Quel est le rôle des pathologies mentales, de l’alcoolisme et du contexte familial et social chez les auteurs d’agression sexuelle ?

Dr Reynaldo PERRONE[1]

 

 

I - concepts et precisions preliminaires

 

            Bien que toute conceptualisation implique le risque de simplification, les observations systématiques, des données objectives des cas cliniques permettent de décrire les traits les plus significatifs des individus qui ont commis des abus sexuels.

 

Une modélisation de variables typologiques est possible même si quelquefois les comportements des abuseurs ne correspondent pas exactement à la description qui suivra immédiatement.

On peut signaler que les hommes et les femmes qui agressent ainsi, se trouvent dans un moment de leur vie où le développement sexuel a atteint déjà un degré de maturité physique

et psychologique, une capacité de discernement, d’analyse de la réalité, de gestion des émotions et de la responsabilité (familiale, sociale, civile), assortie dans la plupart des cas d’une expérience vécue avec d’autres partenaires adultes.

 

En effet, il s’agit d’individus intégrés dans la société en tant que responsables d’une famille, d’un travail et d’autres individus.. Il est fréquent de trouver ces êtres occupant des postes de responsabilité confiées par la société, bénéficiant ainsi du pouvoir et d’autorité.

Les raisonnements utilisés pour commettre les agressions sexuelles abusives font preuve d’un complexe montage d’arguments fallacieux mais vraisemblables pour les victimes.

Il est possible donc, d’affirmer que les comportements sexuels en cause obéissent à une intentionnalité consciente et rationnelle, répondent à une logique plus réfléchie que pulsionnelle, particulièrement quand il s’agit d’abus qui ont duré longtemps.

 

 

II - l’abus sexuel

 

Types d’abuseurs

On peut etablir deux types d’abuseurs qui correspondent aussi à deux positions existentielles.

 

Le premier (type I) est réservé en apparence, non dangereux, pour l’environnement relationnel, peu expansif, en repli hors du cadre familial. Quelque fois, pudique et moralisant, exaltant les valeurs morales ou religieuses. L’abuseur a un aspect asexué plutôt soumis, sans volonté de domination. Ce comportement inspire confiance, sympathie et tendresse à son égard avec le corollaire de reconnaissance et d’admiration. Le jugement extérieur qualifie le sujet de dévoué, sacrifié et méritant le respect. Dans ces conditions, les enfants en contact avec eux se sentent en sécurité, les adultes leur confient sans réserve, lorsqu’il s’agit de colonies de vacances, stages ou gardes, la vie de leurs enfants.

 

Objectivement ce type d’abuseur ne recherche pas à faire souffrir l’enfant, mais lui «offrir» une expérience gratifiante, ce qui rend confus celui-ci, qui quelque fois s’attache affectivement ou plonge sans issue dans un désarroi profond.

L’absence de douleur et de souffrance physique et l’éventuel expérience de plaisir sensoriel-, amplifient la confusion et la culpabilité de la victime.

 

On observe une sexualité réprimée et sélective de la part de l’abuseur, quoique dans certains cas et dans les mêmes circonstances, il puisse réaliser des abus en série.

Des pères isolés, parfois délaissés par leurs conjoints, des moniteurs, des religieux, des enseignants, des amis ou proches parents de la famille, font partie de ce profil.

On peut également identifier les pédophiles par l’immaturité affective et sexuelle qui les caractérise, ainsi que les femmes et les mères abuseuses.

Celles-ci agissent dans le cadre éducatif, de soins, d’attention sacrifiée envers l’enfant qui, lui, reste piégé dans un espace affectif et sensoriel clos.

 

 

Le deuxième (type II) est agressif et violent, dominant, tyrannique, conquérant.

Le sujet se montre déterminé, osé, méprisant à l’égard des faibles, exprime plus ou moins explicitement sa volonté de se servir des autres en tant qu’objet sexuel. Les moyens pour y parvenir sont la menace, la séduction, l’humiliation, la surprise, la contrainte, la violence verbale ou physique.

L’abuseur revendique son droit d’agir ainsi, fait parade de sa force et de sa masculinité, s’estime dans l’impunité tant soit dans le cadre familial ou institutionnel.

On constate mystification, et mythomanie et mépris de la loi. La culpabilité et le regret sont pratiquement  inexistants, existe le dénie de la souffrance de l’autre.

 

On peut identifier dans cette catégorie :

 

- Tout d’abord les individus qui manifestent une volonté de pouvoir et de jouissance sans réserve (ivresse du pouvoir) au détriment des victimes, qui elles deviennent des objets utilitaires de plaisir.

Il ne s’agit pas des individus présentant des troubles de la personnalité, car dans l’ensemble de la vie sociale et relationnelle, ils se montrent adaptés et pertinents. Ce comportement est culturellement considéré comme inhérent à la condition masculine et supportée par l’entourage.

Les entorses à la loi et les débordements sont rapidement effacés par l’autosuffisance, la dérision, la provocation ou le blâme de la part de l’abuseur ou pour la solidarité complice de son réseau relationnelle (famille, amis, collègues de travail).

 

- Ensuite, certaines pathologies qui se manifestent sous la forme d’agressions sexuelles violente, particulièrement la sociopathie, la psychopathie, les perversions, les névroses obsessionnelles et phobiques et les états d’excitation lors des décompensations maniaco-dépressives.

Cependant, étant donné la gravité de ces états du psychisme, les signaux d’alerte permettent le repérage de l’anomalie du comportement et éventuellement la mise en place de mécanismes de protection ou de soin pour la victime (placement, hospitalisation, signalement à la justice).

Dans le type d’abuseur qui vient d’être décrit, la sexualité sera ouverte, sans pudeur, exhibée, intensive, déviante. Les relations sexuelles transgressives et les partenaires multiples mettent en œuvre une promiscuité transgénérationnelle, une complicité qui implique fréquemment plusieurs membres de la famille ou de l’extérieur. Les enfants peuvent être filmés ou photographiés à des fins pornographiques et incités à participer dans des scénarios pervers. On leur donne de l’argent, des cadeaux, des privilèges, des promesses, en vue de bloquer leur résistance et leur sens critique.

