Introduction
Mon
intérêt premier, en tant que psychiatre d’Intersecteur et
dans le domaine spécifique des agressions sexuelles, s’est
dirigé vers les victimes mineures d’agression sexuelle.
Depuis
1993, j’anime une consultation de Thérapie Familiale qui
s’est spécialisée dans la prise en charge des situations
d’agression sexuelle intra ou extra familiale.
Nous
sommes identifiés par les professionnels qui nous adressent les familles
comme un lieu de consultation et de soin à orientation victimologique.
Les
demandes de consultation pour des adultes d’agression sexuelle mineurs
nous parviennent dans un contexte particulier : celui d’un
partenariat actif avec la Justice, débuté en 1994,
formalisé par une convention en 1998. Nous proposons, en effet, dans le
cadre de la procédure judiciaire (enquête préliminaire,
commission rogatoire) une assistance à l'audition filmée du
mineur victime d’agression sexuelle par un professionnel de
l’enfance (pédopsychiatre, éducateur
spécialisé).
Au
cours de ces deux dernières années (2000 – 2001) les
statistiques concernant l’assistance à l’audition des
mineurs victimes d’agression sexuelle, nous ont permis de constater
l’importance du nombre d’auteurs mineurs. La plupart du temps, ces
jeunes abuseurs appartiennent à la même famille que leur victime
ou gravitent dans un environnement très proche : voisin, fils de la
gardienne, baby-sitter, élève de la même école
primaire, pensionnaire du même IMP.
Pendant
longtemps les abus sexuels entre mineurs sont restés ignorés des
professionnels : ils étaient banalisés, tenus au rang de
curiosité sexuelle de l’adolescence ou de jeux sexuels entre
enfants autrement dit de « touche pipi ».
Il
a fallu le témoignage courageux de jeunes victimes, la prise de
conscience de certains parents – souvent eux-mêmes
d’anciennes victimes d’agression sexuelle – pour que ces
situations soient prises en compte tant sur le plan judiciaire que
thérapeutique.
C’est
ainsi que les magistrats, les policiers et les gendarmes rattachés au
Tribunal de Grande Instance de Besançon et destinataires des
signalements judiciaires, nous adressent régulièrement de jeunes
auteurs d’agression sexuelle dont ils repèrent la fragilité
psychologique et pour lesquels ils évaluent une nécessité
de soins.
Toutefois,
ces jeunes auteurs restent minoritaires compte tenu de la vocation
première du Centre de Thérapie Familiale et de son orientation
victimologique. Mon expérience repose donc sur une série de
patients ce qui correspond au Grade C dans la force des recommandations de
cette conférence de consensus.
Contexte de la consultation
Pour
ces jeunes auteurs d’agression sexuelle, l’indication de prise en
charge est plus souvent déterminée par une pression de
l’entourage désemparé, par le souci d’un travailleur
social, voire par une obligation de soins que par une demande expresse
émanant du mineur concerné.
Cette
absence de demande est l’une
des premières caractéristiques dans l’approche clinique des
auteurs mineurs.
L’autre
caractéristique réside dans la prise en compte des parents du
mineur, qui contrairement à
leur enfant, ont souvent une demande pressante vis à vis de
l’interlocuteur que nous sommes.
Il
nous faudra clarifier notre rôle auprès de ces parents, les
associer au travail tout en préservant un espace de parole à leur
enfant. Cette dimension du travail est spécifique à la
pédopsychiatrie.
Caractéristiques cliniques et
psychopathologiques des agressions sexuelles
L’idée
que j’aimerais partager avec vous est celle d’une clinique de
l’interaction : il me semble en effet difficile de dissocier
l’agresseur de sa victime et en tout cas indispensable dans le suivi
d’un agresseur que le clinicien ait accès à une bonne
connaissance du contexte de l’agression, de ses circonstances, du
vécu de la victime et des caractéristiques du dévoilement
fait par la victime.
L’agression
sexuelle est un acte imposé à autrui. Le clinicien n’est
pas là pour qualifier l’acte, travail qui revient à la
justice. Le clinicien doit aider l’enfant, l’adolescent à
rétablir une continuité entre cet acte transgressif, parfois réitéré
(délinquant sexuel récidiviste) et son histoire personnelle,
familiale, d’ailleurs souvent liée à celle de la victime
puisque 80 % des agressions sexuelles sont intra familiales.
Il
est à mon avis illusoire de prendre en charge un enfant ou un adolescent
auteur d’agression sexuelle en faisant l’économie de ce
préalable car nous allons devoir mettre en œuvre toute notre
compétence à créer du lien, à lutter contre le
clivage, ou le vide mental dans lesquels s’enferment volontiers ces
jeunes…
Le
témoignage de la victime va nous donner des indications
précieuses sur le scénario de l’agression, sur la mise en place progressive d’une emprise
de l’auteur sur la victime,
sur les sentiments
éprouvés par la victime. Ces éléments vont
constituer une réserve de
symptômes positifs dans
lesquels nous pourrons puiser et qui nous permettrons de mieux délimiter
la symptomatologie « par défaut » ou « en creux » développée par
l’enfant auteur.
Cette
approche clinique par victime interposée va permettre de mettre en
évidence l’importance des distorsions qui existent entre récit de l’auteur et
récit de la victime et d’évaluer la perte de substance que
recouvrent les difficultés d’élaboration de l’auteur d’agression sexuelle.
Je
pense utile de rappeler que la clinique n’a d’intérêt
pour moi que si elle permet d’améliorer la prise en charge de la
personne concernée. L’expression psychopathologique des auteurs
mineurs a en commun, dans notre expérience, une relative
pauvreté.
Autant
la victime donne à voir ou développe une symptomatologie de
« l’après traumatisme » assez facilement
repérable (séquelles aiguës ou chroniques de
l’agression sexuelle), autant l’auteur résume dans le
passage à l’acte de l’agression ce qu’il est souvent
dans l’incapacité d’élaborer, de verbaliser.
