La
question qui est posée ici n’a suscité que peu de
recherches. En outre, l’absence d’utilisation des
méthodologies modernes de recherche clinique et
épidémiologique jette le doute sur la validité des
découvertes. Ce manque préoccupant est en soi un
élément scientifique à verser au débat. En effet,
problème de santé majeur, l’abus sexuel d’enfants ne
peut trouver de réponse dans la seule répression mais dans une
approche préventive diversifiée où le débat de
société suivi de ses décisions éducatives et la
théorisation psychiatrique accompagnée de ses prescriptions
psychiques sont décisifs.
Ce
texte trouve la justification de sa démarche dans l’opinion que
les auteurs d’agression sexuelle intra-familiale ne forment pas un groupe
clinique spécifique, et que pris dans leur ensemble, les traumatismes
interindividuels – émotionnels et physiques aussi bien que sexuels
- apparaissent comme un facteur de risque de délinquance sexuelle
surtout chez les hommes. Dès lors, la référence au champ
du trauma sert la prévention en ce domaine, en particulier pour saisir
au moment opportun chez les victimes la genèse d’identifications
aliénantes, en particulier d’identifications à
l’agresseur.
Le
problème de santé posé par les violences sexuelles est
connu dans notre pays depuis un siècle et demi. Dès cette
époque, il y a marqué la psychiatrie clinique et la
psychotraumatologie naissantes. En attestent les anciennes observations
d’Hystérie (Briquet
1859), d’Hystérie traumatique (Charcot 1870/1889) et de Dissociation
hystérique (Janet 1904) qui
ouvrirent la voie à la Neurotica de Freud. Cette théorie freudienne place l’étiologie
des hystéries dissociatives dans
la survenue d’un traumatisme (Freud & Breuer 1892). Dans un texte
qu’il écrivit directement en français, Freud affirme :
« expérience de passivité sexuelle avant la
puberté : telle est donc l'étiologie spécifique de
l'hystérie" (Freud
1896).
Ce
savoir s’étendait en cette fin du dix-neuvième
siècle bien au-delà des seuls spécialistes de la
psychopathologie. En 1860, Tardieu avait publié dans une revue
scientifique un article intitulé "Etude
médico-légale sur les sévices et mauvais traitements
exercés sur des enfants"
(Tardieu 1860). Tardieu était professeur de médecine
légale à l'Université de Paris, doyen de la Faculté
de médecine de Paris et président de l'Académie de
médecine. Son livre "Etude médico-légale sur les
attentats aux moeurs",
diffusé dès 1857, relatait l’expertise de 616 cas dont 339
étaient des viols ou des tentatives de viol sur des enfants de moins de
onze ans. Lors de son séjour à Paris en 1889 et 1890, Freud venu
de Vienne pour apprendre de Charcot, suivit aussi des enseignements du successeur
de Tardieu, le professeur Brouardel, médecin spécialisé
dans le viol d'enfant. Brouardel était connu pour ses conférences
à ce propos, et son ouvrage "Les attentats aux moeurs" fut édité dans une collection de cours
de médecine légale de la Faculté de Médecine de
Paris après sa mort (Brouardel 1909). L’existence de maltraitances
sévères avait donc été portée à la
connaissance du corps médical et des élites de la société
française. Pourtant, peu à peu, ces avis d’experts furent
disqualifiés de manière « passive
agressive » dans une mise en cause de la véracité des
allégations ou dans la promotion de la notion de
« pithiatisme ». S’est instaurée alors pour
les rescapés d’abus sexuels une période de déni de
leur souffrance qui a duré un siècle et dont nous avons encore du
mal à sortir en France.
Un
problème majeur de santé
Comprendre
comment les expériences traumatiques interindividuelles –
émotionnelles et physiques aussi bien que sexuelles – troublent le
développement psychique des enfants, contribue à la
prévention de leur reproduction sur les générations
ultérieures. Nous avions d'ailleurs noté il y a plusieurs
années (Darves-Bornoz 1996) que l'effraction du traumatisme produit une
réminiscence traumatique différente d’un souvenir banal.