 

Lorsque dans une famille, un homme (père, beau-père ou frère) qui correspond à ce profil agit abusivement, les victimes peuvent être filles et/ou garçons, membres du même groupe ou de la proche parentée. Un ou plusieurs membres de la fratrie peuvent subir l’agression sexuelle d’un ou plusieurs agresseurs (père, oncles, frères, cousins ou autres).

 

            Ce type de comportement peut amener les enfants victimes à l’organisation de conduites réactives de blocage, inhibition, avec sentiments de culpabilité et de honte ou au contraire à la débauche, la prostitution, la marginalisation et la délinquance selon les possibilités d’élaboration et de traitement du traumatisme qu’offre le contexte familial (cf. Rôle du contexte familial) ou péri familiale (cf. Rôle du contexte social).

 

Evolution et sequelles a courte et a longue duree

 

            Si l’on comprend la différence de comportement entre l’abuseur type I et le type II, il apparaît que les symptômes, l’évolution et le pronostic concernant la victime seront sensiblement différents.

 

La victime de l’abuseur type I manifestera une dépendance affective de celui-ci, une tendance à justifier l’acte l’abusif, à croire aux sentiments de l’abuseur et, à cause de sa prétendue fragilité, de le protéger.

La famille ou les proches de l’abuseur vont en faire autant. La culpabilité de la victime sera importante étant donné son involontaire « participation ». Erotisation, idéalisation, peine, attachement, remords, peuvent émerger dans les sentiments intimes, avant que la douleur ou la colère n’en prennent la place.

Naturellement, dans un premier temps, la victime trouvera beaucoup de difficultés pour critiquer et condamner l’abuseur, et en conséquence le signaler ou le dénoncer.

 

Les victimes du type II resteront marquées par la violence, les menaces, la contrainte et l’humiliation vécue. Les traces les plus repérables sont la honte et l’indignité, dénarsissisation profonde, perte de l’estime de soi et manifestation des symptômes post traumatiques (dissociation et dépersonnalisation).

Les désordres sexuels et relationnels sont très fréquents « Celle-ci (la victime) retourne contre elle-même le sexe, l’arme avec laquelle elle a été blessée, pour se mutiler en public devant témoins et en rappel de la souffrance vécue ». R. Perrone, M. Nannini

On peut observer promiscuité sexuelle, érotisation excessive, conduites provocatrices, mépris à l’égard des hommes, agressivité, fugues, tentatives de suicide, délinquance, toxicomanie. Prostitution et marginalité seront les regrettables conséquences de l’agression sexuelle subie.

A la différence des cas décris précédemment, ici la dénonciation peut être réalisée avec une volonté revendicative accompagnée d’hostilité, de haine et quelque fois d’un passage à l’acte meurtrier.

 

Sur le plan psychique, peuvent apparaître aussi chez la victime des troubles cognitives importants, et une organisation paranoïaque de la pensée, manifestation  d’une quête impossible de réparation.

« La trace corporelle que laisse ce type d’abus est profond, de l’ordre de l’innommable. Il existe une blessure narcissique qui rend négative la représentation que la victime à d’elle-même ». R. Perrone, M. Nannini

 

 

La praxis de l’abus

 

            Trois faits caractérisent l’abus sexuel :

1.     l’effraction

2.     la captation

3.     la programmation

 

Effraction : Signifie pénétration dans une propriété privée par la force et avec rupture des limites du territoire. L’effraction initie la possession abusive, elle en est le préalable.

Dr ANZIEUX dans « Le Moi-Peau » dit : « Tout appareil psychique, tant individuel que groupal a besoin de se constituer une enveloppe qui le délimite, le protège, et permettre les échanges avec l’extérieur ».

Existe effraction du moment ou existe contact abusif soit à travers l’irruption dans l’imaginaire de l’enfant, soit à travers la pénétration dans son espace (sa chambre, son lit, ses vêtements) et dans son corps par le toucher, la défloration et le coït.

 

 

Captation : On entend par captation l’appropiation de l’autre dans le sens de saisir sa confiance, l’attirer, fixer son attention et lui ôter sa liberté.

La captation se réalise à travers trois voies sensorielles,

-       le regard

-       le toucher

-       la parole

et à travers un leurre, le faux-semblant.

 

Ces voies font partie de l’équipement sensoriel et sensitif de l’enfant. Elles assurent le passage d’informations entre lui et son environnement, elles permettent de comprendre et d’apprendre. L’abuseur se sert de ces voies dans sa stratégie de captation.

Son parasitage bloque l’autonomie et rend vulnérable l’enfant. L’abuseur se sert de ces voies dans la stratégie de captation.

 

Le regard par son intensité et en tant que vecteur du désir et des significations masquées pénètre l’enfant qui reste paralysé, plongé dans le trouble et dans l’incertain. Les aspects qui font du regard un instrument de captation de détournement des défenses de l’autre sont : la charge, le poids du désir sexuel exprimé, l’in congruence, l’incontenabilté…

Il s’agit du regard envers l’enfant, mais aussi de ce que l’enfant doit regarder (nudité, excitation sexuelle, images pornographiques), source de traumatisme et de confusion pour lui.

 

Le toucher lorsqu’il est sincère, s’inscrit dans un échange affectif équitable entre adulte et enfant. Mais il existe des touchés à connotations sexuelles masquées, indécelables dans ses finalités ou, bien d’autres dont la coercition imposée, traumatisent et meurtrissent le corps.

