Les
Agresseurs Sexuels Déficients Mentaux
Docteur Jean Claude CHANSEAU*
L’analyse de la
bibliographie concernant le registre des agressions sexuelles commises par des
“ déficients mentaux ” révèle un
vide apparent des travaux et communications.
Si cette bibliographie, au plan
national et international, s’enrichit régulièrement de
travaux et de recherches concernant l’expression et certaines
caractéristiques de la sexualité des sujets déficients mentaux,
en institution ou en milieu de vie ouvert, le problème de
l’expression transgressive de cette sexualité n’est pas
l’objet de travaux repérables à ce jour.
De même, il
n’apparaît pas possible, en l’état, d’extraire
des rôles des Cours d’Assises ou des programmes des sessions des
Tribunaux Correctionnels la place occupée, dans les crimes et
délits sexuels jugés, par les sujets déficients mentaux.
Cette situation tient à
plusieurs facteurs. L’un tient à l’opacité du concept
de “ déficience mentale ” dès lors que l’on
sort de la référence scientifiquement établie au plan
clinique et psychopathologique des processus déficitaires pour
désigner, sans nuance ni précision suffisantes, des sujets
à “ l’intelligence insuffisante ”. La
déficience mentale profonde qui entraîne une restriction majeure
des capacités d’autonomie et d’expression sociale, et de
façon aggravée lorsqu’elle est dépourvue de
médiation éducative et de soins, ne réunit pas les
conditions d’expression délictueuses de la sexualité, de
délit établi juridiquement, du fait, pour une part, de
l’environnement contenant socio-éducatif proche de ces sujets. Les
modes d’expression délictueuse en Institution de la
sexualité de ces sujets
avec les processus transactionnels complexes qui caractérisent la
problématique sexuelle et le destin des processus pulsionnels est
à interroger, en particulier, à propos du sens même de ce
concept de transgression et délits chez ces sujets avec ces
caractéristiques cliniques.
Pour les sujet déficients
mentaux dits moyens ou légers au sens clinique et psychométrique,
le problème se profile selon les mêmes caractéristiques
bibliographiques : absence de publications spécifiques concernant les
délits sexuels agis par ces sujets avec leurs caractéristiques
cliniques et psychopathologiques, rareté des références
à des processus déficitaires, dans des formes centrales et
exclusives, dans les rapports d’expertise des Cours d’Assises,
semble-t-il. ?
Lorsque Balier traite de la
psychopathologie des agresseurs sexuels, il récuse la définition d’une
typologie clinique et psychopathologique des agresseurs sexuels qui serait
référencée par rapport à des
caractéristiques nosographiques spécifiques. Il analyse les
éléments psychopathologiques retrouvés de façon
prévalante selon différentes formes d’expression clinique
et de repérages psychopathologiques de troubles divers avec des
agencements complexes.
Ainsi, pour ce qui concerne la
“déficience mentale ”, et selon une démarche
analogue, plus qu’à rechercher de dites catégories
cliniques des sujets “ déficients mentaux agresseurs
sexuels ”, il paraît plus fondé
d’apprécier, dans des processus incluant un facteur
déficitaire (psychoses à expression déficitaire, modes
d’évolution déficitaire de certaines pathologies,
iatrogénie déficitaire de troubles non traités), ce qui
pourrait être repéré en lien avec les troubles
intellectuels.
Les réflexions
proposées ici visent à poser certaines questions dont les
réponses ne nous paraissent pas formulables en l’état des
données épidémiologiques et de la pauvreté bibliographie.
Ainsi la question de la place occupée par l’expression
délictueuse de la sexualité des sujets dits déficients
mentaux reste ouverte et à explorer.
D’une façon quelque
peu schématique, qui paraît en l’état, correspondre
à une part de réalité, nous constatons une
publicité culturelle traitant de la sexualité et de ses troubles
chez les sujets “ malades mentaux ” à opposer
à la pauvreté culturelle concernant les troubles à expression
délictueuse de la sexualité des sujets
“ déficients intellectuels ”.
