Le médecin coordonnateur

Dr Pierre LAMOTHE[1]

 

 

L'article L.355 – 33 du Code de la Santé Publique, détaille les dispositions de la loi du 17 juin 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire et précise notamment la qualité du médecin coordonnateur comme "psychiatre ou médecin ayant suivi une formation appropriée". Dans la pratique, il est plus que probable que les psychiatres fourniront l'essentiel de ces médecins même si on peut souhaiter que le groupe des médecins coordonnateurs soit multidisciplinaire et accueille des gens venus d'autres horizons, par exemple de la sexologie pour ouvrir la réflexion et la pratique.

 

Les relations de la psychiatrie à l'ordre public et plus encore à la défense sociale ont toujours été complexes, empreintes de réticences et d'ambiguïté et si la réflexion psychiatrique n'a pas été tenue à l'écart de l'élaboration de la loi du 17 juin 1998, beaucoup de psychiatre ont du mal à y inscrire leurs options nosologiques et leurs pratiques.

 

Précisément, le pivot dans l'application de la nouvelle loi paraît être le Médecin Coordonnateur qui à la fois lui donne son sens en tant que technicien authentifiant le soin dont il est fait injonction et en tant que garant autant que faire se peut des principes qui pourraient être mis à mal par le nouveau cadre jusqu'à invalider le soin même auquel il prétend soumettre l'auteur d'infraction à caractère sexuel.

 

Il a été maintes fois signalé, jusqu'ici même dans cette conférence de consensus, quelle dérive et quelle erreur de sens représentait l'emprise du juge et du psychiatre chacun sur le rôle de l'autre, avec le risque inacceptable de confusion à infliger le soin comme une peine et à prescrire la peine ou au moins la rencontre avec la loi comme un soin.

 

La fonction du Médecin Coordonnateur a été élaborée pour tenter de maintenir l'indépendance indispensable du soin et de la peine, de la rencontre du juge qui juge et du médecin qui soigne.

 

Historiquement, cette fonction est issue à la fois de la mission judiciaire que représente l'expertise, mission d'évaluation dans un cadre précis dont le patient doit dûment être averti, et d'expériences antérieures établies en concertation dans certains tribunaux pour le cadre de l'obligation de soin classique et qui préfiguraient de fait les principales dispositions de la loi de 1998.

 

Le médecin qui acceptait avec le consentement du patient faisant l'objet du contrôle judiciaire de correspondre avec l'agent de probation ou le juge d'application des peines, transmettait une information de forme sur le traitement et non une information de fond qui pouvait se réduire dans la plupart des cas à une information binaire : oui ou non le patient se soigne-t-il.

 

L'obligation de soin classique était régie par des textes suffisamment généraux pour que le flou permette toutes les interprétations et un jeu assez souple entre psychiatre et juge qui pas plus l'un que l'autre, ne paraissait tenu (pour la partie soin en tout cas) par la moindre perspective d'obligation de résultat.

 

La position du Médecin Coordonnateur de la loi du 17 juin 1998 est autrement plus précise et plus contraignante et les craintes et fantasmes qu'elle suscite sont sans doute à l'origine malgré la perspective d'une rémunération qui pourra être dans certains dossiers supérieure à ce que l'on peut attendre dans une prise en charge normale, d'une indiscutable crise des vocations qui fait que, en novembre 2001, beaucoup de départements n'ont pu encore constituer leur liste de médecins coordonnateurs tels que prévus par la loi.

 

A côté des réticences techniques, les médecins coordonnateurs potentiels redoutent que l'injonction soit autant, voire davantage une injonction pour le psychiatre que pour le patient et beaucoup estiment que la question de la responsabilité du médecin coordonnateur dans sa mission, notamment face à une éventuelle récidive, n'est pas assez précisée.

 

Si l'on conçoit bien les difficultés de l'élaboration d'un texte spécifique qui viennent sortir la responsabilité de cette mission particulière du cadre de l'exercice général du soin, des activités institutionnelles ou de l'expertise, on ne peut que constater que les relations entre la justice et le corps médical ont pu se raidir à la suite d'une nouvelle jurisprudence. S'il est bien compréhensible que soit mise l'emphase sur la protection des patients et la réparation de leur préjudice, l'appréciation de la responsabilité "indirecte" par les tribunaux n'est pas toujours comprise et fait redouter que des condamnations de principe ou même "morales" viennent doubler un éventuel lynchage médiatique du médecin coordonnateur.