La captation se réalise à travers des contacts corporels « ayant une intensité sensorielle troublante, assorties à des messages de banalisation : «on joue», de protection, de tendresse : «dormir ensemble», «se blottir», ou de soin : «Donner un bain», «examiner le corps». Ces contacts fragilisent l’attention et détournent la critique, créent une fixation mnésique ou sont liées excitation sensorielle et consignes verbales d’apprentissage qui conditionneront le comportement ultérieur de l’enfant ». R. Perrone, M. Nannini

 

La parole dans la situation d’abus sexuel, est au service de la captation, du détournement de la signification du sens de la communication, elles deviennent outil de capture et non vecteur de communication – confirmation entre les personnes. Le message abusif provoque un effondrement de la capacité critique, un abandon confus de la victime épuisée par ses efforts pour déceler en vain une cohérence sémantique du discours.

 

Finalement en tant que leurre, le faux-semblant complète les voies de la captation. Le concept signale qu’une fausse réalité apparaît comme une vraie réalité aux yeux de celui qui la regarde, de celui qui est l’objet de l’illusion. Ainsi le « protecteur » par exemple, n’est qu’une apparence destinée à faire croire à la victime qui est vrai, ce qui en réalité est faux. La victime devient l’objet de captation au profit de l’abuseur (quand l’araignée attire le papillon en simulant le chant du papillon de l’autre sexe, celui-ci devient son objet).

Comprendre le faux-semblant exige une complexe opération cognitive, car il est question de comprendre que le faux ne devient jamais vrai. La victime modifie sa position existentielle et peut se soustraire à l’abuseur quand elle comprend cette illusion trompeuse proposée par celui-ci.

 

La programmation : Consiste à introduire des instructions dans la mémoire du cerveau pour induire des comportements prédéfinis en vue de les activer à un moment précis. A cause de la programmation, la personne victime renonce pendant longtemps à se soustraire à l’influence de l’abuseur. La programmation permet la perpétuation de la relation abusive et explique la répétition de l’acte, le secret, le pacte qui lie l’abuseur à la victime, le sentiment d’être responsable, la fatalité et la honte qu’éprouve celle-ci.

 

            Si l’on comprend les trois faits qui caractérisent l’abus sexuel on peut admettre que chaque situation est différente selon le type d’abuseur qui est l’auteur et la réalisation plus ou moins achevée de l’effraction, de la captation et de la programmation.

Ainsi, il sera totalement différent dans ses conséquences, un acte abusif unique avec effraction brutale qu’un acte répétitif sans souffrance physique. Ou encore une longue captation incestueuse sans effraction qu’une effraction déguisée de soins, avec captation et programmation.

 

            Par ailleurs, au niveau cognitif, l’âge de la victime est déterminant dans sa façon de traiter l’agression.

 

            En effet, avant 6 ans, l’organisation de la pensée ne permet pas d’établir la causalité des faits, ceux-ci sont vécus sans liens entre eux.

Si la souffrance existe, elle est l’expression de chaque expérience traumatique en soi, dissociée des autres.

A partir de 8 ans, le lien causal conscient apparaît dans la pensée de l’enfant de sorte qu’il peut lier les évènements et construire un raisonnement assorti d’un dialogue interne intelligible. Les faits sont alors repérés dans leur signification et l’enfant peut, à ce moment, se situer en tant qu’acteur ou spectateur, sujet ou objet en visualisant plus clairement le lien entre la cause et l’effet.

A 12 ans les compétences concernant les opérations formelles et les capacités hypothético-déductives sont, théoriquement, en place dans l’organisation de la pensée et permettent l’émergence d’une intelligence fonctionnelle. Dans le cas d’abus sexuel par exemple, l’attribution de notions de valeurs, d’incompatibilité, de faute, et la critique et le jugement sont alors possibles.

 

            Pour cette raison, certaines situations vécues dans l’enfance prennent, quelques années plus tard, une signification traumatique et douloureuse, même si à l’époque des faits, ne l’étaient pas. L’abuseur désorganise avec ses agissements intrusifs et intentionnels, le précieux équilibre nécessaire pour permettre à l’enfant un développement cognitif harmonieux. (Perrone, Bak, 1998).

 

            Finalement nos recherches nous ont permis de définir dans la relation abusive, l’emprise, un état de conscience modifiée de la victime qui est sous l’influence sans le savoir, de l’abuseur. Une modification de la capacité critique (par défaut de la perception) et une focalisation réductrice de l’attention sont observables, dans le comportement de la personne sous emprise. L’emprise est le résultat de la confluence de trois faits (effraction, captation, programmation) inhérents à la relation abusive, et explique l’impossibilité des victimes à parler, faire savoir, dénoncer et comprendre pourquoi elles reviennent souvent sur les allégations portées sur l’abuseur quand elles les avaient faites.

 

 

III - Rôle des pathologies mentales chez les auteurs d’abus sexuels

 

            Les chapitres précédents ont permis d’expliquer les caractéristiques de l’abuseur et de l’abus qui en découle. On peut saisir qu’abus sexuel n’est pas toujours synonyme de pathologie.

 

Un grand pourcentage des abuseurs ne présentent pas de pathologie mentale repérable, pas de pathologie chez 90% d’entre eux. D. Finkelhor, 1999, A. Perron, 2000.

La description dans une expertise, d’un comportement transgressif et l’explication des causes du passage à l’acte ne veulent pas dire qu’une maladie mentale existe.

Par ailleurs beaucoup de pathologies ne sont pas accessibles à la thérapie et quand elles le sont, la thérapie n’a pas une efficacité remarquable.

En règle générale, on peut dire que, quand elle est présente, il existe un lien entre le degré de gravité de la psychopathologie et les conséquences de l’abus sexuel.

 

Certaines pathologies vont être à l’origine des agressions sexuelles dont l’effraction sur le corps de la victime sera brutale et douloureuse, source de souffrance intense, tandis que d’autres auront un impact sur le psychisme plutôt que sur le corps à travers la séduction médiatisée par la parole, le regard et le faux-semblant.