Les travaux et recherches
psychopathologiques engagés depuis des années (1960 environ) ont
enrichi les connaissances, la réflexion et les échanges
concernant l’expression de la sexualité des malades mentaux, soit
dans l’expression intra-institutionnelle soit dans la cure ambulatoire,
traitant de l’ensemble des modes d’expression et de
l’organisation de la sexualité de ces sujets, y compris dans les
champs de la transgression. Observons à l’occasion de cette réflexion
que les formes graves de pathologies mentales (schizophrénie et troubles
psychotiques dans les formes centrales) sont rarement retrouvées chez
les auteurs des délits sexuels, laissant la prévalence
statistique aux troubles de la personnalité, (modalités
narcissiques de construction de la personnalité) suscitant des
pathologies sévères des liens, caractéristiques cliniques
qui sont concernées de plus en plus fréquemment, semble-t-il avec
des facteurs contextuels importants à considérer.
Notre réflexion sur les
modes transgressifs des manifestations de la sexualité des sujets
déficients mentaux retiendra, en l’état, l’absence
d’une base culturelle élaborée sur ce chapitre.
Historiquement, on observe une
forme de pensée, risquant de prendre caractère d’un
“ eugénisme inconscient ”, qui a prévalu
dans le registre de la sexualité des sujets déficients mentaux
et, plus spécifiquement, concernant les agressions dont ils seraient les
auteurs (à la différence de sujets dits malades mentaux qui
suscitent des recherches cliniques et des travaux dont des travaux
institutionnels sur ce thème des délits sexuels (avec des
avancées éducatives, thérapeutiques et enrichissement de
la réflexion institutionnelle).
Les représentations
psychiques de la déficience mentale dans ses formes très
sévères renvoient à des images très agressives et
angoissantes par les caractéristiques régressives et
“ déshumanisées ” qu’elles suscitent
chez les parents en particulier dans leur souffrance mais souvent chez les
professionnels. Cette représentation mentale est
caractérisée par une forme de désafférentation
d’un “ désir sexuel ”, exprimé selon
des formes non élaborées, des représentations et analyses
dans une démarche de compréhension des peurs, des fantasmes et
des angoisses du sujet lui-même et de ceux qu’il suscite. Il
s’agit d’une sexualité privée de pensée
élaborative de l’environnement, donnée à voir sans
affects exprimables, sans “ l’autre ” de la
relation. Dès lors, s’expliquerait l’exclusivité (ou
le risque d’exclusivité) de
l’intérêt porté à la sexualité
de ces sujets réduite aux seules démarches de contraception, aux
“ précautions ”visant à éviter les
graves questions et fantasmes attachés à “ la
reproduction et à la transmission ”. Dans ce strict registre,
les recherches et travaux existent, perspective justifiée mais qui
souligne, par son exclusion, l’impossible représentation de la
“ réalisation sexuelle ” du sujet déficient
mental autrement que dans le drame, l’angoisse et le clandestin. Ainsi,
on noterait un axe prévalent des seuls travaux repérés et
des réflexions visant à éviter l’expression de cette
sexualité en raison des angoisses attachées aux
éventuelles conséquences menaçant “ la trace
généalogique ” et la misère relationnelle qui
résulterait d’une parentalité. La
“ honte ”, au coeur des familles et des institutions,
imparlable, si souvent attachée à ces productions fantasmatiques
éprouvantes a envahi le champs social, comme le champ institutionnel,
réunissant dans une forme de consensus silencieux, professionnels et
familles confrontés à une impossibilité de pouvoir
“ poser ” le problème et affronter ce thème
de la transgression sexuelle ( souvent confondue avec de difficiles tentatives
d’expression d’un désir-besoin sexuel) et du délit.
Cependant, professionnels et
familles ne cessent de soutenir des avancées dans ce registre d’un
sens possible de cette sexualité “ interdite ”,
avancées que nous évoquerons plus loin. Depuis ces vingt
dernières années, des travaux de recherche institutionnelle
visant à analyser les caractéristiques de l’expression de
la sexualité dans les institutions accueillant des sujets gravement
handicapés au plan intellectuel sont soutenues. De ces réflexions
sont nées des dispositions nouvelles et, en particulier la mise au point
de programmes d’initiation à la connaissance du “ fait
sexuel ” chez ces sujets déficients intellectuels dans une
perspective de dédramatisation intra-institutionnelle progressive et de
meilleure approche et compréhension des modes d’expression de
cette sexualité. Les commentaires recueillis dans les institutions sur
ces thèmes semblent indiquer que ces travaux génèrent?
pour les intervenants et les sujets en situation, des espaces relationnels
nouveaux et, à plus d’un titre, originaux, en particulier
justement dans une capacité nouvelle d’aborder une
réflexion sur la sexualité dans certains de ses aspects
possiblement transgresseurs chez ces sujets.
