Psychothérapie psychodynamique des auteurs d’agressions sexuelles

Dr CLaude BALIER[1]

 

 

Position du problème

 

                        Les déviations sexuelles ont fait l’objet, de tout temps, de réactions affectives violentes qui occultent un essai de compréhension du phénomène. A la condamnation à être brûlés vifs des sodomites, a succédé au cours des âges l’emprisonnement du marquis de Sade et bien plus généralement, jusque dans les années récentes, un déni de la fréquence de tels actes, viols, incestes, pédophilie, exhibitionnisme… Du temps même de Freud parlant de l’enfant « pervers polymorphe », il était bien plus question du « pervers instinctif » de Dupré (1911), coupant court à toute analyse pathologique.

La célèbre réflexion de Freud : « la névrose est le négatif de la perversion », a pu laissé entendre que celle-ci était caractérisée par un comportement figé au niveau d’une régression à une pulsion partielle, inaccessible à une analyse. Or si le refoulement est effectivement absent, Freud a montré, avec le fétichisme (14) que d’autres systèmes défensifs étaient en cause, tel le déni de réalité et le clivage du Moi.

Au reste, le terme d’agression sexuelle dépasse largement celui de perversion. Et c’est ici que s’est instaurée une confusion qui a gêné le travail d’analyse clinique, en séparant ce qui était de l’ordre de la criminologie et de la psychiatrie.

J’ai souligné (Balier 1996) (4) à maintes reprises le fait que les classifications internationales des maladies mentales (DSM IV et CIM 10) ne considéraient le viol comme un trouble d’ordre psychiatrique que s’il était accompagné de sadisme, soit dans 10 % des cas. Le viol est pourtant l’exemple même de l’agression sexuelle, et le considérer simplement comme un dépassement des limites permises de l’acte sexuel est une aberration. Récemment un livre conçu au Quebec (21), contenant des chapitres de grande valeur écrits par des auteurs de diverses nationalités, avec comme objectif l’étude clinique et psychodynamique du passage à l’acte, a pris le parti d’éliminer les actes ayant pour support essentiel un « pôle délinquant », dans le souci de bien demeurer dans le fait psychiatrique. C’est donc renoncer à une étude globale de la personnalité pour comprendre la violence et séparer arbitrairement en deux l’individu en fonction de l’identité des intervenants, criminologues ou psychiatres. Tout se passe comme s’il n’y avait rien à comprendre dans ce « pôle délinquant », hormis l’impact des faits sociaux. Or précisément le renouveau de l’intérêt pour la compréhension psychologique des auteurs d’agressions sexuelles vient de la prise de conscience d’une augmentation significative des incarcérations de ces auteurs au cours des années 1989 à 1992 (5).

 

 

Données historiques

 

K. Abraham (1925) (1) avec la publication d’un traitement analytique d’un escroc ; M. Klein (1927) (16) en abordant les tendances criminelles des enfants et la tentative de traitement effective de l’un d’eux auteur d’actes délinquants ; M. Bonaparte (6), en 1927 également, en analysant les faits qui ont conduit une femme à tuer sans raison apparente sa belle-fille ; J. Lacan (17) avec « le cas Aimée » (1931), puis le crime des sœurs Papin (1933), sont les premiers auteurs à appliquer la compréhension psychanalytique à des faits délinquants réels.

S. Lebovici, P. Mâle, F. Pasche (19) avec un rapport au congrès de psychanalyse de Rome en 1950, sur « Psychanalyse et criminologie » ; J. Hesnard (15), « psychologie du crime » (1962) ; D. Lagache (18), « le psychologue et le criminel » (1979) ; contribuaient à faire tomber la barrière entre criminologie et psychanalyse.

Dans le domaine des perversions sexuelles, on peut noter surtout les noms de R.J. Stoller (1975) (26) et de J. Mac Dougall (1978) (20) pour renouveler les voies ouvertes par S. Freud.

Dans les années 80, G. Bonnet (8) a entrepris une psychanalyse avec un sujet meurtrier, interné à l’hôpital psychiatrique depuis 10 ans. Il en rendra compte dans un livre paru en 2000. Le meurtre, commis à l’âge de 17 ans, paraît inexplicable. Il avait été précédé de deux actings passés inaperçus, ce dont l’auteur à mon avis tient peu compte : une tentative de viol d’une jeune-fille et un essai de séduction de sa sœur. Par ailleurs il avait égorgé des animaux dans son enfance, antécédent que j’ai retrouvé à plusieurs reprises chez les agresseurs sexuels, ce qui a été objectivé dans une recherche ocnduite par A. Ciavaldini (11).

