thérapeutiques adressées par l’expert psychiatre au juge qui l’a mandé. De  telles recommandations qui sont parfois utiles lorsqu’elles éclairent les décisions judiciaires sur l’opportunité du soin, peuvent, lorsqu’elles indiquent avec précision et dans le détail les indications thérapeutiques, conduire le magistrat à la tentation de prescrire le soin.

 

D- Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP)

 

Les missions du SPIP, sa position juridique quant à la règle du secret médical, sa situation administrative et la nature de ses relations avec le Juge de l’Application des Peines, limitent les échanges d’informations individualisées et nominatives avec les équipes de soins. L’articulation nécessaire se réduit parfois à l’application stricte des textes définissant les informations que le système pénitentiaire doit recevoir en vue de l’orientation des détenus.

 

Le développement de la guidance en France permettrait d’associer davantage le SPIP à la prévention de la récidive, dans le respect strict de l’éthique et de la déontologie médicales, et une détermination claire des domaines de compétence, voire une authentique complémentarité.

 

« Inséré entre les notions de contrôle et de thérapie, le concept de guidance permet de concevoir « un espace »dérogatoire bien circonscrit, limité aux cas connus de la Justice, où certains apprentissages essentiels en matière d’évitement de la récidive peuvent être effectués et une incitation à la thérapie promue, laquelle pourra se réévaluer dans un contexte  non contraignant. » (Gazan, Forensic, 1997, n°17 ).

 

Bien inscrite dans le domaine de la Justice, la guidance peut être imposée, faire l’objet d’un contrôle externe et concerner des négateurs. Elle utilise des méthodes explicites et régulières. Elle met en œuvre une véritable éducation spécialisée et personnalisée visant des objectifs pédagogiques : diffusion des informations sur la sexualité, la sensibilisation à la souffrance des victimes .... Toute la difficulté sera de distinguer les informations intégrées dans le transfert ou dans le traitement des distorsions cognitives, de celles constituant un apport de savoir.

 

Il est important que ces programmes d’éducation spécialisée s’en tiennent très strictement à leur aspect pédagogique, et en vue de l’insertion, et ne s’aventurent pas dans des groupes thérapeutiques lesquels sont susceptibles d’entraîner des conséquences fâcheuses s’ils sont animés par un personnel non formé.

 

L’usage de la psychiatrie, le recours à ses techniques et à ses professionnels pour des actes qui ne visent pas exclusivement le soin du sujet pour lui-même, peut conduire à l’utilisation de ces techniques par des soignants en position non-thérapeutique, puis par des non-soignants, puis à la remise en question de la volonté de la psychiatrie à en garder l’exclusivité de l’indication et de l’usage . Peut-on encore méconnaître ou même sous-estimer ce risque ? Alors que déjà des prestations inhérentes à notre discipline se sont mises, sans nous, au service d’objectifs non thérapeutiques, dans la gestion d’entreprise, le recrutement et le management par exemple, et que des diagnostics biologiques de consommation de drogues effectués hors contexte médical servent de fondements tangibles, donc fascinants par leur technicité, à des mesures répressives.

 

La guidance comporte une incitation active à l’implication dans le processus thérapeutique.

 

E- Le personnel de surveillance

 

Les auteurs d’agressions sexuelles qui sont en détention sont ceux qui posent le moins de problèmes au quotidien : ils ne sont pas dérangeants et sont méprisés. Pourquoi le dispositif de soins psychiatriques va-t-il leur proposer des soins alors qu’il y a tant d’automutilations et de troubles du comportement ? Il est important d’expliciter notre but, notre conception du passage à l’acte, la nécessité de débuter les soins en prison. Quel(s) type(s) de soins proposons –nous ?Il est nécessaire d’expliquer que le soin n’est ni une validation du comportement, ni une protection plus ou moins maternante, ni une rééducation.

