I - concepts et precisions
preliminaires
Bien
que toute conceptualisation implique le risque de simplification, les
observations systématiques, des données objectives des cas
cliniques permettent de décrire les traits les plus significatifs des
individus qui ont commis des abus sexuels.
Une modélisation de variables typologiques est
possible même si quelquefois les comportements des abuseurs ne correspondent
pas exactement à la description qui suivra immédiatement.
On
peut signaler que les hommes et les femmes qui agressent ainsi, se trouvent
dans un moment de leur vie où le développement sexuel a atteint
déjà un degré de maturité physique
et psychologique, une capacité de discernement,
d’analyse de la réalité, de gestion des émotions et
de la responsabilité (familiale, sociale, civile), assortie dans la
plupart des cas d’une expérience vécue avec d’autres
partenaires adultes.
En effet, il s’agit d’individus
intégrés dans la société en tant que responsables
d’une famille, d’un travail et d’autres individus.. Il est
fréquent de trouver ces êtres occupant des postes de
responsabilité confiées par la société,
bénéficiant ainsi du pouvoir et d’autorité.
Les
raisonnements utilisés pour commettre les agressions sexuelles abusives
font preuve d’un complexe montage d’arguments fallacieux mais
vraisemblables pour les victimes.
Il
est possible donc, d’affirmer que les comportements sexuels en cause
obéissent à une intentionnalité consciente et rationnelle,
répondent à une logique plus réfléchie que
pulsionnelle, particulièrement quand il s’agit d’abus qui
ont duré longtemps.
II - l’abus sexuel
On peut etablir deux types
d’abuseurs qui correspondent aussi à deux positions
existentielles.
Le premier (type I) est réservé en apparence, non
dangereux, pour l’environnement relationnel, peu expansif, en repli hors
du cadre familial. Quelque fois, pudique et moralisant, exaltant les valeurs
morales ou religieuses. L’abuseur a un aspect asexué plutôt
soumis, sans volonté de domination. Ce comportement inspire confiance,
sympathie et tendresse à son égard avec le corollaire de
reconnaissance et d’admiration. Le jugement extérieur qualifie le
sujet de dévoué, sacrifié et méritant le respect.
Dans ces conditions, les enfants en contact avec eux se sentent en
sécurité, les adultes leur confient sans réserve,
lorsqu’il s’agit de colonies de vacances, stages ou gardes, la vie
de leurs enfants.
Objectivement ce type
d’abuseur ne recherche pas à faire souffrir l’enfant, mais
lui «offrir» une expérience gratifiante, ce qui rend confus
celui-ci, qui quelque fois s’attache affectivement ou plonge sans issue
dans un désarroi profond.
L’absence de douleur et de souffrance physique et
l’éventuel expérience de plaisir sensoriel-, amplifient la
confusion et la culpabilité de la victime.
On observe une sexualité
réprimée et sélective de la part de l’abuseur,
quoique dans certains cas et dans les mêmes circonstances, il puisse
réaliser des abus en série.
Des
pères isolés, parfois délaissés par leurs
conjoints, des moniteurs, des religieux, des enseignants, des amis ou proches
parents de la famille, font partie de ce profil.
On
peut également identifier les pédophiles par l’immaturité
affective et sexuelle qui les caractérise, ainsi que les femmes et les
mères abuseuses.
Celles-ci
agissent dans le cadre éducatif, de soins, d’attention
sacrifiée envers l’enfant qui, lui, reste piégé dans
un espace affectif et sensoriel clos.
Le deuxième (type II) est agressif et violent, dominant, tyrannique,
conquérant.
Le sujet se montre déterminé, osé,
méprisant à l’égard des faibles, exprime plus ou
moins explicitement sa volonté de se servir des autres en tant
qu’objet sexuel. Les moyens pour y parvenir sont la menace, la
séduction, l’humiliation, la surprise, la contrainte, la violence
verbale ou physique.
L’abuseur
revendique son droit d’agir ainsi, fait parade de sa force et de sa
masculinité, s’estime dans l’impunité tant soit dans
le cadre familial ou institutionnel.
On
constate mystification, et mythomanie et mépris de la loi. La
culpabilité et le regret sont pratiquement inexistants, existe le dénie de la souffrance de
l’autre.
On peut identifier dans cette
catégorie :
-
Tout d’abord les individus qui manifestent une volonté de pouvoir
et de jouissance sans réserve (ivresse du pouvoir) au détriment
des victimes, qui elles deviennent des objets utilitaires de plaisir.
Il
ne s’agit pas des individus présentant des troubles de la personnalité,
car dans l’ensemble de la vie sociale et relationnelle, ils se montrent
adaptés et pertinents. Ce comportement est culturellement
considéré comme inhérent à la condition masculine
et supportée par l’entourage.
Les
entorses à la loi et les débordements sont rapidement
effacés par l’autosuffisance, la dérision, la provocation
ou le blâme de la part de l’abuseur ou pour la solidarité
complice de son réseau relationnelle (famille, amis, collègues de
travail).