Avec un recul de plusieurs années la psychanalyse de cet homme apparaît comme une réussite.

Il faut noter qu’au vu de nombreuses expertises contradictoires il a été reconnu irresponsable et donc adressé à un hôpital psychiatrique. Il y a fort à parier que si les faits s’étaient produit quelques années plus tard, il eut été incarcéré, ce qui révèle l’incertitude des limites entre criminologie et psychiatrie.

 

G. Bonnet, aussi bien dans ce texte que dans le compte-rendu critique qu’il fait de mon second livre (7), considère que mes travaux se trouvent être dans la continuité des auteurs dont il fait une revue historique. Dans un chapitre intitulé : « La prison ou l’hôpital ? », il écrit, en parlant de ces travaux : « … ils ont renforcé mon souhait de publier cette analyse. Car comme M. Bonaparte, C. Balier s’appuie sur des thérapies menées avec des délinquants reconnus coupables, dans un contexte carcéral, et avec le concours de l’équipe soignante. Alors que dans le cas présent, il s’agit d’une cure analytique au sens classique du terme, menée en solitaire et surtout avec un délinquant grave hospitalisé parce qu’il a été reconnu non responsable au moment des faits. Elle pose donc au préalable un problème différent, spécifique, et qu’il faudra bien que j’évoque à un moment ou l’autre de cette analyse : celui du bien fondé de l’hospitalisation. Que des sujets agissent dans un état second, où ils ne sont plus maîtres d’eux-mêmes, c’est un fait. Il n’en reste pas moins qu’on est en droit de se demander si l’hôpital est l’unique solution ».

 

 

Analyse psychopathologique

 

Dans un livre intitulé « criminologie et psychiatrie » (2), auquel ont participés pas moins de 125 auteurs, le directeur de la publication, Thierry Albernhe, réalise donc une unité d’approche à l’opposé du livre cité plus haut, « le passage à l’acte », qui tend à éliminer un « pôle délinquant ». Il y est question avant tout du « sujet », les auteurs des différentes préfaces le soulignent, en-deçà des classifications. Dans une approche préliminaire D. Wildlöcher montre que la psychopathologie n’est pas un mode de classification des maladies mentales. C’est une démarche de compréhension des mouvements internes d’un sujet en relation avec un environnement, moins pour expliquer que pour observer un fait, par exemple le fait criminel, constituant une anomalie par rapport aux conduites habituelles d’une société donnée. La démarche psychopathologique va même jusqu’à explorer le domaine des comportements collectifs : prenons comme exemple les sectes, ou une organisation délibérement mise en place par un collectif de pervers.

La démarche analytique, plus que tout autre a pour objectif d’inviter le sujet à se découvrir comme tel et par cela même à situer l’autre. Elle s’adresse aussi bien au criminel jugé responsable de ses actes qu’à celui considéré comme malade, sachant que la plupart du temps les limites sont floues et varient d’ailleurs en fonction de l’époque et des circonstances.

Afin d’adopter une conduite d’intervention visant à l’établissement d’un cadre, qu’il soit judiciaire ou psychiatrique, et à une approche thérapeutique satisfaisante, il faut établir quelques repères tenant compte des processus psychopathologiques sous-jacents en cause plutôt que des symptômes.

C’est pourquoi j’ai proposé le tableau suivant, légèrement modifié, dans le livre « criminologie et psychiatrie ».

On verra qu’une première distinction est faite entre :

-       les cas où l’agression sexuelle est un acte « contingent » par rapport à une pathologie qui occupe le devant de la scène. Il est alors occasionnel, symptôme parmi d’autres symptômes.

-       Ceux où l’agression sexuelle est « prévalente », constituant le moyen de défense essentiel par rapport à l’angoisse. C’est alors soulever le problème de la perversion sexuelle. J’y reviendrai plus loin à propos de la thérapeutique. La position que j’ai adoptée est celle de J. Chazaud (10) : au lieu de parler de « structure », qui ferme le problème une fois pour toutes, cet auteur propose d’envisager la perversion sexuelle comme une «organisation », un « champ pervers », dont les manifestations défensives sont variées.

