Les Agressions Sexuelles - Données Épidémiologiques Générales

Mr André CIAVALDINI[1]

 

 

 

Résumé

Cette étude tente de définir les questions épidémiologiques que pose le phénomène de santé publique des "agressions sexuelles". Elle reprend les données de la littérature française confrontées à celles internationales de ces cinq dernières années. Les études sélectionnées sont celles offrant des garanties méthodologiques fiables et portant sur des populations générales. Après avoir défini ce qu'est l'«agression sexuelle», et ce qu'elle n'est pas, en épidémiologie, les données épidémiologiques générales sur la question sont passées en revue. Les divers modi operandi sont décrits et analysés : agressions sexuelles sur les adultes, les enfants (dont l'inceste), les couples, les agressions sur le lieu de travail, sur les personnes âgées, sur les handicapés, ainsi que dans les institutions. Après avoir tenté de définir la personne agressante au travers de ses caractéristiques émergeantes, il est envisagé les facteurs de risques et la question des conditions du dévoilement. Sont ensuite examinées les conséquences psychiques, somatiques et sociales, à court, moyen et long termes, des agressions sexuelles. Pour conclure, divers axes de recherches sont proposés ainsi que des recommandations thérapeutiques.

 

 

 

Mots clés

Agressions sexuelles, agresseurs sexuels, épidémiologie, viol, inceste, facteurs de risques, dévoilement, conséquences des agressions sexuelles, Santé Publique.


 Noli me tangere

 

Évoquer l'épidémiologie dans le domaine du comportement, et spécifiquement pour cette étude du comportement agressif sexuel, suppose une étude des facteurs étiologiques et évolutifs des comportements d'agressions sexuelles afin d'en déterminer leur prévalence[2] et leur incidence[3] dans la population générale. Sur cette base descriptive je chercherai à développer des éléments d'épidémiologie explicative permettant de mettre en relation ces données avec certaines caractéristiques individuelles et de milieu autorisant la mise au jour de quelques relations causales (Schwartz, 1990). Le but principal de cette étude est donc de tenter de définir l'ampleur et la distribution du phénomène d'«agression sexuelle» dans notre société contemporaine puis d'utiliser ces résultats pour tenter de dégager quelques hypothèses concernant les facteurs étiologiques afin de participer à l'élaboration d'une prévention adaptée ainsi qu'au dégagement de nouvelles voies de recherche.

 

1 - Définition de l'«agression sexuelle»

Une recension des données épidémiologiques portant sur le comportement d'agression sexuelle nécessite de définir relativement précisément ce qu'est une «agression sexuelle» mais aussi, ce qu'elle n'est pas. D'abord le terme d'«agression». Il suppose un sujet, ou un groupe de sujets, commettant un acte agressif, qu'il soit judiciarisé ultérieurement ou non, à l'encontre d'un autre sujet. Le ou les premiers seront désignés par le terme d'agresseurs, le second par celui de victime. La victime peut alors être définie comme "un individu qui reconnaît avoir été atteint dans son intégrité personnelle par un agent causal externe ayant entraîné un dommage évident, identifié comme tel par la majorité du corps social" (Lopez, Borstein, 1994). L'acte d'agression présente donc une situation de mise sous contrainte, non justifiée, par un sujet d'un tiers, quelque soit le procédé de la contrainte (par exemple la séduction mais la justice évoquera aussi la violence, la menace ou la surprise), pour lui faire subir un comportement contre sa volonté dont le bénéfice exclusif revient à l'initiateur de l'acte agressif. Quant au terme de «Sexuelle» il viendra désigner : 1) le fait qu'une zone corporelle sexuelle (génitale, anale) est engagée dans l'action sous quelque forme que ce soit, pour l'un ou l'autre des protagonistes; 2) la dimension où de la sexualité apparaît, sous une forme qui peut ne pas être un contact.

L'agression sexuelle pourrait donc être considérée comme une situation de mise sous contrainte non justifiée d'un tiers, par un sujet, ou un groupe de sujets, dans un but évident d'en tirer un bénéfice de type sexuel au seul profit du ou des agresseurs. Cette définition indique qu'il y a au moins deux protagonistes, dont l'un est non-consentant, elle exclue donc un certain nombre de paraphilies qui, si elles sont du domaine sexuel, n'impliquent pas d'autres sujets (fétichisme, zoophilie, masochisme, travestisme). Elle exclue aussi certaines situations qui, par leur dimension politique et sociologique, même si elles comprennent des agressions sexuelles à l'échelle individuelle, présentent d'autres ressorts que la définition proposée ci-dessus. Il s'agit des situations de guerre où des viols systématiques sont commis, des situations dramatiques d'exploitations des enfants dans certains pays, telle la prostitution d'adultes ou d'enfants ou encore l'exploitation d'images pornographiques. Cette définition exclue aussi certaines situations culturelles telles les mutilations rituelles, même si elles peuvent constituer pour les sujets des actes évidents d'agressions corporelles des zones sexuelles. Toutes ces situations, quoique comportant à l'évidence des situations d'agressions sexuelles pour les victimes, sont inclues dans le domaine des «violences sexuelles». Ainsi, la situation d'«agression sexuelle» est une sous catégorie des «violences sexuelles». C'est l'échelle singulière, individuelle, d'un phénomène beaucoup plus vaste.

Cette définition recouvre les situations d'agressions et d'atteintes sexuelles, qu'elles soient simples ou aggravées définies par le Code Pénal. Sur le plan de la comptabilité judiciaire, les situations d'agressions sexuelles sont intégrées dans la catégories des "Crimes et délits contre la personne", exclusion faite pour notre étude de la prostitution et du proxénétisme.

- La pédophilie ne fait pas partie d'une épidémiologie des comportements d'agressions sexuelles...

 

Dans cette recension des données je n'évoquerai pas de manière différenciée la pédophilie des autres situations d'agressions sexuelles extra-familiales. Ce choix peut paraître étonnant en matière d'épidémiologie des agressions sexuelles. Pour le comprendre, il faut faire état des deux définitions officielles qui ont cours en psychiatrie. Selon celle de l'O.M.S. (CIM X), la pédophile fait partie des «troubles de la préférence sexuelle» et est définie comme une préférence pour les enfants généralement pré-pubères ou en début de puberté. Les victimes peuvent donc être des deux sexes sans pour autant que l'adulte (homme ou femme) n'ait pas gardé une sexualité hétérosexuelle épisodique ou plus suivie, dans le cadre d'un couple officiel. La définition de l'APA, le DSM IV, intègre la pédophile dans les «paraphilies», sa spécificité étant le rapport sexuel avec un enfants âgé de 13 ans au plus. Pourra être défini comme pédophile tout sujet ayant un rapport sexuel avec un enfant âgé d'au  plus de 13 ans, si l'écart d'âge est d'au moins 5 ans en faveur de celui qui incite le rapport et si ce dernier sujet est âgé d'au moins 16 ans. Pour le DSM IV, l'inceste fait implicitement partie de la pédophilie. Cela suppose, si l'on considère l'une comme l'autre des définitions, qu'il est particulièrement difficile de faire la distinction, en matière d'épidémiologie du comportement, entre une situation d'agression sexuelle extra-familiale d'un enfant par un sujet adulte qui ne serait pas pédophile ou par un autre qui le serait, sauf à considérer le sujet agresseur lui-même. Dès lors, la question de la pédophilie ne concerne plus une épidémiologie des "agressions sexuelles" mais une épidémiologie des "agresseurs sexuels" et ne rentre donc pas dans le cadre de ce travail.

Certes il y a, incluse dans la définition de la pédophilie, une notion de réitération de l'acte d'agression sur de multiples enfants, compte tenu de la préférence mais, du côté de l'enfant, ce n'est pas parce qu'il est revictimisé à plusieurs reprises, qu'il est l'objet d'un pédophile, ce qui n'empêchera pas que les actes dont il est victime soient définis comme "pédophiliques". Côté des victimes ont peut tenter de quantifier la revictimisation, d'en définir certaines caractéristiques, mais elle ne saurait constituer un indice quelconque de pédophilie. Là encore, pour examiner cette question de la pédophilie, il faudrait traiter du sujet pédophile, c'est-à-dire directement de l'agresseur, ce qui sort du cadre de ce travail.

- ... l'inceste comme unité de temps et de lieu en fait partie

 

Paradoxalement, quoique n'étant pas cité dans le Code Pénal et bien que les statistiques ne le prenne donc pas en compte en tant que tel, il en va bien autrement de l'inceste. En effet, la spécificité du lien entre l'agresseur et la victime (la notion judiciaire «d'ascendant») définit en quelque sorte une forme d'unité de temps et de lieu, permettant un repérage beaucoup plus aisé de la situation d'agression sexuelle dans lequel se déroulent les actes incestueux. Cette spécificité n'a besoin d'aucun autre recours. Pour savoir si une relation sexuelle entre un père et son fils de huit ans est incestueuse, nul besoin d'interviewer le père : la situation est une agression sexuelle opérée par ascendant, c'est une situation d'inceste.

 

2 - Les données épidémiologiques en population générale

 

La lecture des études disponibles sur la prévalence des agressions sexuelles laisse souvent interrogatif quant aux résultats qui, quoi que l'on puisse lire, sont loin d'être homogènes. De nombreux biais interviennent rendant difficile de comparer les études internationales : disparité des définitions de termes, hétérogénéité des populations, des lieux et des durées d'enquête, multiplicité des sources et de leurs utilisations. En revanche, et en général, les traitements statistiques sont eux relativement homogènes quant aux méthodes utilisées (notamment le choix des coefficients de corrélations, le calcul des régressions et des indices). Ces traitements présentent au moins l'avantage d'être souvent très bien spécifiés. Pour la discussion de ces questions, je renvoie à l'ouvrage de J.-M. Darves-Bornoz, qui présente et analyse, de manière concise et pertinente, les biais méthodologiques auxquels confrontent les multiples études épidémiologiques (Darves-Bornoz, 1996, pp. 51-55). Pour ce court rapport, il me faudra me contenter de "faire avec" ces biais, en privilégiant, tant que faire se peut, les études de population générale.