Elle est un quasi-irreprésenté incapable de lier de
manière civilisée les impulsions ultérieures et laisse
toute la place pour des courts-circuits psychiques s'exprimant dans des actes
comme ceux des addictions de toute nature. Ce trait est particulièrement
vrai chez les enfants et les adolescents, sujets en développement s'il
en est. En effet, chez eux la répétition ne se fait pas seulement
en pensée mais aussi en acte, que ce soit dans des jeux
répétitifs ou dans des passages à l'acte. Si l'on est
optimiste on pensera que ce qui a été subi passivement est
répété activement pour tenter de contrôler l'effroi.
Si l'on est plus pessimiste on concevra la répétition des
traumatismes ou "addiction au traumatisme" ou "traumatophilie", comme une perversion acquise par le mélange
des registres érotiques et agressifs. La répétition du
cauchemar traumatique évoque le scénario unique et mille fois
répété du pervers.
Les traumatismes psychiques affectent pour leur
immense majorité des enfants et des adolescents ; en outre, ils
consistent avant tout en des maltraitances physiques et sexuelles (Breslau et
al. 1998). Une enquête nationale auprès de plusieurs milliers d’adolescents
représentatifs de la population générale effectuée
par le groupe « Santé de l’adolescent » de Marie Choquet (INSERM U472) a
révélé que près d’un adolescent sur cinq a
vécu des agressions physiques ou sexuelles, et que par ailleurs, si les
agressions sexuelles n’excèdent sûrement pas en nombre les
agressions physiques, par contre leurs séquelles psychiques les y
surpassent pour le cas général (Choquet et al. 1994).
En
effet, les situations susceptibles de créer un traumatisme ne sont pas
égales entre elles pour l’intensité de leurs effets, de
même que tous les sujets ne sont pas égaux entre eux pour leur
résistance. Le contexte ou la séquence dans laquelle le trauma
s’insère, a sa part dans le devenir psychopathologique. En
particulier, la réitération chronique du trauma engendre des
manifestations cliniques propres outre la clinique psychotraumatique usuelle.
Ainsi, il n’est pas équivalent de subir la blessure d’un
viol unique à l’âge de trente ans, et celle de
l’inceste commis par son propre père tous les jours de six
à seize ans. De ce point de vue, les différences entre les
garçons et les filles spécialement au regard des viols et
agressions importent. Les garçons agressés sexuellement –
et ils ne représentent pas moins du tiers des victimes – expriment
bien plus couramment que les filles une détresse dans des conduites
déviantes, surcroît comportemental à une détresse
psychique par ailleurs guère moindre que chez elles (Darves-Bornoz et
al. 1998b).
En
définitive, quand nous présentons comme Edna Foa (Foa 1993) le
viol comme la première cause de traumatisme psychique, notre affirmation
repose sur la grande
fréquence de cette blessure potentiellement traumatique –
vécue en France par
près de deux millions de femmes selon l’équipe INSERM de
Bicêtre (Spira et al. 1993), estimation confirmée par le Comité
Français d’Education pour la Santé (CFES 2000) – et sur la grande constance
traumatique de cet événement (Breslau et al. 1998). La
reviviscence traumatique y persiste de manière chronique dans la
majorité des cas, et dans une proportion encore supérieure si le
viol est incestueux (Darves-Bornoz
1998a ; Darves-Bornoz 2000). De fait, dans les populations de
patients psychiatriques hospitalisés, lorsque le sujet a un
antécédent traumatique, il s’agit le plus souvent
d’un traumatisme sexuel (Darves-Bornoz 1996).