Ce chapitre de la
sexualité au sens “ élargie ” des sujets
déficients mentaux, (chapitre qui ne constitue pas directement notre
réflexion attachée ici à l’expression des
transgressions sexuelles) sera clos dans cette introduction par une
constatation complémentaire réalisée auprès des
professionnels de différentes institutions. Les recherches concernant
l’initiation aux “ connaissances sexuelles ”,
articulées autour du “ corps sexué ” (plus
en l’état qu’autour des fantasmes et des productions
imaginaires) ont provoqué des mouvements, des évolutions, des
changements institutionnels qui ont permis de passer du discours sur
l’interdit, le secret, le clandestin et le “ honteux ”
au champ d’un possible, d’un souhaitable et d’une
“ évidence ” de la sexualité chez tous les
êtres humains. Ainsi, des rencontres, des réunions dans les
institutions concernant les modes de “ ressenti ” de la
sexualité par les sujets en situation, avec les effets sur le climat
institutionnel, et de ses modes d’expression, sont devenues peu à
peu des démarches en voie de généralisation dans la
réflexion institutionnelle. cette démarche installe la sexualité
comme présence effective à affronter et à replacer au
coeur des mouvements et réflexions institutionnels. Ainsi, il est
constaté que le clandestin de l’expression est souvent
dorénavant remplacé par une forme parfois questionnante de
“ publicité d’ouverture ” dans le
“ discours ” de ces sujets qui pose alors d’autres
problèmes, nouveaux et mal connus, dont celui de la déficience
mentale dans son rapport à l’intime, au respect de
“ son soi ” et “ du soi ” des
autres face à “l’envahissement ” institutionnel
par des paroles “ ouvertes ” sur le sexe; tout se passe
comme si la sexualité, ainsi reconnue et installée dans la
légitimité d’apparaître au jour de
l’institution, ne pouvait pas être gérée encore et en
l’état dans l’espace clos de l’intime du sujet, espace
indispensable pour ces mouvements qui expriment “ le
vivant ”de la sexualité ; ces sujets substitueraient ainsi
à leurs difficultés ou impossibilité persistantes à
créer des liens dans l’intime et le secret, un besoin de parler,
sans les contraintes d’une autorégulation de leur
sexualité, dans le cadre “ rassurant ” de
l’institution à l’écoute. Cette fonction
étayante d’une parole qui perd son environnement nécessaire
d’intimité dans ce registre envahit, d’une autre
façon, l’espace institutionnel et confronte à
d’autres problèmes les modes d’organisation de la vie
institutionnelle face au “ fait sexuel ”. On assiste dans
les institutions au développement des réflexions et
questionnements sur le mode d’introduction de l’intime dans le
sexuel institutionnel, des recherches sur l’étayage possible de
“ l’intériorisation ” des expériences
de la jouissance, la “ découverte ” de
l’autre dans l’expression de la sexualité....
Pour traiter du problème
“ agresseurs sexuels déficients mentaux ”, nous
avons orienté une recherche sur la sexualité et ses modes transgressifs
chez ces sujets , d’abord en institution recevant des sujets déficients mentaux. Le chiffre
des transgressions et agressions dans ce registre du délictueux en
institution pour déficients mentaux graves est difficile à
estimer, la notion même de transgression ou de passage à
l’acte délictueux y étant difficile à définir
et à établir dans sa réalité délictueuse en
espace institutionnel, éducatif ou soignant accueillant des sujets
déficients mentaux profonds. Les expressions dans le champ social des délits habituellement
représentés par les comportements d’exhibition, les
manifestations de l’impudeur
exposée, le voyeurisme ou le “ regard agresseur ”
ou d’autres formes d’investissement mal contrôlé de
l’espace privé de l’autre, sont des manifestations
“ habituelles ” de la sexualité transgressive dans
l’espace social. Or, les caractéristiques de cette forme
“ d’impudeur impensée ”, liée
à la déréliction et à l’incapacité
d’expression des sujets en l’état de nos perceptions, ne
sont pas envisagées au plan institutionnel habituellement dans le
registre de l’interdit au sens juridique avec la notion qui lui est
congruente de sanction. Ces manifestations prennent en institution valeur de