Finalement la pathologie dans notre expérience, n’est pas la cause, ni l’origine de la plupart de cas d’abus sexuels.

 

 

¨     Pathologies mentales en général :

 

Sans visiter la nosologie classique et les nouveaux critères de diagnostic (DSM), on peut établir qu’il existe des désordres psychiques qui évoquent davantage une inadéquation, ou un manque de congruence émotionnelle, une immaturité certaine qu’une pathologie établie selon les critères nosographiques.

 

L’analyse clinique des comportements des abuseurs permet de déterminer les défauts de structuration de la personnalité qui rendent possible la réalisation de l’abus sexuel soit par un manque de congruence émotionnel, par une déviation de la cible de la sexualité, par distorsions cognitives, par un manque de capacités pour satisfaire les nécessités sexuelles avec les adultes, ou par une déshinibition excessive. Finkelhor, 1980

La plupart des individus abuseurs présentent certes, une histoire avec des événements traumatiques, mais dans l’ensemble de la population, d’autres individus ayant souffert des impacts équivalents, qui n’ont pas évolués vers l’organisation des comportements abusifs.

Les variables éducatives culturelles, conjoncturelles, de nécessités, d’émulation, de pouvoir, de permissivité, jouent sans doute un rôle important dans le passage à l’acte.

 

 

¨     Pathologies mentales en particulier :

 

La consultation clinique montre que certains tableaux nosologiques présentent une incidence dans la problématique de l’abus sexuel.

A défaut des statistiques spécifiques, on peut signaler une prédominance dans la population présentant des troubles de la personnalité (DSM IV) tant soit antisocial (sociopathe),  borderline, narcissique ou sexuel. Dans un autre registre, les troubles anxieux,  obsessionnels compulsifs peuvent avec leur éventail de comportements ritualisés contraindre les enfants à perdre leur intimité sous couvert de minutieux examens concernant la propreté du corps.

 

La pédophilie occupe une place importante dans les pathologies qui jouent un rôle dans l’abus sexuel. A la différence des autres entités citées, dans ce grave trouble sexuel, l’enfant est la cible sélective du comportement morbide du malade. Autre que les fantaisies et les impulsions sexuelles, la stratégie de captation du pédophile vise l’enfant en tant qu’objet exclusif de plaisir. La variété de « techniques » mises en œuvre et l’aliénation quasi perverse entre abuseur et victime classent ces actes dans la frontière du crime. Les conséquences et séquelles sont donc graves.

Comme il est possible d’observer, il existe un rapport entre le type de pathologie et le type d’abuseur. Par ailleurs, l’effraction subie par la victime dépend de l’importance des troubles de la personnalité de l’agresseur. Egalement la stratégie de captation dépendra de l’équipement.

 

A retenir qu’il peut y avoir effraction brutale par exemple sans captation ou une longue captation (L’incestueux, Récamier) sans effraction objective.

Dans l’ensemble de cas étudiés, la pathologie chez l’abuseur n’est pas cependant la cause principale de l’acte abusif. Dans le récit qui concerne des adultes abusés dans leur enfance, l’abuseur a évolué sans manifestations symptomatiques significatives, parfaitement adapté à son environnement social.

 

 

 

 

I-               Rôle de l’alcoolisme chez les auteurs d’abus sexuels

 

¨     Alcoolisme :

 

Le thème renvoi à la pathologie lié à une substance et aux comportements dépendants.. On connaît les effets que l’alcool a sur le comportement : euphorie, agressivité, exaltation sexuelle, altération du jugement, humeur labile et modification du fonctionnement social ou professionnel. Il est pertinent de lier ces variations thymiques accompagnées de débordements affectifs, aux fréquents passages à l’acte abusifs dont les alcooliques sont les auteurs.

 

Il faut encore faire la différence entre l’intoxication alcoolique aiguë, l’alcoolisme précoce et la dépendance chronique à l’alcool, « il y a alcoolisme lorsqu’un individu a perdu la liberté de s’abstenir de boire de l’alcool ».

Les définitions plus récentes de l’alcoolisme signalent la nécessité de faire la distinction entre

l’addiction et les conséquences de l’addiction. Ainsi « il est possible qu’un patient soit

dépendant de l’alcool sans que sa conduite d’alcoolisation ne s’accompagne de

complications physiques, sociales ou mentales ». Edwards, le même auteur, souligne que

la dépendance conduit à la maladie alcoolique quand celle-ci s’accompagne de

complications sociales, physiques ou somatiques.

 

Les effets de l’alcool sur l’individu sont clairement connus et systématisés, et son rôle dans l’incidence de certaines maladies est déterminant : pathologies neurologiques, psychiatriques, hépatiques, circulatoires, cancer, tentatives de suicide, accidents de la route, accidents du travail, violence familiale, violence…etc…

 

Cependant, on ne retrouve pas dans la documentation spécialisées des études concernant le rôle de l’alcool sur l’incidence de l’abus sexuel. L’effet d’euphorisation et de désinhibition sert sans doute à l’accomplissement de l’acte abusif. Les paroles, regards et touchés décrits dans la captation, l’excitation psycho-corporel nécessaire pour l’effraction et la responsabilité, la honte, le secret, le pacte et la répétition décrite, dans la programmation de la victime sont possibles grâce à l’effet sur la conscience que provoque l’alcool chez l’usager.

Les facteurs désir-alcool-passage à l’acte, sont interchangeables (alcool-désir-passage à l’acte ; passage à l’acte-alcool-désir) dans la séquence qui précède et accompagne la réalisation de l’abus sexuel particulièrement lorsqu’elle a lieu dans le contexte familial.

 

L’usage de l’alcool et la modification de la personnalité qui en découle est un

épiphénomène dans la dynamique de l’abus sexuel. On peut signaler la co morbidité et l’amplification, dans ces états, des troubles pré ou co-existants.

L’alcoolisme est associé fréquemment aux états limites décrits par Kermberg.