La
dimension sexuelle de l’agression sexuelle est délicate à
aborder avec l’enfant ou l’adolescent ; il s’agit
d’un comportement sexuel
dont l’aspect transgressif est généralement bien
identifié par le jeune auteur mais dont la composante sexuelle est
évacuée. Il n’y a pas de lien avec une sexualité
encore très immature.
Lorsqu’il s’agit de jeunes enfants, le
comportement sexuel est bien souvent un comportement d’imitation.
Lorsqu’il
s’agit d’adolescents, l’agression sexuelle n’est pas
repérée comme une effraction du corps de l’autre. Cet autre
est mal différencié, il n’est pas considéré
comme une personne mais comme une
opportunité, comme celui
ou celle dont on repère la vulnérabilité.
La
victime est instrumentalisée, réduite à
l’état d’objet.
On retrouve dans l’histoire des enfants abuseurs les prémices de
cette violence sous forme d’actes de cruauté commis
sur des animaux.
La
psychopathologie des auteurs d’agression sexuelle est souvent
centrée sur les troubles du comportement avec leurs deux versants :
celui de l’instabilité ou celui de l’inhibition psychique.
Ces
symptômes sont généralement synonymes de souffrance chez l’enfant qui les
manifeste, car ils engendrent des difficultés importantes d’ordre relationnel dans les domaines social, scolaire
ou familial.
C’est
cette souffrance, plus facilement exprimée par l’enfant, qui va
permettre de poser avec lui le fondement d’une alliance
thérapeutique sans laquelle
nous resterons impuissants.
Il
y a un autre obstacle à vaincre pour avoir accès aux
symptômes présentés par le jeune abuseur, en particulier
lorsqu’il s’agit d’un adolescent, c’est le contexte souvent contraignant dans lequel il nous est amené en consultation.
L’alliance
thérapeutique ne s’établira que si nous
redéfinissons un contexte de
soin avec l’abuseur et ses
parents. Cela nécessite du temps et oblige le thérapeute à
s’éloigner d’une représentation de tiers jugeant ou
autoritaire dans laquelle l’avait mis le mineur ou son entourage
familial.
Enfin,
dans ma pratique de thérapeute familiale, la psychopathologie et les symptômes
cliniques m’intéressent en tant que marqueurs d’un dysfonctionnement ou d’un processus
défaillant
au sein de la famille.
Dans
les agressions sexuelles intra familiales, lorsqu’un mineur en agresse un
autre : frère, cousin, neveu, enfant d’un autre lit vivant
sous le même toit, on retrouve très souvent la notion d’une répétition
transgénérationnelle
de l’abus sexuel dont il est fréquent que l’auteur
lui-même ait fait l’expérience.
Il
faut donc être attentif à rechercher chez le mineur abuseur des symptômes de la série post
traumatique et
à identifier la part de victimisation qu’ils représentent.
Je
vais maintenant m’appuyer sur une série d’observations de
jeunes auteurs d’agression sexuelle pour tenter de dégager une
psychopathologie commune.
Les
auteurs mineurs que nous avons suivis sont exclusivement des jeunes
garçons, mais plusieurs enfants victimes nous ont dénoncé
des faits commis par des filles alors qu’elles étaient
mineures : voisine ou baby sitter.
Lorsque
nous prenons en charge ces jeunes auteurs, nous travaillons dans un cadre de
confidentialité avec comme préalable un partage
d’information
avec les personnes qui nous les ont adressés.
Il
arrive régulièrement que la victime soit suivie dans une autre
structure de l’Intersecteur et nous trouvons un bénéfice
à maintenir des liens avec les professionnels qui suivent la victime.
Observations cliniques relatives aux auteurs
d’agressions sexuelles mineurs
Il
s’agit souvent d’enfants dont les troubles ont été
préalablement repérés dans le cadre scolaire soit par le
biais de leur comportement : instabilité, tendance au leadership,
soit par celui de difficultés dans les apprentissages avec
manifestations d’inhibition devant l’échec, de
désinvestissement subit.
L’attitude
des parents, associés aux premières consultations, est
variable :
Lorsque
le milieu familial est carencé, l’enfant auteur peut y être
lui-même victime de négligence, voire de maltraitance psychique,
physique ou sexuelle. Dans ce cas la famille réagit par la
défensive aux sollicitations de l’école, de même que
sa règle est le repli quel
que soit l’intervenant qui cherche à l’impliquer.
Dans
d’autres familles, la découverte de l’acte commis par leur
enfant fonctionne comme un révélateur, puis plus tard comme un événement
réorganisateur au sein de la
dynamique familiale.
En
effet, l’acte d’agression sexuelle focalise toute l’attention
des parents : ils cherchent des explications, remettent en cause leurs
principes éducatifs. La cellule familiale (couple parental),
lorsqu’elle existe, est alors très fragilisée.
L’acte
commis par un de ses membres déclenche une crise sans
précédent et aboutit à une redéfinition
manichéenne des liens intra familiaux « pour ou
contre » l’agresseur. Cette crise est rendue plus aiguë
lorsqu’auteur et victime sont proches : cousins, frères et
sœurs.
Pendant
cette phase, l’enfant auteur exprime souvent des idées de
culpabilité avec risque de passage
à l’acte suicidaire. Il
s’agit plus d’un état dépressif réactionnel au
jugement d’autrui (moral ou judiciaire) que d’une dépression
constituée au sens clinique du terme.
Cette
phase qui suit de près les révélations de la victime et
une éventuelle judiciarisation des actes commis par le mineur auteur,
conditionne le suivi ultérieur. C’est là que l’abus
sexuel peut apparaître comme un mode de fonctionnement que l’on
retrouve sur plusieurs générations et qui affecte aussi bien la
branche paternelle que maternelle.