signes cliniques, (clinique de la
solitude ou de l’incapacité), de troubles dans la relation et sont
l’objet d’une gestion thérapeutique privée,
phénomène réalisant ainsi une zone d’un
“ droit secret ” ayant, de fait assuré, sans que
cela soit exprimé un glissement des signifiants qui
caractérisaient
l’ex-article 64 du Code Pénal, processus
détachés en institution du champ juridique et
“ inconsciemment ” investi et géré par
l’environnement soignant et éducatif. En effet, l’ex-article
64 établissait qu’“ il n’y a ni trouble ni
délit ” dès lors que le sujet était en
état d’insanité mentale, dirons-nous pour contracter notre
propos. Ceci signifiait, et ceci a représenté une des discussions
centrales dans les démarches de modifications de cet article, que le
trouble mental reconnu annule le délit; ainsi la loi disait que le sujet
n’avait pas agi juridiquement(?)du fait qu’il n’avait pas pu
“ penser ” sainement son action (laissant ailleurs le
problème de la réparation). Ces sujets considérés
non transgressifs pour fait de maladie mentale, ce qui cliniquement a un sens,
se retrouvent dans une zone de “ droit secret ”, droit
“ privé ” aux institutions, sans capacité
d’accéder à la recherche de la complexité
attachée aux comportements
humains dans un champ social “légitime ” qui
s’interroge sur ces comportements. Au delà, ils sont hors
capacité, à ce jour, d’accéder aux subtilités
de l’article 122-1 du nouveau Code Pénal qui décrit et
retient, dans l’appréciation de la responsabilité et
l’organisation de la peine, le constat laissé à la seule
appréciation du juge de la réalité d’un trouble
psychique ( et neuro-psychique, est-il précisé) et de ses
“ effets ” chez le sujet. On saisit que cette
réalité d’une “ loi ”(?)
“ autogérée ” dans les institutions suscite
exclusion du champ juridique de comportements échappant à
l’appréciation juridiquue de l’acte, seul en capacité
de situer le sujet dans l’axe du lien entre son trouble, ses
capacités mentales et le fait social. Ce silence est d’exclusion,
d’ostracisme par éloignement du “ réel ”
de la cité sans justificatif légal.
Ainsi, des situations complexes,
qui sont pourtant caractérisées, au plan juridique, ne peuvent
pas, en l’état, dans les formulations et les analyses qui en sont
faites en institution pour déficients mentaux, accéder à la
qualification par exemple de viol, (signifiant d’un acte agressif
spécifique imposé au mépris de la volonté et du
désir de l’autre), accompli par un sujet qui serait dit
“ agresseur ” au sens juridique. En fait, du fait
même du vide de communication dans le champ psychique du sujet
“ agresseur ” non nommé comme tel, on parle de
“ modes de transaction ” qui échappent à la
critique des partenaires ( pouvant être agresseurs eux mêmes dans
ce même territoire hors loi) et des “ dites ”
victimes (non reconnues comme telles mais qui sont de fait en situation de
victime) englués dans une forme immature et régressive d’un
partage-mélange de corps de corps et de fantasmes qui ne peut être
examiné sous les angles de la sexualité dans ses liens avec la
liberté et le respect du sujet (observons que dans des appréhensions
nouvelles de situations de cet ordre dans des institutions recevant des sujets
traités pour des troubles du versant psychotique ou pour pathologie des
“ agirs ”, personnalités psychopathiques ou
narcissiques, les attitudes éducatives et soignantes ont évolué
vers une “ publicité ” et un traitement social de
ces modes transactionnels questionnants ou délictueux avec, alors
recours à la Justice) .
Une autre remarque conduit
à noter qu’un questionnement nouveau est introduit pour des
personnalités ayant, parmi des troubles sévères de
l’organisation psychique, un registre déficitaire majeur. On
observe à ce jour dans des modes transgressifs devenus plus
fréquents ou, en tout état de cause, parlés de manière
audible en matière sexuelle dans les institutions, des recours au
registre juridique par publicité organisée donnée à
ces comportements et ainsi introduction du possible d’une loi instituante
dans sa place de loi générale, et non loi secrète et particulière
de l’institution ( recours dont la prospérité sera
décidée par la parole de Justice).