Dans
le Centre d’Accueil de Victimes de Violences Sexuelles du CHU de Tours, les trois-quarts des plaignants
sont des enfants ou des adolescents et dans ce cas, près de la moitié
des faits sont intra-familiaux. L’auteur de l’agression sexuelle y
est le plus souvent le père (33% des cas), le beau-père (28%), un
oncle (21%), un frère (13%), un grand-père (3%) voire un
arrière grand-père (3%). Dans ce centre, la plainte ne vise une
femme que dans un cas sur cent. La proportion des pères de victimes qui
exercent une activité professionnelle de cadre dépasse le quart
des participants ce qui contredit l’idée reçue que le
traumatisme sexuel n’affecte que les campagnes reculées ou les banlieues
agitées. Le sex ratio parmi les enfants et les adolescents se plaignant,
un garçon pour six filles, y minimise le phénomène de
victimisation des garçons dans la population générale
où il se situe à un pour trois (Choquet et al. 1997). Ce hiatus, mis en parallèle avec
le nombre considérable de traumatisés sexuels de sexe masculin parmi les détenus des
prisons invite à promouvoir la reconnaissance des victimisations sexuelles
de garçons.
A
la suite d’autres auteurs à la recherche d’une
séquence spécifique de blessures psychiques associée
à un type de situation traumatique particulier, par exemple dans les conditions de persécution
politique violente ou de catastrophe majeure, nous avons tenté
(Darves-Bornoz 2000 ; Darves-Bornoz 1999) de conforter le modèle
empirique du traumatisme des viols incestueux (Tableau 1). Une technique de
régression logistique portant sur le viol incestueux en tant que
variable dépendante et proposant les items du Tableau 1 comme covariables
dichotomiques, a déterminé un modèle qui
différencie bien les viols incestueux des viols non-incestueux :
âge au premier viol inférieur à quinze ans (OR=10.4) ;
viols répétés sur une période d’au moins
plusieurs mois (OR=4.6) ; et environnement de mauvaise qualité dans
les suites des viols (OR=10.4). Ces caractéristiques situent donc les
viols incestueux parmi les blessures humaines les plus terribles qui soient et
à ce titre génératrices de troubles majeurs du
développement psychique.
Viol
incestueux
Viol non-incestueux
Mauvais
environnement après les viols 97 52
<.001
___________________________________________________________________________
aPar un unique ou
plusieurs agresseurs
bPar un des agresseurs
cAvec ou sans viol mais
avec différents agresseurs
dUsage de la violence
physique, d’une arme ou de la menace
Clinique
Il
est frappant de constater combien les études cliniques et
épidémiologiques sont rares (Balier 1996 ; Balier et al. 1996 ; Ciavaldini et
Balier 2000 ; Savin 2000) et les efforts financiers du corps social pour
les fonder solidement sont faibles. C’est pourquoi, à ce jour,
aucun résultat ne peut prétendre de manière formelle
à la vérité.
Les typologies d’auteurs d’agressions
sexuelles peuvent être redoutables
Les
typologies d’auteurs d’agressions sexuelles peuvent être
heuristiques pour un spécialiste averti mais dangereuses pour le
néophyte en recherche de « prêt-à-penser ».
Elles apparaissent donc souvent illusoires et de surcroît sujettes
à des dérives éthiques. Les modèles et les facteurs
de risque n’expliquent jamais les singularités d’une
situation. Les auteurs d’une
agression sexuelle incestueuse ne se révèlent-ils pas
susceptibles aussi de violences sexuelles d’une autre nature ? Que
penser d’un praticien qui traque l’antécédent de
maltraitance d’un parent pour démontrer qu’il a bien commis
un abus sur ses enfants ? Les typologies magnifiées
deviennent redoutables. Le portrait-robot réducteur conduit
inévitablement à une psychiatrie sommaire ou de délation.
Un modèle sert à scander un moment chez un patient sans oublier
qu’à un autre moment de sa cure, il faudra souvent avoir recours
à d’autres modélisations.