2.1 - Taux de prévalence des abus sexuels évalué en population adulte

 

Sur la base des études de population générale disponibles, effectuées sur des échantillons représentatifs des individus adultes, les taux varient en Europe entre 28% (Edgardh et Ormstad, 2000) et 7,8% (Bouhet et al., 1992) de femmes adultes ayant présenté au moins une occurrence d'agression sexuelle dans leur vie. Dans notre continent, le taux moyen de prévalence des agressions sexuelles, tous types d'agressions confondues, semble proche de 14% pour les femmes et de 4,5% pour les hommes. Par exemple l'étude anglaise représentative d'une population masculine consultant en médecine générale, fait état de presque 3% de sujets qui ont subit des agressions sexuelles (avec contact) à l'âge adulte (après 16 ans) et 5,35% ont eu ce même type d'expérience avant l'âge de 16 ans (Coxell et al., 1999). Ainsi, une femme sur sept et un homme sur vingt ont-ils connu, au moins une fois au cours de leur existence, une forme d'agression sexuelle. Il est intéressant de remarquer que, pour les diverses études, les taux féminins sont plus variables que ceux masculins qui se tiennent tous dans la fourchette des 4 à 5%. L'étude française, déjà ancienne (1989), sur la région Rhône Alpes (BVA) donnait des taux plus bas pour la population féminine (F = 7,8%) (Bouhet et al., 1992).

Ces chiffres corroborent les études nord-américaines (15%, Newton-Taylor et al, 1998)  mais aussi celles canadiennes, portant sur la population générale (F = 12,8%; M = 4,3%) (Mac Millan et al., 1997). L'importante enquête anglaise auprès d'une population masculine fait état de chiffres plus élevés

 

 

 

Pour notre pays, l'étude la plus récente disponible, représentative de la population française sur les violences envers les femmes, donne un chiffre inférieur, 11,4% de femmes ayant subi des agressions sexuelles (viols compris) au cours de leur vie dont la moitié après l'âge de 18 ans (Jaspard et al., 2001).

Quant à la population des victimes masculines, rien ne semble les distinguer de celles non-victimes. Ainsi tout homme est potentiellement une victime potentielle (Lipscom et col., 1992).

2.2 - Les agressions sexuelles sur l'enfant et celles pendant l'enfance

 

Les études de populations générales portant spécifiquement sur les enfants, recoupent celles portant sur les populations adultes, avec des biais identiques. Deux types de données sont à disposition : les études anamnèstiques et rétrospectives qui évaluent les taux d'agressions sexuelles dans l'enfance (ce sont les études effectuées sur une population adolescente ou adulte) et les données actuelles prenant en compte, pendant un temps déterminé les agressions sexuelles sur les enfants dans une population spécifiée. Ces dernières permettent aussi de dégager des taux d'incidence.

 

2.2.1 - Sur l'enfant

En France, les sources fiables sont celles de l'ODAS (Observatoire National de l'Enfance en Danger) et du  Service National d'Accueil Téléphonique pour l'Enfance Maltraitée (SNATEM). Ce sont les seules à offrir un panorama national du problème. Les abus sexuels sur enfants sont actuellement en régression (1995=5500, 1999=4800, soit une baisse d'un peu plus de 13%) (ODAS, 2000). La SNATEM, sur la base de son "numéro vert 119", enregistre le même constat : une baisse sensible des appels pour abus sexuels (30% en 1997, 17% en 1999) (SNATEM, 1999), mais avec toujours la même répartition des situations d'abus :

Répartition des mauvais traitements sexuels (source SNATEM)

 

1998

1999

Climat équivoque

26%

27%

Attouchement

49%

48%

Viol

25%

25%

Total

100%

100%

Les très jeunes enfants et les bébés sont aussi des victimes potentielles. La consultation pédiatrique de Lille remarque qu'en 1980, sur les 800 admissions de nourrissons aucune agression sexuelle n'était diagnostiquée et en 1988, les premiers diagnostics d'agressions sexuelles étaient posés pour quatre bébés, depuis, ce chiffre ne cesse de croître (Hochart et Roussel, 1997).

Enfin il ne faut pas oublier qu'un certain nombre, très faible au demeurant, d'agressions sexuelles d'enfants se termine par un infanticide (Hargrave et Warner, 1992).

 

2.2.1.1 - L'agression sexuelle en milieu familial : l'inceste

L'inceste n'étant pas cité par le Code Pénal, il est difficile statistiquement d'en différencier les chiffres des autres agressions, quoique la mention "par ascendant" puisse donner quelques indications. L'étude nationale américaine de prévalence d'agressions sexuelles intra-familiales sur les enfants entre 0 et 17 ans, évalue celle-ci à un taux 1,9% sur un an et de 5,7% sur l'ensemble (Finkelhor et col., 1997). L'enquête finlandaise rapporte des taux pour les filles, de 2% avec le père et de 3,7% avec un beau-père (Sariola et Uutela, 1996).

En France, les cas d'inceste constituent 20% des procès d'Assises, ils représentent 75% des situations d'agressions sexuelles sur enfants (Source SNATEM, 1999) et plus de 57% des viols sur mineurs (Source CFCV).

L'étude canadienne de Fisher montre qu'en cas d'agression intra-familiale, la première agression se déroule à un âge plus précoce que dans le cas d'une agression extra-familiale, la durée est plus longue avec un fort niveau de traumatisme. Cependant on y enregistre moins d'usage de force physique mais plus d'injonction fermes à ne pas révéler l'agression (Fisher et Mc Donald, 1998).

Enfin, il est nécessaire d'évoquer les "agressions sexuelles muettes", celles invisibles induites par un climat familial "incestuel"[4] et qui sont plus particulièrement le fait des mères. Il s'agit le plus fréquemment de vérifications, pouvant prendre la forme d'exploration, sous couvert d'hygiène des orifices anaux, génitaux; de très grandes proximité physique; de pénétration régulières des espaces d'intimité; d'exhibitionnisme parental; de confidences érotiques mais aussi de dévalorisation morales ou physiques de l'enfant (Manciaux et col., 1997).

 

2.2.2 - Pendant l'enfance

L'ensemble de ces études définissent, en Europe, pour les filles des taux qui s'étagent de 6,8% (Pedersen, 1995) à 33,8% (Bouvier, Halperin et al., 1999) et pour les garçons de 4,6% (Jaspard et al., 2000) à 10,9% (Bouvier et al., 1999). Les études nord-américaines et canadiennes corroborent peu ou prou ces chiffres, avec souvent des taux moyens plus élevés que les nôtres. Pour exemple, celle de Mac Millan rapporte des taux moyens de 12,8% pour les filles et de 4,3% pour les garçons (Mac Millan et al. 1997).

Le taux d'incidence calculé, en population générale, sur un an semble être compris, si l'on considère les cas avérés et suspectés, entre 1 et 1,2 enfant agressé pour mille. Pour exemple, l'étude d'incidence sur l'Irlande du Nord indique un taux de 1,16 / 1 000 (Mac Kenzie et al., 1993).

Les enquêtes en milieu étudiant présentent des chiffres identiques. L'étude parisienne montre que 8% des étudiantes et 7% des étudiants ont connu une situation d'agression sexuelle[5]. Ces chiffres sont plus élevés dans l'enquête grenobloise (9% des garçons et 11% des filles)[6]. Ces résultats sont corroborés par la récente enquête suédoise, représentative de la population étudiante et des jeunes de 17 ans. Avant 18 ans, 11, 2% des jeunes femmes étudiantes et 3,1% des garçons ont connu une situation d'agression sexuelle. Si l'on exclue les situations d'atteintes exhibitionnistes, les taux baissent respectivement à 7,2% pour les filles et 2,3% pour les garçons. L'âge moyen de l'atteinte étant de 9,1 ans pour les filles et 9 ans pour les garçons (Edgardh et Ormstad, 2000).

Pour la France, l'enquête nationale sur les violences envers les femmes donne, avant 18 ans, un taux de 6% de femmes ayant subi une agression sexuelle (hors viol) et 3,7% ayant été victimes d'un viol ou d'une tentative de viol avant le même âge. Ainsi, 9,7% des femmes françaises avant 18 ans connaissent un abus sexuel de quelque nature qu'il soit. Quant aux hommes, ils semble que 4,6% de leur ensemble aient connus des abus de ce type avant l'âge de 18 ans (Bouhet et al., 1992; HCSP, 1997).

 

2.3 - Le viol : une constante sous-évaluation d'une régulière progression

 

Parmi les agressions sexuelles, une place particulière revient aux viols en constante augmentation. Une recension récente de 120 études (principalement anglo-saxonnes, nord américaines et canadiennes) portant sur une population totale de 100 000 personnes, indique que presque 13% des femmes et plus de 3% des hommes reconnaissent avoir subit un viol (Spitzberg, 1999).

Pour notre territoire, une image de cette progression est donnée par un regroupement et une analyse des données statistiques du n° vert «S.O.S. Viols-Femmes-Informations» (CFCV)[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Répartition par sexe des viols (chiffres CFCV)

 

 

1991

1995

1996

1997

1998

 

F

M

F

M

F

M

F

M

F

M

Viols sur majeur

327

26

511

43

415

25

393

45

511

47

Intra-familial*

44

0

53

0

92

0

106

3

85

1

Extra-familial

283

26

458

43

323

25

287

42

426

46

Viols sur mineur

599

36

1127

67

980

58

1019

90

783

82

Intra-familial

358

21

805

609

30

606

35

452

29

Extra-familial

241

15

322

67

371

28

413

55

331

53

Total des viols

926

62

1638

110

1395

83

1412

135

1294

129

·       : Cette catégorie est exclusivement composée des "viols" par un compagnon (mari, concubin, etc…).

