Psychothérapie de groupe des auteurs d’agressions sexuelles : modalités, indications, objectifs, difficultés, limites… 

Mr Pierre-Yves EMERAUD[1]

 

 

            Pour exprimer notre point de vue au sujet  des psychothérapies de groupes des auteurs d’agressions sexuelles, nous nous appuierons sur une expérience d’animation de groupe poursuivie sur 3 ans avec des auteurs d’agressions sexuelles dans le quartier détention de la maison d’arrêt de Varces (38), ceci dans une position de co-thérapeute, celle de thérapeute principal étant occupée par la psychologue de notre service.

            Nous nous intéressons ici exclusivement, avec pour enjeux principal la modification de la problématique des sujets inculpés ou condamnés pour agression sexuelle, aux techniques de travail de groupe d’inspiration analytique.

 

 

I – Modalités …

 

            Le regroupement d’auteurs présumés (puisque pour certains d’entre eux ils ne sont pas encore jugés) d’agressions sexuelles se conçoit du fait de leurs conditions de détention où ils sont déjà séparés du reste de la population pénale. Ainsi ce pourquoi ils peuvent faire groupe est déjà inscrit dans leurs conditions de vie au quotidien dans le cadre du fonctionnement pénitentiaire.

            Les techniques de groupes sont diverses : groupe de parole d’orientation psychanalytique, psychodrame . Les dispositifs peuvent eux aussi être variés.

 

Il peut s’agir de groupes « ouverts », les participants y arrivent et en partent en fonction de leur évolution ou de leur parcours pénitentiaire. Le groupe assure une continuité. La dynamique autour de la séparation, du souvenir, peut s’y déployer et s’y travailler.

Les départs non annoncés, traumatiques peuvent susciter une parole sur la rupture, la coupure, la difficulté du travail de deuil. Les arrivées de « nouveaux » dans le groupe remettront au travail la dynamique fraternelle d’acceptation de l’étranger.

 

Les groupes peuvent au contraire être « fermés ».

La composition du groupe ne change pas et celui-ci fonctionne sous forme de session définie par une durée de temps ou un nombre fini de séances. Sera alors mobilisée la dimension de cohésion du groupe, la sécurité y sera plus grande, la confiance pourra s’y déployer de manière plus intense mais le spectre de « la fin du groupe » devra être apprivoisé et non dénié afin de permettre que la pensée de la séparation puisse s’y déployer. La perte devra être anticipée afin de la rendre supportable. Il s’agira donc de passer de la rupture, de la coupure, de l’abandon à la séparation qui nécessite obligatoirement un travail de deuil.

 

Dans notre expérience il s’est agit d’un groupe semi-ouvert de 6 patients. En 3 ans (143 séances), sur les 16 détenus adressés par les psychiatres : 12 ont participé au groupe de façon inégale dans la durée, de la plus courte (4 séances) à la plus longue (104 séances).

           

Quelque soit la technique utilisée ou le dispositif mis en place, nous insistons sur l’importance fondamentale d’un cadre rigoureux. Le cadre est constitué des références théorico-cliniques des thérapeutes et de leur expression dans la réalité du dispositif thérapeutique. Ce dispositif doit donc être en cohérence avec ces références quelles qu’elles soient.

Plus les thérapeutes seront sûrs et à l’aise avec leur référence théoriques et cliniques, plus ils pourront supporter ce que le groupe met en jeu chez les participants et en eux-mêmes. Le cadre doit assurer des fonctions de contenance (« ici tout peut se dire »), de continuité (les séances se tiendront régulièrement chaque semaine, le même jour, la même heure), de fiabilité, de délimitation, de stabilité et de maintien de la vie psychique. « Les séances  se poursuivront quelque soit les attaques dont elles seront l’objet.  Nous continuerons à penser et à parler ensemble ».

Ce qui sous-entend que les thérapeutes resteront contre vents et marées garants de ce cadre. Dans notre expérience nous avons dû, tout au long de la première année, lutter contre les attaques à notre cadre de la part du fonctionnement pénitentiaire (salle occupée, arrivée des détenus en retard aux séances, irruption intempestive d’un surveillant au milieu de la séance, convocation d’un participant au groupe à un autre rendez-vous : avocat, procureur, expert etc).