Dans
notre expérience, la plupart des enfants auteurs reconnaissent les faits
d’agression sexuelle qui leur sont reprochés mais modifient le
contexte dans lequel ils les ont commis et minimisent leur portée.
Dans
ces familles, l’acte d’abus est souvent banalisé par les
parents du jeune auteur, au même titre qu’ils ont pu être
abusés dans l’indifférence totale de leur entourage. La
réussite de la prise en charge de l’auteur est donc
conditionnée par la prise en compte de la souffrance de ses parents.
Cette souffrance doit être mise en mots en présence des enfants,
devenir représentable pour
eux, grâce à ce travail on aide le jeune auteur à
élaborer son acte d’agression.
Dans
d’autres situations, la répétition de l’agression
sexuelle au sein de la famille n’est pas repérable. Par contre, la
place de l’enfant auteur
est mal identifiée, soit du fait d’une confusion des
générations (oncle et
neveu du même âge), soit du fait de la place symbolique
occupée par l’enfant : enfant parentifié élevé par une mère seule.
Le
passage à l’acte d’agression sexuelle prend alors valeur
d’issue dramatique à une position devenue intenable pour
l’enfant (Cf observation en annexe).
Les
idées de culpabilité vis à vis de la victime peuvent
radicalement se transformer en idées d’injustice. Ce phénomène est
fréquent lorsque les parents malmenés par la procédure
judiciaire ainsi qu’au sein de leur propre famille font alliance avec
leur enfant contre une réalité trop agressive.
Des
mécanismes de défense se mettent en place avec processus de
projection, de déplacement, de négation. L’enfant
s’enferme dans ce qu’il identifie comme une version acceptable du
récit de son acte et se construit une néo-réalité
à laquelle il adhère avec beaucoup de conviction. Son discours
diffère peu de celui des agresseurs adultes : il prétend
avoir été provoqué par sa victime, reprend à son
compte une surveillance défaillante des parents de celle-ci.
Le
choix du sexe de la victime est souvent aléatoire : il est essentiellement fonction de
circonstances favorisantes qui peuvent survenir lors d’un séjour
en pensionnat ou en colonie de vacances ou encore lors de la visite à la
maison d’un enfant plus jeune confié à la garde de la
mère.
Par
contre, de ce choix, l’auteur peut développer certaines croyances que lui renvoie l’acte d’agression
sexuelle : nombreux sont les auteurs mineurs qui, après avoir
abusé d’un autre garçon, sont très effrayés
par l’idée que leur acte conditionne une future
homosexualité. On retrouve également cette préoccupation
chez lez victimes.
La
plupart des enfants auteurs minimisent l’impact traumatique de leurs
agissements chez leur victime. Ils manifestent, par exemple, de
l’étonnement lorsque l’emprise qu’ils
exerçaient sur leur victime s’interrompt et qu’ils
échouent dans le rétablissement d’une relation amicale :
la limite entre les deux leur apparaît floue.
Cette
redéfinition de la relation, lorsque l’emprise ne s’exerce
plus, fait aussi l’objet de réaménagements très
importants pour la victime, ce qui témoigne de la circularité de la relation d’emprise entre auteur et victime.
L’isolement dans le lequel se retrouve le jeune
abuseur est souvent douloureux, car il lui est imposé par
l’extérieur, par la société.
Pourtant, le mineur abuseur est
fréquemment solitaire, en proie à des difficultés relationnelles ou à un vécu
persécutif de son entourage.
Ses
modalités relationnelles basées sur l’emprise et l’abus lui donnent l’impression
d’avoir la maîtrise
de la situation et comblent momentanément le manque d’affection de
son existence.
Les
phénomènes de distorsion qui apparaissent entre le vécu de la victime et celui de
l’auteur méritent qu’on s’y attarde.
L’auteur
fait souvent preuve d’une grande labilité émotionnelle et peut passer de la compassion vis à vis de
sa victime, à la réitération de l’abus. Cette
labilité a la même valeur clinique que la sidération des
affects également rencontrée
chez les jeunes abuseurs.
L’enfant
apparaît déconnecté de ses émotions, il ne les
ressent plus ou prétend l’inverse d’une manière
artificielle pour satisfaire les attentes de son interlocuteur.
C’est
dans cet effort du thérapeute pour réduire la distorsion
qu’il est important de bien connaître la victime et
l’étendue du préjudice qu’elle a subi. Il ne
s’agit pas de confronter les deux versions pour obtenir des aveux, mais
de comprendre le sens du passage à l’acte commis par
l’enfant-auteur, l’utilité de celui-ci dans la dynamique
familiale.
Dans
cette démarche, il est fréquent de découvrir que
l’enfant auteur a lui-même été abusé
sexuellement ou maltraité et qu’il s’est engagé dans
un processus d’identification à l’agresseur.
Il
n’a pas eu quittance de ce qu’on lui a fait subir et il calque sa
survie sur ce qu’il a vu faire à son agresseur en l’imitant.
Ce
sont souvent ces anciennes victimes qui n’ayant rien pu dévoiler,
développent des tendances déficitaires et sont orientées dans des établissements
spécialisés. Elles sont alors en contact avec d’autres
enfants vulnérables dont
elles abusent à leur tour.
Bien
sûr, l’approche thérapeutique des jeunes abuseurs est
facilitée lorsqu’ils dénoncent leur propre
victimisation : ils accèdent plus aisément à leurs
émotions en tant que victimes et s’autorisent à nouveau
à les exprimer. C’est le rapprochement entre leur propre ressenti
de victime et la similitude des actes qu’ils ont commis, qui peut les aider
à identifier le processus de répétition et à l’interrompre.
Pour
terminer, je souhaiterais évoquer la situation complexe des enfants qui
ont été forcés par des tiers, mineurs ou adultes, à
commettre sur d’autres enfants (souvent frère ou sœur) des
actes d’agression sexuelle.