 

Et surtout que l’intervention de l’administration pénitentiaire a une place : dans le projet d’exécution de peine (PEP), dans le dossier d’orientation, dans le choix de formation professionnelle ( que penser d’une formation en espaces verts pour un pédophile qui travaillera ensuite dans un jardin public ?), dans les interventions sociales ( hébergement, indemnisation des victimes, relations avec les victimes).(BARON-LAFORET, Forensic, 1996, n°13, p24)

 

F- Les autres détenus

 

Frédérique BREDIN, lors de l’audition de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP) par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les prisons, le 25 mai 2000, avait posé la question suivante : « je savais que les auteurs d’infractions sexuelles étaient mal vus, qu’ils étaient appelés les « pointeurs », mais j’ai été étonnée par la force et la généralisation de leur rejet, au point que le milieu carcéral s’organise en fonction de ce rejet en prévoyant par exemple des cours de promenade différentes. Comment expliquez-vous ce rejet ? »

 

Notre réponse, pour sa conclusion surtout, peut être reproduite. « On peut l’expliquer de différentes manières. La première est un phénomène auto-entretenu. L’une des façons de s’intégrer dans un milieu, c’est d’adhérer à ses valeurs. Dans un livre écrit par une personne illustre qui a fait l’expérience de la prison, l’auteur rapporte qu’il a lui-même été très surpris de se voir en train de devenir un agresseur d’auteur d’agressions sexuelles, alors qu’avant d’être incarcéré, l’idée ne lui en serait jamais venue.

 

De plus, cette adhésion à certaines valeurs permet de supporter des personnes qui ont des choses graves à se reprocher. La haine commune de l’auteur d’agressions sexuelles rapproche ceux qui ont commis des « casses » ou d’autres infractions.

 

Une autre raison est la situation ambiguë et complexe de la sexualité en milieu carcéral. L’auteur d’agressions sexuelles est celui qui s’est permis des actes tabous qui, en tout cas, en milieu carcéral, ne sont pas possibles. Or comme il existe parmi le public un fantasme de sursatisfaction de l’auteur d’agressions sexuelles, avec l’idée qu’il s’agit d’un hypersexuel au comportement génital exacerbé, alors qu’en réalité, il s’agit de personnes presque impuissantes, il suscite une haine teintée de jalousie.

 

 Il existe peut-être d’autres explications, mais ces trois-là sont utiles à considérer. Je le répète, on peut aller à contre-courant, réaliser une action d’éducation, afin de rendre le séjour de ces personnes et leur traitement possibles, car toutes les mesures dérogatoires dont vous parlez ne facilitent pas du tout la prise en charge ».

 

            G L’ensemble

 

Le cadre de vie doit être non seulement digne, mais sécurisant. L’engagement dans la relation thérapeutique est rendu encore plus difficile lorsque, par exemple, la peur des brimades est constante.

 

Le cadre thérapeutique doit être diversifié, souple, adaptable à la situation de l’auteur d’agression sexuelle et à son évolution : diversité sans risque important de diversion et de dispersion, rigueur sans rigidité. Il importe de se rappeler que l’intériorisation du cadre thérapeutique est un objectif  intermédiaire de la prise en charge.

 

Une formalisation extrême  du dispositif de soins aux auteurs d’agressions sexuelles, généralisée à tout le territoire, risque d’appauvrir, de gêner, voire de bloquer dans certains cas la relation thérapeutique. Elle risque de ne pas favoriser l’implication d’un nombre suffisant d’acteurs, de renforcer les mesures et procédures dérogatoires visant cette catégorie de patients, ce qui pourrait avoir pour conséquences leur stigmatisation excessive et la réduction de leur accès aux soins.