Selon Caroline Odile, 40% des sociopathes sont alcooliques, et on pourrait en dire certainement autant des autres troubles de la personnalité. L’alcoolisme précoce des adolescents est certainement pour quelque chose dans les agressions sexuelles extra familiales tels que les viols ; dans ce cas, l’alcool augmente la fréquence de conduites impulsives.

 

 

II-             Contexte familial

 

La famille est la matrice d’identité de l’individu. Les abuseurs vivent dans leur famille

d’origine ou dans la famille nucléaire. Ils abusent dans leur famille d’origine ou dans leur famille nucléaire ou ailleurs, au sein d’une autre famille.

La famille n’est donc pas un sanctuaire ni un espace protégé et rassurant pour les enfants. « Parmi les victimes mineures, trois sur cinq appartiennent à l’entourage familial (situation incestueuse) ». « A noter que le pédophile marié n’agresse que rarement ses propres enfants, mais que le père incestueux ne sévit pas en dehors de sa famille ».

<< On constate que le pourcentage de « violeurs exclusifs » est de 27% pour les viols sur majeurs, 67% pou les viols sur mineurs non apparentés, et s’élève à 95% pour les viols sur mineurs commis par un ascendant >> S. Borvistein, R. Coutanceau, C. Koller, B. Cordier.

La famille peut être à l’origine du meilleur comme du pire. Mais comment est-ce possible ?

Bien qu’une explication exhaustive paraisse impossible à développer dans le cadre de ce travail, quelques arguments peuvent expliquer la mystérieuse dynamique de la famille à transaction abusive.

Des extraits du livre « Violence et abus sexuels dans la famille », seront utilisés dans les paragraphes suivants à propos des caractéristiques de la famille et de la personnalité de la mère.

La description de l’abuseur intra familiale a été précédemment développée dans ce même texte.

« Dans les familles multiparentales, la séparation des époux, le divorce, le remariage se font parfois au prix d’un relâchement des liens de filiation. Celui qui occupe la place de père n’est pas le père, ou bien celui qui occupe la place de la mère n’est pas la mère : les liens parents/enfants ne sont plus appuyés sur des légitimités « naturelles » mais sont toujours susceptibles d’être remis en question.

Le nouveau père ou la nouvelle mère doit, avec l’accord de son partenaire, négocier sa place auprès des enfants de l’autre. Dans certains cas cette négociation ne peut pas avoir lieu, du fait du refus ou des difficultés des uns et des autres ; le sentiment de responsabilité de l’adulte par rapport à l’enfant peut alors devenir diffus, de même que certaines frontières intergénérationnelles : les abus sexuels commis par un beau-père sont extrêmement fréquents (le risque de devenir victime d’inceste est doublé dans les familles reconstituées).

            A l’intérieur de ces familles, il existe un contexte qui permet que l’interdit de l’inceste soit moins prégnant et les sentiments ambivalents moins réprimés, on voit ainsi des relations mère/fille brouillées par la jalousie par rapport au compagnon de la mère.

            On note aussi une forte incidence d’abus sexuel dans les familles monoparentales, quand il y a une absence réelle de la mère à cause de son travail, abandon du foyer, relations extraconjugales, ou maladie, alcoolisme, dépression, hospitalisation, grossesse, etc…

            Souvent, le père délaissé attire l’enfant à la place de la compagne absente et l’enfant s’emploie à la remplacer pour lui éviter souffrance et peine.

            On note aussi une forte incidence des abus sexuels dans les familles mono-parentales, soit par une absence réelle de la mère, soit par une « défaillance » de celle-ci : mère malade, déprimée, hospitalisée, grossesses à répétition.

            Dans les deux types de familles évoquées ci-dessus, la destruction de la filiation ou les difficultés liées à une restructuration sont apparentes et laissent voir rapidement quelles sortes de dysfonctionnement peuvent y émerger.

            Dans les familles apparemment bien structurées, qui offrent un profil « normal », ce sont les révélations d’inceste ou d’abus sexuel qui font apparaître le dysfonctionnement pré-existant.

            La particularité de ces familles est, en effet, le décalage entre l’image donnée à l’entourage et ce qui se passe à l’intérieur. Il faut signaler la caractéristique contraignante de l’image de bien-être que la famille offre à l’extérieur : les enfants sont censés l’entretenir et apportent leur participation active à la mystification montée par les parents ou les adultes.

            Il y règne, en effet, une véritable tyrannie, exercée très directement parfois par le père, et appuyée par une loi de silence subie par toute la famille : les révélations sont toujours présentées comme dangereuses, pouvant faire souffrir l’un ou l’autre, faire éclater la famille. La domination du père peut aller jusqu’au point où il imagine que le territoire familiale peut avoir ses propres lois et échapper aux lois de la société. La famille devient le groupe à protéger en priorité et toute tentative de l’adolescent de se lier à des personnes extérieures appartenant à son groupe d’âge, sera vécue comme une trahison. La prédominance du père s’accompagne dans ce modèle d’un effacement de la mère, qui ne peut alors être d’aucun secours à sa fille. Après le dévoilement, certaines mères gardent leur loyauté à leur mari. Dans la plupart des témoignages recueillis, on peut d’ailleurs constater à quel point ces mères sont fantomatiques : elles ne voient pas, n’entendent pas, nient l’évidence, comme s’il s’agissait de faits se déroulant dans un monde différent. Si la mère n’est pas dominée, elle est tout au moins en retrait, à distance, de sorte que le fait que sa fille prenne sa place auprès du père devient possible, occupant ainsi plusieurs fonctions en même temps : celle de la fille, celle de la mère, de la maîtresse… le père devenant alors le mari, l’amant, l’enfant. Le père et la fille partagent tous les rôles.

            Paradoxalement, l’indifférenciation, présente dans les rôles et fonctions familiales, peut laisser intact un apparent couple parental et conjugal : celui-ci est parfois d’ailleurs le seul « survivant » du dévoilement de l’inceste ou de l’abus sexuel.