Dans
ce contexte, l’agression sexuelle ne se situe plus dans le registre du
passage à l’acte, mais dans celui d’un acte pervers organisé par un tiers qui adopte une position
de voyeurisme.
Ces
auteurs « malgré eux » - qui ont souvent été abusés
dans un premier temps – sont doublement instrumentalisés par leur
agresseur. Cette expérience particulièrement traumatisante
affecte profondément leur personnalité, qui s’organise
tantôt sur un mode pervers, tantôt sur un mode pré-psychotique.
Le
pronostic, concernant ces enfants est sombre : ils relèvent de
prises en charge lourdes et bénéficient pleinement des
dispositions de la loi du 17 juin 1998 qui les considère avant tout
comme des victimes.
Conclusion:
Clinique
et psychopathologie des auteurs d’agressions sexuelle mineurs se différencient
de celles des adultes dans la mesure où elles concernent des êtres
en devenir dont la personnalité est en cours de structuration et encore
susceptible de remaniements.
Bon
nombre de ces enfants et de ces adolescents, ont un passé marqué
par la maltraitance, les sévices physiques ou sexuels. Ils
développent de façon concomitante une pathologie post-traumatique
et intègrent à leur personnalité une composante
abandonnique.
La
psychopathologie des auteurs mineurs est donc également celle de la dépendance.
BALLIER, Psychanalyse des
comportements sexuels violents. Paris : Puf, 1996
BENTOVIM Arnon, Trauma-Organized
Systems : physical and Sexual Abuse in Families (Systemic Thinking and
Practice) : september 1992
CIAVALDINI, Psychopathologie des
agresseurs sexuels. Paris : Masson, 1999
ELDRIGE Hilary, Maintaining
Change : Therapist Guide for Maintaining Change : Relapse Prevention
for Adult Male Perpetrators of Child Sexual Abuse (Hardcover – December
1997).
Maintening change : A Personal
Relapse Prevention Manual (Paperback – October 1998).
GOLBDBETER – MERINFELD, E., Deuil impossible et
tiers pesant.
GREEN, A., « la
mère morte » in Narcissisme de vie, Narcissisme de mort,
Paris : Les Editions de Minuit, 1980
RACAMIER, P.C., Brève histoire de
l’incestuel. Paris : Gruppo no 9, décembre 1995
RACAMIER, P.C., Le Génie des origines.
Psychanalyse et psychoses. Paris :
Payot, 1992
RACAMIER, P.C., L’inceste et l’incestuel.
Paris : Les Editions du Collège, 1995
SCHUTTZENBREG, A.A., Aïe mes aïeux, Paris : La méridienne,1993
ANNEXE
Observation
rédigée par Elodie Borey, psychologue clinicienne
juin 2001
A Présentation
de Benjamin
B Les
défenses
C Les
effets des révélations
D Etude
familiale
1
L’incestuel
2
Traumatisme du vent de boulet
3
La mère morte
E Les
changements
Lorsque Benjamin se présente
au Centre de thérapie familiale il est âgé de quinze ans.
Sa mère, Madame Blanche, l’accompagne et évoque les
agressions sexuelles (fellations) commises par Benjamin sur des fillettes
âgées de quatre et six ans.
Leurs parents, des voisins, ont porté plainte.
Après avoir nié lors d’une confrontation
sauvage, BENJAMIN a reconnu les faits au
commissariat. Une obligation de soin est posée.
Lors des agressions,
Madame était tout proche ; elle dit « ils ont entendu du
bruit, c’était peut- être moi ».
Au Centre de Thérapie Familiale
une rencontre familiale est organisée :
Lorsque Benjamin est enfant alors que toute la
famille est en voiture et que madame conduit , un accident
de voiture coûte la vie à son père.
Par la suite lors de son
arrivée au collège un suivi avec un psychologue est mis en place
pour Benjamin durant plusieurs années pour troubles du comportement.
Le frère de Benjamin ne comprend
pas le sens de sa présence, il va bientôt partir à
l’étranger. Il ne s’adresse pas directement à
Benjamin mais il dit « quand une personne fait une connerie tout le monde
trinque ». Madame tente alors d’atténuer les propos de son
fils, il répond « j’ai quand même la capacité
de penser et de réfléchir », cependant il dénie
toute capacité à Benjamin de penser quelque chose de son attitude
envers lui (il ne parle plus à Benjamin). Madame dit « il est
très différent de BENJAMIN, il est très
indépendant ». Le frère de BENJAMIN quitte la salle
avant la fin de l’entretien. Pour lui,
« l’épisode est clos ». Concernant son
frère Benjamin dit « je le laisse tranquille ».
Durant plusieurs mois Benjamin sera
tout occupé à montrer ce qui va bien. Cette formulation
étant en elle-même une sorte d’appel au silence puisque si
tout va bien il n’y a rien à dire et que ce qui ne va pas ne peut
pas pour l’instant se dire. Le « Tout va bien » est
l’équivalent d’une impasse, un raisonnement circulaire sans
compromis.
Enfin Benjamin dira qu’il vient parce
qu’il est « obligé», parce que le juge pense que
ça peut l’aider mais que ce n’est pas sa demande. Il parle
de sa colère il a le sentiment de « tout
prendre » et pensait que « tout resterait secret ».
(Lorsque BENJAMIN dessine ses dessins restent en un premier temps quasiment
blancs, aucune trace ne s’inscrit).
Très vite BENJAMIN débute tous les entretiens par un commentaire
sur le temps. Cette discussion sur
le climat extérieur est comme le reflet du climat interne de BENJAMIN.
Benjamin dit qu’il ne supporte pas le
silence et qu’il
s ‘enferme dans sa chambre afin d’écouter sa musique.