       Pour ma part, dans ce contexte, j’ai proposé de distinguer :

-         les perversions répondant à un passage à l’acte de représentations psychiques inconscientes. Cela correspondrait au « scénario pervers » de J. Mac Dougall, (20) qui agirait comme une addiction.

-         La perversité sexuelle, comme recours à l’acte, sans représentations sous-jacentes et dont la seule dynamique se tient dans l’opposition entre anéantissement – toute puissance.

 

Tableau p. 716

Agressions sexuelles

 

 

Référence psychiatrique

Référence metapsychologique

Processus en cause

Actes préférentiels

Hors approche

psychiatrique

Influence environnementale majeure

 

Non reconnaissance

des faits imputés

 

 

 

Contingentes

Névrose – psychose

Psychopathie – débilité – Etats limites

L’acte est secondaire par rapport à l’organisation psychique

Manque de contrôle de la pulsion

Intolérance à la frustration

Du meurtre du psychotique ou de l’attentat à la pudeur du psychopathe au dérapage du névrotique – viols

Défensives prévalentes

Perversions

 

 

 

 

 

 

 

Perversité

Recours à l’acte

Absence de représentations

-        Persistance d’un « Soi »

-        Scénarios ludiques

-        Fantasmes

-        Violence au service de l’érotisation

 

 

-        Le « Soi » est dilué dans les processus

-        Pulsions sexuelles au service de la violence

-        De la non-existence à la toute-puissance

-        Clivage du Moi

 

 

 

 

 

Fusion

Séduction

Double

Toute-puissance

Fétichisation

Pédophilie avec de grands enfants

Violence avec sadisme

Inceste avec séduction

 

 

Viols compulsifs

Pédophilie avec de

Jeunes enfants

Meurtre à caractères sexuels

Inceste dictarorial

Exhibitionnisme

Valeur régressive

Pathologie de l’adolescence

 

Echec de la vie adulte

 

                - fragile

MOI

                - faible

 

 

Support groupal

Viols en groupe

Attentats à la pudeur

Inceste régressif

 

 

La position psychanalytique

 

                        Pour parler des auteurs d’agressions sexuelles j’ai délibérément porté ma réflexion en premier lieu sur la partie agression et les rapports qu’elle implique entre psychanalyse et criminologie. Les nouveaux facteurs fournis par l’augmentation considérable des incarcérations pour agressions sexuelles au cours des années 90, la promulgation d’une loi de prévention, ont changé en effet les données du problème.

Jusqu’alors la visée de la psychanalyse était de traiter, en restant dans son champ, les perversions. Le viol en tant que tel, n’en faisait d’ailleurs pas partie. Et la perversion ne comporte pas forcément une violation du consentement de l’autre. Tel le terrible récit rapporté par M. de M’Uzan (22) où un couple masochiste s’est livré délibérement aux souffrances répétées infligées par des tortionnaires au point que la femme a fini par en mourir. Par ailleurs le travestisme et le fétichisme quand il s’agit d’un objet ne sont pas particulièrement des comportements agressifs.

Du point de vue psychodynamique la perversion a été définie par Freud comme une fixation à un aspect partiel de la pulsion sexuelle avant qu’elle n’arrive à maturité. C’est ainsi qu’il y a des pulsions d’objet, dont l’inceste et la pédophilie sont les représentants les plus fréquents, et des pulsions de but : exhibitionnisme, sado-masochisme, sodomie lorsqu’il s’agit d’une forme de jouissance exclusive.

Si le terme de fixation est probablement cause de la réticence de nombreux psychanalystes à prendre en traitement des pervers, avec la répétition des actes qui se substitue à l’effort de pensée, la problématique dynamique ne fait pas de doute avec l’étude de la fétichisation par Freud conçue comme une défense par rapport à l’angoisse de castration. Il s’avère en fait qu’il s’agit bien souvent d’une angoisse plus radicale, de mort, d’où l’aspect rédhibitoire de la fixation aux moyens de défense. Cependant l’origine traumatique d’une telle pathologie est avérée, traumatisme de nature sexuelle pour 30 à 40 % des cas. De toutes façons il s’agit d’une hyperexcitation qui dépasse les moyens d’intégration du sujet, créant une menace d’effondrement, suivie d’une recherche répétitive de la même situation, génératrice d’angoisse, qui appelle un passage à l’acte capable de créer un sentiment de toute-puissance réparateur. Ainsi, selon le schéma rencontré bien souvent, l'enfant abusé devient un jour pédophile, si d’autres moyens de défense ou une construction psychique n’a pu être mise en place.