Existe-t-il des
caractéristiques spécifiques à la déficience
intellectuelle dans les processus transgressifs sexuels ? La démarche
qui voudrait isoler une forme de psychopathologie spécifique à
l’organisation déficitaire apparaît contestable et peu
féconde. Les attitudes et comportements de ces sujets sont inscrits dans
un “mode d’être ” et une expression pathologique
qui concerne et inclut l’ensemble de la personnalité. La
déficience mentale, dans une forme dite centrale et exclusive, ne
paraît pas présenter des caractéristiques relationnelles,
psychopathologiques et transactionnelles spécifiques à et de la
déficience dans l’exposition aux risques de la transgression de sujets
présentant des troubles de l’organisation de la
personnalité avec, évidemment ,des composantes très
variables. Si l’insuffisance ou/et la pauvreté de la vie
imaginaire, la mauvaise élaboration des équations symboliques, la
difficulté à installer dans des espaces transactionnels
maîtrisés par les registres oedipiens les processus pulsionnels
constituent les axes cliniques reconnus, nous constatons que ces
caractéristiques, avec des nuances cliniques importantes, occupent tout
autant le champ de la psychose, celui de la déficience que celui, et
souvent de façon prévalante, des perturbations narcissiques de la
personnalité. Certes, la relation à l’autre, la place de
“ l’autre sujet ” dans une relation face au sujet
et au moi du sujet est structurellement différente selon ces
différents processus psychopathologiques, apparaît centrale dans
les processus psychotiques et les perturbations narcissiques, largement plus
fragile et décentrée dans les processus psychotiques ou les
troubles narcissiques graves que dans la déficience intellectuelle en
tant que telle.
Depuis que les programmes
d’initiation et d’aide à l’élaboration et
à la verbalisation des ressentis des processus sexuels sont
organisés dans certaines institutions, on assiste à la
constitution d’espaces transactionnels affectifs nouveaux qui
“ sexualisent ” l’espace entre les partenaires,
résidants et environnement éducatif et thérapeutique,
confrontés dès lors à l’émergence d’une
parole nouvelle spécifique. Les observateurs constatent que ces
expériences prennent valeur de “ rencontres ”
entre sujets dans un registre nouveau de “ l’émotionnel
parlé ” venant en lieu et place d’un agi vidé
d’émotion exprimable. Dès lors, on assiste à
l’émergence de manifestations nouvelles et inattendues,
représentées par les démarches et expression de la
séduction, l’accès aux
“ préliminaires ” amoureux en observant que ces
paroles sur cette séduction encore rebelle à une expression
sereine, et l’accès aux
“ préliminaires ”, tout autant porteurs de
fantasmes dérangeants sont, à ce jour encore, absents des
programmes d’initiation avec persistance du tabou qui frappe une
expression dite “ libérée ” de la
sexualité. Mais il apparaît que la recherche en cours va enrichir
ces programmes et voir se développer leur capacité de soutenir
l’expression dans des espaces nouveaux de ces voies d’enveloppement
socialisant et organisateur de la sexualité. Ce faisant, les
transactions de cet ordre qui vont s’établir entre les individus,
comme cela est de plus en plus constaté actuellement dans les institutions,
créent une dynamique nouvelle et compliquée du désir
exprimé et du refus exprimable, de la transgression par
“ pression ” ou “ insistance ” avec
mise en cause alors des processus par lesquels les sujets agissent leur
désir vers l’autre par une parole, et les capacités ainsi
offertes à ces deux sujets en situation d’avoir recours au mode de
sublimation ou d’organisation et formulation d’une capacité
de différer, de renoncer, de refuser ou de
“ jouer ” dans un autre registre les transactions
sexuelles à deux.
Ceci incite à souligner l’importance que
revêtent, à ce jour, ces programmes d’initiation en
constatant que le problème des agresseurs et agressions sexuelles dans
ces espaces n’est pas abordé. Nous observons la croissance dans
les discours et recherches institutionnels de la référence
à la genèse de l’intime, à l’accès aux
espaces du privé, du secret, à l’accession aux
mécanismes de contention, d’auto-répression, à la
prise de conscience de l’autre dans une parole possible sur la
sexualité. De même, les réflexions sur la sexualité
solitaire, privative, le jouir seul sont, à ce jour, constitutifs
d’un questionnement ouvert posant les questions de la
légitimité, de la place, du lieu de ses
“ démarches ”, de la place de l’autre et de
l’intériorisation possible de ces moments du “ jouir
seul ” Par ces démarches de recherche et
d’élaboration les notions de délit, transgression,
interdit, mais aussi de désir, de jouir, de sentiments de liens amoureux
deviennent parlables et représentent des ambassadeurs d’une loi
ainsi à sa possible place instituante, ni secrète, ni
privée, ni ignorée. La loi “ publique ”,
connue de tous et appliquée au grand jour est le contraire de la loi
cachée et secrète imparlée et imparlable qui est la
“ loi ”du tyran, de celui qui ne reconnaît que sa
loi.
