Facteurs de risque de récidive sexuelle : caractéristiques des délinquants et réponse au traitement

R. Karl HANSON, Ph.D.[1]

 

 

Résumé

 

Le présent article fait la revue des recherches empiriques sur les taux de récidive des délinquants sexuels. On constate qu’en moyenne 10 à 15 % des délinquants sexuels commettent de nouveau une infraction sexuelle après une période de suivi de 4 à 5 ans. Comme on peut s’y attendre, les taux sont plus élevés dans les catégories de récidive plus globales, soit 25 % dans le cas de la récidive avec violence (y compris les infractions sexuelles) et 40 % dans le cas de toutes les nouvelles infractions (sexuelles, non sexuelles, avec violence et sans violence). Les délinquants sexuels ne présentent pas tous le même risque de récidive. Il existe en effet une corrélation fiable entre certaines caractéristiques et l’augmentation du risque de récidive (infractions sexuelles antérieures, âge plus jeune, préférences sexuelles déviantes, mode de vie criminel, etc.). Les délinquants qui suivent un traitement psychologique risquent moins de récidiver que les autres délinquants sexuels; il faudra toutefois faire des recherches plus approfondies avant de pouvoir tirer des conclusions solides sur l’efficacité des traitements.

 

 

Une fois qu’on a fait la preuve qu’un individu a commis une infraction sexuelle, il est important de savoir s’il risque de recommencer. Chaque individu est unique et toute tentative visant à prévoir un comportement libre et conscient comporte ses propres limites. Quoi qu’il en soit, personne ne doute sérieusement qu’il existe des différences entre les individus qui sont enclins à commettre des agressions sexuelles. Cependant, les experts ne s’entendent pas sur les meilleures méthodes à utiliser pour évaluer ces différences individuelles. Un des moyens valables d’évaluer le risque de récidive d’un délinquant consiste à supposer que la probabilité de récidive sera égale au taux de récidive observé dans des groupes de délinquants similaires. Une telle estimation n’est jamais exacte, mais les évaluations du risque fondées sur des données empiriques permettent d’obtenir un degré d’exactitude prévisionnelle beaucoup plus élevé que celui qu’on obtient au moyen d’évaluations du risque fondées sur des avis professionnels non structurés (Hanson, 1998), dont le degré d’exactitude prévisionnelle est à peine supérieur au pur hasard (Hanson et Bussière, 1998).

Les études de suivi fournissent la meilleure démonstration de l’utilité de déterminer les facteurs du risque de récidive. Dans ces études de suivi, des groupes de délinquants sexuels sont constitués et les chercheurs recueillent par la suite des renseignements sur ceux qui ont récidivé. Il y a eu beaucoup d’études de ce genre. Dans notre revue précédente, nous avons relevé 61 études réalisées avant 1995 (Hanson et Bussière, 1998). La plupart d’entre elles portaient sur des échantillons des États-Unis (30), mais il y en avait aussi du Canada (16), du Royaume-Uni (10), de l’Australie (2), du Danemark (1) et de la Norvège (1). Je n’ai toutefois jamais entendu parler d’une étude de suivi de la récidive des délinquants sexuels portant spécifiquement sur la France.

D’après la moyenne des 61 études contenues dans la méta-analyse de Hanson et Bussière (1998), le taux de récidive sexuelle était de 13,4 % (n = 23 393), le taux de récidive non sexuelle avec violence était de 12,2 % (n = 7 155) et le taux de récidive pour toute nouvelle infraction était de 36,3 % (n = 19 374). La taille des échantillons varie parce que les études n’ont pas toutes porté sur ces trois catégories de récidive. La période moyenne de suivi variait de 4 à 5 ans. Les taux moyens de la méta-analyse de Hanson et Bussière (1998) doivent être interprétés avec prudence, car ils sont issus d’échantillons et de critères de suivi qui ne sont pas uniformes. Ils correspondent toutefois aux résultats d’autres études ayant utilisé des définitions et des critères de récidive normalisés.