            Dans toutes les familles à transactions incestueuses, l’interdit de l’inceste s’est déplacé à celui de la parole : il est interdit d’en parler.

            Secret d’autant mieux gardé qu’il est souvent accompagné de menaces verbales et même de violences physiques. Dès lors, l’enfant ne peut, au-delà même de sa confusion et de ses doutes, facilement imaginer comment il pourrait échapper à un système dont il est aussi dépendant. La solidarité, la cohésion familiale sont avancées comme des objectifs prioritaires.

            Nombreux sont les enfants qui se sont tus pour protéger leur mère de la peine ou des menaces très directes du père. A côté de ces positions très « sacrificielles », on imagine mal comment une mère qui prenait des somnifères pour échapper à la tyrannie sexuelle de son mari, pouvait ne pas s’alarmer de savoir sa fille passer des nuits entières enfermées avec lui dans son bureau. Pour certaines mères, il est vrai que cela relève de l’inimaginable, pour d’autres d’un aveuglement auto-protecteur.

 

            Peu de choses sont dites sur le lien conjugal dans les familles à transactions incestueuses. Mais si le père et la fille partagent toutes les places, si la fille est mise à la place de le mère, si elle est la partenaire du père, le lien conjugal ne peut être que désinvesti. Un lien conjugal solide fait naturellement barrière à l’inceste et la cohérence serait qu’un tel lien soit incompatible avec une interaction incestueuse. Il est donc possible de supposer que la problématique incestueuse est corrélative à une problématique du couple.

            Dans certains cas, le couple se caractérise par une faible activité sexuelle correspondant à un consensus implicite des deux partenaires, un arrangement tacite où chacun trouve son intérêt. Dans d’autres cas, le mari a une activité sexuelle qui déborde le territoire du couple de façon explicite. L’intimité est perdue ainsi que les limites, et l’inceste s’inscrivent comme une continuité dans cette activité sexuelle conquérante et sans « objet distinct ».

            Les facteurs de peur ou de dépendance matérielle peuvent être de bonnes raisons pour l’épouse d’accepter la situation, mais parfois le père trouve auprès de sa fille ce que sa femme lui refuse.

            La force de ce lien apparaît paradoxalement au moment du dévoilement : il n’est pas rare, en effet, que les relations conjugales se poursuivent après. L’inceste est alors inscrit, en quelque sorte dans le contrat conjugal.

            Dans certains cas, le couple conjugal est construit sur une configuration où la femme protège le mari comme le ferait une mère tolérante et bienveillante. Le père peut alors persister dans son « in contenance » et ses transgressions. Sa femme les définit comme des écarts « pardonnables » ou compréhensibles.

            La femme assume une tâche altruiste de salut et se montre résignée vis-à-vis des débordements abusifs de son partenaire en s’éloignant progressivement de son rôle réel de mère. Quoi qu’il en soit, les partenaires partagent leurs mutuelles immaturité et irresponsabilité.

 

 

A propos de la mère :

 

            Au plan social, beaucoup de ces femmes sont des mères exténuées, épuisées et très occupées par un travail extérieur. A moins qu’elles ne soient occupées par leur « intérieur », c’est à dire déprimées, fragiles. On ne saurait toutefois mettre toutes ces mères dans la même catégorie ; certaines réagissent fermement et activement dès qu’elles ont connaissance ou soupçonnent l’abus sexuel.

            La majorité reste dans une attitude ambivalente comme si le dévoilement en soi ne changeait pas grand-chose ou ne suffisait pas à briser le lien qui les relie à leur mari ou compagnon.

 

            Au moins trois caractéristiques sont à signaler :

§       La mère est attachée à l’idée de famille normale, à la cohésion familiale envers et contre tout, sans doute parce que certaines de ces femmes ont derrière elles un passé plutôt chaotique fait d’échecs sentimentaux, de ruptures, d’abandon et parfois de violences. La dépendance matérielle où se trouve certaines femmes par rapport à leur compagnon peut être une entrave à l’émergence d’un quelconque questionnement sur les relations père/fille, susceptibles de mettre en danger la stabilité apparente de la famille.

La loi du secret sert à protéger cette image familiale de l’extérieur et implique que la mère soit sourde et aveugle à ce qui se passe à l’intérieur.

 

§       Il s’opère pour elle une sélection automatique des perceptions et des événements familiaux s’accompagnant d’une pensée réductionniste. Un détail troublant, un père qui s’enferme avec sa fille dans la salle de bains par exemple, peut être dénié, oublié, éliminé en tant qu’information pour obéir à l’objectif prioritaire qui est de maintenir le statu quo.

Ainsi, on peut comprendre pourquoi certaines filles disent que lorsqu’elles parlaient de ce qui se passait, leur mère ne les écoutait pas.

 

§       Le discours de la mère est alors un discours de type omnijustificatif. C’est un discours de défense et de survie, destiné à parer à toutes les attaques : « J’étais trop occupée…, mon mari n’avait aucune demande sexuelle…, les enfants avaient tout ce qui leur fallait…, mon mari les gâtait beaucoup… »

 

En résumé, nous pouvons dire que les mères, qui font partie de systèmes familiaux où

se produisent des interactions incestueuses, sont de façon caractéristique absentes, réductionnistes dans leur perception, auto justificatives et donnent priorité à une cohésion familiale formelle ». R. Perrone, M. Nannini

 

 

III-            Rôle du contexte social chez les auteurs d’agression sexuelle

 

Quand il est question de réfléchir en vue de saisir l’impact du contexte social chez les auteurs d’abus sexuel, on est tenté de reprendre les généralités déjà énoncées dans les différents travaux des différents auteurs. Les facteurs de risque ont été maintes fois décrites, la liste est longue, ennuyeuse car trop générale et forcément incomplète.