Les
auteurs d’inceste ne constituent pas un groupe clinique
Traditionnellement,
sont isolés trois groupes d’auteurs d’agressions
sexuelles : les violeurs d’adultes, les pédophiles
extra-familiaux et les pédophiles intra-familiaux. L’agression
sexuelle intra-familiale a souvent la réputation d’être plus
souvent isolée. Cependant, dans le cas général, un sujet
appréhendé pour une agression sexuelle intra-familiale a commis
auparavant d’autres agressions sexuelles restées méconnues,
incestueuses ou non. La moindre gravité pronostique de l’agression
incestueuse apparaît une thèse à nuancer. Ainsi, parmi des
auteurs d’une agression sexuelle intra-familiale, il a pu être
relevé des actes pédophiliques antérieurs de type
incestueux chez 22% d’entre eux et non-incestueux chez 59%, seul un tiers
des sujets ne mentionnant aucun autre incident. Parmi des auteurs d’une
agression sexuelle non-incestueuse, on a pu repérer aussi la survenue
avant le délit outre d’autres agressions sexuelles
non-incestueuses chez 79% d’entre eux, des agressions incestueuses chez
13% (Studer et al. 2000). Ces observations remettent ainsi en cause
l’existence d’un groupe clinique spécifique de
pédophiles intra-familiaux.
Les
traumatismes interindividuels comme facteur de risque
Les
sujets maltraités dans leur enfance, pour le quart d’entre eux,
reproduiront des maltraitances sur des enfants (Cicchetti 1989). Les jeunes
auteurs d’agressions sexuelles incarcérés furent deux fois
plus souvent traumatisés physiquement ou sexuellement dans
l’enfance que les autres jeunes détenus (Jonson-Reid et Way 2001).
Ce qui semble en cause en fait, c’est la sévérité de
la blessure et non sa nature. Ainsi, plus l’âge auquel l’abus
de l’enfant a été précoce et plus des comportements
sexuels inappropriés seront fréquents (McClellan et al. 1996).
Chez les auteurs d’agressions sexuelles de sexe féminin,
l’antécédent d’abus sexuel est quasi universel et
souvent particulièrement barbare. Le facteur de victimisation chez une
femme sera particulièrement catastrophique pour la mener au comportement
d’agression, alors qu’une expérience factuellement moins
dramatique peut le déclencher chez les hommes. Il en résulte que
les garçons maltraités deviennent plus souvent des
agresseurs (McClellan et al.
1997). La façon dont l’ensemble des traumatismes interindividuels
subis – notamment négligence ou maltraitance physique et
émotionnelle aussi bien que sexuelle – conduisent au comportement
d’agression est complexe. La transmission du comportement de
l’auteur à la victime dans un cycle pathologique peut être
approchée en référence aux concepts de compulsion de
répétition et d’identification à l’agresseur
(Ferenczi 1932). Le sujet recherche la reviviscence active – y compris
dans le rôle violent d’un agresseur - du scénario de sa
propre agression vécue autrefois passivement, sans qu’on ait
totalement épuisé la question du recours
préférentiel à ces mécanismes par les victimes.
Approches
empiriques des personnalités et des troubles
Les
pédophiles aussi bien que les auteurs de viols d’adultes se
manifestent souvent sur un mode « passif-agressif »
(Chantry et Craig 1994), mais les traits psychopathiques qui expriment
d’une certaine façon une extraversion, spécifieraient mieux
les violeurs (Firestone 2000). En effet, les pédophiles se montreraient
plus souvent timides et introvertis que les agresseurs d’adultes (Quinsey
1983 ; Williams et Finkelhor 1990) en même temps que plus souvent
désocialisés (Segal et Marshall 1985), même si ces caractéristiques
sont sur-représentées dans ces deux groupes (Gudjonsson 2000).
L’ensemble des auteurs d’agressions sexuelles partagent souvent des
caractéristiques psychosociales. Parmi elles on a souvent noté en
particulier un défaut de compétences sociales ainsi que de
connaissance de la sexualité (Salter 1988) même si des exceptions
notables à ce type de tableau s’observent aussi comme nous le
mentionnions plus haut.
