I
- Introduction.
1) Essayer de répondre à cette double
question oblige à considérer le problème dans une
perspective qui tienne compte des aspects contextuels et considère le
processus qui peut conduire un individu à devenir un agresseur sexuel
dans un environnement donné, par rapport à des
évènements vécus, à une histoire de vie.
Rappelons
que l’agresseur sexuel est tout autant celui qui commet sur autrui une
atteinte sexuelle violente, avec contrainte menace ou surprise, ou sans
violence contrainte ou surprise si la victime est un mineur de moins de 15 ans
(loi n° 92-683 du code pénal du 22 Juillet 1992).
Les
agresseurs sexuels sont le plus souvent des hommes, mais ils peuvent être
aussi des femmes ou des adolescents. Les agressions peuvent être commises
au sein de la famille, ou en dehors, de manière individuelle ou
collective.
C’est
dans le domaine des abus sexuels commis sur des enfants que les données
sont les plus nombreuses et qu’on a le mieux cerné
l’histoire des agresseurs. Aussi c’est cette situation que nous
aurons surtout en tête dans cette étude.
2)
Dans une première approximation, il est devenu courant et banal
d’affirmer que les agresseurs sexuels ont eux même
été agressés sexuellement ou maltraités dans leur
enfance, ce qui conduit à affirmer que les enfants abusés
sexuellement et/ou maltraités deviendront des agresseurs sexuels dans
leur famille ou en dehors et/ou des parents maltraitants.
Sans
reprendre ici le détail d’une revue statistique on peut rappeler
que selon les différents travaux consacrés à ce sujet 30
à 70 % des agresseurs ont été eux mêmes victimes
d’une agression sexuelle (1).
Trois
points sont à considérer à partir de ces chiffres :
1
- La divergence importante des
résultats n’est pas un signe d’incohérence. Elle
témoigne de l’hétérogénéité des
sources et des populations étudiées et selon que sont pris en
compte seulement les abus sexuels stricto sensu, ou la maltraitance dans un
sens élargi.
2
- Le fait d’avoir été maltraité
n’apparaît pas comme un élément suffisant pour
devenir agresseur puisque certains semblent échapper à ce destin
(2). La répétition n’est pas obligatoire.
3
- Il existe un piège du raisonnement qui tient au fait que les
propositions qui découlent des enquêtes ne sont pas
réversibles. Ainsi s’il est exact que les parents maltraitants ont
souvent été des enfants maltraitants, que les agresseurs ont
été agressés, il est faux de dire que les enfants
maltraitants deviennent des adultes maltraitants (3).
C’est
toute la différence que l’on peut établir entre des
études rétrospectives menées chez des sujets maltraitants,
actuellement nombreuses, et des études prospectives beaucoup moins
nombreuses et beaucoup plus difficiles à réaliser
puisqu’elles ne peuvent se dérouler que dans la longue
durée.
3)
Ainsi, si d’un côté certains éléments peuvent
constituer des facteurs de risque, c’est à dire statistiquement
retrouvés avec une plus grande fréquence dans l’histoire
des individus, il nous faudra souligner et comprendre le rôle de facteurs
de protection susceptibles de permettre à des enfants maltraités
d’éviter de devenir à leur tour auteurs de sévices.
On est amené alors à considérer la notion de résilience,
c’est à dire la capacité de certains à
dépasser les épreuves de l’existence (3) (4). On peut
évoquer pour chaque individu des zones de forces et des zones de
vulnérabilité mobilisées ensemble au cours d’une
agression. L’histoire des agresseurs sexuels doit alors être
comprise dans cette balance entre les conséquences négatives des
agressions subies et les capacités à faire face à des
expériences traumatisantes. Ainsi doit être examiné le
rôle de cette histoire comme semblant orienter le sujet vers un destin,
ou comme mobilisant des ressources
lui permettant de « rebondir » et d’évoluer
favorablement.
II
- Facteurs de risque : les agresseurs ont le plus souvent
été eux-mêmes victimes.