Hanson et Thornton (2000) ont examiné les taux de récidive sexuelle et de récidive avec violence de trois échantillons : a) l’établissement de Millbrook, b) l’Institut Philippe-Pinel et c) le Service des prisons de Sa Majesté. L’échantillon de l’établissement de Millbrook était composé de 191 agresseurs d’enfants incarcérés dans un établissement provincial de l’Ontario, au Canada, et remis en liberté entre 1958 et 1974 (Hanson, Steffy et Gauthier, 1993). Les délinquants sexuels de l’Institut Philippe-Pinel, un établissement psychiatrique de garde fermée situé à Montréal, au Québec, ont été traités de 1978 à 1993. Enfin, l’échantillon de délinquants du Service des prisons de Sa Majesté était composé de tous les délinquants sexuels de l’Angleterre et du pays de Galles remis en liberté au cours de l’année 1979.

Comme le montrent les figures 1 et 2, les taux de récidive des trois échantillons étaient remarquablement semblables. Ces taux de récidive sont représentés sous la forme de courbes de survie (Allison, 1984). Ces courbes commencent dans le coin supérieur gauche, avec l’échantillon complet des délinquants remis en liberté (100 %). À mesure que certains d’entre eux sont condamnés de nouveau, ils sont retirés de l’échantillon et le reste de l’échantillon est repris dans la période d’analyse suivante. Les taux moyens de récidive sexuelle étaient d’environ 15 % après 5 ans (85 % de survie) et de 25 % après 15 ans. Le taux moyen de récidive pour toutes les infractions avec violence, y compris les infractions sexuelles, était de 25 % après 5 ans et de 35 à 40 % après 15 ans.

Les études sur la récidive comportent toutefois des limites inhérentes. La plus importante tient au fait que les infractions sexuelles ne sont pas toujours signalées. Des enquêtes sur la victimisation effectuées au Canada et aux États-Unis ont montré qu’entre 6 % et 50 % des agressions sexuelles sont signalées à la police (Bachman, 1994; Besserer, 1998; Greenfeld, 1997; Russell, 1983; Statistique Canada, 1993). De toutes les agressions sexuelles signalées, pas plus de la moitié mènent à une arrestation (Greenfeld, 1997; Statistique Canada, 1993). Par conséquent, la proportion des infractions sexuelles établie dans les études sur la récidive devrait être considérée comme une fraction seulement de toutes les infractions sexuelles commises (soit entre 1 % et 25 %, selon les hypothèses et les études de recherche utilisées).

Il est important de souligner aussi que le pourcentage des infractions non signalées n’est pas égal au pourcentage des délinquants qui n’ont pas été repérés. Même si parfois le délinquant qui commet une infraction risque peu d’être pris, le risque d’être appréhendé augmente à chaque nouvelle infraction. Les délinquants sexuels qui commettent de nombreuses infractions risquent beaucoup de se faire arrêter, mais ceux qui ne commettent qu’un petit nombre de nouvelles infractions n’entrent pas nécessairement dans les statistiques sur la récidive. Les chercheurs reconnaissent en général que les taux de récidive observés sont inférieurs au taux réel de récidive, mais l’ampleur exacte de cette sous-évaluation fait l’objet d’un débat constant (voir Doren, 1998; Janus et Meehl, 1997).

Les statistiques sur la récidive présentent aussi une autre difficulté; en effet, elles peuvent varier d’un pays à l’autre. En Suède(Sjöstedt et Långström, 2000), par exemple, les taux de récidive sexuelle semblent plus bas qu’au Canada (Hanson et Thornton, 2000). Nous ne savons pas si les différences observées sont attribuables à des différences entre les taux de signalement des infractions ou à des différences dans le comportement des délinquants. De plus, il peut y avoir des différences entre les pays en ce qui concerne les valeurs sociales rattachées à la délinquance sexuelle, les actes des délinquants, les services de police et les systèmes de justice pénale.