-
Ensuite, certaines pathologies qui se manifestent sous la forme
d’agressions sexuelles violente, particulièrement la sociopathie,
la psychopathie, les perversions, les névroses obsessionnelles et
phobiques et les états d’excitation lors des décompensations
maniaco-dépressives.
Cependant,
étant donné la gravité de ces états du psychisme,
les signaux d’alerte permettent le repérage de l’anomalie du
comportement et éventuellement la mise en place de mécanismes de
protection ou de soin pour la victime (placement, hospitalisation, signalement
à la justice).
Dans
le type d’abuseur qui vient d’être décrit, la
sexualité sera ouverte, sans pudeur, exhibée, intensive,
déviante. Les relations sexuelles transgressives et les partenaires
multiples mettent en œuvre une promiscuité
transgénérationnelle, une complicité qui implique
fréquemment plusieurs membres de la famille ou de
l’extérieur. Les enfants peuvent être filmés ou
photographiés à des fins pornographiques et incités
à participer dans des scénarios pervers. On leur donne de
l’argent, des cadeaux, des privilèges, des promesses, en vue de
bloquer leur résistance et leur sens critique.
Lorsque dans une famille, un homme (père,
beau-père ou frère) qui correspond à ce profil agit
abusivement, les victimes peuvent être filles et/ou garçons,
membres du même groupe ou de la proche parentée. Un ou plusieurs
membres de la fratrie peuvent subir l’agression sexuelle d’un ou
plusieurs agresseurs (père, oncles, frères, cousins ou autres).
Ce
type de comportement peut amener les enfants victimes à
l’organisation de conduites réactives de blocage, inhibition, avec
sentiments de culpabilité et de honte ou au contraire à la
débauche, la prostitution, la marginalisation et la délinquance
selon les possibilités d’élaboration et de traitement du
traumatisme qu’offre le contexte familial (cf. Rôle du contexte
familial) ou péri familiale (cf. Rôle du contexte social).
Si
l’on comprend la différence de comportement entre l’abuseur
type I et le type II, il apparaît que les symptômes,
l’évolution et le pronostic concernant la victime seront
sensiblement différents.
La victime de l’abuseur type I manifestera une
dépendance affective de celui-ci, une tendance à justifier
l’acte l’abusif, à croire aux sentiments de l’abuseur
et, à cause de sa prétendue fragilité, de le
protéger.
La
famille ou les proches de l’abuseur vont en faire autant. La
culpabilité de la victime sera importante étant donné son
involontaire « participation ». Erotisation,
idéalisation, peine, attachement, remords, peuvent émerger dans
les sentiments intimes, avant que la douleur ou la colère n’en
prennent la place.
Naturellement,
dans un premier temps, la victime trouvera beaucoup de difficultés pour
critiquer et condamner l’abuseur, et en conséquence le signaler ou
le dénoncer.
Les victimes du type II resteront marquées par
la violence, les menaces, la contrainte et l’humiliation vécue.
Les traces les plus repérables sont la honte et
l’indignité, dénarsissisation profonde, perte de
l’estime de soi et manifestation des symptômes post traumatiques
(dissociation et dépersonnalisation).
Les
désordres sexuels et relationnels sont très fréquents
« Celle-ci (la victime) retourne contre elle-même le sexe,
l’arme avec laquelle elle a été blessée, pour se
mutiler en public devant témoins et en rappel de la souffrance
vécue ». R. Perrone, M. Nannini
On
peut observer promiscuité sexuelle, érotisation excessive,
conduites provocatrices, mépris à l’égard des
hommes, agressivité, fugues, tentatives de suicide, délinquance,
toxicomanie. Prostitution et marginalité seront les regrettables
conséquences de l’agression sexuelle subie.
A
la différence des cas décris précédemment, ici la
dénonciation peut être réalisée avec une
volonté revendicative accompagnée d’hostilité, de
haine et quelque fois d’un passage à l’acte meurtrier.
Sur
le plan psychique, peuvent apparaître aussi chez la victime des troubles
cognitives importants, et une organisation paranoïaque de la
pensée, manifestation
d’une quête impossible de réparation.
« La
trace corporelle que laisse ce type d’abus est profond, de l’ordre
de l’innommable. Il existe une blessure narcissique qui rend
négative la représentation que la victime à
d’elle-même ». R. Perrone, M. Nannini
Trois
faits caractérisent l’abus sexuel :
1.
l’effraction
2.
la captation
3.
la programmation
Effraction :
Signifie pénétration
dans une propriété privée par la force et avec rupture des
limites du territoire. L’effraction initie la possession abusive, elle en
est le préalable.
Dr
ANZIEUX dans « Le Moi-Peau » dit : « Tout
appareil psychique, tant individuel que groupal a besoin de se constituer une
enveloppe qui le délimite, le protège, et permettre les
échanges avec l’extérieur ».
Existe
effraction du moment ou existe contact abusif soit à travers
l’irruption dans l’imaginaire de l’enfant, soit à
travers la pénétration dans son espace (sa chambre, son lit, ses
vêtements) et dans son corps par le toucher, la défloration et le
coït.
Captation : On entend par captation l’appropiation de l’autre
dans le sens de saisir sa confiance, l’attirer, fixer son attention et
lui ôter sa liberté.