1) L’histoire des agresseurs sexuels doit
d’abord être placée dans un contexte social et culturel
général. Sans qu’il soit besoin d’insister ici sur
les différents aspects de la modernité, on doit rappeler que le
questionnement des grands principes moraux et religieux, la crise des valeurs,
la recherche du plaisir à tout prix, la destructuration de la famille,
la fragilisation des liens sociaux conduisent à des situations
d’anomie et de frustrations multiples, constituant des facteurs
contextuels importants susceptibles de favoriser le processus pouvant conduire un
individu à devenir un agresseur sexuel.
Trois
éléments surtout sont souvent retrouvés (5) :
-
Une structure de parenté qui ne joue plus son rôle
d’organisateur de la vie,
-
des liens intra-familiaux et sociaux déritualisés,
-
des conditions socio-économiques défavorables (ainsi les enfants
de familles défavorisées peuvent être quatre fois plus
exposés que les autres à l’abus sexuel (6).
2)
Sur ce fond général qui peut caractériser ce que Roussel
nomme la famille incertaine (7), les auteurs d’agression sexuelle ont la plupart du temps une
histoire particulière (8). Trois séries de facteurs susceptibles
d’être associés entre eux peuvent être relevés
conférant à l’enfance de ces derniers un vécu
traumatique au sens large du terme (9) (10) (11) (12) et responsables
d’un arrêt du développement et de failles narcissiques de la
personnalité (13).
-
Tout d’abord l’abus sexuel subi pendant l’enfance ou
l’adolescence, véritable traumatisme pouvant être le fait
d’un agresseur extra-familial ou au sein même de la famille. On
peut évoquer ici les conséquences à long terme de ce qui
est désigné dans les classifications internationales comme
traumatisme de type I lorsque l’agression a été unique,
traumatisme de type II lorsque l’agression a été
répétée dans un contexte de stress permanent comme dans
les situations d’inceste (14) (15).
-
Ensuite une viciation précoce et durable du lien à l’autre.
Nous aurons ici à examiner :
.
le contexte général de la maltraitance,
.
la carence affective,
.
l’enfance vécue dans un climat incestuel.
-
Enfin, certaines situations de dysfonctionnalité familiale non
spécifiques paraissent susceptibles de troubler
l’intériorisation des interdits.
3)
Nous allons examiner plus précisément ces diverses occurences :
a
- Le traumatisme sexuel subi pendant l’enfance :
*
Dans les agressions extra-familiales les perturbations susceptibles
d’être induites dans le développement de l’enfant
dépendent en partie des facteurs familiaux et des capacités des
parents à exercer un rôle d’étayage (16).
On
peut évoquer ici un mécanisme d’identification à l’agresseur (17) et la
tentative par l’agression ultérieure, notamment sur des enfants,
d’une abréaction et d’une maîtrise du traumatisme
sexuel infantile que les sujets ont eux mêmes subis.
*
Les agressions intra-familiales sont plus caractéristiques. On peut
retenir deux situations (18). Une première situation apparaît
comme la conséquence d’une crise dans le cycle vital de la famille
: conflit conjugal, séparation, divorce ; avec comme conséquence
l’incapacité d’un ou des deux parents à maintenir la
distance intergénérationnelle, le report sur l’enfant bouc
émissaire du conflit entre les parents (19) (20).
Une
deuxième situation concerne les abus sexuels intrafamiliaux dans le
cadre, non plus d’une crise mais d’une situation organisatrice de
la phénoménologie familiale. On peut ici décrire des
familles incestueuses dans lesquelles les statuts affectifs sont vagues, les
comportements flous, les limites peu claires et dans lesquelles le tabou de
l’inceste est transgressé le plus souvent par un père
séducteur, manipulateur imposant la loi du silence à sa victime.
L’enfant agressé aura tendance à revivre dans son
environnement la tragédie qu’il a connue.
b
- La viciation précoce, profonde et durable du lien, 2ème
occurrence que nous voulons étudier est évidemment
présente dans ces familles où l’inceste fait partie de la
culture. Indépendamment de cette situation il existe
*
des familles où règne un climat incestuel (21). On y
repère : les attaques constantes de l’intimité par le
regard, le toucher, la dévalorisation du corps, l’exhibitionnisme,
les confidences érotiques faites à leurs enfants par des parents
pervers.