 

Si les viols sur mineurs semblent connaître une certaine baisse, les viols sur majeurs masculins sont stables. En revanche, l'augmentation des viols à l'encontre des femmes connaît une augmentation patente dans le temps. L'ampleur de ce phénomène est constaté dans d'autres pays européens; par exemple l'étude nationale suédoise indique que parmi les filles abusées, 49% ont connu un rapport sexuel (vaginal) forcé (Edgardh et Ormstad, 2000).

 

 

 

Ainsi, en 1999 la France compte environ 50 000 femmes entre 20 et 59 ans qui ont été victimes d'un viol au cours de l'année passée (Jaspard et col., 2001). Ce chiffre rapporté aux mêmes faits constatés par la police et la gendarmerie (3 500 viols sur sujet majeur pour 1999) laisse entrevoir l'ampleur de l'écart entre les faits réels et ceux officiellement constatés.

Cet écart est renforcé par l'étude du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) qui indique un différentiel important entre les agressions sexuelles déclarées à leur numéro vert et les plaintes portées, et cela malgré l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998. A titre informatif et de comparaison, en 1992, 70% des viols ou autres agressions sexuelles n'ont donné lieu à aucune plainte ni aucun signalement. De tels chiffres fondent ce collectif à proposer que le nombre des plaintes pour viol et autres agressions sexuelles est au moins cinq fois inférieur à la réalité des faits. Nous verrons plus bas que cette estimation est bien loin de la réalité. Cette dimension de grande sous-estimation qui fonde la présence d'un "chiffre noir" des agressions sexuelles, est commune à l'ensemble des pays où des statistiques en population générale sont disponibles. Par exemple, sur le continent nord-américain, le calcul d'incidence n'est pas représentatif, dans le sens d'une sous estimation systématique importante, de la réalité de terrain (Collectif, 1995) (Taux d'incidence officiel pour les USA, sur la base des faits constatés issus du FBI, calculé entre 1989 et 1993=4,5 viols / 1000 femmes).

Les "tournantes"

On constate depuis quelques années une progression des "viols commis par plusieurs personnes", dits "viols en réunion" : en 1995 on comptait 80 condamnations, en 1999 on en compte 109, soit 36,25% de croissance en 5 ans. Sous ce terme se décline nombre de réalités différentes qui vont du bizutage sexuel au viol sadique de quelques adultes sur un enfant avec prises de vues pornographiques. Il faut cependant noter une figure particulière de ces agressions sexuelles avec les viols pratiqués en bande par des jeunes, actions connues dans la presse sous le nom de "tournantes" et qui représentent un dérivé collectif de ce qui est plus fréquemment désigné par le terme de date-rape, signifiant un viol à la suite d'un rendez-vous. Très peu de plaintes ou de signalements sont fait après ce type d'agression, le plus souvent par crainte de perdre un statut identitaire (spécialement pour les jeunes filles de familles musulmanes) mais aussi par craintes des "représailles" et encore par peur de ne pas être crues. Face à un silence involontairement volontaire, tout dénombrement est difficile. Actuellement on estime en France, par inférence statistique, que ces "tournantes" représentent environ 600 situations par an.

 

2.4 - La conjugalité, un lit pour les violences sexuelles

 

Vivre en couple ne protège pas les femmes des agressions sexuelles. Une étude récente concernant les femmes de 18 à 65 ans, consultant en médecine générale indique que 77,3% d'entre elles ont fait l'objet d'une violence physique ou sexuelle avec l'un de leur partenaire intime (Coker et al., 2000). Une discrimination plus affinée des violences physiques et sexuelles montre qu'un nombre important de femmes connaissent des situations d'agressions sexuelles au sein de leur couple, 10% lorsque l'époux est déclaré violent et 7% malgré un époux décrit comme "non violent" (Shei, 1990). Les appels au n° vert «S.O.S. Viols-Femmes-Informations», indiquent que 55,8% de ceux pour violences conjugales font état d'un viol (CFCV). L'enquête de population générale coordonnée par l'IDUP1 montre que les femmes qui ne vivent plus en couple dénoncent deux fois plus souvent des agressions sexuelles (1,8%) que celles vivant toujours avec leur compagnon (0,8%).

Sur la globalité de l'échantillon interrogé représentatif des femmes françaises âgées de 20 à 59 ans, l'incidence révélée des "Viols et autres pratiques imposées en couple", sur une période rétrospective d'un an, est de 0,9% des sujets féminins vivant en couple (Jaspard et al., 2000).

Dans le cadre de la conjugalité, les situations d'agressions sexuelles sont celles qui décroissent le plus en fonction de l'âge : 1,2% des femmes entre 20 et 24 ans déclarent être victime de ce type de situation, contre 0,6% pour celles entre 45 et 59 ans. En revanche, contrairement aux autres taux de violences qui décroissent régulièrement dans le temps, celui des violences sexuelles se maintient longtemps à l'identique et chute brutalement après 45 ans. Cela signifie qu'une pression sexuelle à tonalité violente pèse sur les femmes tout au long de leur vie entre 20 et 45 ans.

 

Proportion (en%) des femmes déclarant avoir subi des violences conjugales au cours de l'année 1999[8]

 

20 - 24 ans

25 - 34 ans

35 - 44 ans

45 - 49 ans

Ensemble

Violences conjugales

n=464

n=1707

n=1872

n=1865

n=5908

Insultes et menaces verbales

6,1

4,1

4,3

3,9

4,3

Chantage affectif

2,7

1,4

2,3

1,6

1,8

pressions psychologiques

            - dont harcèlement moral

51,2

12,1

40,1

8,3

35,4

7,5

32,6

6,5

37,0

7,7

Agressions physiques

3,9

2,5

2,5

2,2

2,5

Viols et autres pratiques sexuelles imposées

1,2

0,9

1,0

0,6

0,9

Par ailleurs, la situation de grossesse ne protège pas plus la femme de telles agressions de la part de son compagnon, puisque 3,3% des femmes enceintes déclarent  avoir connu des violences sexuelles (Hedin et al., 1999).

2.5 - L'agression sexuelle en situation professionnelle : le harcèlement sexuel

 

Depuis 1992, le Code du Travail comporte la notion de harcèlement sexuel qui sera défini pénalement dès 1994 dans le Nouveau Code Pénal. La situation de harcèlement sexuel est caractérisée par une personne abusant de l'autorité que lui confère sa fonction pour donner des ordres, proférer des menaces, user de contraintes afin d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. Considérée comme un délit, intégrée à la classe des " et autres agressions sexuelles", cette situation est difficile à isoler dans les statistiques officielles. Comprise dans la sous classe Harcèlement sexuel et autres agressions sexuelles, déduction faite des atteintes aux mineurs, on enregistre une croissance de 7,4% des faits constatés pour cette classe sans qu'il soit possible (faute d'informations) de déterminer la part qui revient au harcèlement sexuel en situation professionnelle.

Ce sont actuellement presque exclusivement les femmes qui en sont les victimes. L'enquête sur les violence faites aux femmes en France a volontairement élargi la définition judiciaire pour rendre mieux compte du sens commun reconnu à ce terme. Elle a donc inclu les avances, le "pelotage" ou l'obligation de voir des images pornographiques.

Sur cette base définitionnelle, on compte actuellement, 1,9% des femmes qui ont subi des avances et des agressions sexuelles dans un cadre professionnel et une fois sur cinq il s'agissait d'un supérieur hiérarchique. La plus grande partie des faits rapportés concerne les avances sexuelles et le "pelotage". La tentative de viol ou le viol restent des situations relativement rares.

Pour le cas strict du harcèlement sexuel, les agresseurs sont quasi uniquement des hommes (collègues, supérieurs hiérarchiques, clients et usagers).

2.6 - L'agression sexuelle chez les personnes âgées

 

Au delà de soixante ans, il n'existe aucune statistique officielle concernant les agressions sexuelles sur personnes âgées en populations générales. Si les études sur la maltraitance concernant cette population sont fort nombreuses, elles ne traitent pas, ou très peu des agressions sexuelles. Une étude récente sur la maltraitance de ces sujets, réalisée dans les Yvelines, ne signale aucune situation d'agression sexuelle (Bodénan, 1998). Est-ce à dire que l'agression sexuelle ne concerne pas les personnes âgées? Il serait plus réaliste d'écrire que ces situations existent, qu'elles ne paraissent concerner que les femmes, qu'elles sont peu nombreuses et qu'elles se heurtent souvent à un relatif manque d'écoute de ceux à qui en est fait le récit, comme si la sexualité n'était plus de mise dans le grand âge. C'est le cas de cette femme de 92 ans entrant en service hospitalier avec un test de syphilis séropositif, alors que trois ans avant il était séronégatif. Nul n'avait prêté attention, deux ans plus tôt, à ses propos quand elle avait affirmé qu'un homme s'était introduit chez elle et l'avait violée, mettant cela sur le compte d'un alzheimer débutant (Hugonot, 1998). Par ailleurs, quand ce type d'agression survient chez la personne âgée les conséquences en sont plus rudes que pour un sujet plus jeune.

Une étude sur les femmes ménopausées de plus de cinquante ans indique que celles-ci représentent 2,2% des femmes qui ont fait l'objet d'une agression sexuelle et le trauma génital est significativement nettement plus sévère (Ramin et col., 1992). Par ailleurs le viol de la femme de grand âge n'est pas un phénomène exceptionnel et il en précède souvent le meurtre (Hugonot, 1990).

Il est aussi important de nommer ici deux formes de violence sexuelle, presque paradoxales qui ne se manifestent pas sous la forme d'agression mais d'abus auxquelles les personnes âgées sont soumises. Il s'agit d'une part de l'étouffement de la sexualité chez les personnes du grand âge, et d'autre part certaines situations de séductions dont elles peuvent être victimes, particulièrement la population masculine. Il s'agit ici des séductions faites à un homme âgé par une femme pouvant avoir de 40 à 50 ans de moins et dont la conséquence est de dilapider ses biens (Hugonot, 1998).