 

            Il est pertinent donc de tenter une formalisation qui puisse rendre compte du rôle du contexte social chez les auteurs d’agressions sexuelles, depuis une position Meta dans le sens de globale générale, et non dans une logique d’énumération détaillée des facteurs multiples en jeu.

 

 

            La condition humaine est marquée par une expérience fondamentale de la vie psychologique qui est le désir.

Comme on le sait, désir veut dire : << envie de posséder un objet (matériel ou pas) pour obtenir du plaisir. C’est une attraction pour ce que l’on veut avoir, pour ce que l’on convoite. C’est une aspiration focalisée. Ainsi, ce qui est désirable est ce qui a des qualités pour être désiré et qui excite en conséquence, le désir. L’idée du désir est naturellement liée à ce qui manque, à ce qui est incomplet et présuppose que la possession de l’objet désiré remplit le vide. L’autre apparaît comme désirable en tant que porteur d’une qualité qui change l’état du sujet désirant lorsqu’il la possède. Le changement d’état est marqué par l’expérience de la réalisation du désir qui provoque satisfaction et plaisir avec un corollaire subjectif de récompense>> R. Perrone, 1999 Erotisme, Fantasme et Passion

 

            Le plaisir : est une émotion, une expérience biologique, psychologique et culturelle. Comme on le connaît, une boucle rétroactive s’établit entre désir et plaisir de sorte que, ancré dans la mémoire, la répétition de l’acte est inscrite dans le répertoire des comportements du sujet. Il apparaît que le désir depuis les origines de l’homme motive et détermine ses actes au point que l’autre en tant qu’objet du désir, devient une chose lorsqu’il est question de satisfaire l’envie qui l’habite.

Dans cette logique la force, lorsqu’elle est disponible, est mise au service de la satisfaction du désir même si cela implique violence et destruction (physique ou symbolique) de l’autre. L’expression de ceci est l’acte de domination et de soumission, celui qui domine satisfait son désir tandis que celui qui se soumet préserve son existence et épargne momentanément la douleur promise en cas de résistance. L’histoire met en évidence depuis la nuit des temps cet aspect barbare de l’homme.

« La différence des forces entre les uns et les autres fonde le pouvoir, celui qui est fort met l’autre dans la position d’obéir, cette différence organise et légitimise l’inégalité » R. Perrone, La loi et l’interaction violente, 1999

Quand les hommes se définissent différents (lorsqu’ils s’estiment pourvus d’une qualité supérieure), ils établissent une inégalité entre les uns et les autres fondée et validée par la force et le pouvoir. Ainsi, les plus faibles quelque soit leur condition, ont été exploités depuis des siècles, ceci malgré la puissante influence de la religion, de la moral, de la loi et de la justice.

 

 

Certainement la loi (à l’origine sacrée et puis désacralisée) a été l’instance transcendante et supra individuelle qui a prescrit aux hommes la prémisse de limiter leur désir et de s’abstenir de se servir de la force, de la conformer à son esprit et à ses énoncés.

Elle représente la création la plus élevé de l’homme pour sortir de la barbarie mais celle-ci émerge dans la réalité quotidienne de la violence de tout ordre et des agressions de tout genre y compris la sexuelle.

 

            Ces considérations permettent, si le lecteur le veut bien, de se situer dans le niveau Meta annoncé précédemment.

 

            Il s’agit donc finalement de la problématique de l’homme et de la femme avec le désir, avec la force et avec la loi en tant que régulateur des rapports sociaux interpersonnels. En n’importe quel contexte social cette problématique est la même car elle est inhérente à l’être, à la personne.

 

            L’homme a une relation trouble avec la loi. Elle est une construction formalisée de son esprit à lui, une abstraction à propos de son idée de la vie et pourtant, il ne la reconnaît pas comme sa création, il la ressent comme une instance étrangère à sa nature.

Il est aliéné par rapport à ce corps théorique qu’il ressent comme un prédateur suprême qui lui prend sa liberté personnelle.

Il établit « une interaction dialectique avec la loi qui aboutit éventuellement à l’intériorisation chez lui, de cette dernière et qui rend possible l’intégration de l’individu dans la communauté civilisée ». R. Perrone

 

            On peut définir. quatre stades d’intériorisation selon le degré de conscience et d’altérité entre l’homme et la loi :

 

- Le premier, sans altérité -stade 0- se caractérise par la position égocentrique du sujet qui affirme « je suis la loi ». Il vit dans l’immédiateté de ses pulsions et de ses désirs et s’estime affranchit de toute limite ou restriction. Dans cet état prédomine la loi du plus fort.

 

- Le stade 1, le second, lie la loi à l’interdit, dans l’esprit du sujet. La loi limite la pulsion envers l’objet désiré et sanctionne la transgression de l’interdit.

« Il existe donc à ce stade une reconnaissance de la propre pulsion et du désir, la transgression devient conscient et la loi est en dehors du sujet. Grâce à cette décentration, il devient son objet ». R. Perrone

Un renoncement à l’inéluctable satisfaction du désir peut apparaître dans la conscience, à condition que le sujet s’estime « observé » de près par la loi. Hors de son « regard » la transgression devient possible.

 

- Dans le stade 2 la loi est liée à la protection de soi, elle apparaît comme l’instance protectrice devant le désir et l’arbitraire de l’autre, elle contrôle et limite les débordements qui mettent en danger l’existence du sujet. Existe donc une reconnaissance volontaire qui permet d’élaborer, à travers cette soumission symbolique un deuil de la toute puissance de chacun.

 

- Dans le stade 3 la loi est liée à la protection de l’autre car il y a intention de le protéger de la pulsion et du désir propre.

Le sujet se reconnaît comme un être potentiellement porteur d’arbitraire, capable à son tour de menacer et de nuire. Il accepte de se conformer à la loi parce qu’elle sert à limiter les débordements et ceux des autres. La loi est acceptée comme l’instance qui protège tout le monde, « moi des autres et les autres de moi ». La loi perd sa connotation coercitive et devient volontaire.