La
captation se réalise à travers trois voies sensorielles,
-
le regard
-
le toucher
-
la parole
et à travers un leurre, le faux-semblant.
Ces voies font partie de
l’équipement sensoriel et sensitif de l’enfant. Elles
assurent le passage d’informations entre lui et son environnement, elles
permettent de comprendre et d’apprendre. L’abuseur se sert de ces
voies dans sa stratégie de captation.
Son
parasitage bloque l’autonomie et rend vulnérable l’enfant.
L’abuseur se sert de ces voies dans la stratégie de captation.
Le regard
par son intensité et en tant que vecteur du désir et des
significations masquées pénètre l’enfant qui reste
paralysé, plongé dans le trouble et dans l’incertain. Les
aspects qui font du regard un instrument de captation de détournement
des défenses de l’autre sont : la charge, le poids du
désir sexuel exprimé, l’in congruence, l’incontenabilté…
Il
s’agit du regard envers l’enfant, mais aussi de ce que
l’enfant doit regarder (nudité, excitation sexuelle, images
pornographiques), source de traumatisme et de confusion pour lui.
Le toucher lorsqu’il est sincère, s’inscrit dans un
échange affectif équitable entre adulte et enfant. Mais il existe
des touchés à connotations sexuelles masquées,
indécelables dans ses finalités ou, bien d’autres dont la
coercition imposée, traumatisent et meurtrissent le corps.
La
captation se réalise à travers des contacts corporels
« ayant une intensité sensorielle troublante, assorties
à des messages de banalisation : «on joue», de
protection, de tendresse : «dormir ensemble», «se
blottir», ou de soin : «Donner un bain», «examiner le
corps». Ces contacts fragilisent l’attention et détournent
la critique, créent une fixation mnésique ou sont liées
excitation sensorielle et consignes verbales d’apprentissage qui
conditionneront le comportement ultérieur de
l’enfant ». R. Perrone, M. Nannini
La parole
dans la situation d’abus sexuel, est au service de la captation, du
détournement de la signification du sens de la communication, elles
deviennent outil de capture et non vecteur de communication –
confirmation entre les personnes. Le message abusif provoque un effondrement de
la capacité critique, un abandon confus de la victime
épuisée par ses efforts pour déceler en vain une
cohérence sémantique du discours.
Finalement en tant que leurre, le faux-semblant complète les voies de la captation. Le
concept signale qu’une fausse réalité apparaît comme
une vraie réalité aux yeux de celui qui la regarde, de celui qui
est l’objet de l’illusion. Ainsi le
« protecteur » par exemple, n’est qu’une
apparence destinée à faire croire à la victime qui est
vrai, ce qui en réalité est faux. La victime devient
l’objet de captation au profit de l’abuseur (quand
l’araignée attire le papillon en simulant le chant du papillon de
l’autre sexe, celui-ci devient son objet).
Comprendre
le faux-semblant exige une complexe opération cognitive, car il est
question de comprendre que le faux ne devient jamais vrai. La victime modifie
sa position existentielle et peut se soustraire à l’abuseur quand
elle comprend cette illusion trompeuse proposée par celui-ci.
La
programmation : Consiste
à introduire des instructions dans la mémoire du cerveau pour
induire des comportements prédéfinis en vue de les activer
à un moment précis. A cause de la programmation, la personne
victime renonce pendant longtemps à se soustraire à
l’influence de l’abuseur. La programmation permet la
perpétuation de la relation abusive et explique la
répétition de l’acte, le secret, le pacte qui lie
l’abuseur à la victime, le sentiment d’être
responsable, la fatalité et la honte qu’éprouve celle-ci.
Si
l’on comprend les trois faits qui caractérisent l’abus
sexuel on peut admettre que chaque situation est différente selon le
type d’abuseur qui est l’auteur et la réalisation plus ou
moins achevée de l’effraction, de la captation et de la
programmation.
Ainsi,
il sera totalement différent dans ses conséquences, un acte
abusif unique avec effraction brutale qu’un acte répétitif
sans souffrance physique. Ou encore une longue captation incestueuse sans
effraction qu’une effraction déguisée de soins, avec
captation et programmation.
Par
ailleurs, au niveau cognitif, l’âge de la victime est déterminant
dans sa façon de traiter l’agression.
En
effet, avant 6 ans, l’organisation de la pensée ne permet pas
d’établir la causalité des faits, ceux-ci sont vécus
sans liens entre eux.
Si
la souffrance existe, elle est l’expression de chaque expérience
traumatique en soi, dissociée des autres.
A
partir de 8 ans, le lien causal conscient apparaît dans la pensée
de l’enfant de sorte qu’il peut lier les évènements
et construire un raisonnement assorti d’un dialogue interne intelligible.
Les faits sont alors repérés dans leur signification et
l’enfant peut, à ce moment, se situer en tant qu’acteur ou
spectateur, sujet ou objet en visualisant plus clairement le lien entre la
cause et l’effet.