Même s’il est difficile d’établir les taux absolus de récidive, les études sur la récidive nous apportent des données fiables sur les caractéristiques individuelles qui influent à la hausse ou à la baisse sur le risque de récidive à long terme. Hanson et Bussière (1998) ont constaté que les taux de récidive sexuelle étaient similaires chez les agresseurs d’enfants (12,7 % d’après un échantillon de 7 155 sujets) et chez les délinquants qui avaient agressé des femmes adultes (18,9 % d’après un échantillon de 1 839 violeurs). Par contre, les violeurs risquaient beaucoup plus de récidiver en commettant une infraction non sexuelle avec violence (22,1 % contre 9,9 % respectivement). Les taux généraux de récidive étaient de 46 % chez les violeurs contre 37 % chez les agresseurs d’enfants.

En règle générale, les facteurs qui servent à prévoir la récidive non sexuelle chez les délinquants sexuels sont très semblables à ceux qui servent à prévoir la récidive chez les délinquants non sexuels. Le tableau 1 présente les facteurs de risque de récidive générale (tous les types d’infractions) établis dans les revues méta-analytiques de Gendreau, Little et Goggin (1996), qui ont examiné des populations de délinquants ayant commis tous les types d’infractions, et de Hanson et Bussière (1998), qui n’ont examiné que des populations de délinquants sexuels. Les résultats sont présentés sous la forme d’un coefficient de corrélation (r), qui peut varier de 0 à 1, 0 indiquant des degrés de hasard et 1 indiquant une prévision parfaite. Les valeurs de r peuvent être interprétées comme la différence de pourcentage entre les taux de récidive des délinquants qui possèdent ou ne possèdent pas une caractéristique particulière (Farrington et Loeber, 1989).

            Dans les deux groupes, les prédicteurs les plus fiables étaient les antécédents criminels, la délinquance juvénile, la personnalité antisociale, l’âge, l’appartenance à une minorité ethnique et la toxicomanie. L’intelligence faible et la détresse personnelle étaient des facteurs ayant peu d’influence dans l’un et l’autre groupe. Fait intéressant, les deux prédicteurs les plus sûrs de la récidive en général chez les délinquants non sexuels (les compagnons et les attitudes antisociales) ont été très souvent négligés dans les recherches portant sur le risque chez les délinquants sexuels.

            Le tableau 2 présente les prédicteurs les plus largement reconnus de la récidive sexuelle, tirés de Hanson et Bussière (1998). Tous ces facteurs ont été confirmés dans au moins quatre études, ce qui permet de croire qu’ils sont véritablement liés au risque de récidive. Les prédicteurs les plus fiables de la récidive sexuelle sont ceux qui se rapportent à la déviance sexuelle, comme les préférences sexuelles déviantes, les infractions sexuelles antérieures ainsi que la précocité et la diversité des infractions sexuelles. Le prédicteur le plus fiable mis en relief par la méta-analyse a été l’intérêt sexuel pour les enfants mesuré au moyen d’évaluations phallométriques. L’évaluation phallométrique est une méthode qui consiste à mesurer directement la réaction pénienne provoquée par l’exposition du sujet à des images ou des récits sexuellement explicites (Launey, 1994). Après la déviance sexuelle, les principaux prédicteurs de la récidive sexuelle sont les facteurs se rapportant au mode de vie criminel, comme l’existence d’infractions antérieures et le trouble de la personnalité antisociale. Les récidivistes sexuels, comme les autres délinquants en général, sont souvent jeunes et sans conjoint et abandonnent les programmes de traitement avant la fin.

            Le tableau 3 présente certaines caractéristiques qui, selon Hanson et Bussière (1998) ne sont pas associées à la récidive sexuelle. Certaines de leurs conclusions ont de quoi surprendre. Les entrevues cliniques sont une méthode employée couramment au cours des évaluations du risque, mais une bonne partie des renseignements qui sont habituellement évalués au cours de ces entrevues, comme le peu d’empathie pour la victime, le déni de l’infraction et le manque de motivation pour le traitement, n’ont pas de rapport avec la récidive sexuelle. Il peut être difficile aussi d’évaluer la sincérité du remords, compte tenu de la pression sociale associée au milieu médico‑légal.