 

2.7 - L'agression sexuelle chez les personnes handicapées

 

Problème longtemps méconnu, la maltraitance des handicapés concerne au moins autant les femmes que les hommes, que le handicap soit physique ou mental. L'enquête nationale américaine sur les handicapés montre qu'en ce qui concerne les abus physiques ou sexuels les femmes handicapées et celles ne présentant pas de handicap connaissent autant de risques de rencontrer une situation abusive et lorsqu'elles en ont rencontré une, la moitié d'entre elles ont alors connu un abus de type physique ou sexuel.

Cependant, 33% des femmes présentant un handicap révèlent avoir été agressées sexuellement l'année précédent l'enquête. Le plus fort risque d'agression venant pour elles, soit d'une personne appartenant à leur réseau d'assistance, soit plus directement par un soignant.

Enfin, il est important de noter que les durées de ces abus sont nettement plus longues quand les victimes sont des handicapés (Young et col., 1997). La récente étude canadienne sur les enfants handicapés, effectuée en population générale avec un échantillon représentatif, montre combien la situation d'agression sexuelle est modifiée par le handicap.

Sur l'échantillon de non-handicapés, ce sont les filles qui connaissent le plus d'abus. En population handicapée, ce seront principalement des garçons (65%) qui seront agressés tant physiquement que sexuellement (Sobsey et col., 1997).

Le cas particulier des agressions sexuelles en institution

L'institution est un lieu d'agressions sexuelles, particulièrement pour les enfants présentant un handicap mental. Sur 18 viols sur mineurs enregistrés en l'an 2000, 10 victimes étaient des filles et 4 des garçons, soit respectivement 55,5% et 22% de l'ensemble. Pour les adultes, ce sont aussi les femmes qui en sont principalement les victimes.  En dehors des viols ce sont plus fréquemment les garçons qui sont les victimes (52%) (DGAS, 2000). Il faut cependant noter  un léger repli de ce phénomène (DGAS, 2000).

2.8 – Discussion

 

Tous les âges de la vie sont concernés par l'agression sexuelle et aucune spécificité ne protège quiconque. Si l'ensemble des études épidémiologiques désigne une sur-représentation de la population féminine parmi les victimes, elles indiquent surtout une terrible sous estimation du phénomène de l'agression sexuelle, sous estimation peut-être encore plus grande pour les hommes (Coxell et col., 1999). Ici, les chiffres sont importants. Le rapport entre ceux officiels de police et de gendarmerie sur les infractions constatées en 1999 pour viols et le taux d'incidence calculé sur un échantillon représentatif de population des femmes françaises (Jaspard, 2001)[9] montre un écart de 1 à 14,2 (de 3500 pour les faits constatés à 50 000). Si nous effectuons le même calcul à partir des chiffres de prévalence moyen sur les agressions sexuelles (hors viols) nous obtenons un chiffre d'environ 140 000 sujets féminins qui auraient été victimes d'une agression sexuelle au cours de l'année 1999, pour 3 703 faits constatés, soit un rapport de 1 à 38 ! Un calcul identique effectué pour la population masculine[10] en prenant un rapport constaté de un viol d'homme pour 4 chez les femmes (Spitzberg, 1999), permet d'obtenir le chiffre de 11 850 hommes qui auraient pu être victimes d'un viol sur une année ! Si l'on prend le rapport existant à "SOS Viols-Femmes-Informations" qui est de un viol d'homme pour 10 viols de femmes, on obtient un chiffre de 5 000 sujets masculins subissant un viol par an en France ! C'est dans ce sens que nos grands voisins, les Québecquois, ont parlé du "Garçon invisible", victime toujours en souffrance que les statistiques ne dévoilent jamais, privé ainsi d'une parole délivrante.

Aucun lieu, public ou privé, qu'il soit familial, conjugal, professionnel, de soins, d'éducation ou de culte ne peut protéger un sujet d'une possible agression sexuelle au sens large. Tous réservent des zones d'ombre où l'agression peut se développer.

 Ces résultats signifient l'ampleur du phénomène, son inquiétante "banalité". Face à lui, les données dont nous disposons manquent de poids, de "réalisme". Il s'agirait de développer des études valides, en population générale, avec des critères d'inclusion particulièrement bien identifiés, comme l'est celle de l'Enveff (Jaspard, 2001). Seules de tels études permettront de prendre conscience de l'action préventive à mener. Néanmoins, en terme de prévention, on peut d'ores et déjà prévoir que l'information devra être la plus large possible, touchant l'ensemble des strates du champ social. Elle devra donc présenter une double valence : générale et ciblée.

 

3 - Qui agresse?

3.1 - Des hommes en plus grand nombre que les femmes

 

L'ensemble des études internationales est homogène sur un point : l'agression sexuelle n'est pas le fait uniquement des hommes, même si ceux-ci en forment la grande majorité des auteurs. Hommes et femmes sont donc impliqués dans ces situations avec un différentiel selon que la victime est un sujet de sexe féminin ou masculin. Si la victime est une fille, l'agresseur sera masculin dans 95% des cas mais ce taux chute à 80% si c'est un garçon qui est agressé (Finkelhor, 1984). Ainsi, 5% des hommes avoueraient avoir au moins une fois dans leur vie participé à un viol (Spitzberg, 1999).

 

3.2 - Pas de caractéristiques déterminantes

 

Aucune caractéristique (génétique, morphologique) ne vient caractériser le sujet infractant sexuel. Aucun profil type ne peut être établi. Il n'y a cependant pas autant de tableaux d'agresseurs que d'agressions, mais un réel polymorphisme existe. On rencontre des agresseurs sexuels dans toutes les couches socio-démographiques (le harcèlement sexuel au travail - qui peut aller jusqu'au viol - en est un exemple prégnant; la violence sexuelle dans les couples en est une autre figure). Classe et milieu ne sont pas des déterminants significatifs que l'on ait affaire à un agresseur féminin ou masculin. Cependant, les violeurs de sujets adultes sont les plus fragiles sur le plan de leur insertion sociale, ce sont eux qui présentent, comparés aux autres agresseurs sexuels, le plus bas niveau éducatif, le plus faible niveau de formation professionnelle et le plus précaire équilibre financier (Ciavaldini, 1997, 1999; Gudjonsson, 2000). Enfin, lorsqu'il s'agit de jeunes agresseurs (entre 12 et 17 ans) ce sont des jeunes qui présentent significativement plus de maltraitances familiales dans l'enfance, qu'elles soient physique ou / et sexuelle (James et Neil, 1996) (Voir plus bas : "Facteurs de risques).

 

3.3 - Les agresseurs sont rarement des inconnus

 

Quelques soient les critères d'inclusions dans les cohortes, les taux de connaissance des agresseurs par les victimes sont très élevés (En Europe : Raupp et Eggers, 1993 = 90% en population générale; Ciavaldini, 1999 : 75% en population infractante). Pour un peu plus d'un tiers, c'est un lien d'autorité et dans moins des deux tiers des cas c'est un lien de parenté, moins de 10% seraient des inconnus (Raupp et Eggers, 1993). Lorsqu'il est question de tentative de viol, dans un peu plus d'un quart des cas, l'homme est considéré, non comme un "proche", mais simplement comme une "connaissance" et dans un peu moins d'un quart des cas c'est un "inconnu"; le conjoint est concerné pour 16% des occurrences, et presque autant concerne un «autre parent» (ni ascendant direct ni descendant) ou un proche (15%). En cas de viol le lien d'intimité se précise : un tiers de conjoints au moment des faits, 8% d'ex-conjoints, autant d'«autres parents», 6% de proches et 5% de pères ou beaux-pères, alors que les hommes connus - non proches - ne représentent plus que 20% des auteurs et les inconnus 15% (Jaspard, 2000).

 

3.4 - "Croissance" des jeunes agresseurs : les viols en réunion et les "tournantes"

 

Dans le cas particulier des viols collectifs, si la victime est un sujet adulte alors les agresseurs sont plus fréquemment des inconnus agissant par groupe de 3 et plus. Si la victime est une adolescente les violeurs sont en général des adolescents connus des victimes, qui agissent en bande. Dans le cas des "tournantes", l'un des auteurs est bien connu de la victime et les autres peuvent être plus fréquemment des inconnus. Quand la victime est un enfant, les agresseurs, opérant souvent en bande, sont le plus souvent connus de la victime (C.F.C.V., 1995). Ainsi, à côté des agresseurs adultes se multiplient les agresseurs adolescents et aussi ceux prépubères. Le taux de prévalence calculé en Angleterre, pour des jeunes de 12 à 17 ans, sur une période d'un an, serait de 1,5/1000 jeunes garçons (James et Neil, 1996).

 

 

 

3.5 - Les agresseurs intra-familiaux, des hommes et des mères

 

Il s'agit ici des situations d'inceste. Si c'est un homme, ce peut être l'un quelconque des hommes constituant une famille, sans limite d'âge. Les actes violents sont plus fréquemment le fait d'un beau-père ou d'un concubin qui n'a pas élevé l'enfant ou encore d'un frère aîné. Lorsqu'il y a séduction et contrainte il s'agit plus souvent du fait des pères naturels. Les situations incestueuses commencent plus tôt quand il s'agit d'une relation père-fille. Quand l'agresseur est une femme, ce sont presque uniquement les mères qui sont en cause (Manciaux et col., 1997).

 

3.6 - La femme agresseuse : plus souvent une mère

 

Les femmes agresseuses le sont en majorité sur leurs enfants (75% des victimes sont les enfants légitimes). Les victimes semblent plus fréquemment des filles (74%) (Deschats et Génuit, 2000). Les faits se déroulent au moment des soins ou du maternage (Claude, 2000). Là encore, la classe sociale, avoir des antécédents psychiatriques, l'âge ou le sexe de l'enfant ne semblent pas être des critères discriminants (Mathews et col., 1989; 0'Connor 1987) même si l'étude française de Deschats et Génuit indique que presque 3 filles sont agressées pour un garçon. Cependant les femmes sont aussi des agresseuses d'adultes à titre principal ou en complicité plus spécifiquement pour les viols. En ce cas elles opèrent avec un ou plusieurs hommes (Deschats et Génuit, 2000).