Dans
de telles familles, il n’est pas rare de constater la suppression des
frontières entre les générations et l’existence
d’une hiérarchie parents-enfants dysfonctionnelle
s’accompagnant d’une coalition perverse dans laquelle
l’enfant se trouve pris malgré lui (22). Il gardera alors en lui
des sentiments confus concernant sa propre identité et les limites de ce
qui est interdit.
*
La carence affective par négligence ou abandon est responsable
d’une perturbation du lien d’attachement et favorise une
organisation pathologique de la personnalité en entraînant
avidité affective, dépendance à l’égard
d’autrui, manque de repères structurants (23). La pauvreté,
l’isolement social, une mère vivant seule avec ses enfants
favorisent le risque de négligence. Les parents qui négligent
affectivement leurs enfants correspondent à la description qu’en
donne Cantwell (1984) (24). « Ces parents ne sont pas du tout
démonstratifs ; ils regardent très peu leur enfant, ne lui
parlent presque pas, ne lui montrent pas beaucoup d’intérêt
et quand ils sont avec les autres adultes ils oublient rapidement leur
existence ».
Les
messages transmis par les comportements négligents vont peu à peu
développer chez les victimes des sentiments
d’infériorité, de faible estime de soi et
d’inadéquation (25) (26).
Le
trouble profond de l’attachement amène ces sujets devenus adultes
à attendre de leurs bébés l’amour qu’ils
n’ont pas reçu et à utiliser leur enfant pour combler leurs
propres carences.
*
Enfin la situation générale de la maltraitance est à
examiner dans le cadre de cette viciation des liens d’attachement.
Les
caractéristiques communes de la maltraitance, physique et psychologique
sont : (27)
-
La dysfonctionnalité importante des systèmes familiaux,
-
l’enfant non reconnu comme sujet , instrumentalisé,
-
la répétition des mêmes drames sur plusieurs
générations.
Bien
évidemment les familles incestueuses entrent dans ce cadre, mais
indépendamment de cette situation il faut évoquer aussi les
familles à transaction violente. Dans de telles familles l’enfant
a été confronté à l’agression et au meurtre
comme possible et non comme interdit. Dans un premier temps, l’enfant
supporte passivement cette violence dans un contexte de non protection
créé par l’assymétrie des rapports de pouvoir et par
l’ambiance terrorisante existant dans la famille. Puis il met en place
des mécanismes d’adaptation qui l’amènent à un
désir de vengeance et au besoin de dominer, d’abuser et
d’agresser les autres.
c
- Indépendamment de ces situations marquées par des traumatismes
et des carences graves, la dysfonctionnalité familiale constitue une
occurrence fréquemment rencontrée quoique moins spécifique
dans les histoires des agresseurs sexuels. On évoquera ici
principalement
*
des familles présentant un trouble de l’organisation
hiérarchique, les enfants se trouvant souvent en situation de parents de
leurs parents (28),
*
des familles marquées par des défaillances dans
l’intégration de la loi,
*
des familles dont les adultes n’apparaissent pas comme des parents
compétents.
Certaines
organisations familiales apparaissent ici comme plus exposées à
l’existence de failles profondes dans la transmission et
l’intégration d’un modèle d’autorité
parentale et des lois qui régissent les rapports humains : ce sont les
familles monoparentales, certaines recompositions familiales, les familles dont
les adultes sont eux mêmes issus d’un tissu familial et social
carencé sur les plans matériel, psychologique ou social. Les
enfants sont ici susceptibles de grandir dans un milieu où ils
n’ont pas conscience de transgresser une loi qu’ils ne connaissent
pas ou parce qu’ils sont soumis à des croyances et des mythes
familiaux qui les placent hors de la loi universelle, notamment celle qui
concerne le respect de l’autre et le tabou de l’inceste (29).
*
Enfin, il faut citer certaines dysfonctionnalités dans lesquelles
l’enfant est devenu objet de projection, enjeu des règlements de
compte parentaux, instrumentalisés et habitués à la
manipulation.