 

 

II   L’offre de soins en détention

 

On se souvient du regrettable jeu de mots « l’alcoolique, ça ne me dit rien » pour justifier son exclusion de la psychanalyse à cause de la pauvreté de sa vie fantasmatique et de sa verbalisation. Trop longtemps, la même attitude contre-transférentielle - qui ne dit pas son nom et qui se drape dans des oripeaux théoriques - a été adoptée à l’encontre des auteurs d’agressions sexuelles pour déclarer impossible tout travail psychique avec eux, y compris avec ceux qui ne sont pas égosyntones avec les actes commis, sont demandeurs de prise en charge ou l’auraient été si le discours dominant sur leur accès aux soins était propice. Le dépassement de certains préjugés, pétitions de principe et erreurs doctrinales chez les psychiatres et les autres soignants, la redécouverte et l’approfondissement des concepts opératoires déterminants (tels le narcissisme, le clivage, le déni, le primat de la destructivité et de l’emprise…), la révision de certaines idées fausses en  criminologie et le développement récent de la psychiatrie en milieu pénitentiaire ont permis de remettre en question non seulement le diagnostic et exclusif de pervers porté de manière systématique auparavant en face de tels patients, mais aussi le dogme de l’incurabilité des  pervers.

 

De même, l’attente passive de la demande émanant spontanément de personnes souffrant de certains troubles psychiques qui les rendent incapables de l’exprimer alors que le soin est nécessaire, a conduit depuis quelques années à proposer et à promouvoir d’autres concepts : susciter la demande, prendre des initiatives pour la maturation de la demande, accueil systématique, offre de soins.

 

L’accueil des arrivants

 

En 1995, au congrès organisé à Lille par le Groupe Autonome Pluridisciplinaire d’Etudes et de Recherches en Psychopathologie (GAPERP), sur le thème des victimes et auteurs d’agressions sexuelles, le responsable du service médico-psychologique régional (SMPR), en présentant le travail effectué dans les établissements pénitentiaires de Rouen et de Val de Reuil, déclarait «  A la maison d’arrêt de Rouen, tout repose en fait sur l’accueil des arrivants ».

 

L’arrêté du 14 décembre 1986, modifié par celui du 10 mai 1995 en faisait déjà une mission essentielle du SMPR. Comme pour d’autres catégories de détenus présentant des troubles psychiques ou de la personnalité, ou du comportement, ou un désarroi, une détresse psychosociale ou toute autre fragilité pouvant être à l’origine de décompensations psychiatriques rapides, l’accueil systématique des personnes écrouées permet, non seulement un repérage précoce et des propositions de soins adaptés, mais aussi une présentation de l’organisation des soins et des prestations, ainsi que des voies et moyens pour exprimer une demande d’aide et de suivi.

 

L’intérêt de ces entretiens d’accueil dans la plupart des établissements pourvus de SMPR devrait conduire à les étendre à tous les établissements pénitentiaires de France. L’incapacité réelle de les mettre en œuvre, faute de personnel, en dit long sur les possibilités des dispositifs de soins psychiatriques des prisons de France de répondre aux besoins de santé mentale de la population concernée puisqu’il s’agit, dans un premier temps par ces entretiens d’accueil, de mieux les connaître. Il est vrai, que sur certains sites, la résistance active ou passive s’explique aussi par le refus de savoir, puisque les troubles constatés, ou tout au moins les plus graves d’entre eux devraient alors entraîner des offres de soins, que les intervenants, en nombre souvent très insuffisant, ne peuvent assumer.

 

La nécessaire rencontre au lendemain de l’écrou – juste après le multiple choc de la révélation des faits, de l’opprobre social et de ses conséquences, de la garde à vue, de la mise en examen et de l’écrou – peut faciliter l’établissement de véritables relations thérapeutiques, voire les rendre possible et avoir une influence positive sur leur qualité ultérieure.

 

La présence d’un thérapeute à ce moment critique de vécu de rupture avec l’environnement familial, social et professionnel et des interrogations du sujet sur son devenir et celui de sa famille, peut réduire le risque d’état dépressif réactionnel ou d’effondrement narcissique et de suicide.

 

Intérêt d’une trame d’entretien

 

La relation thérapeutique avec les auteurs d’agressions sexuelles peut être charpentée, lors des premiers entretiens, par un questionnaire clinique. Les plus connus sont «  le guide d’évaluation des agresseurs sexuels » (Aubut, 1993), et le QICPAAS ( Balier, Ciavaldini, Khayat, 1997).