A
12 ans les compétences concernant les opérations formelles et les
capacités hypothético-déductives sont,
théoriquement, en place dans l’organisation de la pensée et
permettent l’émergence d’une intelligence fonctionnelle.
Dans le cas d’abus sexuel par exemple, l’attribution de notions de
valeurs, d’incompatibilité, de faute, et la critique et le
jugement sont alors possibles.
Pour
cette raison, certaines situations vécues dans l’enfance prennent,
quelques années plus tard, une signification traumatique et douloureuse,
même si à l’époque des faits, ne
l’étaient pas. L’abuseur désorganise avec ses
agissements intrusifs et intentionnels, le précieux équilibre
nécessaire pour permettre à l’enfant un
développement cognitif harmonieux. (Perrone, Bak, 1998).
Finalement
nos recherches nous ont permis de définir dans la relation abusive, l’emprise, un état de conscience modifiée de la
victime qui est sous l’influence sans le savoir, de l’abuseur. Une
modification de la capacité critique (par défaut de la
perception) et une focalisation réductrice de l’attention sont
observables, dans le comportement de la personne sous emprise. L’emprise
est le résultat de la confluence de trois faits (effraction, captation,
programmation) inhérents à la relation abusive, et explique
l’impossibilité des victimes à parler, faire savoir,
dénoncer et comprendre pourquoi elles reviennent souvent sur les
allégations portées sur l’abuseur quand elles les avaient
faites.
III - Rôle des pathologies mentales chez les auteurs
d’abus sexuels
Les
chapitres précédents ont permis d’expliquer les
caractéristiques de l’abuseur et de l’abus qui en
découle. On peut saisir qu’abus sexuel n’est pas toujours
synonyme de pathologie.
Un
grand pourcentage des abuseurs ne présentent pas de pathologie mentale
repérable, pas de pathologie chez 90% d’entre eux. D. Finkelhor,
1999, A. Perron, 2000.
La
description dans une expertise, d’un comportement transgressif et
l’explication des causes du passage à l’acte ne veulent pas
dire qu’une maladie mentale existe.
Par
ailleurs beaucoup de pathologies ne sont pas accessibles à la
thérapie et quand elles le sont, la thérapie n’a pas une
efficacité remarquable.
En
règle générale, on peut dire que, quand elle est
présente, il existe un lien entre le degré de gravité de
la psychopathologie et les conséquences de l’abus sexuel.
Certaines pathologies vont
être à l’origine des agressions sexuelles dont
l’effraction sur le corps de la victime sera brutale et douloureuse,
source de souffrance intense, tandis que d’autres auront un impact sur le
psychisme plutôt que sur le corps à travers la séduction
médiatisée par la parole, le regard et le faux-semblant.
Finalement
la pathologie dans notre expérience, n’est pas la cause, ni
l’origine de la plupart de cas d’abus sexuels.
¨
Pathologies mentales
en général :
Sans visiter la nosologie classique et les nouveaux
critères de diagnostic (DSM), on peut établir qu’il existe
des désordres psychiques qui évoquent davantage une
inadéquation, ou un manque de congruence émotionnelle, une
immaturité certaine qu’une pathologie établie selon les
critères nosographiques.
L’analyse clinique des comportements des
abuseurs permet de déterminer les défauts de structuration de la
personnalité qui rendent possible la réalisation de l’abus
sexuel soit par un manque de congruence émotionnel, par une
déviation de la cible de la sexualité, par distorsions
cognitives, par un manque de capacités pour satisfaire les
nécessités sexuelles avec les adultes, ou par une
déshinibition excessive. Finkelhor, 1980
La
plupart des individus abuseurs présentent certes, une histoire avec des
événements traumatiques, mais dans l’ensemble de la
population, d’autres individus ayant souffert des impacts
équivalents, qui n’ont pas évolués vers
l’organisation des comportements abusifs.
Les
variables éducatives culturelles, conjoncturelles, de
nécessités, d’émulation, de pouvoir, de
permissivité, jouent sans doute un rôle important dans le passage
à l’acte.
¨
Pathologies mentales
en particulier :
La consultation clinique montre que
certains tableaux nosologiques présentent une incidence dans la
problématique de l’abus sexuel.
A défaut des
statistiques spécifiques, on peut signaler une prédominance dans
la population présentant des troubles de la personnalité (DSM IV)
tant soit antisocial (sociopathe),
borderline, narcissique ou sexuel. Dans un autre registre, les troubles
anxieux, obsessionnels compulsifs
peuvent avec leur éventail de comportements ritualisés
contraindre les enfants à perdre leur intimité sous couvert de
minutieux examens concernant la propreté du corps.
La pédophilie occupe une place importante dans
les pathologies qui jouent un rôle dans l’abus sexuel. A la
différence des autres entités citées, dans ce grave
trouble sexuel, l’enfant est la cible sélective du comportement
morbide du malade. Autre que les fantaisies et les impulsions sexuelles, la
stratégie de captation du pédophile vise l’enfant en tant
qu’objet exclusif de plaisir. La variété de
« techniques » mises en œuvre et
l’aliénation quasi perverse entre abuseur et victime classent ces
actes dans la frontière du crime. Les conséquences et
séquelles sont donc graves.