Il est intéressant d’observer aussi que les problèmes psychologiques généraux comme l’anxiété et le peu d’estime de soi n’étaient pas liés au risque de récidive à long terme. Les recherches subséquentes ont toutefois montré que la récidive est souvent précédée d’une sorte d’abattement (Hanson et Harris, 2000). Les délinquants qui éprouvent de la tristesse chronique ne présentent pas un risque de récidive plus élevé que ceux qui sont heureux, mais les délinquants appartenant à l’un ou à l’autre de ces deux groupes présentent un risque accru de récidive lorsqu’ils se sentent abattus.

La plupart des facteurs qui, selon Hanson et Bussière (1998), sont des prédicteurs du risque de récidive, sont des facteurs statiques, chronologiques, qui ne peuvent pas changer. Pour mesurer les changements du niveau de risque et concevoir des interventions susceptibles de réduire le risque de récidive, il faut donc connaître les facteurs de risque dynamiques, c’est‑à‑dire ceux qu’on peut changer. Pourtant, la recherche sur les facteurs de risque dynamiques chez les délinquants sexuels est beaucoup moins avancée que la recherche sur les facteurs de risque statiques.

Des études de suivi récentes (Beech, Friendship, Erikson et Hanson, sous presse; Dempster et Hart, sous presse; Hanson et Harris, 2000, 2001; Thornton, sous presse) ont fait ressortir des facteurs de risque dynamiques qui présentent un grand intérêt. Ces facteurs comprennent la tolérance envers les agressions sexuelles, la proximité affective avec les enfants, les préoccupations sexuelles, le manque d’aptitudes pour la résolution des problèmes cognitifs, l’hostilité et les influences sociales négatives. Malgré les promesses que laisse entrevoir cette recherche, il faudra faire encore d’autres travaux avant de pouvoir tirer des conclusions solides. Il faudra notamment démontrer que les changements provoqués dans les facteurs considérés comme dynamiques sont vraiment associés à la réduction du risque de récidive. Des travaux ont montré que la présence de certains facteurs qu’on peut en principe modifier augmente bel et bien le risque de récidive (comme la tolérance envers les agressions sexuelles), mais il se peut aussi que ces facteurs en apparence dynamiques soient simplement des manifestations de caractéristiques durables.

L’une des questions de recherche les plus importantes consiste à savoir dans quelle mesure les interventions peuvent réduire le risque de récidive des délinquants sexuels. Au cours des années 1970 et 1980, on doutait beaucoup que les programmes correctionnels puissent réduire le risque de récidive chez les criminels en général (Martinson, 1974). Plusieurs revues méta-analytiques réalisées au cours des dernières années ont tempéré ce scepticisme en montrant que seulement certains types d’interventions (principalement de type cognitivo-comportemental) étaient susceptibles de produire des effets (p. ex. Andrews et. al., 1990; Hollin, 1999, 2001; Lipsey, 1995). En ce qui concerne la majorité des délinquants, les recherches portent sur les caractéristiques des traitements efficaces; en ce qui concerne les délinquants sexuels, les chercheurs se demandent encore si les traitements sont efficaces.

Il existe peu d’études rigoureuses sur le traitement des délinquants sexuels, et encore moins sur les traitements en usage actuellement. Même si plus de 35 articles de synthèses ont été publiés depuis 1990, ainsi qu’une revue de ces articles (United States General Accounting Office, 1996), les chercheurs et les responsables des politiques ne parviennent pas encore à établir si les traitements réussissent vraiment à réduire la récidive chez les délinquants  sexuels.

Dans leur examen narratif des premières études sur les résultats des traitements, antérieures pour la plupart à 1980, Furby, Weinrott et Blackshaw (1989) ont conclu que rien ne pouvait démontrer que les traitements contribuaient à réduire le risque de récidive chez les délinquants sexuels. Dans sa méta-analyse de 12 études sur les résultats des traitements, publiée après la revue de Furby et al. (1989), Hall (1995) a constaté un léger effet global (r = 0,12). Il a conclu qu’un traitement médical et un traitement général cognitivo-comportemental étaient tous deux efficaces et supérieurs aux traitements axés uniquement sur le comportement.