Il évoque furtivement son père. Il dit qu’il peut poser des
questions à sa mère sur son père, cependant il ignore
beaucoup de choses de lui.
Il parle de sa formation qui l’intéresse
beaucoup et qui n’est pas sans lien avec son père, et où il
dit que « là ne faut pas faire n’importe
quoi ».
Un sentiment d’admiration apparaît envers
ses professeurs. Cependant que pointe aussi un sentiment d’injustice concernant certaines de leurs remarques qu’il
estime non fondées.
Par la
suite Benjamin évoque à plusieurs reprises des épisodes de
violences dans les quartiers proches. Il est alors question en filigrane de
l’agressivité des autres.
Il dit avoir appris par expérience à ne
pas faire confiance aux gens. Benjamin va évoquer son envie pour les
plus petits qui sont plus à l’aise dans leurs corps « ils tiennent tout seuls en équilibre ». Benjamin a pratiqué
différents sports individuels, il dit qu’au moins « on
maîtrise tout …en équipe on n’a pas toujours
la balle ». Il aurait aimé commencer le sport plus
tôt ; il ajoute « on ne peut pas changer de vie, le
passé c’est le passé ».
Benjamin évoquera ensuite plusieurs histoires
mettant en scène la mort d’un père, et certains
récits fantastiques où les voitures peuvent faire des choses
impossibles - sans accident -. Benjamin évoque son admiration pour son
frère qui a de sacrés réflexes et s’interroge
fugitivement sur ceux de sa
mère.
En début d’année semble
s’ouvrir un espace de parole.
Benjamin évoque un incident : un garçon l’a
frappé. Ce garçon a quelques années de moins que Benjamin.
Il n’a pas réagi disant qu’il ne veut pas d’histoires,
disant aussi que s’il l’avait répondu il
« l’explosait » et « sa mère ne
l’aurait pas reconnu ». C’est comme si sa violence
était sous verrou et pouvait
tout dévaster. Une violence qu’il nous semble retourner sur son
propre corps (en effet, à chaque entretien Benjamin présente de
nouvelles contusions, brûlures ou fractures).
Benjamin dit que dans cet espace il peut
parler de certaines choses, il évoque son père et la
colère qui l’a envahi lorsque l’ami auquel il s’est
confié lui a parlé de son père alors que c’était
trop douloureux.
Lors
de sa rencontre avec le juge, Benjamin dit qu’il n’a pas eu peur
parce qu’il n’y a pas pensé avant ; il a trouvé
une solution il refuse de penser à ce qui lui fait mal et dit que ça va tant que personne autour de
lui ne l’évoque. Il dit aussi qu’il oublie très vite
ce qu’il a fait, même la veille.
Benjamin
reprend parfois des thèmes abordés précédemment
comme si peu à peu se créait un fil rouge.
Concernant les fillettes, Benjamin dit qu’elles
baissent les yeux lorsqu’elles le croisent, il ajoute
« c’est normal après ce qu’ils m’ont
fait ».
Benjamin ne différencie pas les enfants de
leurs parents, ils sont
englobés dans le « ils » (nous verrons que cette
parole renvoie peut-être à sa problématique.
Benjamin dit « « je
dois payer, je paierai après je n’y penserai plus ». Il parle de la plainte
déposée par les parents, et exprime son
sentiment d’avoir été manipulé par les parents des
fillettes, l’impression d’avoir été un pion.
Benjamin dit qu‘après son
acte le soir il s’est senti mal sans pouvoir en parler à personne.
Il ne comprend pas ce qui c’est passé, il ne se reconnaît pas.
Il dit « Maintenant ce serait une
claque », c’est encore le langage du corps qui est
privilégié.
Son acte prend l’apparence
d’une impulsion, et Benjamin n’évoque aucun état
psychique particulier avant et durant les agressions sexuelles.
Benjamin évoque cependant un changement
concernant les agressions sexuelles : auparavant apparaissaient à tout moment dans
sa vie quotidienne des « images de l’acte». car le « moral
en prenait un coup » et Benjamin les chassait en allant patiner (et
souvent il se blessait) .
A présent Benjamin
évoque une «réinclusion» ; terme signifiant
qu’il met à l’écart son acte, l’exclu en
quelque sorte et le réinclu au Centre de Thérapie Familiale, il
ajoute « ici je suis là pour parler de
ça ».
Il
semble que petit à petit benjamin puisse à certains moments
mettre des mots sur son acte et non plus s’épuiser à
chasser des images.
Benjamin dit qu’à
présent il a plus conscience des interdits sociaux et respecte davantage
les règles mais il ne pense pas
que son acte ait été traumatisant « pour une enfant de
six ans ». Est-ce sa parole ou est ce une parole qu’il a
lui-même entendu à cet âge, âge ou il a perdu son
père ?
Nous
allons pour l’instant tenter d’approcher quelques signes
cliniques nous permettant peut
être un début d’élaboration
-
Benjamin
présente peu de symptômes positifs, même si peu à peu
vont apparaître
des difficultés d’endormissement qui ont toujours existé
selon Benjamin (nous savons que le
sommeil perturbé très tôt dès l’enfance peut
refléter un sentiment d’insécurité).
-
Ce que nous
pouvons cependant noter c’est la fréquence des divers coups et brûlures portés au corps
et nécessitant des soins hospitaliers. Coups et cicatrices sont d’ailleurs parfaitement
banalisés. Benjamin dit qu’il a été
« conçu pour» et ajoute que si toutes ses cicatrices
s’ouvraient d’un coup il serait dans un sale état.
C’est comme si Benjamin utilisait
son corps comme mode d’expression ; il dessine d’ailleurs des personnages d’où ressort
fortement l’idée d’un mouvement, il dit « je fais
seulement des personnages actifs ». Ciccone dit « les
turbulences psychiques utilisent pour s’exprimer ce que la psyché
a à sa disposition c’est à dire le corps, la
motricité, le somatique, les systèmes biologiques ».