Comme il est possible d’observer, il existe un
rapport entre le type de pathologie et le type d’abuseur. Par ailleurs,
l’effraction subie par la victime dépend de l’importance des
troubles de la personnalité de l’agresseur. Egalement la
stratégie de captation dépendra de l’équipement.
A retenir qu’il peut y avoir effraction brutale
par exemple sans captation ou une longue captation (L’incestueux,
Récamier) sans effraction objective.
Dans
l’ensemble de cas étudiés, la pathologie chez
l’abuseur n’est pas cependant la cause principale de l’acte
abusif. Dans le récit qui concerne des adultes abusés dans leur
enfance, l’abuseur a évolué sans manifestations
symptomatiques significatives, parfaitement adapté à son
environnement social.
I-
Rôle
de l’alcoolisme chez les auteurs d’abus sexuels
¨
Alcoolisme :
Le thème renvoi à la pathologie
lié à une substance et aux comportements dépendants.. On
connaît les effets que l’alcool a sur le comportement :
euphorie, agressivité, exaltation sexuelle, altération du
jugement, humeur labile et modification du fonctionnement social ou
professionnel. Il est pertinent de lier ces variations thymiques
accompagnées de débordements affectifs, aux fréquents
passages à l’acte abusifs dont les alcooliques sont les auteurs.
Il faut encore faire la
différence entre l’intoxication alcoolique aiguë,
l’alcoolisme précoce et la dépendance chronique à
l’alcool, « il y a alcoolisme lorsqu’un individu a perdu
la liberté de s’abstenir de boire de l’alcool ».
Les définitions plus
récentes de l’alcoolisme signalent la nécessité de
faire la distinction entre
l’addiction
et les conséquences de l’addiction. Ainsi « il est
possible qu’un patient soit
dépendant
de l’alcool sans que sa conduite d’alcoolisation ne
s’accompagne de
complications
physiques, sociales ou mentales ». Edwards, le même auteur,
souligne que
la
dépendance conduit à la maladie alcoolique quand celle-ci
s’accompagne de
complications
sociales, physiques ou somatiques.
Les effets de l’alcool sur l’individu
sont clairement connus et systématisés, et son rôle dans
l’incidence de certaines maladies est déterminant :
pathologies neurologiques, psychiatriques, hépatiques, circulatoires,
cancer, tentatives de suicide, accidents de la route, accidents du travail,
violence familiale, violence…etc…
Cependant, on ne retrouve pas dans la documentation
spécialisées des études concernant le rôle de
l’alcool sur l’incidence de l’abus sexuel. L’effet
d’euphorisation et de désinhibition sert sans doute à
l’accomplissement de l’acte abusif. Les paroles, regards et
touchés décrits dans la captation, l’excitation
psycho-corporel nécessaire pour l’effraction et la
responsabilité, la honte, le secret, le pacte et la
répétition décrite, dans la programmation de la victime
sont possibles grâce à l’effet sur la conscience que
provoque l’alcool chez l’usager.
Les
facteurs désir-alcool-passage à l’acte, sont
interchangeables (alcool-désir-passage à l’acte ;
passage à l’acte-alcool-désir) dans la séquence qui
précède et accompagne la réalisation de l’abus
sexuel particulièrement lorsqu’elle a lieu dans le contexte
familial.
L’usage de l’alcool et la modification de
la personnalité qui en découle est un
épiphénomène
dans la dynamique de l’abus sexuel. On peut signaler la co
morbidité et l’amplification, dans ces états, des troubles
pré ou co-existants.
L’alcoolisme
est associé fréquemment aux états limites décrits
par Kermberg.
Selon
Caroline Odile, 40% des sociopathes sont alcooliques, et on pourrait en dire
certainement autant des autres troubles de la personnalité.
L’alcoolisme précoce des adolescents est certainement pour quelque
chose dans les agressions sexuelles extra familiales tels que les viols ;
dans ce cas, l’alcool augmente la fréquence de conduites impulsives.
II-
Contexte
familial
La famille est la matrice d’identité de
l’individu. Les abuseurs vivent dans leur famille
d’origine
ou dans la famille nucléaire. Ils abusent dans leur famille
d’origine ou dans leur famille nucléaire ou ailleurs, au sein d’une
autre famille.
La
famille n’est donc pas un sanctuaire ni un espace protégé
et rassurant pour les enfants. « Parmi les victimes mineures, trois
sur cinq appartiennent à l’entourage familial (situation
incestueuse) ». « A noter que le pédophile
marié n’agresse que rarement ses propres enfants, mais que le
père incestueux ne sévit pas en dehors de sa
famille ».
<< On constate que le pourcentage de
« violeurs exclusifs » est de 27% pour les viols sur
majeurs, 67% pou les viols sur mineurs non apparentés, et
s’élève à 95% pour les viols sur mineurs commis par
un ascendant >> S. Borvistein, R. Coutanceau, C. Koller, B. Cordier.
La famille peut être à l’origine
du meilleur comme du pire. Mais comment est-ce possible ?