 

3.7 - Le cas particulier des agressions sexuelles par un ou des professionnels dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions

 

Trois professions semblent particulièrement propices à l'exercice d'une contrainte sexuelle, les enseignants, les soignants et les ministères cultuelles. Le statut de ces professions, empreintes d'un idéal culturel, les a longtemps mises à l'abri des dénonciations des faits d'agressions sexuelles pratiquées dans le cadre de l'exercice de leur charge. Ce voile, qui a pu fonctionner comme un "faux tabou", semble se lever depuis quelques années sous la pression des révélations venant à la connaissance des autorités judiciaires.

 

3.7.1 - Enseignants et ministres du culte

L'agression sexuelle par les enseignants n'est pas un fait rare, toutes les catégories enseignantes y sont représentées, de l'instituteur au professeur d'enseignement général jusqu'au conseiller d'éducation, avec cependant une exposition, plus grande pour les professeurs d'éducation physique. Dans ce même domaine il convient de citer aussi les "entraîneurs" sportifs et les coach. Le viol est loin d'être une pratique anecdotique (CFCV, 1998). On rencontre peu ou prou le même schéma chez les professionnels de l'animation éducative et de loisir auprès des enfants et adolescents ou encore chez ceux occupant un ministère cultuel. En règle générale ce type d'agresseur est décrit comme un homme d'influence, se rendant indispensable, souvent séducteur et construisant un réseau de réciprocités qui obligent autant les mineurs que les autres professionnels et parfois les parents. Derrière ce tableau séduisant, suscitant parfois l'admiration et l'éloge, se cachent l'emprise morale et souvent la contrainte physique (Ciavaldini, 1999; CFCV, 1997). Il semblerait cependant que les ministres du culte agresseurs sexuels présentent moins d'organisations psychopathologiques que les autres agresseurs (Haywood et col., 1996). Dans ce cadre les sujets agresseurs ont une pratique réitérée et sur le long terme faisant ainsi de très nombreuses victimes.

 

3.7.2 - Professions médicales et paramédicales

La question des soignants agresseurs sexuels se présente de manière différente. Aux États Unis, entre 1981 et 1996, 761 médecins ont connu des sanctions disciplinaires pour des agressions sexuelles commises dans l'exercice de leur fonction. Chaque année ce nombre croît régulièrement (42 en 1989 et 147 en 1996). En 1997, 216 furent rayés de leur instance ordinale. Les situations infractantes couvrent tout le spectre des  agressions sexuelles (rapport sexuels génitaux, viols, attouchements et demandes de faveurs sexuelles). Les spécialités les plus exposées étant les psychiatres, les pédo-psychiatres, les obstétriciens et les gynécologues mais aussi les médecins généralistes (Dehlendorf et Wolfe, 1998). Une étude déjà ancienne entreprise à l'échelle des États Unis indiquait que 6,4% des psychiatres américains reconnaissaient avoir eu des contacts sexuels avec leur patients (deux fois plus pour les praticiens masculins que pour ceux féminins). Sur l'ensemble des réponses à cette enquête nationale, 1,6% des praticiens reconnaissaient avoir eux-mêmes eu des contacts suscités par leur thérapeute (Gartrell et col., 1986). Les psychothérapeutes sont aussi des pourvoyeurs d'agressions sexuelles. L'étude allemande révèle qu'il faut compter de 5 à 24 nouveau cas annuel pour 1000 thérapeutes. (Bachman et Ziemert, 1995). Là encore, il semble que ces données sous estiment la réalité des agressions (Mc Phedran, 1996).

 Le CFCV indique, à partir des appels reçus, que si la très grande majorité des agresseurs sont des hommes, les femmes médecins ne sont pas exclues, soit en entraînant certaines patientes dans des pratiques homosexuelles, soit en séduisant leurs patients masculins. L'agression se passe soit en cabinet, soit en institution hospitalière, soit en visite à domicile voire même lors de visite de contrôle de la Sécurité Sociale. En Institution hospitalière et lors de visite à domicile, le personnel paramédical et infirmier ou les aides-soignants sont souvent mis en cause. La situation fréquemment relatée se situe autour d'interventions chirurgicales à la faveur d'anesthésie. L'agresseur invoquera alors les "hallucinations post-anesthésiques" ou l'état semi-conscient de la malade pour se disculper (CFCV, 1997).

Ces situations d'agressions sexuelles qui s'adressent tout autant à des majeurs qu'à des mineurs constituent des abus de pouvoir qui, quand ils se passent en milieu institutionnel, participent à la notion de «maltraitance institutionnelle»[11].

 

3.8 - L'agresseur sexuel en institution

 

La majorité des agressions sexuelles en institution en 2000, c'est là un fait nouveau, est l'objet des résidents avec presque 65% et quand on ne considère que le viol le taux monte à 80%. Pour la part restante ce sont principalement les professionnels qui sont incriminés, particulièrement le personnel éducatif, pédagogique et social. Le sexe de la victime ainsi que l'acte d'agression modifie le tableau des agresseurs. Quand l'agression est un viol et si la victime est une fille mineure, alors 90% sont des résidents; si la victime est un garçon mineur, alors les agresseurs seront pour moitié des résidents et à part égale pour l'autre moitié soit du personnel éducatif, pédagogique et social, soit des agents techniques (25% chacun) (DGAS 2000).

 

3.9 – Discussion

 

Les auteurs d'agressions sexuelles sont principalement des hommes même si les femmes ne peuvent pas être considérées comme un phénomène marginal et cela d'autant plus que leurs agressions sont souvent plus silencieuses que celles des hommes (climat incestuel) générant des conséquences tout aussi dramatiques. Aucune caractéristique n'est déterminante pour constituer un profil type de l'agresseur sexuel. Rarement un inconnu, c'est principalement un "proche", une "connaissance", au sens large de ce terme, qui agresse. Celui-ci se "recrute" partout, sa spécificité unique, c'est d'être "banal". Certaines situations semblent plus particulièrement le fait des agresseurs jeunes, celles des viols en bande.

 

4 - Les facteurs de risques

Par "facteurs de risques" j'entends les situations personnelles ou sociales ou les éléments d'histoires individuelles qui peuvent déclencher ou activer ou encore susciter l'agression sexuelle.

 

4.1 - Agressions sexuelles intra-familiales sur enfants

 

Lorsqu'il s'agit d'agressions intra-familiales deux grands indicateurs sont identifiés : les difficultés relationnelles familiales (73%) ainsi que les situations de séparation ou de divorce (43%). Les indicateurs secondaires majorant la situation à risque étant la précarité (7%) et l'alcoolisme (11%) (SNATEM, 1999). Un autre risque identifié est l'âge de la mère. Plus une jeune fille devient mère jeune et ce au dessous de 18 ans, plus le risque d'agression sexuelle augmente. (Stier et col., 1993), Il semble cependant important de préciser que le développement du dépistage précoce des situations d'abus, la vigilance des équipes de soins et des travailleurs sociaux occupent une grande place dans cette augmentation (Leventhal et col., 1993). Plus classiquement on retrouve aussi parmi les facteurs de risque une mère présentant une pathologie mentale. La maltraitance physique doit aussi fonctionner comme un indicateur pertinent d'une potentialité d'agression sexuelle dans la famille (Fleming et col., 1997). Un dernier facteur de risque ne doit pas être négligé, c'est lorsque un des parents (ou les deux) fut lui-même victime d'une agression sexuelle dans l'enfance.

 

4.2 - Agressions sexuelles sur adultes : trois indicateurs et quelques facilitations

 

Les nombreuses études qui se sont centrées sur la recherche de facteurs de risques parviennent toutes, peu ou prou, aux mêmes résultats. Trois grands indicateurs dominent le tableau. Tout d'abord l'agression sexuelle dans l'enfance. Elle augmente considérablement le risque du recours à l'acte d'agression sexuelle à l'âge adolescent ou adulte (Ciavaldini, 1999); il en va de même, quoique dans une moindre mesure, de la maltraitance physique et de l'incestualité du climat familial. Cependant les enfants victimes d'inceste sont moins sujets aux récidives que ceux victimes d'un agresseur extra-familial (Greenberg, 1998). Ensuite, la prise de substances toxiques dont l'alcool est - de par l'effet déshinibiteur induit - susceptible de déclencher la conduite agressive sexuelle. Enfin vient la pathologie mentale.

Certaines autres situations sociales peuvent participer à l'augmentation des risques, il s'agit de certaines situations de déculturation-aculturation pour les migrants  (Tourigny et Bouchard, 1994) (sauf quand une structure familiale ou culturelle forte est maintenue) mais aussi des ruptures de conditions socio-économiques favorables ou une précarité établie provoquant une misère socio-culturelle (Chagnon, 2000). En bref, toute situation de désagrégation du tissu social d'un sujet augmente la potentialité du passage à l'acte sexuel (ce que l'on retrouve fréquemment chez les exhibitionnistes).

 

4.3 - La pornographie, une éducation sexuelle?

 

La diffusion de la pornographie semble être aussi un facteur facilitant l'agression sexuelle mais la complexité de la diffusion de ces images, dont une part des thèmes est largement reprise dans les médias, rend complexe l'étude de l'impact de ce phénomène. En effet, les études de référence sur la question indiquent qu'il est difficile d'extrapoler des résultats de laboratoire à la vie réelle, même si la présentation de certaines images, particulièrement celles de violences sexuelles pornographiques, semble entraîner une augmentation de réactivité chez certains sujets. Encore faut-il préciser qu'on a pas trouvé de différences significatives entre les violeurs, les non-violeurs et les sujets masculins non criminels (Kutchinsky, 1991). Seuls les violeurs violents semblent plus sensibles à ce type de stimuli, surtout s'ils contiennent de la violence (Proulx, 1993). L'ensemble de ces données ont été retrouvées et discutées dans l'étude française sur les agresseurs sexuels (Ciavaldini, 1999). Enfin, auprès des jeunes présentant un milieu familial non suffisamment consistant, la diffusion d'images pornographiques, par le biais de cassettes vidéo, semble se substituer à une information sexuelle fiable. Ainsi la découverte de la sexualité semble se faire avec un support agressif et violent entraînant parfois un apprentissage de la vie sexuelle reconstituant ces conditions initiales d'informations erronées et générant des situations de violences sexuelles.