3)
Ainsi l’agresseur apparaît souvent comme ayant été
d’abord victime. On peut évoquer de différentes
manières, selon les références théoriques
utilisées, le mécanisme par lequel la victime devient bourreau.
a
- L’identification à
l’agresseur (Forenezi) (17) associe :
*
la mauvaise image de soi,
*
le déni de sa propre souffrance (26),
*
l’idéalisation de l’adulte coupable.
b
- Dans le comportement adaptatif décrit par Summit (30), l’enfant
apprend à supporter ce qu’il subit au prix d’une distorsion
cognitive qui l’amène à ne pas réagir, à se
sentir coupable et mauvais, à garder le secret jusqu’à
pouvoir un jour se venger et laisser éclater sa colère sur
autrui.
c
- La théorie de l’apprentissage (31) (32) indique comment la
violence qui fonctionne dans les familles s’intègre au
comportement individuel. Steinmetz a montré une relation claire entre
les méthodes de résolution du conflit dans le couple, et celles
utilisées par les enfants (33).
d
- Les théoriciens de l’attachement indiquent de leur
côté que les schémas de représentation de la
relation interindividuelle (modèles internes d’attachement)
déterminent la nature et le développement des relations
ultérieures (34) (35).
e
- Enfin la notion de
«légitimité destructrice» est une manière de
montrer comment un enfant violenté acquiert le droit de se venger de ce
qu’il a reçu et d’infliger à d’autres, ses
enfants en particulier, ce qu’il a lui même reçu,
manière de rétablir une balance de justice (36).
4)
Finalement les expériences de vie des agresseurs sexuels permettent de
distinguer plusieurs cas de figure (5) :
a
- Des sujets qui ont connu une relation très fusionnelle à leur
mère, une sexualisation traumatique, parfois abusés sexuellement
par leur père et développent à leur tour l’agression
sexuelle dans un contexte intrafamilial dominé par l’angoisse de
morcellement et la nécessité de maintenir un moi collectif
indifférencié.
b
- Des sujets qui ont vécu un lien très fort avec une mère
ayant investi émotionnellement et souvent sexuellement son enfant en
présence d’un père passif, dans une configuration familiale
où l’enfant a pris la place du mari et le père celle de
l’enfant. L’intoxication maternelle provoque ici une sexualisation
précoce et un apprentissage de techniques de manipulation qui
mène au développement de scénari pervers, d’autant
plus lorsque ces sujets ont été abusés par un
pédophile dans leur enfance ou leur adolescence.
c
- Des sujets qui ont été pris dans une relation dyadique avec une
mère leur ayant transmis une illusion de toute puissance, en même
temps qu’ils étaient confrontés à une figure
paternelle autoritaire, parfois maltraitante et objet persécuteur. Ces
sujets vont alors s’organiser sur un mode paranoïaque et se
comporter en agresseur intra ou extra-familial.
d
- Des sujets ayant connu la négligence grave et l’abandon,
cherchant à compenser les carences du passé par des
stratégies de survie affective qui les conduisent à des
comportements « prédateurs » que ceux-ci soient
intra ou extrafamilial, et d’autant moins décelés par
l’entourage que ces sujets se montrent gentils et se font adopter.
e
- Des sujets victimes de maltraitance physique dans leur enfance, et qui se
montrent eux-mêmes violents, revendicatifs, disposés à
punir et à faire mal dans un climat d’érotisation de la
colère, la douleur et les cris de la victime provoquant
l’excitation (29).
f
- Des sujets ayant connu un climat relationnel fait de rejet, de
séduction, dans un flou permanent des attentes et des limites. De tels
sujets apprennent à devenir manipulateurs et transgressifs, et
s’orientent vers un fonctionnement psychopathique susceptible de les
conduire au viol et au meurtre.
g
- Enfin, on peut évoquer des sujets fonctionnant dans un registre plus
névrotique, mais dont les assises sont fragiles. Confrontés
à un moment donné à une crise existentielle qui
dévoile leur fragilité, lorsqu’ils perdent leur source
d’affection et leur représentation masculine de l’homme
puissant et viril (divorce, mort de la mère etc...), ils
régressent et abusent sexuellement des enfants de leur entourage. Ils
peuvent ainsi se révéler pédophiles dans un climat
d’inquiétude au sujet de leur capacité sexuelle.