On a toutefois reproché à Hall (1995) d’avoir inclus dans sa méta-analyse des études où l’on comparait des individus ayant suivi avec succès un traitement et des individus qui avaient abandonné le traitement. Il est difficile d’interpréter des comparaisons de ce genre parce qu’on pourrait penser que les individus qui abandonnent un traitement possèdent les caractéristiques propres au risque de récidive, comme le jeune âge, l’impulsivité et la personnalité antisociale (Wierzbicki et Pekarik, 1993). Or, quand on supprime de la méta-analyse de Hall (1995) les études portant sur les individus ayant abandonné leur traitement, les effets des traitements ne sont plus significatifs (Harris, Rice et Quinsey, 1998).

            Gallagher et al. (1999) ont effectué une méta-analyse de 25 études portant sur des traitements psychologiques ou hormonaux. Comme Hall (1995), ils sont arrivés à la conclusion que les traitements cognitivo-comportementaux produisaient des effets appréciables. Contrairement à Hall (1995) toutefois, ils ont conclu que les traitements médicaux ou hormonaux ne donnaient pas des résultats satisfaisants. L’efficacité apparente des traitements médicaux ou hormonaux constatée par Hall (1995b) pourrait être attribuable à une seule étude portant sur la castration physique (Wille et Beier, 1989).

            L’examen le plus détaillé des effets des traitements psychologiques chez les délinquants sexuels a été réalisé par le Collaborative Outcome Data Project Committee (Hanson et al., sous presse). Ce comité, créé en 1997, a pour tâche d’organiser la documentation spécialisée portant sur les résultats des traitements pour délinquants sexuels et de faire en sorte que les nouveaux projets d’évaluation soient réalisés d’une manière qui contribue à améliorer les connaissances. Dans son premier rapport, le Comité est arrivé à la conclusion que les traitements psychologiques actuels sont associés à une diminution de la récidive en général et de la récidive sexuelle. Avant de tirer des conclusions plus solides toutefois, il faudra poursuivre et améliorer les travaux de recherche.

Dans seulement quatre des 43 études examinées par Hanson et al. (sous presse), les délinquants ont été répartis au hasard dans les groupes de traitement et les groupes de comparaison. Ces études ont donné des résultats différents. Romero et Williams (1983) ont fait une comparaison entre 148 délinquants sexuels qui ont participé à des séances hebdomadaires de psychothérapie de groupe non structurée et 83 délinquants sexuels soumis à une surveillance de probation traditionnelle. Ils n’ont observé aucune différence sensible entre les deux groupes en ce qui concerne la récidive sexuelle et non sexuelle.

Robinson (1995) a constaté qu’un programme d’apprentissage cognitif des compétences avait contribué à diminuer la récidive dans un groupe de 189 délinquants sexuels ayant suivi le traitement (n = 46 pour le groupe de comparaison). Ce programme avait pour but d’inhiber l’impulsivité et d’améliorer la capacité cognitive de résoudre des problèmes. D’autres programmes similaires ont aussi contribué à diminuer la récidive chez les délinquants en général (Robinson et Porporino, 2001). Cependant, l’étude de Robinson (1995) n’indique pas les taux de récidive sexuelle des délinquants sexuels.

Borduin, Schaeffer et Heilblum (2000) ont constaté qu’un traitement multisystémique avait produit des effets notables chez des délinquants sexuels adolescents : le taux de récidive sexuelle était de 13 % chez les 24 délinquants ayant suivi le traitement, contre 42 % chez les 24 délinquants ayant suivi d’autres formes de traitement. Le traitement multisystémique vise à diminuer la délinquance en améliorant les interactions des adolescents avec les divers systèmes qui exercent une influence sur leur comportement, comme la famille, l’école, les services sociaux et les amis qu’ils fréquentent (Henggeler, Schoenwald, Borduin, Rowland et Cunningham, 1998). Pourtant, même si le traitement multisystémique est couramment utilisé pour lutter contre la délinquance en général, une seule étude a été consacrée à ses effets sur la récidive sexuelle (Borduin, Henggeler, Blaske et Stein, 1990; Borduin et al., 2000).