A ce jour, nous pouvons
réunir quelques observations qui situent l’état du
problème et faire quelques propositions prospectives de ce qui
apparaît, en l’état, comme des voies d’exploration et
de réflexion.
Nous n’avons pas
constaté qu’il existerait des transgressions sexuelles
spécifiques à la déficience mentale, pas plus que nous
n’avons observé que le champ de la loi réserverait une
spécificité à ce cadre nosographique.
La déficience mentale
profonde du fait et dans les circonstances en l’état de la
contenance institutionnelle, éducative et thérapeutique, avec la
pression de “ colmatage ” de l’environnement
associées à des avancées significatives dans la
qualité de la parole qui est tentée avec ces sujets, exclut
encore du champ social de façon habituelle les comportements agressifs
et délictueux sexuels de ces sujets. Les situations institutionnelles
à ces niveaux nous paraissent se résoudre encore dans une
annulation autour de la notion du délit par insanité dans l’espace du secret et du
“ forclos ” “ hors la loi ”
sociale.....
Pour ce qui concerne les sujets
déficients mentaux dits moyens et légers au sens clinique du
terme, il n’apparaît pas plus qu’il existerait une
spécificité psychopathologique qui autoriserait à décrire
un état de délinquance sexuelle par déficience mentale. A
l’instar de la démarche de Balier, nous retenons qu’il
existe des composantes plurifactorielles psychopathologiques qui incluent, au
coeur de pathologies évolutives (ou fixées), des aspects
déficitaires prévalants qui, à ce niveau et dans cette
complexité, peuvent singulariser certaines pratiques transgressives, en
particulier dans le registre de la curiosité impudique, de la
familiarité non contenue et de l’investissement anarchique du
corps de l’autre.
Les modes transactionnels des
sujets déficitaires semblent montrer que l’accès à
certaines équations symboliques dans ce registre, la possibilité
en particulier d’une culture parlée sur un imaginaire
“ vivant ” et la capacité de représentation
de l’autre dans une expérience singulière à deux
confrontée à la dialectique du désir et du jouir, sont
à ce jour, mieux perceptibles et donc mieux exploitables. Il y aurait
ainsi ouverture à la culture, à la réflexion et à
l’éducation d’une sexualité devenue parlable dans le
champ de la déficience intellectuelle.
Les travaux à susciter
nous paraissent s’inscrire d’abord dans la réflexion et dans
les recherches d’élucidation et de repérage des situations
transgressives sexuelles institutionnelles dans les institutions recevant des
sujets déficients mentaux. Nous formulons ainsi que le discours
institutionnel, sa théorisation et sa recherche doivent s’attacher
à reprendre ces situations cliniques, à les exprimer dans le
cadre institutionnel et transactionnel entre les soignants, les
éducateeurs et les personnels spécialisés, en associant
dans une démarche thérapeutique et de soutien une
réflexion progressive et soutenue les sujets concernés. Cette
“ matière ” exige parole de recherche, de
réflexion et partage.
L’objet de ce travail,
analyse théorico-pratique des comportements délictueux sexuels de
sujets déficients mentaux, ne traite pas du chapitre des agressions
sexuelles contre les sujets déficients mentaux, en particulier en
institution. Ce chapitre fait l’objet de recherches nombreuses et
publiées et reste caractérisé par un probable
“ chiffre noir ” qui justifierait que des programmes
d’études soient initiés de façon plus
systématique dans le cadre des formations des personnels.
Ces programmes
d’éducation et de réflexion apparaissent comme des voies
fécondes du travail institutionnel dans l’abord des
problèmes posés par l’expression de la sexualité des
sujets déficients mentaux et des formes délictueuses
d’expression de cette sexualité. Il s’agit de soutenir ces
sujets dans leur confrontation avec ces aspects de leur vie pulsionnelle,
fantasmatique exprimable, dans certains cas ces aspects leur sont
étrangers le plus souvent encore et sont vecteurs de perturbations,
situations résistant aux formulations par les difficultés à
trouver place dans le discours institutionnel toujours frappé des
interdits et des tabous liés aux représentations de
“ cette ” sexualité chez
“ ces ” sujets.