 

J. Mac Dougall est certainement celle qui a pu le mieux, avec R. Stoller, faire évoluer la conception de la perversion et briser les réticences habituelles de thérapeutes à intervenir dans ce champ. Elle évite d’ailleurs d’employer le terme de perversion en parlant de « néo-besoins » et de « solutions addictives » pour comprendre la répétition des actes. Mais elle a affaire à des patients venus demander eux-mêmes un traitement.. Tel n’est pas le cas de la plupart des agresseurs, que l’on rencontre d’ailleurs dans un cadre judiciaire.

Ce qui modifie sensiblement la technique de soins, le divan de la psychanalyse classique étant exceptionnellement utilisé. Cependant l’aménagement métapsychologique qui constitue les repères essentiels et que je viens de décrire sont bien les mêmes.

 

 

La psychothérapie psychanalytique

 

Il est pratiquement impossible d’effectuer une psychanalyse répondant aux critères habituels : usage du divan, nombre et régularité des séances, durée de la cure, en milieu carcéral, pour des raisons pratiques. De plus la nature de la pathologie, aussi bien en milieu extra-carcéral lorsque les conditions la rendraient possible, ne s’y prête pas. La demande spontanée est rare ; l’influence interessée d’un désir de sortir d’un cadre judiciaire toujours contraignant doit être décodée ; le fonctionnement psychique, souvent proche de l’état-limite, handicapé par des systèmes de défense stérilisants et rigides ne permet pas de satisfaire à la règle de l’association libre. On a vu plus haut combien l’acte se substituait à la pensée. Une analyse sans aménagement risque, en réactivant l’angoisse, de précipiter passage ou recours à l’acte.

Depuis de nombreuses années, les psychanalystes ont adaptés diverses techniques afin d’intervenir pour des pathologies se situant bien loin de la névrose : thérapies en face à face, psychothérapie de groupe, familiale, psychodrame, relaxation psychanalytique…

Que reste-t-il d’authentiquement psychanalytique dans ces formules ? En 1997, un colloque de la SPP (25) a eu pour but de faire le point sur ces pratiques, jusque là considérées d’un œil prudent, sinon critique. 

G. Diatkine, dans l’avant-propos et les conclusions du colloque précise bien les problèmes posés :

Les psychothérapies que l’on peut qualifier de « médicale » ou de « psychologique » s’adressent au sujet conscient en intervenant directement sur le symptôme et l’organisation de la vie.

La psychothérapie psychanalytique évite de proposer des solutions et invite le sujet à faire retour sur lui-même, donnant vie ainsi au processus de mentalisation. Tel est le but de l’interprétation qui demeure l’axe majeur de la thérapie, même si des aménagements importants ont été réalisés pour la rendre possible pour des patients particulièrement fragiles, établissant mal la différence entre ce qui est interne et l’externe, et dont les associations sont pauvres.

 

 

Psychothérapie psychanalytique dans un cadre pénal

 

Une psychothérapie psychanalytique d’un agresseur sexuel faisant l’objet d’une injonction thérapeutique prononcée par un juge apparaît une gageure par rapport aux exigences de ce type de thérapie : ne pas intervenir par autorité et agir sur les processus conduisant à la mentalisation.

Or il n’en est rien : la recherche menée par A. Ciavaldini et M. Khayat (11) auprès de 176 agresseurs en milieu carcéral est démonstratives. En établissant un questionnaire qui engage l’intervenant à partager les affects de celui qui n’est alors qu’un délinquant (partage réalisé également avec les patients psycho-somatiques selon les conseil de C. Parat (23), dont la carence de mentalisation est identique à celle des agresseurs), les auteurs ont montré qu’ils réalisaient ce que A. Ciavaldini a appellé une « pragmatique de la mentalisation ». Au lieu de 5 à 10 % que l’on dit habituellement demandeurs d’une thérapeutique, 50 % des agresseurs ont demandé à bénéficier immédiatement d’une psychothérapie. Qu’il y ait demandé ou pas, 62 % ont jugé positive l’expérience d’investigation.
Par la suite il s’agit de mettre en place un cadre thérapeutique rigoureux. Pour ma part, dans ma pratique, il me paraissait fondamental, en milieu carcéral, de faire participer toute l’équipe thérapeutique avec des formules de soins complémentaires : réunions de groupe, relaxation, psychodrame, psychothérapie familiale. La psychothérapie elle-même s’établissait entre trois promoteurs : un médecin ou un psychologue, un infirmier et une infirmière.