 

Le cadre thérapeutique, grâce à ses qualités de permanence et d’indestructibilité, permet au sujet de faire l’expérience que penser ne le détruit pas et que parler ne détruit pas les autres.  Un cadre solide mais suffisamment souple, vivant, aura des effets structurants pour les patients, il sera le garant de la sécurité de chaque membre du groupe et du groupe en tant qu’objet d’investissement. Cette sécurité de base assurée permettra qu’advienne une parole adressée à l’autre, reconnu dans sa qualité d’altérité. L’interlocuteur sera perçu comme moins dangereux pour la vie psychique du sujet. L’échange sera possible. Le sujet trouvera ou retrouvera alors sa qualité de sujet psychique.

 

Dans le groupe le mécanisme de transfert se trouve diffracté sur l’ensemble des participants et non centré sur le seul thérapeute. Cette diffraction permet de rendre le transfert supportable, non submergeant pour la psyché du sujet. Il pourra peu à peu ressentir, éprouver et penser ce qu’il vit dans le groupe. Le travail de contre transfert et de l’inter transfert est fondamental. Il est donc indispensable de travailler dans des dispositifs en co-thérapie. La mise en commun des éprouvés, des ressentis, des pensées des différents thérapeutes, leur confrontation permet au vivant de prendre le pas sur l’emprise mortifère. Le travail en co-thérapie  s’il est une garantie pour le travail psychothérapeutique, il est aussi une garantie pour le thérapeute afin qu’il puisse vivre ce que le sujet place en lui par identification projective sans en être détruit. Si le cadre doit être indestructible, il va de soi que celui qui en est le garant doit posséder la même qualité. La mise en groupe doit permettre au sujet d’aborder de manière tolérable la rencontre duelle à l’autre. Ces deux approches ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre. Pour certains sujets, elles pourront être menées de front, pour d’autres ce n’est qu’après un travail préalable en groupe que la rencontre duelle pourra être envisagée.

 

 

II – Indications …

 

            Dans notre expérience 16 AAS nous avaient été adressés par les trois psychiatres du service intervenant sur le quartier détention. Nous avons pris le temps de les recevoir individuellement sur plusieurs entretiens (2 à 3 entretiens). Nous avons confirmé l’indication pour douze d’entre eux et avons demandé à ceux-ci un engagement écrit pour favoriser une participation très régulière aux séances. Les conditions de détention rendaient trop difficile la participation de trois d’entre eux et un quatrième recherchait avant tout un bénéfice judiciaire de sa participation sans que nous ressentions plus de motivation de sa part.

 

 

 

 

 

 

·       Du côté de la technique : le travail de groupe et/ou le suivi individuel.

 

Quand nous posons la question de l’indication vers un travail de groupe ou non pour un détenu AAS nous nous la posons le plus souvent en la comparant au bénéfice attendu de celui d’un travail individuel. Il est donc important de revenir sur la problématique dans laquelle sont enfermés le plus souvent les AAS rencontrés en prison.

Ils sont en fait en grande souffrance du fait même de toute activité psychique et c’est bien pour cela qu’à l’extérieur l’acte ou plus exactement le recours à l’acte vient résoudre les tensions suscitées par une activité psychique insupportable. Penser est source de danger, toute attention sur le vécu intérieur est perçue comme une intrusion car elle vient attaquer les aménagements défensifs mis en place. Dans les deux cas, c’est la place de l’autre qui est en question : l’autre comme sujet et/ou l’autre comme thérapeute. Le risque c’est bien qu’au fil des entretiens en face à face la parole se « dévitalise », le discours « ronronne » comme s’il venait s’échouer sur le thérapeute sans rebondissement possible. C’est là que le travail de groupe, sans annuler forcément le suivi individuel peut pallier à ces difficultés. En effet, le groupe, par son fondement même, constitue un tiers entre l’individu et l’autre quelque soit celui-ci (soignant ou soigné), il est donc en soi une médiation à la relation. Il permet ainsi de surseoir  à la relation directe à l’autre en s’instituant comme tiers : tiers comme protecteur du risque de fusion à l’autre d’une part et tiers comme favorisant un lien à l’autre d’autre part.