Ces interdits et tabous ne sauraient être réduits à
quelques attitudes à
référence moralisante ou évitements
“ frileux ”, mais renvoient à la nature des représentations psychiques
suscitées où les sentiments de peur ou de honte, menacent aussi
bien les soignants que l’environnement familial quelles qu’en
soient les qualités. Outre le fait que ces programmes soutiennent un mouvement
vers des sujets en souffrance et vers les processus d’inhibition qui les
mutilent, on constate une capacité nouvelle de dépasser les
mécanismes d’inhibition sociale et le poids des interdits qui
sévissent dans les souffrances des familles sidérées face
à cette problématique. L’angoisse des familles s’est
d’abord organisée autour de la notion de la transmission et de la
reproduction laissant dans le refoulé les fantasmes qui, ici, ne sont
jamais “ habituels ”, “ licites ”,
devenus délétères de l’impossible
représentation pour l’environnement d’une sexualité
de cette “ nature ” au sein exclusif de l’espace
familial puisqu’il n’existe pas d’ailleurs possible. Ce
processus de la place difficile de la sexualité des partenaires dans
l’économie familiale prend ici un poids singulier mais ne
caractérise nullement de façon spécifique ces familles.
Nous savons que la sexualité des parents pour les enfants, comme celle
des enfants pour les parents est
vectrice de productions d’angoisses et de dérives fantasmatiques
complexes, situation qui rend compte du difficile, et souvent impossible
discours sur la sexualité dans beaucoup de familles même non
confrontées à ces situations de déficience intellectuelle
grave. La déqualification d’un espace de parole possible, lorsqu’elle
rencontre des conditions spécifiques de troubles de
l’identité et de pathologie des limites, laisse envahir le champ
familial par des régressions angoissantes menaçantes. Il
s’agit d’un problème qu’on doit élargir
à celui de la place de la sexualité dans l’économie
familiale en général avec ce que cela implique de dérives
fantasmatiques menaçantes.
Des progrès sont à rechercher du
côté de la production et de la fabrication d’un discours sur
le ressenti et les angoisses afférents à ces situations dans ces
familles si agressées par la nature des fantasmes induits par la
déficience intellectuelle grave,
à inscrire dans des programmes éducatifs et de soutien en
protégeant ces démarches d’une dénaturation qui les
réduirait à l’exposé d’apprentissages de
“ pratiques ” devenues quelques “ exercices
hygiéniques ”. De telles restrictions dénaturantes et
sans légitimité, si elles avaient cours, constitueraient à
nouveau un recul, expression du constant danger de refoulement de ces
représentations, confondant sexualité et expression somatique
vide de situations complexes ainsi assimilées à un
problème de “tension énergétique ”! Les
protocoles en cours sont plus ambitieux et habituellement bien réalisés,
comme nous avons eu l’occasion, en y participant, d’en noter des
caractéristiques. L’expression de la sexualité en institution ouvre le champ de
l’intime et du privé, de la tolérance du et dans le groupe,
de l’ouverture de la sexualité et du sujet vers l’autre, de
la subjectivisation du ressenti du “ processus sexuel ”.
Il pose de fait le problème de l’illicite, de la transgression, de
l’interdit et suscite une parole sur cette notion à explorer de délit dans
ces situations spécifiques, avec de nouvelles expression
éventuelles de la loi. En effet, ces modes évolutifs font
apparaître, à travers le support représenté par un
discours suscité et organisé “ sur le désir et
la recherche de l’autre ”, que chez les déficients
mentaux aidés, éduqués, soignés et soutenus dans la
promotion d’une telle parole possible se confirmerait une aptitude
à relier des processus pulsionnels partiels, à soutenir une forme
de recherche de l’autre dans ses expériences de bouleversement
émotionnel et d’accéder par ce biais à une perception
originale et sans doute nouvelle de la différence sexuée en
soutenant une démarche d’accession à une
“ conscience sexuée ” d’eux-mêmes. Ces
sujets parviennent, dans certaines circonstances, à orienter et à
intégrer une part de “ désir ” qui concourt
à l’institution du “ social ” et de la
figuration de l’autre dans la relation. Au-delà, en sexualisant
ainsi la pensée, par un abord libéré d’un discours
“ travaillé ”, on soutient une complexification
émotionnelle chez ces sujets.