Bien
qu’une explication exhaustive paraisse impossible à
développer dans le cadre de ce travail, quelques arguments peuvent
expliquer la mystérieuse dynamique de la famille à transaction
abusive.
Des
extraits du livre « Violence et abus sexuels dans la
famille », seront utilisés dans les paragraphes suivants
à propos des caractéristiques de la famille et de la
personnalité de la mère.
La
description de l’abuseur intra familiale a été
précédemment développée dans ce même texte.
« Dans les familles multiparentales, la
séparation des époux, le divorce, le remariage se font parfois au
prix d’un relâchement des liens de filiation. Celui qui occupe la
place de père n’est pas le père, ou bien celui qui occupe
la place de la mère n’est pas la mère : les liens
parents/enfants ne sont plus appuyés sur des légitimités
« naturelles » mais sont toujours susceptibles
d’être remis en question.
Le nouveau père ou la nouvelle mère
doit, avec l’accord de son partenaire, négocier sa place
auprès des enfants de l’autre. Dans certains cas cette
négociation ne peut pas avoir lieu, du fait du refus ou des
difficultés des uns et des autres ; le sentiment de
responsabilité de l’adulte par rapport à l’enfant
peut alors devenir diffus, de même que certaines frontières intergénérationnelles :
les abus sexuels commis par un beau-père sont extrêmement
fréquents (le risque de devenir victime d’inceste est
doublé dans les familles reconstituées).
A
l’intérieur de ces familles, il existe un contexte qui permet que
l’interdit de l’inceste soit moins prégnant et les
sentiments ambivalents moins réprimés, on voit ainsi des
relations mère/fille brouillées par la jalousie par rapport au
compagnon de la mère.
On
note aussi une forte incidence d’abus sexuel dans les familles
monoparentales, quand il y a une absence réelle de la mère
à cause de son travail, abandon du foyer, relations extraconjugales, ou
maladie, alcoolisme, dépression, hospitalisation, grossesse, etc…
Souvent,
le père délaissé attire l’enfant à la place
de la compagne absente et l’enfant s’emploie à la remplacer
pour lui éviter souffrance et peine.
On
note aussi une forte incidence des abus sexuels dans les familles
mono-parentales, soit par une absence réelle de la mère, soit par
une « défaillance » de celle-ci : mère
malade, déprimée, hospitalisée, grossesses à
répétition.
Dans
les deux types de familles évoquées ci-dessus, la destruction de
la filiation ou les difficultés liées à une
restructuration sont apparentes et laissent voir rapidement quelles sortes de
dysfonctionnement peuvent y émerger.
Dans
les familles apparemment bien structurées, qui offrent un profil
« normal », ce sont les révélations
d’inceste ou d’abus sexuel qui font apparaître le
dysfonctionnement pré-existant.
La
particularité de ces familles est, en effet, le décalage entre
l’image donnée à l’entourage et ce qui se passe
à l’intérieur. Il faut signaler la caractéristique
contraignante de l’image de bien-être que la famille offre à
l’extérieur : les enfants sont censés l’entretenir
et apportent leur participation active à la mystification montée
par les parents ou les adultes.
Il
y règne, en effet, une véritable tyrannie, exercée
très directement parfois par le père, et appuyée par une
loi de silence subie par toute la famille : les révélations
sont toujours présentées comme dangereuses, pouvant faire
souffrir l’un ou l’autre, faire éclater la famille. La
domination du père peut aller jusqu’au point où il imagine
que le territoire familiale peut avoir ses propres lois et échapper aux
lois de la société. La famille devient le groupe à
protéger en priorité et toute tentative de l’adolescent de
se lier à des personnes extérieures appartenant à son
groupe d’âge, sera vécue comme une trahison. La
prédominance du père s’accompagne dans ce modèle
d’un effacement de la mère, qui ne peut alors être
d’aucun secours à sa fille. Après le dévoilement,
certaines mères gardent leur loyauté à leur mari. Dans la
plupart des témoignages recueillis, on peut d’ailleurs constater
à quel point ces mères sont fantomatiques : elles ne voient
pas, n’entendent pas, nient l’évidence, comme s’il
s’agissait de faits se déroulant dans un monde différent.
Si la mère n’est pas dominée, elle est tout au moins en
retrait, à distance, de sorte que le fait que sa fille prenne sa place
auprès du père devient possible, occupant ainsi plusieurs
fonctions en même temps : celle de la fille, celle de la
mère, de la maîtresse… le père devenant alors le
mari, l’amant, l’enfant. Le père et la fille partagent tous
les rôles.
Paradoxalement,
l’indifférenciation, présente dans les rôles et
fonctions familiales, peut laisser intact un apparent couple parental et
conjugal : celui-ci est parfois d’ailleurs le seul
« survivant » du dévoilement de l’inceste ou
de l’abus sexuel.
Dans
toutes les familles à transactions incestueuses, l’interdit de
l’inceste s’est déplacé à celui de la
parole : il est interdit d’en parler.
Secret
d’autant mieux gardé qu’il est souvent accompagné de
menaces verbales et même de violences physiques. Dès lors,
l’enfant ne peut, au-delà même de sa confusion et de ses
doutes, facilement imaginer comment il pourrait échapper à un
système dont il est aussi dépendant. La solidarité, la
cohésion familiale sont avancées comme des objectifs
prioritaires.