 

Il s’agit à la fois d’une trame d’entretien clinique et d’un outil d’évaluation permettant une approche rigoureuse du patient, de son anamnèse, de sa réalité psychique actuelle, des possibilités de traitement.

L’utilisation étendue et régulière de ces questionnaires cliniques peut servir aussi à la recherche.

 

Stratégies et relations thérapeutiques

 

On peut distinguer une prise en charge non spécifique et une prise en charge spécifique, à « thème unique », polarisée sur l’infraction-symptôme particulière que représente l’agression sexuelle ; dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une clinique de l’acte, d’une thérapeutique de l’acte, mais bien de celles d’une personne.

 

La thérapeutique consiste d’abord dans la mise en œuvre, par des professionnels formés respectivement à chacune des techniques, méthodes et procédures concernées, d’un programme cohérent et périodiquement réévalué de soins, d’accompagnement et de traitement.

 

La thérapeutique est éclairée avant sa mise en œuvre puis à échéances régulières, par des évaluations codifiées et concertées : diagnostic des troubles et de la personnalité, identification des attitudes, des croyances et des convictions du sujet concernant la sexualité, élaboration avec lui des objectifs intermédiaires et, notamment, des étapes caractéristiques du processus de changement, repérage des ressources personnelles qui permettent le développement de la capacité à recourir à bon escient à la relation d’aide aux moments critiques, appréciation du contexte familial afin de prévoir l’opportunité d’intégrer l’entourage dans la démarche de prévention, reconnaissance des facteurs de risque et des facteurs de prévention liés à la personnalité du sujet, aux caractéristiques de la victime, au contexte général et à la situation, l’évolution des différents paramètres sous l’effet du traitement.

 

Une combinaison appropriée de techniques thérapeutiques intégrées sera proposée selon l’état mental, les besoins, les capacités, la situation pénale et l’environnement familial et social de l’intéressé.

 

Outre le suivi médico-psycho-socio-éducatif classique, plusieurs types de prise en charge spécifiques peuvent être envisagés : de la thérapie de groupe hebdomadaire complétée par un entretien individuel régulier et une évaluation périodique, jusqu’au recours à de véritables programmes intégrés incluant psychothérapie individuelle menée par des soignants référents, groupes thérapeutiques, méthodes collectives ou individuelles d’aide au contrôle pulsionnel et de renforcement des aptitudes sociales, et éventuellement, traitement médicamenteux.

 

L’action thérapeutique s’exerce sur deux axes articulés : le traitement de fond et l’ensemble des techniques destinées à renforcer le contrôle pulsionnel ; elle se complète par des interventions soignantes actives et, éventuellement, par une chimiothérapie antiandrogène.

 

Certaines équipes disposent et développent des pratiques nouvelles de prises en charge, en sollicitant parfois un changement dans les habitudes de l’institution carcérale. Il doit être possible aux équipes qui le souhaitent d’organiser en détention, avec l’accord de la famille, des parloirs médiatisés dans des conditions et des indications bien étudiées entre le père incestueux condamné et incarcéré, engagé dans un travail psychothérapeutique et demandeur de ces rencontres et l’enfant, victime, engagée dans un travail de soutien psychothérapeutique assuré par une équipe indépendante de celle de la prison et faisant une demande motivée de rencontrer son père en détention. (MASSARDIER , Québec, 2001).

 

 D’autres formes d’interventions auprès des familles peuvent être appliquées. Par exemple, des thérapies de groupe pour les conjointes des abuseurs sexuels, en complément de l’intervention pluridisciplinaire auprès de ceux-ci pour mieux cerner la dynamique du couple, celle de la famille, et la place du patient, repérer et tenter de modifier ce qui rétablit la communication, restaurer la confiance, assouplir les mécanismes défensifs réciproques, aider au retissage des liens.

 

La nature et l’influence de la relation thérapeutique dépendent, bien entendu, des méthodes utilisées. 