Apparaît alors le paradoxe
qui serait celui de la conjonction d’un programme d’ouverture, de
soutien, d’accès à la parole et à un savoir sexuel
avec l’apparition concomitante d’un mode relationnel
différent où les facteurs de déculpabilisation, de
sérénité institutionnelle, augmentant la tolérance,
confrontent alors les sujets déficients mentaux à une certaine
perception des spécificités de leur carence, de leur
difficulté à créer de l’imaginaire et à
organiser des équations symboliques. On induit des perceptions
dépressives, un sentiment de solitude et, d’une certaine
façon, on s’expose à aggraver les modes de comportement
régressifs et de retrait. Ainsi, par effet induit, sans
“ provoquer ” des passages à l’acte
transgressifs chez ces sujets, les modifications des conditions et des
possibilités de “ l’agir sexuel ” posent des
problèmes nouveaux d’envahissement, par ce sexuel en recherche de
modes d’expression “ licite ” des institutions qui
vont en être possiblement fragilisées et perturbées, mises
en nécessité d’intégrer ces paramètres
complexifiants de la vie institutionnelle. Là, comme ailleurs, le prix
d’un progrès de la liberté psychopathologique de penser et
de ressentir serait, avec la croissance du “ sentiment
d’être ” et du sentiment d’identité, une
croissance concomitante du risque et du “ désir ”
transgressifs, de la “ dangerosité ” sociale de
ces expériences devenues “ amoureuses ”,
recherchées dans des potentialités humaines ainsi
élargies. Dès lors, on verrait effectivement qu’on passerait
du champ du discours écrasé sur le transgressif à un champ
nouveau sur l’introduction de l’interdit comme valeur structurante
du sujet à la conquête d’un moi plus épanoui.
La société est conviée à
intégrer dans ses mécanismes régulateurs d’analyse
et de réflexion sur l’environnement, la prise de conscience de cette
qualité d’humanisation à ne pas écranter qui
consiste à reconnaître aux sujets déficients mentaux,
incluant les formes sévères, le droit commun à
l’expression de la sexualité parlée, exprimée et
agie avec, de façon concomitante, le droit de bénéficier
des conditions contenantes et soutenantes de l’élaboration
culturelle adaptée à l’expression et au ressenti de cette
sexualité. Les programmes éducatifs, en ce qu’ils
soutiennent la réflexion, confortent les éducateurs et les
soignants pour les dégager des champs de la culpabilité, de la
honte ou de l’angoisse, les établissent dans une capacité
de se maintenir dans une fonction qui garde sa place. Ces programmes
éducatifs nous paraîtraient devoir être
généralisés comme une des voies de soutien de la mutation
du regard social et de l’intégration de cette dimension
relationnelle des personnes déficientes mentales dès lors que ces
programmes seraient validés pour être généralisables
et inscrits dans le champ d’une pensée sociale ouverte à la
complexité de ces situations.
L’autre point de recherche
clinico-juridique consisterait à analyser les résistances
à la compréhension nouvelle de la place du sujet déficient
mental par rapport à l’acte délinquant sexuel comme
individu reconnu dans ses actes et ses agirs. Ce sujet, rendant compte et bénéficiant
alors du nécessaire soutien pour un travail d’élaboration,
comme tout sujet confronté à l’interdit exprimé et
organisé par la loi, travail dans les registres de l’interdit, de
la transgression, de la faute, de la responsabilité et de la réparation,
spécificité du travail de justice. La loi de tous serait
dès lors, (et enfin?) présente dans cette complexe scène
de l’expression de la sexualité des sujets à
l’intelligence déficitaire, considérés dans la
réalité et la singularité de leur personne et non
réduits à leur dit manque, ave c l’ensemble des
manifestations qui en découlent dont les risques de transgression et de
délit.
On doit
réfléchir, avec l’exigence requise par la complexité
de ces situations, à la place questionnante, pour le moins,
assignée à ces personnes frappées du déni de la
reconnaissance de l’expression transgressive et inadéquate de leur
sexualité et ainsi maintenues en état non seulement
d’exclusion mais de non existence car jamais interrogeables sur leur
façon de ressentir et exprimer leur sexualité, y compris quand
elle prend forme délictueuse. Ne pas voir et traiter ces situations
comme des faits sociaux , avec les nuances d’une loi identique pour tous
et qui introduit les paramètres de la pathologie éventuelle dans
l’appréciation de la responsabilité participe de la
poursuite du processus de déni par refoulement de la souffrance et de
l’humanité de ces personnes.
*Psychiatre
chef de service des Hôpitaux. 33500 LIBOURNE