 

4.4 - Le psychopathe est rarement un agresseur sexuel

 

Enfin, il est nécessaire de préciser que la psychopathie n'est pas un facteur de risque aggravant pour les agressions sexuelles (hors viols) où les taux de prévalence évoluent entre 3 et 15%. En revanche, quand il s'agit des violeurs, le tableau est différent puisque les taux de prévalence iront de 35 à 77% (Pham et Côté, 2000). Ainsi, beaucoup plus fréquemment que le pédophile, le violeur de femmes adultes présentera un tableau psychopathique (Rice et Harris, 1997; Quinsey et col., 1995).

 

4.5 – Discussion

 

Parmi les facteurs de risques avérés pour les situations intrafamiliales, les difficultés relationnelles et les situations de ruptures familiales dues à une séparation parentale. L'alcoolisme d'un parent, la situation de précarité, le fait qu'un parent ait connu une agression sexuelle pendant l'enfance viennent amplifier le risque. La pathologie mentale d'un parent et la maltraitance physique des enfants peuvent enfin fournir une simple indication de risque. Dans le cas d'agressions sur adulte, la prise d'alcool ou de drogue, l'agression sexuelle dans l'enfance et la pathologie mentale sont des facteurs de risque. La psychopathie n'en est pas vraiment un, sauf pour les violeurs de sujets adultes. Quant à la pornographie, si elle semble jouer un rôle, celui-ci ne semble pas encore nettement défini, sauf quand elle sert d'information sexuelle à certain jeunes. Cela permet de suggérer que les campagnes d'informations sur la sexualité, malgré leurs développements, n'ont pas un impact suffisant auprès de ces jeunes. Des études devraient être entreprises, non pas tant sur la qualité de cette information et sur sa pertinence, que sur les moyens d'augmenter son taux de pénétrance. Cela pose aussi la question d'une accentuation de la formation spécifique des personnels intervenant auprès de ce type de population.

 

5 - La révélation : peu de dévoilements, des dénonciations encore moindres et des délais très longs

Le temps de la révélation est un moment particulièrement important qui constitue, pour le sujet, une sortie de son enfermement, une possibilité de faire reconnaître sa souffrance, parfois en la reconnaissant lui-même. Sur le plan de la connaissance des agressions, c'est aussi le seul moyen dont disposent les chercheurs pour évaluer la prévalence de telles situations. Cependant la comparaison des études est souvent difficile du fait d'un biais souvent rencontré, la non distinction entre le "dévoilement" qui représente le fait d'informer un tiers de l'agression subie et la "dénonciation" qui signifie que l'agression a été portée à la connaissance des autorités judiciaires. Par commodité j'utiliserai le terme de "révélation", impliquant l'un des deux mécanismes, ou les deux, de mise au jour de l'agression.

Les études en population générale adulte montrent l'écart très important entre les situations subies, celles qui sont révélées à des tiers et celles qui seront portées à la connaissance des autorités. La gravité de l'agression, l'âge à la victimisation, sa persistance dans le temps et le contexte de son développement sont des éléments qui participent à la révélation et à son délai. Dans les cas de tentative de viol et de viol subis à l'âge adulte c'est 44 et 38% des femmes qui ne les ont pas révélés avant l'étude française sur les violences, mais quand il s'agit d'une agression sexuelle autre que le viol, c'est 65% qui n'en parleront pas. Lorsque le viol ou sa tentative a été subi dans l'enfance les taux de non révélation évolue entre 30% (AS< 18 ans) et 72% (AS< 15 ans) (Smith et col., 2000; Jaspard et col., 2001 ). De tels chiffres indiquent que lorsqu'un viol a été commis sur une victime féminine mineure, presque 3 fois sur 4 elle n'en parlera pas !

Lorsque la révélation s'effectue, les délais peuvent être longs, voire très longs, puisque l'étude nationale américaine indique que presque une fois sur deux il faudra cinq ans pour que la révélation puisse se faire (Smith et col., 2000). La loi française tient compte de ce phénomène, puisqu'elle permet la dénonciation dix année après l'âge de majorité légale.

Dans le cas des agressions sur enfant, le cas est un peu différent compte tenu des systèmes de surveillance qui sont mis en œuvre; pour autant le silence semble, là encore, la règle, et ce d'autant plus que l'agresseur est une femme en position de parentalité. Dans ce dernier cas le taux de révélation se situerait entre 1 et 20% (Finkelhor et Russel, 1984). En règle générale les révélations sont plus importantes à l'adolescence, mais les délais moyens sont de l'ordre de deux années à partir de la première victimisation (Crivillé et col., 1994). Dans les cas d'inceste ce sont principalement les mineurs (plus de la moitié des révélations) qui révèlent les faits suivis des mères (Crivillé et col., 1994; ADSEA, 1992).

 

5.1 - Le contexte de l'agression joue un rôle dans la révélation

 

Le contexte de l'agression joue un rôle important sur la révélation, puisque les agressions sexuelles subies par les femmes dans le cadre de leur vie conjugale ne connaîtront pas de révélation dans 69% des cas; si c'est dans un espace public, c'est 37% qui ne seront pas révélées et si c'est dans un cadre professionnel, ce n'est plus que 34% (Jaspard, 2001).

 

5.2 - Les facteurs favorisants ou retardants la révélation

 

Chez les enfants, un certain nombre de facteurs favorisent ou retardent la révélation. Ceux qui la favorisent sont principalement un conflit parent-enfant ou entre les parents, un éloignement du milieu familial et une intervention sociale (Crivillé et col., 1994). Un autre facteur est à prendre en compte, c'est la médiatisation que connaissent les affaires d'agressions sexuelles, leur conférant le statut d'interdit et autorisant alors la victime à parler.

Les facteurs retardants sont généralement la peur, celle de ne pas être cru, celle des représailles sur soi ou sur l'un des parents, la honte mais aussi l'ignorance de l'interdit chez certains enfants et enfin, mais très rarement, la volonté de vouloir péréniser la situation (Crivillé et col., 1994).

 

5.3 – Discussion

 

La révélation d'une agression sexuelle que ce soit dans l'enfance ou à l'âge adulte n'est pas une donnée fréquente, puisque les trois quart des victimes féminines de viols ne dénonceront pas les faits. L'espace temporel entre la première victimisation et son dévoilement est long, permettant, et ce plus spécifiquement pour les enfants, que la situation se pérénise avec le risque que d'autres sujets deviennent des victimes. Il semble donc nécessaire d'insister sur l'importance d'un travail d'information auprès des jeunes enfants et des adolescents mais aussi en direction des adultes en situation civile et professionnelle afin de leur permettre de percevoir le poids que représente pour eux leur silence, qu'il est une source d'altération de leur devenir; que la culpabilité ou la honte dans laquelle ils s'enferment sont une protection pour l'agresseur qui permettent son impunité.

 

6 - Les conséquences des agressions sexuelles

On se heurte dans le domaine des conséquences des agressions sexuelles a une profusion de données. Ce qu'il convient de noter d'emblée c'est le polymorphisme des tableaux où l'on retrouve, dans l'anamnèse, soit des agressions sexuelles plus ou moins récentes, soit des plus anciennes, dans l'enfance. La question méthodologique que pose ce constat est de savoir si l'agression sexuelle récente ou ancienne présente un lien avec la pathologie constatée. Si un lien est avéré, par corrélation statistique par exemple, quelle est la nature de ce lien? En effet, ce n'est pas parce que l'on retrouve une agression sexuelle dans le passé d'un patient, qu'un lien existera entre celle-ci et la pathologie étudiée. Il conviendra donc d'être d'une grande prudence quant au maniement des données qui vont suivre, et ce d'autant plus que les chercheurs ne sont pas à l'abri (les chiffres étant laissés à l'interprétation de ceux qui les génèrent) des effets d'excitation du champ social, ce qui pourra influer sur leur lecture. Les études retenues, comme toutes celles servant de support à ce rapport,  présentent toutes un axe fortement objectif quant à leur méthodologie et à l'analyse des résultats.

 

6.1 - L'agression sexuelle actuelle : des conséquences psychiques immédiates

 

6.1.1 - Les symptômes traumatiques

La première des conséquences de l'agression sexuelle est d'ordre psychique s'apparentant aux symptômes de la névrose traumatique telle qu'elle fut définie au siècle dernier (Oppenheim, 1889) et dont le modèle fut enrichi par Ferenczi et Freud  dans le cadre de celui de la névrose de guerre (Ferenczi, 1918; Freud, 1919)  permettant de redéfinir un modèle de la névrose traumatique avec la dimension de la répétition (Freud, 1920). Ces travaux seront repris, sur le plan nosographique, par les cliniciens américains pour constituer le modèle du Post-Traumatic Stress Disorder (APA, 1994), le PTSD (Syndrome de Stress Post-Traumatique  ou encore Syndrome Secondaire à un Stress Traumatique, traduction préférée par J.-M. Darves-Bornoz, 1996).

Après une agression sexuelle on peut isoler deux autres syndromes, le syndrome traumatique dissociatif et phobique incluant des troubles somatoformes, des phobies spécifiques (agoraphobie) et des troubles dissociatifs ainsi que le syndrome traumatique de type limite. Ce dernier définit une altération de l'identité et de la personnalité, secondaire à la blessure narcissique induite par le viol (Darves-Bornoz, 1996, 2000). Sur des échantillons représentatifs nationaux, le risque de voir se développer un PTSD, après un viol, dans une population féminine semble compris entre 36% et 48% (Resnick et col., 1993; Foa, 1997).