 

            A la lecture de ces formalisations concernant l’homme et la loi apparaît clairement que l’agresseur sexuel se trouve dans un stade 0 ou 1. Il faut saisir que dans la collectivité co-habitent en même temps individus avec un stade 0, 1, 2, 3 d’intériorisation de la loi. Dans le famille, les adultes peuvent ne pas avoir dépassé le stade 0 malgré l’énorme attente que la société a envers eux

 

            Les conditions du contexte social vont avoir une incidence sur les conditions et les possibilités d’intériorisation de la loi chez les individus ; la réussite partielle ou totale de ce processus (ou son échec) déterminera selon les variables individuelles, la gestion du désir et (les éventuels débordements abusifs) qui marquera leurs vie. Sans doute une société égalitaire (hommes-femmes, adultes-enfants, droits égaux pour tous et chacun) peut permettre le repérage et le contrôle de ceux qui s’octroient le droit de coloniser le corps et les biens des plus faibles, quand ils veulent obtenir plaisir à leur dépend.

 

            Pour compléter ce chapitre on peut signaler quatre positions essentielles qui en découlent des stades d’intériorisation de la loi et qui se traduisent par des comportements sociaux plus ou moins adaptés.

 

Signalons la position :             - S’imposer comme une position marquée dans les cas extrêmes par le déni de l’autre, par la violence, le passage à l’acte, la destruction, le vandalisme, le viol et les abus sexuels. L’individu en position « s’imposer » fait l’économie de la singularité de l’autre.

                                    - S’affirmer comme une position d’attente, de demande conflictuelle, de reconnaissance, mais porteuse de résolutions si un échange s’établie sur des bases équitables.

                                               - S’intégrer comme la manifestation d’une volonté d’appartenir à un groupe (famille, collectivité…) dans le respect de l’identité de chaque membre, de la diversité et de l’alter ego.

                                               - Grandir en tant que position qu’intègre les autres trois et qui se caractérise par la tolérance et la responsabilité, non pas dans le sens moral, mais dans le sens relationnel.

 

« Dans les familles, les groupes, les institutions et la collectivité (le contexte social) existent et coexistent des individus qui se trouvent dans des positions existentielles différentes. La coexistence de celui qui s’impose et de celui qui veut s’intégrer est difficilement compatible ». R. Perrone.

 

            Certains individus resteront toute une vie dans une position, tandis que des autres évolueront de l’une vers les autres. L’agression sexuelle (viol, abus) évoque la position s’imposer et pose le problème et du passage aux autres positions à travers la prise en charge psychothérapeutique.

 

 

            Finalement, la violence intra familiale doit être évoquée comme un facteur déterminant dans les causes contextuelles d’agressions sexuelles. Contrairement aux récits habituels scientifiques ou médiatiques, la violence n’est pas protéiforme ou multiforme.

            Existent deux formes de violences selon le cadre relationnel de référence : la violence agression et la violence punition. Celle-ci présente une variable : la violence punition avec symétrie latente.

 

            La première est symétrique bidirectionnelle et réciproque. Les gens (adultes ou enfants) s’agressent mutuellement. Aucun veut perdre la position haute et existe confrontation et rivalité symétrique.

La deuxième est complémentaire unidirectionnelle, l’un (position haute) l’inflige à l’autre (position basse) qui, lui, l’accepte. Prend la forme d’un châtiment, d’une pénitence. Existe sous la forme de négligence ou sévices et quelques fois tortures ou martyres. Les faits divers parlent plutôt de cette forme de violence, c’est une violence inégalitaire.

 

            La variable violence punition avec symétrie latente tient compte de la position de celui qui reçoit la violence. En effet, malgré son opposition (manifeste ou secrète) il est l’objet d’une violence punition unidirectionnelle étant donné qu’il existe une disparité de forces. Cependant lorsque les conditions se présentent, le sujet qu’existe en position basse, passe à la position haute et se confronte à l’agresseur sous la forme de violence agression (égalitaire).

 

            Les observations cliniques montrent que dans la première forme de violence il n’y a pas d’agressions sexuelles dans la famille, tandis que dans la deuxième, elle s’accompagne fréquemment d’abus sexuel. Par ailleurs, celui qui a subi la violence punition (avec symétrie latente) peut devenir plus tard agresseur sexuel.

 

 

IV-           Constats cliniques

 

- N’apparaît pas dans notre expérience clinique que les pathologies mentales jouent un rôle déterminant dans les comportements d’agresseurs sexuels ; 90% ne présentent pas de pathologie selon David Finkelhor, 1993.

- L’alcoolisme prend une signification seulement, en tant que co-morbidité ou co-facteur qui modifie le comportement par affaiblissement du contrôle conscient, stimulation, et déshinibiteur. Existe néanmoins une corrélation entre ingestion d’alcool et passage à l’acte.

- Le contexte familial en tant que matrice de l’identité joue un rôle important dans la genesis du comportement abusif, dans la facilitation du passage à l’acte, dans la permissivité envers les agissements de l’abuseur et dans la victimisation des enfants agressés.

            - Le contexte social dans un sens resterait, ne paraît pas être déterminant dans le comportement des auteurs d’agressions sexuelles. Les politiques de prévention, information et sensibilisation ont crée une nouvelle culture de vigilance, mais les résultats restent à vérifier. Les variables socio-économiques et culturelles dans un sens large, n’ont pas été analysé dans ce travail.

            Au niveau plus général, on signale l’importance de l’intériorisation de la loi en tant que régulateur du comportement social, pour le control du désir et de la force des sujets qu’ell leur signifie. Les défauts d’intériorisation peuvent être responsables de débordements abusifs, tant soi dans le cadre de la famille ou de la collectivité.

            Finalement la violence intra familiale apparaît comme un facteur important dans l’émergence des comportements sexuels violents.

 

 

 

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[1]  Psychiatre - LYON