 

 

Autres pratiques

 

I – En fonction du cadre, la pratique de la psychothérapie psychanalytique doit subir quelques  infléchissements en milieu extra-carcéral : une grande prudence à ne pas mobiliser l’angoisse de façon trop importante, qui risquerait de déclencher un nouveau recours à l’acte. Une liaison plus ou moins étroite avec le Comité de probation s’impose.

 

II – Les positions inspirées par les travaux lacaniens :

 

1 - G. Bonnet, président de l’Association Psychanalytique Française mentionne le fait que j’ai repris, dans mon livre, la distinction utilisée par J. Lacan et surtout par P. Aulagnier entre le Moi et le Je. A ces notions il ajoute l’importance de tenir compte de la distinction que font ces auteurs entre le plaisir et la jouissance, celle-ci se jouant dans l’horreur et la sidération. « Il joue l’apparition / disparition de soi ou de l’autre, pour tenter de mettre en place ce qui le fait exister comme je « écrit-il en parlant de l’agresseur. C’est dire qu’en toute occurrence l’auteur considère qu’il y a un « je », qu’il faut postuler et même, ajoute t-il une « libido du sujet » (7 p. 572).

Ceci justifie une écoute plus exclusive du sujet, à l’écart de toute autre considération. Ainsi G. Bonnet ne communique pas avec les autres intervenants du cadre thérapeutique et a fortiori judiciaire. Une telle attitude, partagée par P.P. Costantini dont on va lire le compte-rendu de sa pratique, ne va pas sans soulever des questions à trois niveaux me semble t-il.

Ø dans le cas de personnalité fragile, la nécessité de soutenir les fonctions du Moi.

Ø en cas de menace imminente de récidive la question de faire intervenir un tiers ; ou encore le problème posé par l’obligation de signalement à la justice si on a connaissance d’un fait récent.

Ø enfin la nécessité morale d’avertir l’équipe thérapeutique lorsqu’on pressent la menace d’un nouveau recours à l’agir.

 

2 - Les errances de la psychanalyse : l’extrémisme de J. Bourillon (9).

A suivre au pied de la lettre les écrits de J. Lacan, Bourillon nous fait revenir aux positions du début du siècle relatives au « pervers instinctif », incurable.

« Lacan pense que le moi est une illusion que la psychanalyse doit dissiper, afin que soit reconnu le je du discours » (E. 304) cité par G. Diatkine (13 p.21). De fait Bourillon fustige tous ceux qui dont intervenir le Moi : Balier n’est pas un psychanalyste répète t-il, c’est un psychothérapeute. Il se comporte en maître et fait en sorte que le patient lui ressemble. Alors il sera considéré comme guéri.

Quant à lui il est essentiellement à l’écoute de l’inconscient, à l’écart de tous ces « maîtres » que sont les psychiatres, psychologues, juges et personnel pénitentiaire. Il n’entend du criminel que l’impossibilité de supporter la séparation qui ferait naître le désir et le ferait sujet, la répétition de la jouissance qui fait totalité.

Ce qui permet à l’auteur de conclure en parlant des « criminels sexuels » : « Le tableau présenté dans ce livre peut sembler désespérant et sans issue pour 95 % des sujets en détention. C’est eux que la question concerne. Il n’est pas de mon ressort de décider du destin des criminels sexuels. Je peux simplement dire que la psychanalyse est devenue impossible en institution carcérale alors qu’elle offrait des possibilités à environ cinq pour cent des sujets criminels sexuels, d’éviter de récidiver (9 p.292).