Nombreux
sont les enfants qui se sont tus pour protéger leur mère de la
peine ou des menaces très directes du père. A côté
de ces positions très « sacrificielles », on
imagine mal comment une mère qui prenait des somnifères pour
échapper à la tyrannie sexuelle de son mari, pouvait ne pas
s’alarmer de savoir sa fille passer des nuits entières
enfermées avec lui dans son bureau. Pour certaines mères, il est
vrai que cela relève de l’inimaginable, pour d’autres
d’un aveuglement auto-protecteur.
Peu
de choses sont dites sur le lien conjugal dans les familles à
transactions incestueuses. Mais si le père et la fille partagent toutes
les places, si la fille est mise à la place de le mère, si elle
est la partenaire du père, le lien conjugal ne peut être que
désinvesti. Un lien conjugal solide fait naturellement barrière
à l’inceste et la cohérence serait qu’un tel lien
soit incompatible avec une interaction incestueuse. Il est donc possible de
supposer que la problématique incestueuse est corrélative
à une problématique du couple.
Dans
certains cas, le couple se caractérise par une faible activité
sexuelle correspondant à un consensus implicite des deux partenaires, un
arrangement tacite où chacun trouve son intérêt. Dans
d’autres cas, le mari a une activité sexuelle qui déborde
le territoire du couple de façon explicite. L’intimité est
perdue ainsi que les limites, et l’inceste s’inscrivent comme une
continuité dans cette activité sexuelle conquérante et
sans « objet distinct ».
Les
facteurs de peur ou de dépendance matérielle peuvent être
de bonnes raisons pour l’épouse d’accepter la situation, mais
parfois le père trouve auprès de sa fille ce que sa femme lui
refuse.
La
force de ce lien apparaît paradoxalement au moment du
dévoilement : il n’est pas rare, en effet, que les relations
conjugales se poursuivent après. L’inceste est alors inscrit, en
quelque sorte dans le contrat conjugal.
Dans
certains cas, le couple conjugal est construit sur une configuration où
la femme protège le mari comme le ferait une mère
tolérante et bienveillante. Le père peut alors persister dans son
« in contenance » et ses transgressions. Sa femme les
définit comme des écarts « pardonnables »
ou compréhensibles.
La
femme assume une tâche altruiste de salut et se montre
résignée vis-à-vis des débordements abusifs de son
partenaire en s’éloignant progressivement de son rôle
réel de mère. Quoi qu’il en soit, les partenaires partagent
leurs mutuelles immaturité et irresponsabilité.
A
propos de la mère :
Au
plan social, beaucoup de ces femmes sont des mères
exténuées, épuisées et très occupées
par un travail extérieur. A moins qu’elles ne soient
occupées par leur « intérieur »,
c’est à dire déprimées, fragiles. On ne saurait
toutefois mettre toutes ces mères dans la même catégorie ;
certaines réagissent fermement et activement dès qu’elles
ont connaissance ou soupçonnent l’abus sexuel.
La
majorité reste dans une attitude ambivalente comme si le
dévoilement en soi ne changeait pas grand-chose ou ne suffisait pas
à briser le lien qui les relie à leur mari ou compagnon.
Au
moins trois caractéristiques sont à signaler :
§
La mère est
attachée à l’idée de famille normale, à la
cohésion familiale envers et contre tout, sans doute parce que certaines
de ces femmes ont derrière elles un passé plutôt chaotique
fait d’échecs sentimentaux, de ruptures, d’abandon et
parfois de violences. La dépendance matérielle où se
trouve certaines femmes par rapport à leur compagnon peut être une
entrave à l’émergence d’un quelconque questionnement
sur les relations père/fille, susceptibles de mettre en danger la
stabilité apparente de la famille.
La loi du secret sert à protéger cette
image familiale de l’extérieur et implique que la mère soit
sourde et aveugle à ce qui se passe à l’intérieur.
§
Il s’opère
pour elle une sélection automatique des perceptions et des
événements familiaux s’accompagnant d’une
pensée réductionniste. Un détail troublant, un père
qui s’enferme avec sa fille dans la salle de bains par exemple, peut
être dénié, oublié, éliminé en tant qu’information
pour obéir à l’objectif prioritaire qui est de maintenir le
statu quo.
Ainsi,
on peut comprendre pourquoi certaines filles disent que lorsqu’elles
parlaient de ce qui se passait, leur mère ne les écoutait pas.
§
Le discours de la
mère est alors un discours de type omnijustificatif. C’est un
discours de défense et de survie, destiné à parer à
toutes les attaques : « J’étais trop
occupée…, mon mari n’avait aucune demande sexuelle…,
les enfants avaient tout ce qui leur fallait…, mon mari les gâtait
beaucoup… »
En résumé, nous pouvons dire que les
mères, qui font partie de systèmes familiaux où
se
produisent des interactions incestueuses, sont de façon
caractéristique absentes, réductionnistes dans leur perception,
auto justificatives et donnent priorité à une cohésion
familiale formelle ». R. Perrone, M. Nannini
III-
Rôle
du contexte social chez les auteurs d’agression sexuelle
Quand il est question de réfléchir en
vue de saisir l’impact du contexte social chez les auteurs d’abus
sexuel, on est tenté de reprendre les généralités
déjà énoncées dans les différents travaux
des différents auteurs. Les facteurs de risque ont été
maintes fois décrites, la liste est longue, ennuyeuse car trop
générale et forcément incomplète.