 

6.1.2 - Le suicide et les conduites suicidaires

Le risque suicidaire fait partie du tableau des conséquences régulières des agressions sexuelles. Ce sont les femmes, plus que les hommes, qui présentent une sensibilité accrue à celui-ci. Quant aux tentatives de suicide elles sont de 3 à 4 fois plus élevées quand l'agression sexuelle a eu lieu avant l'âge de 16 ans (Davidson et col., 1996).

Pour les conduites à tonalité suicidaire, ce sont les femmes agressées sexuellement qui présentent le plus ce type de risque (Hjelmeland et Bjerke, 1996).

 

6.2 - L'agression sexuelle dans l'enfance : des effets psychiques à long terme

Lorsqu'il y a eu une agression sexuelle dans l'enfance (en dessous de 16 ans), les symptômes prévalents pouvant apparaître au décours de la vie adulte seront principalement une forte anxiété et un risque dépressif important, auxquels s'adjoindront des difficultés d'ordre sexuelles et domestiques. Ces symptômes seront d'autant plus prégnants que l'agression sexuelle aura été violente (particulièrement en cas de viol) et prolongée (Cheasty et col., 1998; Lange et col., 1999; Molnar et col., 2001). La victimisation sexuelle dans l'enfance potentialise, chez les adultes masculins et féminins, à la suite d'un trauma de vie, les risques d'apparition des symptômes post-traumatiques. Par ailleurs, si ces agressions sexuelles subies dans l'enfance ne sont pas prises en compte et traitées suffisamment tôt, elles fournissent un terreau ultérieur, tout au long de la vie de l'adulte, où pourront venir éclore des troubles psychiques, des pathologie psychiatriques et diverses difficultés d'intégration sociale (Roesler et Mc Kenzie, 1994; Nurcombe, 2000). Un autre symptôme, d'apparence plus banal, ne doit pas être sous estimé dans la population féminine, sur le plan de la souffrance psychique et des demandes de consultations spécialisées, ce sont les "difficultés affectives" de tous ordres (Hill et col., 2000).

 

6.2.1 - Les conduites addictives

L'agression sexuelle dans l'enfance est souvent liée au risque de conduites addictives dans le devenir de l'adulte. Dans la population générale féminine suédoise, le taux de prévalence des agressions sexuelles dans la dépendance alcoolique est de 9,8%; quand il s'agit d'une agression à l'age adulte ce taux monte à 13,9% (Spak et col., 1998). Lorsque l'on considère une population d'alcooliques dépendants, on retrouve dans leur anamnèse une agression sexuelle dans l'enfance, avant l'âge de 16 ans, chez 54% des femmes et 24% des hommes (Moncrieff et col., 1996). Les taux sont à peu près identiques pour la consommation de drogue et les vécus incestueux, puisqu'on retrouve chez 29% d'hommes et 55% de femmes toxicomanes des antécédents incestueux (Glover et col., 1996).

 

6.2.2 - Les troubles du comportement alimentaire

La sphère des comportements alimentaires est particulièrement sensible aux agressions sexuelles dans l'enfance. Une récente recension des études sur le sujet, indique que l'on retrouve en moyenne une histoire d'agression sexuelle dans l'enfance dans plus de la moitié des cas de troubles du comportement alimentaire (Budniok, 2001). Dans les cas d'anorexie nerveuse, ce type d'agression est retrouvée au moins une fois sur quatre (de Groot et col., 1992). Quant à la boulimie nerveuse l'étude nationale sur les femmes aux USA montre que l'agression sexuelle contribue à son développement, ou pour le moins à son maintien, dans 26,6% (Dansky et col., 1997).

 

6.2.3 - L'auto mutilation

De manière assez fréquente, on rencontre des conduites auto-mutilatrices chez les femmes agressées dans leur enfance. Plus ces agressions auront été violentes et prolongées plus les actes auto-mutilateurs seront sévères (Roman et col, 1995).

 

6.2.4 - La désafférentation sociale

Dans la population féminine présentant un trouble mental, plus que dans celle masculine, l'agression sexuelle dans l'enfance, lorsqu'elle est liée à des maltraitances physiques, constitue l'un des précurseurs de désafférentation sociale conduisant à la grande précarité (SDF) (Davies-Netzley et col., 1996).

 

6.2.5 - Les conduites infractantes et infractantes sexuelles

Parmi les maltraitances dans l'enfance, ce sont les agressions sexuelles qui semblent être les inducteurs les plus puissants de conduites infractantes dans l'âge adulte. L'enfant agressé sexuellement présentera plus de risques de fugues à l'adolescence et de prostitution. Parvenu à l'âge adulte, il sera plus fréquemment l'auteur de délits et de crimes sexuels sur les adultes et sur les enfants et ce d'autant plus que l'agression fut précoce et grave (Widom et Ames, 1994; Ciavaldini, 1999, Marshall et col., 2000).

 

6.2.6 - Les effets transgénérationnels

Les "agresseurs-agressés" sont des situations fréquentes, les études avancent des taux peu concordants, si ce n'est qu'ils sont élevés et jamais inférieurs à 35% avant 10 ans (Ciavaldini, 2000) et allant à presque 70% avant 14 ans (Shaw et col., 1993), mais les biais sont importants et rendent malaisées toutes comparaisons. Néanmoins, cela signe le processus de répétition du traumatisme. Répétition qui franchit le plus souvent la barrière des générations et cela d'autant plus que le sujet qui l'a supportée n'aura pas pu trouver une reconnaissance de la violence qu'il a subi. L'écoute des familles, mais aussi des sujets individuels, montre souvent un enchaînement des agressions d'une génération à l'autre avec des modus operandi pouvant croître dans le temps : à une génération le climat est incestuel à celle d'après le recours à l'acte sera pédophilique.

 

6.3 - L'impact somatique des agressions sexuelles

 

La communauté scientifique est non seulement d'accord sur le fait qu'une situation d'agression sexuelle dans l'enfance potentialisera l'impact des traumas futurs, mais les diverses études acdmettent que seule, ou liée à une situation identique dans l'âge adulte, elle peut générer de surcroît un certain nombre de troubles somatoformes. Parmi ceux-ci, on enregistre d'abord ceux accompagnant les symptômes de panique (troubles musculaires, maux de tête, "palpitations" cardiaques), puis viennent des troubles de la sphère urinaire et génitale (dont les douleurs pelviennes pendant les rapports sexuels), certaines maladies de la peau (dont certaines éruptions sans cause identifiée) mais aussi des maladies de la sphère respiratoire (rhinite chronique) (Leserman et col., 1998). Par ailleurs, on retrouve un taux de prévalence d'agressions sexuelles de 14% dans les maladies digestives (Delvaux et col., 1997). Enfin, chez les diabétiques, des crises acédocétosiques répétées par défaut de compliance, peuvent se trouver liées à des situations d'agression sexuelle actuelles ou passées (Brink, 1999).

 

6.3.1 - Les troubles du comportement sexuel

Lorsqu'une femme présente des difficultés à parvenir à l'orgasme, une baisse d'intérêt pour la sexualité, une lubrification insuffisante ou/et une dyspareunie, on retrouve dans 40% des cas une agression sexuelle au cours de sa vie (Nusbaum et col., 2000).

 

6.3.2 - MST, HIV et prises de risques sexuels

L'agression sexuelle, à quelque moment de l'existence qu'elle se déroule, présente les risques liés à l'acte sexuel lui-même, particulièrement en ce qui concerne les maladies sexuellement transmissibles et le HIV, et cela d'autant plus qu'il y aura eu pénétration. Cependant, l'ensemble des études est problématique à utiliser tant il est difficile de parvenir à une réelle quantification du risque (Holmes, 1999). Tout au plus peut on parvenir à une quantification relative du phénomène; dans ce cas l'augmentation des agressions sexuelles sur un enfant fait croître proportionnellement un risque d'apparition d'une MST à l'âge adulte. Ce risque étant plus grand chez les garçons que chez les filles (Hillis et col., 2000).

Dans le cas du HIV, le tableau est identique, ce sont plus les garçons que les filles agressés sexuellement qui présentent le plus de risques de développer ultérieurement le HIV. Là encore les prises de risques au décours de la vie sexuelle sont malheureusement en faveur des sujets masculins, qu'ils soient homo, hétéro ou bi-sexuels (Bensley et col., 2000; Lenderking et col., 1997).

 

6.4 - Les conséquences à très long terme chez le sujet âgé

 

Les conséquences physiques des agressions sexuelles peuvent aussi avoir des répercussions sur la santé dans le grand âge. Parmi une population de sujets âgés (moyenne=75 ans), l'histoire d'une agression sexuelle grave est significativement associée chez les femmes à une augmentation des cancers du sein et des problèmes d'arthrite, alors que chez les hommes elle est associée à des dysfonctiionnement thyroïdiens (Stein et Barrett-Connor, 2000).

 

6.5 – Discussion

 

Les conséquences des agressions sexuelles à courte, moyenne, longue et très longue échéance touchent de nombreuses sphères tant psychiques que somatiques qui génèrent des altérations importantes de "qualité de vie" pour le sujet agressé. Ce point signifie un coût communautaire particulièrement important en terme de santé publique. Coût difficilement chiffrable, compte-tenu de la multiplicité des séquelles, mais on sait que plus l'agression sexuelle aura été longue et violente, plus les visites chez le médecin seront fréquentes sans forcément que la cause en soit révélée. L'accent devra donc être mis sur la possibilité d'offrir au consultant un espace susceptible d'accueillir sa révélation et donc de l'aider à le faire.

Cependant, en ce qui concerne l'impact somatique, la revue des études montre de nombreuses carences dans son évaluation. D'une part les études cliniques ne sont que rarement comparatives, sans randomisation des sujets et sans groupe témoin apparié. D'autre part, l'ampleur du phénomène d'agression sexuelle fait que les chances de le retrouver lié à un certain nombre de pathologies est augmenté, sans pour autant que la qualité de la liaison soit définie. Sera t-elle génératrice de la pathologie, facilitatatrice, ou d'une relative innocuité? L'inférence du sens appartient ici au chercheur. La nécessité apparaît donc de mener des études permettant de distinguer l'amplitude de cet impact afin de pouvoir aussi en évaluer le coût, en terme de santé publique.