(Albert Ciccone, Naissance à la vie psychique, p.38)
-
Les paroles
reprenant le fait qu’il ne prend pas soin de lui n’ont pas
d’écho, et
ne sont pas reliés à un sens. Benjamin dit « je ne comprends
pas ».
-
Ce que nous
pouvons par ailleurs remarquer c’est l’agrippement à
l’externe et le
peu d’associations qui semblent à nouveau révéler le
peu de sécurité interne de Benjamin ; c’est comme s’il
évacuait activement ce qui peut le faire souffrir.
-
Nous
remarquerons notamment l’Accrochage aux objets : Benjamin
s’agrippe à son sac, à ses patins, et au bruit qu’il
peut faire en les manipulant, produisant ainsi une sorte de brouillage sonore
de sa parole et de la mienne.
-
La
Projection de la
violence à
l’extérieur est également à noter. Les
différences de points de vue entre adolescents sont
évoqués en termes de violence. La valeur des conflits n’est
pas reconnue, la parole est inexistante et remplacée par des actes. (une
certaine jubilation et excitation se révèle lorsque Benjamin a
des propos agressifs concernant des petits animaux)
-
Les comportements ne semblent pas se situer dans le domaine
ordalique avec d’autres adolescents, Benjamin est seul lors de ses chutes et
diverses blessures, il fait peu références à
d’autres adolescents sauf pour évoquer leur agressivité. Il
n’y pas de grand investissement du groupe de pairs mais plutôt une incapacité
d’établir des liens, un vécu de non appartenance au groupe adolescent
interdisant tout investissement et intégration de règles communes
-
Benjamin évoque le plus souvent
les performances des enfants à l’aise dans leur corps, et
semble s’apparenter à eux ; « Ce que je fais un enfant
de huit ans peut le faire ». Lorsque Benjamin se présente au
Centre de Thérapie
Familiale, son apparence physique est d’ailleurs plus proche de celle
d’un enfant que d’un adolescent.
-
Concernant
plus précisément les agressions sexuelles Benjamin semble être dans une
non-reconnaissance des fillettes en tant que sujets séparées de
leurs parents.
-
Il semble que pour Benjamin il n’y ait pas à
proprement parler déni de l’acte. Mais comme le dit Racamier il
existe plusieurs degrés de dénis, et pas seulement le déni
d’existence. En fait c’est la dimension violente de son acte qui
est refusée, expulsée.
Ciavaldini dit « pour tous les agresseurs, ce qui est refusé
en permanence, c’est la violence » Ciavaldini,
psychopathologie des agresseurs sexuels »p.209). Racamier dit que la
projection envoie au loin ce qui a été préalablement
dénié. (Racamier, Le Génie des Origines,p.250).
C’est peut être ainsi que nous pouvons comprendre cet attachement
de Benjamin à la violence des autres adolescents.
-
L’acte
acquiert une dimension inquiétante et renvoie à un état anormal, en rupture avec ce qui est connu et
familier.
Benjamin a donc une reconnaissance partielle de son
acte, il accuse cependant des facteurs extérieurs notamment les parents
des fillettes qu’il dit « insuffisamment
protecteurs ».
-
Quant à la
phrase de Benjamin « je dois payer, je paierai après je n’y penserai
plus », elle semble être une reprise
de la donnée judiciaire et des conséquences
pénales . Benjamin semble régler ses dettes, solder ses
comptes par rapport à la société, par rapport à une
instance extérieure.
Ciavaldini dit « On ne peut que sentir le
poids d’une telle affirmation, aussi positive soit
elle »j’ai changé, j’ai payé, j’ai
changé ». Une fois que ce qui est considéré
comme le prix, sera payé, le sujet ne sera plus du tout dans la
même demande de changement puisqu’il se jugera être
soldé de tout compte ». (Ciavaldini, psychopathologie des
agresseurs sexuels », p.218)
Le premier sentiment qui se retrouve chez
BENJAMIN et sa mère est la surprise et le sentiment
« d’avoir étés
trompés » ; les voisins leur ont
« promis » lors d’une confrontation sauvage
qu’ils ne porteraient pas plainte.
Ces révélations vont mettre
en évidence la peur de l’extérieur qui semble être
vécu comme un lieu de «confrontation» ou pourrait se
dérouler une agression et ou Madame redoute que Benjamin rencontre les
victimes « à chaque coin de rue ».
Les agressions sexuelles n’ont pas
eu comme effet une relative prise de distance entre Benjamin et sa mère
mais paradoxalement un rapprochement intense.
Madame trouve cependant son fils plus
mature depuis les révélations mais n’est- ce pas
également son regard qui change petit à petit ?
Nous pouvons nous demander quelle place
occupait jusqu’alors Benjamin dans la dynamique familiale
Benjamin ne peut verbaliser les
conflits familiaux
avec son frère ou sa mère il dit « tout va
bien » alors qu’à d’autres instants pointe le
manque de véritable communication notamment concernant son père.
Ces deux impressions contradictoires restent cependant séparées
l’une de l’autre. Elles persistent côte-à-côte
sans s’influencer réciproquement ; nous pourrions dire
qu’elles sont
clivées.
Le clivage maintient deux parties
séparées hermétiquement pour éviter que le
« mauvais » n’envahisse le
« bon ». Le clivage implique donc que ces entités
s’ignorent mutuellement.
Le frère de Benjamin reste quant à lui enfermé
le plus souvent dans sa chambre, dans sa forteresse. Cette distanciation étonnante et
extrême est peut être une mise à
distance géographique et psychique afin d’éviter
l’attraction maternelle, comme si la séparation était trop
douloureuse. Benjamin le petit dernier, est celui qui reste avec Madame. Il
semble être «caché» dans l’appartement.