La dépression narcissique, typiquement sous la
forme de honte, marquerait volontiers la réaction des pédophiles
lorsqu’ils sont appréhendés. En effet, le besoin de ne pas
apparaître comme des « monstres » les
caractériserait plus que les agresseurs d’adultes (Gundjunsson
2000). Par
contre, la tendance anxieuse ou dépressive ne serait pas plus
prévalente dans ce groupe que chez ceux qui ont violé des adultes
(Gundjonsson 2000). L’usage de substances psychoactives par
l’agresseur ou la victime, avec au premier rang l’alcool, joue un
rôle fondamental dans bien des agressions. Cependant, une intoxication
par l’alcool au moment du passage à l’acte serait moins
souvent en cause chez les pédophiles (Gudjonsson 2000).
On
doit à Mathews et ses collègues (1989), la première
étude sur les agresseurs de sexe féminin. Mathews distingue dans
sa typologie de femmes qui commettent des abus sexuels, le type "initiatrice
sexuelle" qui a toute sa
responsabilité, le type "prédisposée" qui a été elle-même
agressée sexuellement, et le type "contrainte" qui a été obligée par un tiers
à abuser sexuellement de la victime et qui est elle-même victime.
Concernant les abus sexuels commis par des femmes, de nombreux lieux communs
existent dans le corps social. Le premier de ces lieux communs est que "les
femmes ne sont jamais des auteurs d'abus sexuel". On entend dire aussi que "les abus sexuels
qu'elles commettent n'en sont pas vraiment parce que c'est fait gentiment". Il découle de cette opinion que les abus
sexuels commis par des femmes devraient laisser moins de séquelles
psychologiques. Un autre de ces lieux communs peut se résumer de la
façon suivante : "si un homme de trente ans a des relations
sexuelles avec une jeune fille de quatorze ans c'est un abus sexuel, mais si
une femme de trente ans a des relations sexuelles avec un garçon de
quatorze ans c'est de l'éducation sexuelle". Parmi ces idées reçues, il y a celle
qui affirme : "si vous avez été abusé sexuellement
dans l'enfance, vous abuserez vous-même". On trouve aussi les opinions suivantes : "les
femmes abusent seulement des adolescents", et "les femmes n'abusent sexuellement que des
garçons". Enfin,
fondée sur le même préjugé, l'idée est
parfois émise que "les femmes qui commettent des abus sexuels
sont contraintes à le faire par un homme qui a imaginé un
scénario pervers".
La
première question d'importance qui se pose, est de savoir si ces
agressions sexuelles sont rares, ou si elles sont rarement
rapportées. On savait que
les hommes victimes d'agressions sexuelles avaient plus de difficultés
à évoquer leur traumatisme que les femmes. Pour les victimes
d'agressions sexuelles commises par une femme, la difficulté de parler
de cet événement à qui que ce soit pourrait être
encore plus grande. En effet, l'éventualité de l'existence d'abus
sexuels commis par des femmes est une hypothèse déniée par
le plus grand nombre, comme étaient déniés autrefois les
abus sexuels eux-mêmes, parce que cela s'attaque à une illusion
dont le démenti susciterait de l’effroi : les femmes sont
supposées être particulièrement protectrices avec les
enfants. De plus, cela heurte l'incrédulité de sujets qui prétendent
ne pas comprendre comment de tels méfaits sont matériellement
possibles ... "puisqu'elles n'ont pas de pénis". Enfin cela s'oppose à une rationalisation
plus récente qui attribue le phénomène du viol à
une cause exclusive : "le pouvoir mâle". On retrouve
souvent, dans ce cadre, la vieille argumentation que tout cela n'est que
fantasme, puisqu'impossible.