5)
Les agresseurs sont dans leur grande majorité des hommes (94 %) (5) mais
deux cas particuliers méritent une attention, selon que les agresseurs
sexuels sont des femmes ou des adolescents.
a
- Du côté des femmes, il s’agit de mères ayant connu
des carences majeures dans leur enfance, et qui ont souhaité avoir un
enfant seules et pour elles seules (37). L’enfant qui grandit sans
père apparaît comme un objet de jouissance de la mère dans
le prolongement du temps de la dépendance symbiotique. Il est soumis
à une excitation sans frein. L’abus sexuel de l’enfant se
produit le plus souvent à l’adolescence, soit dans le prolongement
d’une relation antérieurement trop proche et
érotisée, soit lors de retrouvailles avec un adolescent dont la
mère a été séparée depuis plusieurs
années.
b
- Du côté des adolescents (38) (39), plusieurs cas de figure sont
à considérer.
*
Certains adolescents deviennent agresseurs
-
dans un contexte familial qui associe :
.
de faibles représentations de l’interdit,
.
une conception patriarcale de la famille,
.
de faibles possibilités socio-économiques.
-
Dans un contexte social qui favorise une socialisation par identification aux
pairs.
Dans
ces conditions, la pratique des « tournantes », le viol
collectif apparaissent comme une affirmation de l’homme puissant et viril
venant masquer la fragilité et les incertitudes adolescentes de la
représentation masculine.
*
D’autres adolescents, profondément carencés, et
confrontés précocément à un réel violent
et/ou sexuel venu occulter la place habituellement dévolue à
l’imaginaire et au symbolique sont d’autant plus enclins à
devenir des agresseurs sur des enfants plus jeunes, souvent des garçons,
qu’ils sont placés en institution et qu’ils subissent tout
à la fois les manques affectifs liés à la vie
institutionnelle, les rapprochés physiques de la vie collective et la
poussée pulsionnelle pubertaire et post-pubertaire (39).
*
Enfin les adolescents agresseurs au sein de la famille commettent
l’inceste,
-
soit dans une ambiance familiale hypersexualisée et à climat
incestuel déjà évoqué plus haut,
-
soit à l’inverse dans une ambiance familiale hyposexualisée
(5) dans laquelle on ne parle jamais de sexualité, ni de relations
affectives, les enfants étant livrés à leur désir
sans encadrement, de la part de parents qui éprouvent du
dégoût à l’égard de ce qui concerne le sexuel.
*
* *
Ainsi
les maltraitances, les agressions sexuelles, les abus intrafamiliaux, les
carences affectives et éducatives jalonnent l’enfance de nombreux
agresseurs sexuels et constituent par conséquent d’importants
facteurs de risque corrélés à d’autres
éléments comme la dysfonctionnalité familiale et les
mauvaises conditions socio-économiques.
Cependant
il est important de mettre en balance ces facteurs de risque avec des
éléments de protection susceptibles chez certains
d’être suffisamment importants pour leur éviter de devenir
à leur tour agresseurs.
Les
développements cliniques et théoriques récents autour du
concept de résilience sont ici à prendre en compte.
III
- Facteurs de protection et
résilience : les victimes peuvent ne pas devenir des agresseurs.
1) La résilience, définie comme
« la capacité de réussir de manière acceptable
pour la société, en dépit d’un stress ou d’une
adversité qui comportent le risque grave d’une issue
négative » (40) est un processus dynamique, modulable selon
les évènements et les circonstances. Sa difficulté
d’étude tient au fait qu’elle ne peut se repérer que
dans l’après coup, lorsqu’on a pu vérifier au terme
d’un parcours l’évolution favorable d’un individu
malgré les agressions qui jalonnent son histoire. Cette évolution
favorable n’est d’ailleurs jamais ni absolue, ni définitive
et elle est susceptible d’être remise en question lorsque le sujet
est atteint dans sa zone de vulnérabilité (41). Telle
qu’elle la résilience oblige à porter un nouveau regard sur
les phénomènes de maltraitance et à comprendre ce qui
permet à certains individus de se développer favorablement
malgré une histoire personnelle qui les prédispose à
devenir agresseurs.