En effet la famille semble relativement fermée
sur elle-même, autarcique,
l’appartement est comme dans une coquille protectrice. Madame dit que
« le danger est dans le mouvement », elle craint un
déménagement ou le placement de Benjamin en famille
d’accueil ou en internat, évoquant alors le besoin de
repères stables pour Benjamin.
Il n’y a pas de domaine réservé,
de véritable intimité ; Benjamin dit « je lui dis
tout c’est ma mère». Nous pouvons formuler l’hypothèse d’un lien incestuel entre Benjamin et sa mère
1) Notions
concernant l’incestuel : pour Racamier « l’inceste
n’est pas l’Œdipe, il en est tout le contraire. Loin de
travailler en fantasmes dans l’inconscient, il fonce à travers la
psyché traverse les frontières et s’injecte en force et en
actes bruts dans les corps et dans les familles… l’inceste
n’est pas seulement dans l’inceste il se loge aussi dans des
équivalents qui sont des déguisements, des substituts déplacés et
déguisés d’actes qui sont de nature intimement incestueuse,
mais dont ils n’ont pas l’air».
Nous noterons à cet effet que
Benjamin ne peut affirmer des différences de goût par rapport
à sa mère (leurs lectures peuvent être les mêmes Madame lisant
parfois le même livre que Benjamin après lui).
Dans le domaine incestuel il y a engrènement
de l’un
à l’autre, absence d’écart entre fils et mère
qui aboutit à la non reconnaissance de l’individualité de
l’enfant. (ceci nous rappelle l’attitude de Benjamin envers les
fillettes : il ne se les représente pas comme sujets dans leur
individualité).
L’engrènement est un
processus interactif assorti d’un vécu contraignant
d’emprise et consistant dans l’agir quasi-directe d’une
psyché sur une autre. L’engrènement ne distingue pas les personnes : chaque éprouvé
de l’un retentira souvent sous forme d’action chez
l’autre(Racamier cortège conceptuel).
Nous noterons une inhibition psychomotrice de
Benjamin lors d’un entretien avec Madame, comme si Benjamin, assis
auprès d’elle, se mettait au diapason de son humeur, en osmose
comme s’il ne fallait pas qu’il bouge, pas qu’il
s’éloigne… Nous pourrions dire qu’ils étaient
alors en quelque sorte en branchement direct.
L’incestuel est dans le faire,
dans le faire-faire, dans le faire- croire, et dans le faire- ne pas
penser » (Racamier, le Génie des origines, p.139).
Je dois à
plusieurs reprises rappeler à BENJAMIN l’importance de sa
parole et de sa place, (par exemple que c’est à lui de
téléphoner lorsqu’il ne peut venir et non à sa
mère, qu’il est important qu’il soit présent
lorsqu’a deux reprises sa mère demande à nous rencontrer,
ce qu’elle ne pensait pas indispensable).
L’incestuel est une lutte
contre la séparation, Rcamier dit « L’incestuel à valeur de lien
corporel défensif contre les angoisses catastrophiques de
séparation » (Racamier . brève histoire de
l’incestuel, Gruppo no 9, Paris décembre 1995)
-
Madame par
ses comportements intrusifs (elle téléphone à plusieurs
reprises « pour avoir des nouvelles » , elle exerce un certain contrôle sur le
sommeil et l’appétit de son fils, une forme d’emprise).
-
Benjamin
qui ne semble pouvoir davantage élaborer la séparation.
Lorsqu’il est proposé à Benjamin une pause en internat
Benjamin dit qu’«il s’en fout» ou
qu’ «il n’en voit pas
l’intérêt» mais ne peut dire ses difficultés
à partir.
Par cette impossible
séparation, Benjamin nous donne peu à peu l’image d’un
garçon qui serait resté dans un passé traumatique, au moment de la mort
du père, cet âge étant d’ailleurs l’âge
des petites filles agressées.
Nous pouvons nous
référer à l’Hypothèse du traumatisme du
vent du
boulet
défini par dans
« Aie mes Aïeux » (Auteur : Anne ancelin
Schuttzenberger)
2) Le traumatisme du
vent de boulet est un choc chez des personnes ayant frôlé la mort
de près et ayant senti passé « le vent du boulet de
canon tuant ou massacrant à coté d’eux ». Ce
choc peut engendrer des comportements et/ ou symptômes
particulièrement repérables à certaines périodes
– sortes de dates anniversaires-. En ce qui concerne Benjamin, il se
trouve que l’âge des fillettes correspond au sien lors de
l’accident de voiture causant le décès de son père
Eiguer dit « Lorsqu’un
événement est si grave et si précoce qu’il
n’existe pas de représentations mentales possibles cela devient un impensable (non pensé) donc
non élaboré laissant seulement des traces sensorielles ou
motrices corporelles ou psychosomatrices. »
Benjamin lors de l’accident a été
blessé et semble à présent répéter
compulsivement cette expérience traumatique en se donnant cette fois le
sentiment d’exercer un contrôle, d’être actif lors de
ses diverses blessures. Un tel accident entraînant des blessures physique
mais surtout une telle blessure psychique qu’elle peut rendre le
temps circulaire pour celui qui le subit.
Si l’événement
ne peut pas être partagé, exprimé, le deuil est impossible,
le sujet isolant alors tout ce qui
concerne ce souvenir douloureux dans un coin de son esprit.
Lorsque Benjamin nous dit
qu’il peut poser des questions à sa mère, il nous parle aussi du manque d’apports spontanés de sa
mère concernant son père, de zones d’ombre le concernant.
Concernant le sentiment d’injustice
qu’évoquera à plusieurs reprises Benjamin Anne Ancelin
Schuttzenberger dit que ce sentiment d est souvent complexe.
« L’injustice se vit aussi par rapport à l’inégalité é
du sort vis-à-vis de la vie et de la mort (ce n’est pas juste
d’être de mourir jeune, d’être orphelin).