 

7 - Des axes pour la recherche

Les agressions sexuelles, malgré le battage médiatique qui est parfois fait autour des situations les plus bruyantes et les plus rares, sont encore de nos jours un phénomène largement sous estimé. L'étendue de l'écart entre les chiffres officiels et ceux rencontrés ou inférés des travaux des épidémiologues renvoient, par comparaison, aux conclusions de l'OMS à propos des abus sur enfants. Le taux attendu, dans les pays ayant les infrastructures pour recueillir des données, sont en général de 5 enfants maltraités pour 100 000 naissances alors qu'il se révèle être au moins de 20/100 000 (Belsey, 1993). Nous sommes, dans le cas des agressions sexuelles, pour le moins dans une configuration identique. De tels chiffres ne peuvent que nous ramener à ceux évoqués en 1984 dans le rapport Badgley qui indiquait déjà qu'une femme sur 3 et un garçon sur 4 auraient été victimes d'une forme d'agression sexuelle dans sa vie (Badgley, 1984). Compte tenu du différentiel entre faits mesurés et faits mesurables, on comprend les écarts des diverses études ou tous les chiffres peuvent être considérés comme vrais ou tout autant comme faux.

L'agression sexuelle se révèle donc un phénomène d'une banalité terrible et d'une destructivité rare. Nul n'est censé échapper à une agression sexuelle, aucun lieu ne peut être réputé vraiment protecteur. Il est donc nécessaire d'insister sur une meilleure connaissance de l'ampleur de ce phénomène, de son impact, de ses conséquences à long terme et de sa transmission (effet transgénérationnel).

 

7.1 - Carence des études en population masculine

 

En France, la seule étude qui évalue vraiment le phénomène d'agression sexuelle a été réalisée sur la population féminine (Enveff, 2000), les études incluant la population masculine sont toutes parcellaires et ne rendent pas compte de l'ampleur du phénomène. La communauté scientifique est d'accord sur la très grande sous estimation du phénomène chez les hommes. Ce point est d'autant plus important que l'on sait qu'une agression sexuelle non révélée, compte tenu de son impact traumatique, peut générer une répétition de l'acte d'agression, où l'agressé devient un agresseur (phénomène de répétition, d'identification à l'agresseur). L'absence de connaissances fiables en ce qui concerne la population masculine représente donc une carence dommageable pour la Santé Publique, d'autant que la majorité des agresseurs sont des hommes.

Une étude de ce type autoriserait à définir les situations d'agressions, leurs modus operandi, et ainsi de définir une politique de prévention ciblée. Par ailleurs, elle permettrait de lever le voile sur un phénomène plus masqué que pour les femmes et, ainsi faisant, autoriserait des prises de paroles pour les victimes masculines. C'est une telle prise de parole qui présenterait un aspect thérapeutique et préventif. En effet, un agresseur ne fait que rarement une seule victime, les études canadienne l'ont amplement montré : un pédophile au décours de sa vie infractante peut faire des dizaines, voire plusieurs centaines de victimes, qui toutes seront des futurs agresseurs potentiels, même en comptant sur un taux de résilience élevé. Une politique évaluative est donc le premier pas vers une mise en œuvre préventive.

 

7.2 - Évaluer le coût  des agressions sexuelles : nécessité d'études longitudinales

 

L'ampleur des conséquences de ce phénomène de santé publique suppose pour cette dernière un coût élevé, d'autant plus que les troubles, lorsqu'ils se présentent sous une forme somatique, sont plus difficilement identifiables comme conséquences d'une agression sexuelle. Faute d'être repérée, et les victimes ne sont pas enclines à dévoiler ce qui est enfoui sous le poids de la honte, l'agression continuera son action muette fournissant sa charge de récurrence pathologique, augmentant encore le coût en terme du soin. Il serait donc nécessaire de disposer d'études longitudinales permettant d'évaluer à moyen et long terme l'impact d'une agression sexuelle et donc ses divers pronostics.

 

7.3 - L'information oui, mais aussi savoir écouter

 

Les multiples études passées en revue indiquent que l'agression sexuelle continuera son œuvre délétère tant qu'un point de butée ne sera pas proposé par une mise en mot qui passera par la révélation de l'acte d'agression. Cela supposera non seulement des sujets présents pour entendre cette révélation, mais aussi que le sujet puisse se représenter qu'il peut en parler. D'où cette nécessité, d'une information la plus large possible. De tels résultats fondent à penser que des campagnes d'informations nationales, non intrusives, devraient permettre un abaissement du seuil des révélations, autorisant une mise en mots de l'agression et permettant alors un étayage psychique des victimes. Un travail de cet ordre devrait leur permettre d'abaisser les symptômes d'appel et donc les demandes de soins diffuses et répétées.

Le travail informatif doit cibler aussi les professionnels de la santé qui, trop souvent, ne présentent pas les attitudes adéquates permettant la révélation de tels actes. Connaître les signaux d'appels d'une agression sexuelle est une chose, permettre sa révélation en est une autre. Aussi, il pourrait être nécessaire de disposer d'outils - type questionnaire - permettant une évaluation rapide des agressions éventuelles subies par un demandeur de soin. En effet, en matière de clinique du traumatisme, une attitude trop réservée du professionnel du soin n'est pas toujours la meilleure solution. Encore faut-il préciser que ce type d'attitude professionnelle ne s'improvise pas mais qu'elle doit faire l'objet d'une formation.

 

7.4 - Le développement du soin en direction des agresseurs : la chaîne continue du soin

 

Enfin, un travail préventif doit nécessairement inclure les auteurs d'agressions, souvent eux-mêmes d'anciennes victimes. "Traiter" les agressions sexuelles ne peut être compris qu'en terme de continuum de soins de l'agresseur à la victime et à son environnement dont les familles de victimes et d'agresseurs, sont les premières concernées. Traiter l'agresseur c'est tenter de réduire la récidive, c'est éviter de nouvelles victimes et donc des agresseurs potentiels; c'est enrayer la transmission transgénérationnelle, c'est donc, à terme, une charge moindre en terme de coût public.

 

Conclusion

La vertu des chiffres, est de nous faire prendre conscience d'un phénomène. Le nombre est un «être social» pour emprunter la belle formule de Pierre Tournier (Tournier, 1999). Un être qui nous dit toute la souffrance muette des hommes et des femmes concernés par des agressions sexuelles. Qu'en font ils? Dans quel recoin de leur psychisme gît l'abus, gît l'intrus? L'image qui vient est celle de la mutité, comme certains virus peuvent rester muets, inactifs, le temps d'une vie; mais qu'ils se réveillent et la maladie se déclenche, opportuniste ou pas. Pourrait on "pousser" le parallèle plus avant et évoquer la notion d'«épidémie» voire, compte tenu de son ampleur mondiale, de pandémie pouvant avoir des effets sur plusieurs générations? Il y cependant fort à parier que l'homme est infesté depuis longtemps par sa violence et sa sexualité : à charge pour lui d'en éteindre le feu sans y brûler sa pensée. Gilles de Retz hante nos tristes consciences d'Hommes et l'ogre du Petit Poucet habite, sûrement encore pour longtemps, nos mémoires d'Enfants. Ils cherchent parfois, chez certains de nos contemporains, à sortir du lieu de nos mémoires pour venir de nouveau habiter le monde des vivants. Leur seul lieu de résidence possible est le langage. Il s'agira donc d'autoriser cette parole, de lui donner droit d'existence et de juguler ainsi la créance du traumatisme.

 

 

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[1] Docteur en Psychologie Clinique - Enseignant Université Grenoble 2 - Psychanalyste

[2] - Prévalence : nombre total de cas (malades) pendant une période donnée rapportée à la population moyenne pendant cette même période.

[3] - Incidence : pourcentage de sujets nouvellement atteints pendant une période déterminée dans une population définie. Incidence et fréquence sont souvent employés comme ayant un sens équivalent.

[4] - Le concept d'«incestuel» est issu des travaux de Paul Claude Racamier in Le génie des origines, Paris, Éd. Payot, 1992, 420 p.

[5] - Centre de Recherche sur l'Enfance et l'Adolescence (CREA), étude réalisée auprès d'un échantillon représentatif de 1000 étudiants en première et deuxième année de DEUG. Cité par Bouhet et al. (1992) : op. cit.

[6] - Centre inter-universitaire de médecine préventive de Grenoble et le CISDEP en mai 12989, auprès de 720 étudiants de deuxième année de DEUB? cité par Bouhet et al. (1992) : op. cit.

[7] - La collecte de ces données est issue de l'analyse des bilans d'activités du Collectif Féministe Contre le Viol, association qui organise et gère le numéro vert «S.O.S. Viols - Femmes - Informations» (0 800 05 95 95). Bilans d'activités de 1986 à 2000, Paris, 9, Villa d'Este, 75013.

Les données uniquement déclaratives constituent une source d'information nécessairement biaisée. Néanmoins une telle source doit être considérées comme fournissant un indice de l'état des agressions sexuelles par viols sur notre territoire.

[8] - D'après Jaspard M. et col. (2001) : op. cit., p. 2.

[9] - Enquête IDUP/Enveff : i=0,3% pour 1999, soit environ 50 000 sujets, sur une population féminine estimée par recensement à 15,9 millions de femmes entre 20 et 59 ans.

[10] - Population masculine entre 20 et 59 ans vivant en France en 1999 : 15,8 millions, source Recensement INSEE.

[11] - La notion de «Malraitance institutionnelle»a été définit en 1982, au 4ème Congrès International des Enfants Maltraitès et Négligés par Stanislas Tomkiewiecz et Pascal Vivet; voir pour cette définition : Tomkiewiecz S., Vivet P. (1991) : Aimer mal, châtier bien. Enquête sur les violences dans les institutions pour enfants et adolescents, Paris, Éd. Le Seuil.