 

3 – La position de P.P. Costantini (SMPR de Metz)

La difficulté majeure pour travailler avec les auteurs de délits à caractère sexuel est l’inconstance de leur demande. En effet, leur demande d’aide ne semble pas s’enraciner dans un véritable désir de comprendre ce qui les a poussé à s’enliser dans de tels actes. Confrontés à la suite de la plainte et dans la confrontation avec le magistrat, à l’horreur de l’acte, se dévoile devant eux un réel insoutenable. C’est l’affrontement à ce réel qui donne ce caractère particulier à leur demande, car reconnaître les faits c’est s’affronter à l’obscurité de ce qui est hors sens.

Argumentant tout d’abord que ce n’est qu’à leur insu qu’ils ont été l’objet de pulsions, ils s’en dédouanent en affirmant qu’ils n’ont pu y résister.

Telle est la réalité à laquelle la clinique nous confronte. C’est à ce point de rencontre que la psychanalyse nous permet de soutenir une position originale en nouant la dissymétrie remarquable de l’acte et du discours. Il s’agit ici de faire résistance aux propos de ces patients afin de permettre aux sujets d’entendre que les fantasmes qui les habitent, et dont ils se servent comme excuse, ne sont qu’une résistance à leurs propres dérives imaginaires.

Quand les sujets évoquent ces scènes et les mobiles conscients qui ont participé à leur acte, ils se représentent absent, « ce n’était pas moi… Je ne comprends pas… J’aurai jamais pu penser faire ça ». Comme si une force inconsciente les avait poussé à la réalisation d’un acte qui se présente comme horrible et comme s’ils ne pouvaient se reconnaître dans l’acte qu’ils ont pourtant commis.

Les premiers temps de parole livrent un, « c’est moi » et « ce ne peut être moi ». Ces premiers temps de parole laissent apparaître un questionnement qui témoigne de l’ambiguïté dans laquelle les sujets se trouvent. Apparaît alors ce «c’est moi » et ce ne peut être moi », la figure angoissante d’un autre auquel ils n’avaient jamais pensé. Cet auteur du délit, est recouvert par les figures plurielles.

Le thérapeute se voit investi comme celui qui peut résoudre l’énigme de cette force inconsciente. Cependant il s’agit de ne pas laisser s’installer cette croyance qui aurait pour vertu d’absoudre ces sujets de toute responsabilité. Réduisant la démarche thérapeutique à  une logique expiatoire qui aurait pour fonction de rejeter cet autre démoniaque, accordant en somme à la pratique psychologique une vertu conjuratoire. Or il s’agit de faire résistance au destin d’un tel projet, pour restituer au sujet que cet autre énigmatique qui l’habite le constitue néanmoins.

Dès lors c’est à la valeur symbolique de l’acte et à l’espace signifiant qu’il ouvre qu’il faut porter attention afin que le sujet puisse résoudre dans un travail psychique la dualité imaginaire qu’il projetait dans cet autre énigmatique. C’est ici que le travail psychothérapeutique proposé aux sujets a toute son importance car il s’agit pour le thérapeute, par les résistances qu’il rencontre dans ces premières tentatives de mise en sens, et dont la fonction est d’éviter l’angoisse, de faire apparaître dans cet autre étranger le familier que le sujet ne pouvait entrevoir. La psychanalyse nous permet d’ouvrir cet espace Autre en articulant les coordonnées fantasmatiques des sujets au réel de leur acte.

L’objectif du travail thérapeutique est donc de permettre aux sujets de ne pas se déresponsabiliser de leur acte et de se réapproprier cette figure angoissante d’eux-mêmes. Encore faut-il que le clinicien ne recule pas devant l’affrontement des pulsions et qu’il permette, après avoir ouvert cette boite de Pandore, d’ouvrir un point de conflit, de produire l’angoisse que suscite la question sur le désir. Question toujours évincée dans le « ce ne peut-être moi ».

 

III – On ne saurait terminer cette revue sans évoquer les travaux des canadiens, notamment à l’Institut Pinel à Québec, mais aussi dans diverses équipes travaillant en extra-hospitalier.

S’ils font largement la jonction avec les positions cognitives, la pratique psychothérapique psychanalytique semble surtout inspirée par les références classiques de la psychanalyse, en étant notamment plus proche des travaux français que ceux des Etats-Unis.

 

 

Conclusion

 

                        L’application de la théorie psychanalytique au traitement des auteurs d’agressions sexuelles est encore récente, hors les conditions habituelles de l’utilisation de la psychanalyse.