Les
premières statistiques sur la proportion de garçons parmi les
victimes d'agressions sexuelles s'échelonnaient sur une étendue
allant de 5 à 10% (Knopp 1986) alors que l’étude INSERM
récente de Marie Choquet et ses collègues sur le viol chez les
adolescents, trouve une proportion
de 38% (Choquet et al. 1997). C'est dire que quand un phénomène
est encore mal connu, les statistiques peuvent le sous-estimer. Les victimes
elles-mêmes contribuent à cette méconnaissance en
évitant les systèmes d'aide et de soins mis en place pour rompre
leur isolement. Finkelhor et Russell (1984) ont estimé, après examen
de données recueillies par une association américaine
impliquée dans l'aide aux victimes, que 6% des filles et 14% des
garçons victimes d'un abus sexuel l’avaient été par
une femme. Pourtant, le Bureau des Statistiques Criminelles Américaines
ne relevait pendant la période 1975-1984 que 1% d'agressions sexuelles
commises par des femmes. Elliott (1994) a présenté une
série d'abus sexuels commis par des femmes. Sa méthodologie ne
prétend pas être parfaite mais les données sur le sujet
sont tellement rares que son étude reste précieuse. Ses cent
vingt-sept victimes se répartissent en deux tiers de filles et un tiers
de garçons. L'agresseur était la mère dans la
moitié des cas chez les filles, et dans le tiers des cas chez les
garçons. L'abus sexuel en cause pouvait consister en une relation
sexuelle, en une pénétration avec un objet ou avec un doigt, en
une masturbation mutuelle forcée, en une sexualité orale, ou en
un mélange d'abus sexuel et physique. Toutes les femmes et 88% des hommes affirmaient avoir
ressenti de la détresse après ces violences. Onze pour cent des
victimes admettaient avoir abusé elles-mêmes plus tard des
enfants.
La
recherche psychopathologique est dominée par les travaux de Claude
Balier. Sa précieuse élaboration ne se fonde pas sur le type de
victime visé mais sur le fonctionnement psychique
révélé par le comportement violent de l’agresseur.
Parmi ce que ce chercheur nous a appris, il semble important de signaler la
survenue de pratiques sexuelles perverses sur des enfants qui coexistent avec
une existence conforme voire socialement réussie. L’omission du
consentement, c’est-à-dire la méconnaissance de
l’altérité, semble plus important dans ces agissements que
l’attachement à un scénario ludique de
néo-sexualité pour reprendre le terme de Joyce McDougall
(McDougall 1993).
Claude
Balier souligne ce qui est en cause dans le viol : non pas une pathologie
de la sexualité mais une pathologie en rapport avec la toute-puissance
narcissique. De fait, l’agresseur recourt dans son fonctionnement
psychique au clivage du Moi et au déni corollaire pour éviter la
désorganisation psychique. Balier utilise les phases du
développement décrites par Piera Aulagnier :
l’originaire avec la proto-représentation du pictogramme ; le
primaire qui intègre l’absence, altérité en
gestation; le secondaire où apparaissent les représentations de
la pensée et le sujet. Il rapporte à l’originaire les
auteurs des actes qui nous effraient le plus : viols avec meurtre,
sodomisations par le père incestueux, viols brutaux d’enfants ou
d’adultes. Les agresseurs parvenus au primaire reconnaissent un objet
distinct d’eux-mêmes mais ils en attendent un reflet en miroir car
dès que l’altérité se manifeste, ils la vivent comme
une attaque. Balier réfère à ce cadre les sujets
incestueux sans attachement précis à un enfant particulier. Dans
le secondaire les systèmes de signification peuvent être transmis
et en particulier les interdits comme ceux du meurtre ou de l’inceste.
Cela permet de comprendre l’existence du sentiment de culpabilité
chez ces sujets et de les situer dans une problématique
névrotique autorisant l’analyse avec eux de leur utilisation de
clivages. Les sujets incestueux avec un authentique attachement
spécifique à leur objet d’amour apparenté se placeraient
dans cette catégorie.
Les
modèles que représentent les typologies d’agresseurs sont
heuristiques en ce qu’ils nous aident à penser les
singularités. Utilisés pour éviter de penser les
singularités, ils deviennent contre-productifs. Ainsi, les auteurs
d’agression sexuelle incestueuse sont le plus souvent des agresseurs
potentiels sur des objets extra-familiaux. Les modèles ne servent
qu’à scander un moment chez un patient en n’oubliant pas
qu’à un autre moment de la cure, il faudra sûrement avoir
recours à un autre modèle.
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