 

Le rôle du médecin coordonnateur dans la désignation ou l'approbation du choix du patient du thérapeute laisse aussi quelques ombres : outre le fait que la création d'une nouvelle dérogation légale au secret médical est venue sortir la prise en charge d'un patient soumis à l'injonction de soin du suivi socio-judiciaire hors du champ commun des thérapies (même si cette dérogation qui double quelque peu la position du médecin coordonnateur ne fait pas obligation au médecin de dénoncer les avatars des soins), il y aura peut-être nécessité de recourir à des montages complexes pour avaliser des situations pourtant courantes et efficaces en thérapeutique.

 

C'est notamment le cas lorsque le soin principal sera assuré dans un cadre psychothérapique par un psychologue ou un autre intervenant non médecin (infirmier spécialisé), ce qui imposera une co-thérapie. Même si cette dernière est très courante en milieu institutionnel comme en pratique de ville, le médecin coordonnateur n'en sera pas moins amené à des jugements et des initiatives avec une appréciation très importante de ce qu'il communiquera au magistrat de la nature et du développement du traitement. La co-thérapie d'un psychiatre et d'un médecin d'une autre spécialité ou généraliste assurant la prescription sera aussi fréquente.

 

Il va de soi que le médecin coordonnateur n'a en fait, face au secret professionnel, aucune dérogation supplémentaire à celle du médecin traitant et on ne voit pas qu'il puisse s'affranchir du consentement du malade pour délivrer quelque information de fond que ce soit le concernant.

 

Il apparaît que réglementairement et déontologiquement le conflit éventuel entre le médecin coordonnateur et le patient à propos de la communication au juge doive être arbitré par la référence à un expert nanti d'une mission particulière si le magistrat l'estimait nécessaire devant l'impossibilité de communiquer du médecin coordinateur.

 

Le médecin coordonnateur apparaît en fait au contraire comme le garant que puisse être respecté de façon absolue le secret professionnel dans le soin et cet aspect est non seulement incontournable en tant qu'élément de droit, mais en tant que simple règle d'efficacité thérapeutique.

 

Les "éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soin" prévus par le décret en conseil d'état devant être transmis par le médecin coordonnateur au juge d'application des peines pourront peut-être se réduire à un simple certificat médical délivré à l'intéressé mais il est plus que probable que les patients eux-mêmes, soit sous l'influence d'une pression venue du juge d'application des peines et du contrôle judiciaire soit de leur propre initiative solliciteront le médecin coordonnateur pour développer et s'engager au-delà d'un simple constat de la poursuite de leur rencontre avec le médecin traitant.

 

Cette question a déjà souvent été évoquée par les thérapeutes ayant en charge dans le cadre de l'obligation de soin classique des patients dont le sort de réalité pouvait être influencé par le soin (devant passer en justice ou dans le cas où une affaire civile avec par exemple le juge aux affaires matrimoniales interfère avec le pénal) ou encore ayant en charge dans le cadre d'intervention en milieu pénitentiaire des patients devant faire l'objet d'un aménagement de peine, avec une interrogation éthique, qui comme toute question éthique, ne peut pas être résolue par un texte.

 

Les psychiatres ainsi peuvent-ils être entendus directement aux audiences des applications des peines ou même peuvent-ils donner des certificats de situation détaillée ? Il y a un double écueil entre l'injustice qu'il y aurait à priver quelqu'un de la possible exploitation du bénéfice d'un traitement bien conduit et d'un retour sur lui-même ayant amené une évolution positive (alors qu'on certifierait sans état d'âme dans n'importe quel autre domaine somatique les résultats de la thérapeutique et le pronostic pour laisser le malade en disposer), avec le risque évident que si le médecin accepte pour certains de donner un certificat, l'absence de certificat pour d'autres soit interprété comme l'évidence d'une évolution ou d'un pronostic péjoratif.