Il est impossible de fournir des données sérieuses et quantifiées de résultats. Mais à l’écoute des praticiens, nul doute que cette technique soit capable de mobiliser l’organisation psychique des patients. Sauf cas tout à fait particuliers, elle ne saurait être utilisée de façon exclusive.

 

 

Bibliographie

 

 

1 - ABRAHAM, K., (1925) L’histoire d’un chevalier d’industrie à la lumière de la psychanalyse, in Œuvres complètes, trad. I. Baranne, Paris, Payot, 1966, t 2, p. 158 – 172

2 – ALBERNHE, T. (ss. La dir. De) (1997). Criminologie et psychiatrie. Paris, Ellipses.

3 – BALIER, C. (1988) Psychanalyse des comportements violents. Paris. PUF, le fil rouge.

 Psychothérapies analytiques. In Thérapeutique psychiatrique. Ss la dir. J.L. Senon, D. Sechter, D. Richard. Hermann. Ed p. 768 –771.

4 – BALIER, C. (1996) Psychanalyse des comportements sexuels violents. Paris. PUF. Le fil rouge.

5 – BALIER, C., P. PARAYRE,C. PARPILLON, C. (1995) : Traitement et suivi médical des auteurs de délits et crimes sexuels. Rapport au Ministère du travail et des affaires sociales.

6 – BONAPARTE, M. (1927) Revue française de psychanalyse N°1 p.

7 – BONNET, G. : A propos de « psychanalyse des comportements sexuels violents » de Claude Balier. L’évolution Psychiatrique. 1997 N° 3. p. 565 – 573.

8 – BONNET, G. (2000) : Le remords. Psychanalyse d’un meurtrier. Paris. PUF, psychanalyses.

9 – BOURILLON, J. (1999) : Les criminels sexuels. Paris, l’Harmattan.

10 – CHAZAUD, J. (1973) : Les perversions sexuelles. Toulouse, Privat.

11 – CIAVALDINI, A. (1999), avec la coll. De M. GIRARD-KHAYAT : Psychopathologie des agresseurs sexuels. Paris, Masson.

12 – CIAVALDINI,A., BALIER,C. (ss la dir de ) (2000) : Agressions sexuelles : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire. Paris, Masson.

13 – DIATKINE , G.(1997) : Jacques LACAN. PUF. Psychanalystes d’aujourd’hui.

14 – FREUD, S. (1927). Le fétichisme. Trad D. Berger, in La vie sexuelle. Paris. 1969, p. 133-138

15 – HESNARD, A. (1962) Psychologie du crime, Paris, Payot.

16 – KLEIN, M. (1927) Les tendances criminelles chez les enfants normaux. In Essais de psychanalyse, trad. M. Derrida, Paris, Payot, 1967, p. 211 – 228

17 – LACAN, J. (1975) De la psychose paranoiaque dans ses rapports avec la personnalité. Ed. Le Seuil.

18 – LAGACHE, D. (1979) Le psychologue et le criminel, Paris, PUF.

19 – LEBOVICI, S. MALE, P., PASCHE, F. (1951) : Psychanalyse et criminologie. Revue française de psychanalyse. N° 1. P. 30-61

20 – MAC DOUGALL ; J. (1978) Scène primitive et scénario pervers, in Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard ? p. 35 – 62.

21 – MILLAUD, F (ss la dir) 1998. Le passage à l’acte. Aspects cliniques et psychodynamiques. Paris. Masson.

22 – M’UZAN, M. de (1972) Un cas de masochisme pervers. Esquisse d’une théorie, in De l’art à la mort, Paris, Gallimard, 1977, p. 125 – 150.

23 – PARAT, C. (1995) L’affect partagé. Paris, PUF.

24 – PENOT ; B. (1989) Figure du déni. En deça du négatif. Paris, Dunod.

25 – SCHAEFFER, J. DIATKINE, G. (ss. La dir) (1998) Psychothérapies psychanalytiques. Paris, PUF

26 – STOLLER R.J. (1975) : La perversion, forme érotique de la haine, trad. H. Couturier, Paris. Payot.


 



[1] Psychiatre-psychanalyste – chef de service, du service Médico-Psychologique Régional en maison d’arrêt pendant une quinzaine d’années