 

Quoiqu’il en soit, le thérapeute en milieu carcéral doit s’attendre, plus qu’en milieu ouvert peut-être, à être idéalisé, disqualifié, manipulé, objet de tentative de séduction. Les processus de confrontation, d’opposition, de rupture, de retour, y semblent plus brusques et moins rares, le conformisme sans véritable coopération active beaucoup plus fréquent. Or, quel que soit le degré de motivation initial du patient, il importe d’avoir pour objectif intermédiaire et pour condition d’exercice sa coopération active, son engagement réel dans la démarche de soins.

 

La souffrance, évacuée par le clivage, connaît des fluctuations et des expressions symptomatiques, notamment dépressives, somatiques, anxieuses, mais aussi agressives.

 

Le cadre thérapeutique doit être suffisamment solide pour résister aux tentatives de destruction.

 

A l’approche de la sortie

 

Le psychiatre intervenant en milieu carcéral doit sensibiliser le condamné, au cours d’une consultation médicale avant la levée de l’écrou, sur l’intérêt de poursuivre ou d’engager un processus thérapeutique en liaison notamment avec l’équipe de psychiatrie correspondant au lieu de résidence ou de destination de l’intéressé. (article R-40-34, décret n°95-886 du 4 août 1995, et circulaire du 11 juillet 1996)

 

Cette recommandation concerne, à l’évidence , ceux des auteurs d’agressions sexuelles pour lesquels aucun travail régulier de prise en charge n’a été possible. Pour les autres, en effet, la préparation à la sortie ne se limite pas à ce qui apparaît comme une ultime incitation aux soins avant la libération.

 

La continuité des soins est une condition essentielle de leur efficacité et de la prévention de la récidive : la relation thérapeutique n’est pas une fin en soi, mais un moyen indispensable.

Il n’est pas facile d’indiquer à l’heure actuelle avec qui l’articulation peut et doit être établie. En réalité, les possibilités sont si réduites, surtout dans certaines régions, que la question du choix ne se pose pas.

 

 Les partenaires désignés semblent d’abord le secteur de psychiatrie générale. SENON,MERY et PETILLOT résument, d’une part, les forces et légitimité, d’autre part, les limites du secteur de psychiatrie générale dans la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles. Forces et légitimité du secteur de psychiatrie générale : travail  de prévention dans les familles à risque amorcé par le secteur de psychiatrie de l’enfant ; expérience de la prise en charge longitudinale des psychoses chroniques ; prise en charge de proximité ouverte sur les problèmes sociaux et d’insertion ; capacités à évaluer et prendre en charge les populations démunies et précarisées ; ouverture sur la prison depuis la mise en place des SMPR et la loi de 1994 qui confie au secteur de psychiatrie l’exercice de la psychiatrie en détention ; secteur comme réseau couvrant l’ensemble du territoire français ; aptitude à un travail partenarial avec les services sociaux, les centres d’hébergement, le milieu éducatif et de formation professionnelle. Limites du secteur de psychiatrie dans la prise en charge des psychopathologies sous-tendant les infractions sexuelles : clinique à reformuler : importance des troubles limites de la personnalité et des pathologies de carence ; utilité d’une re- conceptualisation du modèle de la perversion, carence d’élaboration et de mentalisation ; stratégies thérapeutiques à adapter : éveil de la demande, interventions précoces, instauration du cadre thérapeutique, contrat de soins et travail en équipe avec partenariat socio-éducatif ; absence de demande initiale et poids de l’action judiciaire et de la détention qui incitent à la déresponsabilisation.

 

Un lieu de suivi ambulatoire relevant du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire, peut prendre en charge les auteurs d’agressions sexuelles pendant quelques temps au lendemain de leur libération – comme d’autres sortants de prison souffrant d’autres troubles psychiques. Une telle structure de secteur a des liens organiques forts avec les unités de suivi ambulatoire intra-carcérales.