La seule étude avec répartition des sujets au hasard consacrée à l’examen d’un traitement destiné spécifiquement à des délinquants sexuels adultes a été réalisée par le California’s Sex Offender Treatment and Evaluation Project (SOTEP; Marques, 1999; Marques, Day, Nelson et West, 1994). Tous les sujets étaient des détenus qui avaient accepté volontairement de suivre le traitement. Ils ont dû subir une évaluation avant d’être répartis au hasard dans le groupe de traitement (n = 190) et le groupe de comparaison (n = 225). Le traitement s’appuyait sur la théorie cognitivo-comportementale intégrée à un cadre de prévention de la récidive (Laws, 1989). Même si les résultats préliminaires étaient encourageants (Marques et al., 1994), les données de suivi les plus récentes n’ont fait ressortir aucune différence notable entre le groupe ayant suivi le traitement et le groupe de comparaison (Marques, 1999). Les derniers résultats de cette étude n’ont pas encore été publiés.

Comme il existe peu d’études où les sujets ont été répartis au hasard, la plupart des données sur l’efficacité des traitements proviennent d’études de couplage quasi expérimentales. Hanson et al. (sous presse) ont recensé 17 études où la répartition des sujets était « arbitraire » et où il n’y avait a priori aucun motif valable expliquant pourquoi les délinquants pouvaient présenter un risque plus élevé ou moins élevé que ceux du groupe de comparaison. Les caractéristiques des délinquants et du programme lui-même n’étaient pas des facteurs servant à déterminer qui recevrait le traitement et aucun autre facteur évident ne pouvait influer sur la composition des groupes. Les études avec répartition arbitraire des sujets ont révélé que le traitement en soi ainsi que les différences entre les traitements produisaient un effet global. Les traitements actuellement en usage (soit tous les traitements utilisés de nos jours et les traitements cognitivo-comportementaux offerts depuis 1980) étaient associés à une diminution notable de la récidive générale et de la récidive sexuelle, mais pas les traitements antérieurs.

            En combinant les études avec répartition au hasard et les études avec répartition arbitraire, on a constaté que les traitements actuels étaient associés à une réduction de la récidive sexuelle variant de 17,3 % à 9,9 % et à une réduction de la récidive générale variant de 51 % à 32 %. Ces taux n’étaient pas élevés, mais ils étaient statistiquement fiables et suffisamment importants pour avoir une signification pratique.

            Hanson et al. (sous presse) ont constaté que les traitements plus anciens n’étaient pas associés à une réduction de la récidive. Parmi les anciennes formes de traitements, on compte la psychothérapie de groupe non structurée, la thérapie du comportement hautement spécialisée et les groupes d’entraide.

Même si la méta-analyse de Hanson et al. (sous presse) fait la preuve de l’efficacité globale des traitements, elle donne peu de renseignements sur la manière d’améliorer les pratiques actuellement en usage. Les traitements qui se sont révélés efficaces sont les programmes récents axés sur une forme quelconque de traitement cognitivo-comportemental et, dans le cas des délinquants sexuels adolescents, le traitement systémique axé sur les différents problèmes de la vie quotidienne (liés par exemple à la famille, à l’école et aux fréquentations). Il faudra approfondir les recherches afin de pouvoir faire des distinctions fiables entre les types de traitements et les types de délinquants. On peut s’attendre en effet à ce que les délinquants sexuels pris individuellement aient besoin de traitements différents, comme on peut penser que tous les traitements ne profitent pas nécessairement autant à tous les délinquants (Marques, 1999).

 

Synthèse

 

            Dans l’ensemble, de 10 % à 15 % des délinquants sexuels commettent une nouvelle infraction sexuelle après une période de suivi de quatre à cinq ans. Les délinquants sexuels ne présentent pas tous le même risque de récidive. On possède beaucoup d’information sur les facteurs statiques, chronologiques, associés au risque de récidive à long terme. Certains facteurs de risque dynamiques (ceux qu’on peut changer) sont connus, mais il faudra effectuer encore des recherches pour comprendre leur influence particulière. Les données dont nous disposons actuellement montrent que les traitements systémiques et les traitements cognitivo-comportementaux contribuent à diminuer la récidive sexuelle et la récidive en général chez les délinquants sexuels. Il semble toutefois que les traitements ne sont pas tous efficaces et les gens qui fournissent des traitements aux délinquants sexuels doivent bien tenir compte de des principes et des résultats de recherche qui sous-tendent leur méthode.