Ce sentiment d’injustice du sort
s’accompagne souvent de la culpabilité du survivant (Anne
Ancelin Schuttzenberger, Aïe mes aïeux, p37).
Chez Benjamin les affects
dépressifs restent cachés, à l’image d’une
« dépression blanche » comme la
révélation d’un deuil non fait, peut- être le deuil
du père (à noter que nous serons à chaque fois comme étouffées
par une chape de silence qui s’abat lorsque nous évoquons le
décès du père).
Parallèlement Benjamin semble devoir remplir tout
épisode de silence. Il évoquera peu à peu sa
difficulté à être seul. Le fondement de la capacité d’être seul
(Winnicott 1958) est l’expérience d’être seul en
présence de quelqu’un, notamment la mère. Quel silence
Benjamin ne peut il supporter? Comment pouvons nous tenter de comprendre ce
silence qui le confronte alors
à l’angoisse et au vide ?
Comme je lui faisais remarquer son
absence de mots pour nommer les agressions Benjamin m’a répondu
« telle mère, tel fils » et il a pu dire qu’il ressentait parfois
des émotions chez sa mère mais dont elle ne parle pas, cela
l’inquiète.
3) Peut être alors pouvons nous
évoquer la Mère morte :
Le concept de la
mère morte a été formulé par Green (1980) ;
la mère est présente physiquement mais absente psychiquement
lorsqu’ absorbée par un deuil, elle s’est
déprimée et devient une figure lointaine et inanimée.
Green dit « La transformation dans la vie psychique, au
moment du deuil soudain de la mère qui désinvestit soudainement
son enfant est vécu par lui comme une catastrophe… »
Ce peut- être la
perte d’un objet cher, et « dans tout les cas, la tristesse de
la mère et la diminution de l’intérêt pour
l’enfant sont au premier plan »…
Benjamin avait évoqué cette
donnée dès le premier entretien « ma mère est
triste c’est pourquoi mon frère s’éloigne
d’elle ». C’est une mère inconsolable prise
dans un deuil interminable.
Pour madame le temps semble
s’être arrêté, suspendu peut-être depuis le
décès de son mari, nous l’avions d’ailleurs
prénommée la Belle au bois dormant.
Edith Golbdbeter- Merinfeld dit
« les réactions d’un enfant à la mort d’un
parent sont grandement liée à la capacité du parent
survivant à ne pas laisser ses propres émotions créées
de la distance entre lui et ses enfants ». (Edith Golbdbeter-
Merinfeld°. Deuil impossible, famille et tiers pesant, p105)
Nous pouvons peut être supposer
qu’après la mort de son mari, la mère de Benjamin est
devenue pour ses enfants une « mère morte psychiquement »,
indisponible car engloutie dans sa douleur. Pour Benjamin nous pourrions alors
supposer que toutes ses nombreuses blessures peuvent être comme un appel
aux soins et à l’attention maternelle qui n’ont pu être
reçus après le traumatisme, la capacité maternante de la
mère n’a donc pu être intériorisée (peut être alors pouvant nous comprendre le
recours aux objets externes comme une tentative de suppléance à
la fonction contenante maternelle défaillante).
Par ailleurs, ce concept
peut nous permettre de comprendre le lien incestuel instauré entre
Benjamin et sa mère et la difficulté pour Benjamin de se
séparer de sa mère, comment s’opposer à une figure
maternelle « endomagée » car
déprimée ?
E -
Les Changements
Des entretiens ont étés mis
en place afin de soutenir madame, dans une structure différente,
où elle peut évoquer sa souffrance ainsi chacun peut
bénéficier d’un espace différencié.
Concernant Benjamin nous tentons peu
à peu de l’aider dans un travail de subjectivation de son acte.
Ciavaldini dit que mettre des mots oblige à un
travail de perception psychique des éprouvés internes et permet ainsi de percevoir son histoire et
de s'en faire une représentation, « nommer le confronte
à une violence qu’il n’a pu traiter et qui a
enclenché le passage à l’acte » (Ciavaldini,
psychopathologie des agresseurs sexuels, p.218).
Mais il se demande
encore parfois si parler n’est pas plus effrayant et ne rend pas son cas
« plus grave ».
Cependant, il semble
qu’aider Benjamin à parler des agressions sexuelles l’aide
aussi à évoquer son père. Il va par ailleurs passer des
vacances chez ses grands- paternels », il s’en réjouit
« là bas il y a plus de communication ».
Pour Benjamin les questions concernent l’articulation
dedans-dehors, intérieur extérieur.
Comment
se séparer, s’individualiser, se différencier et
s’opposer, à sa mère et aux autres ?
Benjamin dit qu’il peut dire non à certaines
personnes, mais peut être pas à sa mère et aux enfants.
Comment
aller à la rencontre de l’extérieur ?
Nous remarquerons en effet que les
fillettes sont connues de la mère ; nous pourrions dire
qu’elles sont familières.
Si Racamier dit que
« L’incestuel repousse et recouvre toujours du
dépressif amalgamé » (Racamier, le Génie des
origines, p.139),
Ballier parle, lui, de la fonction antidépressive des agressions
sexuelles.
Nous pouvons nous demander si -
comme Benjamin qui a peut être joué le rôle d’une
pansement de sa douleur maternelle- les agression sexuelles n’ont pas
rempli pour Benjamin la fonction de pare-dépression à un moment
où se profilaient de nombreux changements , tant au niveau scolaire que
familial (départ de son frère et - comme tout adolescent -
réaménagement nécessaire de la relation à sa mère
de par sa nouvelle image du corps sexué rendant les fantasmes incestueux
réalisables) et sexuel (en agissant ainsi ne s’est il pas mis en
position de s’interdire toute sexualité ?)
Nous ajouterons qu’à partir
de cet acte Benjamin partage avec sa mère un « sentiment de
honte », un secret inavouable.