2)
L’étude de la résilience pose des problèmes
méthodologiques complexes (42) et les données sont encore
parcellaires sur le devenir à long terme des enfants victimes (41) (43)
(44). Cependant trois catégories de facteurs méritent
d’être repérés. Certains préexistent à
l’agression et peuvent être assimilés à des facteurs
de protection, tandis que d’autres sont mobilisés au cours de
l’agression et après, durant toute la vie (45).
a - Tout d’abord les facteurs personnels. Bien
sûr on peut évoquer ici la notion de tempérament (46). Mais
au delà de certaines dispositions génétiques et de
capacités adaptatives innées, on doit remarquer les
possibilités de certains enfants et adolescents à prendre des
distances avec les maltraitances subies, à développer des capacités
de maîtrise de la situation. Si l’existence d’un q.i.
plutôt élevé favorise ses capacités, le sens de
l’humour, un bon niveau de mentalisation (47), des ressources
spirituelles (25), la croyance dans le sens de la vie et la mise en place de
projets de vie constituent les éléments les plus
fréquemment mis en avant dans les études (48).
Il
semble que la qualité des attachements précoces joue un
rôle prépondérant. Lorsque l’enfant a pu compter au
début de son existence sur de bonnes « nourritures
affectives » (49), il acquiert une suffisante sécurité
interne (50) (51) difficilement entamée par des conditions
défavorables de vie susceptibles de survenir par la suite.
Dans
une perspective analytique la notion de deuil originaire
développée par Racamier (52) permet de rendre compte du fait
qu’un individu développe une confiance en soi et des
capacités à surmonter
les épreuves de l’existence lorsque l’enfant arrive
grâce à la qualité de l’attachement maternel, à
se dégager sans dommage narcissique de la relation fusionnelle initiale.
Mais
l’important dans la résilience est que jusque dans certaines
limites, un rattrapage des carences précoces et/ou des dommages subis
est possible (53) si un environnement favorable peut être mis en place.
b
- Le facteur environnemental est en effet essentiel. L’existence ou le
développement de liens significatifs avec un adulte capable de
constituer ce que B. Cyrulnik nomme un « tuteur de
développement », constitue avec la présence d’un
réseau social efficace des éléments de protection
déterminants (3) (43) (55) (54). Mais l’âge auquel ces
éléments peuvent être mis en place constitue une
donnée encore mal prise en compte. On peut penser que plus
l’enfant avance en âge, plus des traits de personnalité se
fixent moins il sera accessible aux actions de l’environnement. On
perçoit en tous cas, avec ces données, le rôle que la
société peut jouer dans la lutte contre l’isolement des
victimes et la mis en place de programmes de soutien affectif et
développementaux.
c
- Le facteur familial :
La
famille est bien souvent nous l’avons souligné, le lieu même
de la maltraitance. Néanmoins au sein même des familles
maltraitantes des ressources peuvent être mobilisées, surtout si
l’on prend en compte la notion de familles élargies.
Par
ailleurs, dans les agressions extrafamiliales, les réactions parentales
sont essentielles à considérer susceptibles d’aggraver ou
au contraire d’atténuer les effets d’une agression. La
famille apparaît comme plus ou moins apte à surmonter les
épreuves et à mobiliser des forces positives autour de
l’enfant victime (56). La loyauté
intergénérationnelle et la fidélité à
l’héritage reçu sont dans cette optique des notions
intéressantes à considérer (36).
IV
- Conclusion :
Les agresseurs sexuels ont souvent une histoire de
victime dont la particularité est de les amener par un processus
complexe à devenir eux-mêmes bourreaux.
Cependant
cette histoire doit être comprise dans un contexte et dans la mise en
balance de facteurs de risque représentés par les
différentes figures de la maltraitance, et de facteurs de résilience
permettant au plus grand nombre des victimes d’échapper à
un destin d’agresseurs.
On
ne doit pas pour autant faire de la résilience un alibi pour stigmatiser
ceux qui n’ont pas su s’en sortir, ou pour rester dans
l’inaction en rejetant la victime et ses difficultés (44). Bien au
contraire la prise en compte de ces éléments doit permettre la
mise en place d’approches de prévention tertiaire en soulageant la
souffrance des victimes bien sûr, mais en se préoccupant- de
limiter les conséquences à long terme des agressions subies.
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[1] Professeur de psychiatrie et d’hygiène mentale, Hôpital d’Instruction des Armées Sainte-Anne, 83800 Toulon Naval.