 

 

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Tableau 1

 

Prédicteurs de la récidive en général chez les délinquants sexuels et les autres délinquants

 

______________________________________________________________________

 

Facteur de risque                                                    délinquants                 autres

                                                                                sexuels                       délinquants

______________________________________________________________________

 

Fréquentations                                                                    -                              0,21           

 

Cognitions antisociales                                                       -                              0,18

 

Personnalité antisociale                                                      0,16                        0,18

 

Antécédents criminels (adulte)                                           0,23                        0,17

 

Délinquance juvénile                                                           0,28                        0,16

 

Groupe ethnique minoritaire                                                0,10                        0,16

 

Âge (jeune)                                                                         0,16                        0,11

 

Toxicomanie                                                                        0,11                        0,10

 

Faible intelligence                                                                0,01                        0,07

 

Détresse personnelle                                                          0,01                        0,05

______________________________________________________________________

 

Remarque : Les valeurs indiquées sont des coefficients de corrélation moyens tirés de Hanson et Bussière, 1998 (délinquants sexuels) et de Gendreau et al., 1996 (délinquants en général).

 

Tableau tiré de Hanson (2000)

 

 

 


Tableau 2

 

Prédicteurs de la récidive sexuelle

 

____________________________________________________________________

 

Facteur de risque                                                             r                  n (k)

____________________________________________________________________

 

Déviance sexuelle

 

 Intérêt sexuel phallométrique

   pour les enfants                                                           0,32         4 853 (7)

 

 Toute préférence sexuelle déviante                               0,22            570 (5)

 

 Infractions sexuelles antérieures                                   0,19         11 294(29)

 

 Victime qui était étrangère au sujet                                0,15            465 (4)

 

 Précocité des infractions sexuelles                               0,12            919 (4)

 

 Victime non apparentée                                                  0,11         6 889(21)

 

 Victime qui est un jeune garçon                                     0,11         10 294(19)

 

 Infractions sexuelles diverses                                       0,10         6 011 (5)

 

Mode de vie et antécédents criminels

 

 Personnalité antisociale                                                  0,14            811 (6)

 

 Toute infraction antérieure                                             0,13         8 683(20)

 

Facteurs démographiques

 

 Âge (jeune)                                                                     0,13         6 969(21)

 

 Célibataire (jamais marié)                                                0,11         2 850 (8)

 

Antécédents en matière de traitement

 

 Abandon d’un traitement                                                 0,17            806 (6)

______________________________________________________________________

 

Remarque : r est un coefficient de corrélation moyen tiré de Hanson et Bussière (1998). k est le nombre d’études et n est le nombre total de sujets contenus dans les échantillons.

 

Tableau tiré de Hanson (2000).

 


Tableau 3

 

Facteurs non liés à la récidive sexuelle

 

____________________________________________________________________

 

Facteur de risque                                                             r                  n (k)

____________________________________________________________________

 

 Empathie pour la victime                                                 0,03        4 670 (3)

 

 Déni de l’infraction sexuelle                                            0,02          762 (6)

 

 Manque de motivation pour le traitement                        0,01          435 (3)

 

 Problèmes psychologiques généraux                            0,01          655 (6)

 

 Victime d’exploitation sexuelle

   durant l’enfance                                                            -0,01        5 051 (6)

 

 Degré du contact sexuel                                                -0,03          828 (6)

 

______________________________________________________________________

 

Remarque : r est un coefficient de corrélation moyen tiré de Hanson et Bussière (1998). k est le nombre d’études et n est le nombre total de sujets contenus dans les échantillons.

 

 



[1] Recherche sur les questions correctionnelles - Ministère du Solliciteur général du Canada, 340, avenue Laurier ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P8, Canada - hansonk@sgc.gc.ca