 

a)                    Une prise en charge en milieu carcéral par une équipe formée et motivée, sans création de lits réservés à ces détenus, ni même affichage de consultations spécifiques, mais individualisation, dans un souci de gestion, d’évaluation, et de juste répartition des moyens alloués, de toutes les activités thérapeutiques au bénéfice des auteurs d’agressions sexuelles.

b)                    Toutes les fois où le passage de relai à des équipes soignantes volontaires et compétentes est impossible ou non encore indiqué, suivi post-pénal assuré par le centre médico-psychologique (CMP) du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire, constitué d’une équipe permanente à laquelle se joignent les soignants des établissements pénitentiaires de ce secteur désireux d’assurer eux-mêmes dans ce centre la continuité des soins. Il pourrait dans ce domaine être un pôle de formation, de recherche et de référence et un lieu de rencontre des professionnels intéressés. Mais il pourrait aussi accueillir tout autre patient devant bénéficier d’un suivi post-carcéral en attendant que la continuité des soins soit assurée par une structure de droit commun.

 

Intégrée dans l’organisation de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire, articulée avec l’ensemble du dispositif de soins, cette action doit permettre à chaque étape de la prise en charge une utilisation rationnelle des ressources du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire sans créer une unité médico-judiciaire, ni une unité de soins consacrée à une catégorie d’infractions, ni une « clinique de l’acte ».

 

Ce ne sera pas le moindre intérêt d’une telle structure, pourtant originale, que de s’inscrire dans le cadre administratif et institutionnel existant en vue d’atteindre des objectifs qui restent ceux de la politique dite de secteur, tout en évitant des instruments d’exception, la dispersion et l’incohérence des moyens, la stigmatisation inutile des malades et l’isolement des thérapeutes.

 

La pertinence d’une structure spécifique accueillant exclusivement les auteurs d’agressions sexuelles n’est pas établie.

 

La plupart des thérapeutes estiment que le traitement des auteurs d’agressions sexuelles doit être un travail d’équipe. Le législateur a confié cependant au médecin traitant un rôle central dans le suivi socio-judiciaire.

 

Lorsque la personne libérée n’est pas soumise à l’injonction de soins, la rencontre avec un psychologue clinicien peut lui être proposée en vue d’une psychothérapie.

 

            A l’inverse des groupes d’entraide favorisés dans d’autres contextes pathologiques, certains auteurs s’inquiètent du risque que des amis ou des membres de la famille, agresseurs sexuels eux-mêmes, exercent une mauvaise influence sur l’individu. « Il faudrait interdire aux délinquants sexuels participant à un programme de traitement en groupe d’entretenir des liens entre eux à l’extérieur du groupe jusqu’à ce qu’ils aient intégré les valeurs prosociales enseignées dans le cadre du programme ». (HANSON R. K., SCOTT H., Social networks of sexual offenders Psychology, Crime and Law, 1996, vol 2, p249-258)

 

Conclusions 

 

« La perspective de l’exercice en milieu pénitentiaire a été pendant longtemps marquée par l’hostilité de certains psychiatres, la circonspection affichée de beaucoup d’autres, une curiosité distante de quelques uns. En dehors d’une prudence excessive ou d’une conduite contre-transférentielle, évidente encore dans certaines relations confraternelles , certaines communications et publications, voire certaines propositions de réforme, de nombreux psychiatres estimaient que l’établissement pénitentiaire, par sa nature même, compromettait inévitablement toute relation thérapeutique authentique. Pourtant, la nécessaire justification de l’intervention thérapeutique par l’existence d’une maladie mentale, d’un trouble psychique ou d’une personnalité pathologique, la dimension soignante de la rencontre, le consentement libre et éclairé aux soins, la compliance et l’alliance thérapeutiques , toutes ces règles fondamentales  peuvent et doivent être strictement appliquées, dans chaque prison française, en dépit des contraintes qui y sont inhérentes et celles qui y sont inutilement ajoutées.(Archer juin 2001)

 

 En face des auteurs d’agressions sexuelles, de nombreux thérapeutes persuadés de manquer de connaissance spécifique, éprouvent des difficultés qu’une formation adaptée peut aplanir. Mais l’apport du savoir théorique et de compétence technique ne répond pas nécessairement à la question du contre-transfert et à celle de la position personnelle du thérapeute face à l’autre et à la Loi.