 

La question de la réincarcération intercurrente d'un patient qui était en liberté sous le coup d'une mesure de suivi socio-judiciaire posera aussi au médecin coordonnateur quelques problèmes. Il n'est pas prévu a priori qu'il intervienne auprès des médecins de l'institution pénitentiaire, nouveaux médecins traitant du patient, mais l'expérience montre que les médecins traitants dans la plupart des cas, en matière d'auteurs d'infraction à caractère sexuelle, n'ont pas de contact avec les médecins du milieu pénitentiaire, soit délibérément pour maintenir le plus possible la thérapie hors des avatars de la réalité, soit par manque d'information.

 

Le médecin coordonnateur devrait d'après les dispositions légales et réglementaires passer bien davantage de temps comme partenaire du médecin traitant que comme partenaire du juge. Cela ne va pas sans nouvelles difficultés. Ne sera-t-il pas co-thérapeute de fait ou ne risque-t-il pas de s'impliquer à côté de sa fonction dans une espèce de deuxième écoute où le médecin traitant peut ne pas trouver facilement sa place.

 

Cette question rejoint en fait celle de la "formation appropriée".

 

Si on peut comprendre que les instances de formation spécialisées soient associées à l'élaboration des souhaits des autorités de tutelle concernant ces formations et leur validation, il serait trop lourd, inefficace et très vite décourageant pour les médecins traitants et les médecins coordonnateurs que ces formations soient de type pédagogique ou universitaire exclusivement.

 

Bien au contraire, l'expérience de la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel doit nous rendre particulièrement sensible à la perversion naturelle de la relation thérapeutique par les phénomènes d'identification projective et les transmissions de l'excitation, par les risques de développement de relation d'emprise ou de fascination, etc… face à ces risques thérapeutiques, la réponse n'est pas forcément celle d'un traitement psycho-dynamique d'une quelconque obédience idéologique mais elle ne peut en tout cas qu'être une mise en commun du vécu et des expériences : le but du traitement qui doit être le but de l'application de la loi du 17 juin 1998 est de ne pas laisser le pervers seul, et de ne pas laisser non plus ni le médecin traitant, ni le médecin coordonnateur seul.

 

Une question reste également ambiguë, celle du refus du médecin coordonnateur d'assurer sa mission. La lettre de la loi paraît inciter à considérer que cette mission de service public s'apparente à l'expertise et que l'inscription sur la liste suppose implicitement l'acceptation sans la présence de raisons impérieuses à exposer au juge. Il sera peut-être souhaitable dans le futur de revenir sur les closes d'exclusion du médecin coordonnateur par rapport à l'expertise ou à la thérapeutique. S'il est évident que le coordonnateur comme l'expert ne peut pas être en même temps thérapeute et évaluateur, la plupart des psychiatres ont fait l'expérience d'une demande ultérieure d'un patient qui avait à la faveur de la rencontre expertale vu sa situation et lui-même d'une autre façon et souhaitait, une fois réglée sa situation judiciaire, poursuivre avec la même personne dans un autre cadre et un autre but. Des thérapies très fructueuses ont souvent pu être conduites à partir de ce changement.

 

Un risque de manipulation et de demandes séductrices de changement pourrait accompagner la reconnaissance d'une possibilité pour le médecin coordonnateur d'être un jour en position de thérapeute, mais en revanche, le consensus de la plupart des praticiens s'établit sur le fait qu'il n'y a pas d'objection sérieuse à écarter de la position de médecin coordonnateur un médecin qui aurait participé aux expertises initiales du dossier et qui de ce fait, connaîtrait d'emblée la situation du patient (lequel connaîtrait de même clairement la base de départ commune du juge et du médecin coordonnateur !) et pourrait présenter sa mission à la personne suivie et l'accomplir sans ambiguïté.

 

Les relations entre le médecin coordonnateur et les parties civiles ne sont pas prévues par la loi et c'est sans doute heureux. Mais dans la pratique, les parties civiles de plus en plus interpellent les différents partenaires de la réponse judiciaire et sociale à la transgression et il peut être utile, dans certains cas, que soit rétabli dans un cadre thérapeutique des relations entre les victimes et les auteurs. Il y a là peut-être aussi un champ où le médecin coordonnateur pourra aider à la thérapeutique et à la restauration des victimes.

 

Quoi qu'il en soit, il sera nécessaire de reprendre avec l'expérience la question après quelques années de fonctionnement qui permettront, souhaitons-le, d'élaborer de nouveaux progrès pour le respect de la personne et de l'intérêt collectif.

 



[1]  Psychiatre – SMPR  - LYON