 

La relation duelle suscite des  difficultés particulières qui se traduisent soit par une inhibition massive, soit par un envahissement par la parole qui semble alors tourner à vide. Le groupe rend possible la parole mais aussi le silence qui, dilué dans celui-ci devient plus supportable que dans une relation duelle. Dans celle-ci la dynamique transférentielle se situe souvent dans la dimension du transfert passionnel (Roussillon, 1990). Le thérapeute soumis corps et âme au sujet éprouvera la plus grande difficulté à trouver une distance suffisamment symboligène. Il pourra se sentir comme « vampirisé » par le patient. Le mécanisme d’identification projective massivement employé par ces sujets vise à assurer l’emprise sur la psyché du thérapeute et ainsi lui dénier sa qualité d’autre semblable et pourtant différent. C’est ainsi que les prises en charge individuelles peuvent se solder par des passages à l’acte du patient ou du thérapeute. Le patient ne souhaitera plus participer à ces entretiens car il aura « tout dit », le thérapeute ne lui parle pas suffisamment, ne l’aide pas suffisamment, ne le comprend pas et de toute façon comme le comprendrait-il lui qui n’a pas connu la même vie, qui n’a jamais été maltraité etc. Du côté du thérapeute, la violence contre le sujet ne cède la place qu’au désespoir de ne pouvoir exister auprès de son patient sans se sentir happé, vampirisé, ou dénié dans sa qualité de soignant et même dans sa qualité d’humain.

 

·       Du côté du choix des participants.

 

Compte tenu des spécificités du travail de groupe décrit ci-dessus par rapport au suivi individuel chacun comprend aisément que celui-là peut-être adapté à de nombreux AAS, volontaires aux soins, que ce soit en complément de celui-ci ou à sa place. Cependant, il est fondamental que le sujet reste référencié individuellement à un thérapeute près duquel il pourra déposer et reprendre ce qu’il vit dans le groupe. S’il est important de bien apprécier la pertinence d’une indication au travail de groupe pour tel sujet, y compris en passant au préalable par une succession d’entretiens préliminaires il ne faut pas perdre de vue que le style et le profil du groupe peuvent aussi s’adapter aux caractéristiques de tels groupes de sujets. Les « exigences » à l’entrée comme les « objectifs » à la sortie  peuvent différer selon les groupes. Ainsi entre le groupe de parole de soutien ne reconnaissant pas ou minimisant largement les faits qui leur sont reprochés et un groupe de parole « fermé » ou « semi-fermé » exigeant de la part des participants un minimum de reconnaissance de leur responsabilité, le processus psychothérapeutique risque de ne pas être de même ampleur. De manière générale nous pouvons reprendre les cinq indicateurs significatifs de bonne réponse à une prise en charge de type psychothérapique repérés dans le rapport de recherche sur les AAS de

C. Balier, A. Ciavaldini, M. Girard-khayat (novembre 96) comme des indications favorables à une implication réelle dans un travail de groupe des sujets concernés même si c’est à leur propre rythme (ce que le groupe permet). Ces indicateurs sont les suivants :

-       le fait que le sujet reconnaisse totalement le délit ou le crime qui lui est reproché,

-       le fait de se sentir « anormal » au moment de l’acte,

-       le présence de la reconnaissance spontanée qu’une impulsion puisse être à l’origine de leur acte,

-       lorsque l’arrestation est verbalisée comme soulageant le sujet,

-       la reconnaissance qu’il y a eu exercice d’une contrainte pendant l’acte. 

 

 

III – Objectifs …

 

       Les échanges dans le groupe peuvent favoriser l’émergence du sujet qui peut alors devenir acteur de son histoire. Le processus groupal repose nécessairement la question de la place de soi en tant qu’objet et en tant que sujet et peut ainsi favoriser une prise de conscience de l’acte.  

       La problématique du dedans/dehors est centrale chez la plupart des AAS. L’intra psychique se confond avec l’inter subjectif sans qu’il y ait possibilité d’établir des frontières sûres et rassurantes. Le groupe durant son existence se constitue comme une entité à part entière : il marque des limites entre le dedans et le dehors, il impose le secret sur ce qui s’y vit et produit un effet protecteur. Il permet la différenciation entre l’intériorité et l’extériorité.