 

            La relation thérapeutique dans la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles, en milieu carcéral comme en milieu ouvert, est émaillée de moins de remous et d’échecs lorsque , grâce notamment à une formation appropriée, à des échanges au sein de l’équipe soignante, et à l’aide d’ un superviseur référent, chaque thérapeute est capable de se situer et de réfléchir sur ses pratiques. Comme dit Jocelyn AUBUT, « l’intervenant non averti risque d’être ballotté entre une série de positions , affects et actes contradictoires dont il ne comprendra pas l’origine : désir messianique de sauver le client contre désir de le punir, sentiment d’omnipuissance contre sentiment d’impuissance, excitation contre dégoût sexuel, sentiment que l’acte du client est entièrement dépendant de l’intervention thérapeutique ( contre sentiment que l’intervention ne change rien), impression de ne jamais en donner assez contre être indispensable ».(Forensic,1999,n°21)

 

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* Chef du Service Médico-Psychologique Régional de Loos – Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille BP 52 59374 Loos cedex

**La loi du 17 juin 1998 a le mérite de fonder un statut juridique de l’enfant victime d’agressions sexuelles et d’adapter la procédure pénale (Le Monde 7 et 8 mai 2000). Elle a aussi créé une nouvelle sanction, le suivi sociojudiciaire qui apparaît comme une tentative intéressante de continuité de s’inquiéter du sort des condamnés et des risques de réitération de l’acte, après qu’ils ont purgé une peine de prison, proportionnelle, non à la gravité de leur maladie, mais, conformément à un principe essentiel de la loi pénale, à celle des infractions commises. Le suivi sociojudiciaire  (article 131-36-4- du code pénal) est moins une peine qu’une mesure de sûreté, puisqu’il est appliqué en fonction de la dangerosité du sujet pour éviter la récidive et permettre le soin.

 

Il peut comprendre une injonction de soins. Cette injonction peut être prononcée par la juridiction de jugement s’il est établi, après une expertise médicale ordonnée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, que la personne poursuivie est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Cette expertise est réalisée par deux experts en cas de poursuites pour meurtres ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie. Le Président avertit alors le condamné qu’aucun traitement de pourra être entrepris sans son consentement, mais que s’il refuse les soins qui lui seront proposés, l’emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l’article 131-36 pourra être mis à exécution.

 

La peine de suivi sociojudiciaire ne peut être exécutée en prison quelle que soit la cause de l’incarcération : elle s’applique à compter du jour où a pris fin la privation de liberté ou de celui où le détenu a commencé à bénéficier d’un placement à l’extérieur sans surveillance ou d’une semi-liberté (article 736-7 du code pénal).

 

La réaffirmation de l’impossibilité de traiter le détenu sans son consentement en détention est cependant très atténuée par l’exclusion de toutes réductions de peines supplémentaires, de toutes personnes condamnées à un suivi socio judiciaire comprenant une injonction de soins, et qui refusent de suivre un traitement pendant leur incarcération. Cette exclusion s’applique aussi aux délinquants sexuels récidivistes. A ces deux catégories de détenus, le Juge de l’Application des Peines peut accorder cependant une réduction de peine, après expertise médicale (article 722 du code de procédure pénale) et avis de la commission de l’application des peines.

 

Lorsque la juridiction de jugement prononce une injonction de soins et que la personne a été également condamnée à une peine privative de liberté non assortie du sursis, le président informe le condamné qu’il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l’exécution de cette peine. De même, le Juge de l’Application des Peines doit également une première fois lors de son arrivée dans l’établissement, puis au moins une fois tous les six mois, l’informer de la possibilité de commencer un traitement.

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