       Le groupe offre un espace d’étayages multiples sur des objets externes solides et permanents. Pour les AAS cet étayage est indispensable. Les objets primaires, par leur manque de permanence et leur fragilité les rendant destructibles, n’ont pu être introjectés et constituer un ensemble d’objets internes fiables et structurants. Le groupe permettra que, malgré les attaques destructrices , les objets externes (autres membres du groupe, thérapeutes, le groupe lui-même dans son ensemble) puissent être peu à peu introjectés. Les liens unissant ces différents objets seront également introjectés constituant ainsi un espace de jeux intériorisé constitutif de tout fonctionnement psychique. Une vie psychique pourra enfin naître et se développer.

       Notre travail de soignant c’est de faire des liens y compris pour soi-même. Par là, c’est la reconstitution d’existence qui s’oppose à l’effondrement narcissique. Si on ne fait pas d’interprétations dans le groupe, on contient, on fait des liens par les associations : c’est le fonctionnement du préconscient, c’est ce qui fait défaut à ces patients et qui pourra leur être introjecté dans le travail de groupe à travers les processus d'identification.

       La mise en groupe des sujets AAS en proposant un ensemble d’objets externes d’étayage qui sont reconnus dans leur extériorité comme tolérables et donc introjectables permet également aux participants d’introjecter les liens symboliques qui les unissent ains que leur jeu dialectique. Se constitue ainsi une groupalité interne garante du fonctionnement psychique du sujet. Le sujet ne sera plus jamais seul face à l’irruption de la pulsion destructrice. Il pourra grâce au jeu de ses objets internes dans le fonctionnement préconscient la mettre en représentations, en affects et ainsi éviter le passage à l’acte, dernier recours contre l’effondrement psychique.

 

 

IV – Difficultés, limites …

 

Dans notre expérience sur trois ans nous avons constaté vu la trop grande mobilité de la population pénale notre incapacité parfois à anticiper des départs impromptus (libération provisoire, transfert etc.) phénomène dommageable pour un travail psychologique approfondi. Sur trois ans (143 séances) la participation des détenus-patients a varié de 4 à 104 séances. Pour certains l’expérience fut de trop courte durée pour qu’elle laisse des traces durables.

Autre difficulté : la trop grande fréquence des positions de proclamation d’innocence et/ou de dénie chez les personnes prévenues voir condamnées rend le plus souvent inadapté leur intégration dans un travail de groupe où, pour que les sujets s’impliquent il leur faut reconnaître à minima les faits qui leurs sont reprochés.

Autre limite : la participation à un travail de groupe ne saurait suffire en elle-même comme thérapie. Il importe que le patient participant puisse disposer d’un lieu de parole individuel avec un soignant référent autre que ceux qu’il côtoie dans le groupe. Dans notre expérience les psychiatres sont restés les référents des patients et ont constitué une aide précieuse dans les moments où certains pouvaient être en difficulté dans le groupe en faisant retravailler les effets de cette prise en charge.

Autre limite : quel suivi du soin, voir du processus psychothérapique après une expérience de groupe dont nous savons que nous ne pourrons mesurer les effets que dans la durée ?  Quel suivi individuel ou de groupe proposer dans le cadre d’une obligation de soin ou de suivi socio-judiciaire qui permette une poursuite de ce travail afin que les effets ne se perdent pas dans le temps ou au détour d’une prise en charge sporadique ?  Quel retour pouvons-nous obtenir pour les détenus ayant de longues peines, de la part de soignant ayant pris éventuellement un relais des soins pour mieux juger des effets de ce travail dans le long terme?

 

 

Bibliographie

 

B. Savin – Utilisation du groupe dans le traitement psychothérapeutique des auteurs d’agressions sexuelles.

In : André Ciavaldini, C. Balier. Agressions sexuelles : Pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire. Masson, col. Pratiques en psychothérapie. Paris 2000 page 173-180.

M. Noailly, P.Y.Emeraud – Une expérience de groupe de parole pour les auteurs d’agressions sexuelles. In : Rapport annuel d’activité 2000 SMPR de Varces.


 



[1] Infirmier D.S.P. - Membre de l’ARTAAS - SMPR – Maison d’arrêt de Varces, BP 15, 38763 Varces