Il
est pertinent donc de tenter une formalisation qui puisse rendre compte du
rôle du contexte social chez les auteurs d’agressions sexuelles,
depuis une position Meta dans le sens de globale générale, et non
dans une logique d’énumération détaillée des
facteurs multiples en jeu.
La
condition humaine est marquée par une expérience fondamentale de
la vie psychologique qui est le désir.
Comme
on le sait, désir veut
dire : << envie de posséder un objet (matériel ou
pas) pour obtenir du plaisir. C’est une attraction pour ce que l’on
veut avoir, pour ce que l’on convoite. C’est une aspiration
focalisée. Ainsi, ce qui est désirable est ce qui a des
qualités pour être désiré et qui excite en
conséquence, le désir. L’idée du désir est
naturellement liée à ce qui manque, à ce qui est incomplet
et présuppose que la possession de l’objet désiré
remplit le vide. L’autre apparaît comme désirable en tant
que porteur d’une qualité qui change l’état du sujet
désirant lorsqu’il la possède. Le changement
d’état est marqué par l’expérience de la
réalisation du désir qui provoque satisfaction et plaisir avec un
corollaire subjectif de récompense>> R. Perrone, 1999 Erotisme,
Fantasme et Passion
Le
plaisir : est une
émotion, une expérience biologique, psychologique et culturelle.
Comme on le connaît, une boucle rétroactive s’établit
entre désir et plaisir de sorte que, ancré dans la
mémoire, la répétition de l’acte est inscrite dans
le répertoire des comportements du sujet. Il apparaît que le
désir depuis les origines de l’homme motive et détermine
ses actes au point que l’autre en tant qu’objet du désir,
devient une chose lorsqu’il est question de satisfaire l’envie qui
l’habite.
Dans
cette logique la force, lorsqu’elle est disponible, est mise au service
de la satisfaction du désir même si cela implique violence et
destruction (physique ou symbolique) de l’autre. L’expression de
ceci est l’acte de domination et de soumission, celui qui domine
satisfait son désir tandis que celui qui se soumet préserve son
existence et épargne momentanément la douleur promise en cas de
résistance. L’histoire met en évidence depuis la nuit des
temps cet aspect barbare de l’homme.
« La
différence des forces entre les uns et les autres fonde le pouvoir,
celui qui est fort met l’autre dans la position d’obéir,
cette différence organise et légitimise
l’inégalité » R. Perrone, La loi et
l’interaction violente, 1999
Quand
les hommes se définissent différents (lorsqu’ils
s’estiment pourvus d’une qualité supérieure), ils
établissent une inégalité entre les uns et les autres
fondée et validée par la force et le pouvoir. Ainsi, les plus
faibles quelque soit leur condition, ont été exploités
depuis des siècles, ceci malgré la puissante influence de la
religion, de la moral, de la loi et de la justice.
Certainement la loi (à l’origine
sacrée et puis désacralisée) a été
l’instance transcendante et supra individuelle qui a prescrit aux hommes
la prémisse de limiter leur désir et de s’abstenir de se
servir de la force, de la conformer à son esprit et à ses
énoncés.
Elle
représente la création la plus élevé de
l’homme pour sortir de la barbarie mais celle-ci émerge dans la
réalité quotidienne de la violence de tout ordre et des
agressions de tout genre y compris la sexuelle.
Ces
considérations permettent, si le lecteur le veut bien, de se situer dans
le niveau Meta annoncé précédemment.
Il
s’agit donc finalement de la problématique de l’homme et de
la femme avec le désir, avec la force et avec la loi en tant que
régulateur des rapports sociaux interpersonnels. En n’importe quel
contexte social cette problématique est la même car elle est
inhérente à l’être, à la personne.
L’homme
a une relation trouble avec la loi. Elle est une construction formalisée
de son esprit à lui, une abstraction à propos de son idée
de la vie et pourtant, il ne la reconnaît pas comme sa création,
il la ressent comme une instance étrangère à sa nature.
Il
est aliéné par rapport à ce corps théorique
qu’il ressent comme un prédateur suprême qui lui prend sa
liberté personnelle.
Il
établit « une interaction dialectique avec la loi qui aboutit
éventuellement à l’intériorisation chez lui, de
cette dernière et qui rend possible l’intégration de
l’individu dans la communauté civilisée ». R.
Perrone
On
peut définir. quatre stades d’intériorisation selon le
degré de conscience et d’altérité entre
l’homme et la loi :
-
Le premier, sans altérité -stade 0- se caractérise par la position
égocentrique du sujet qui affirme « je suis la
loi ». Il vit dans l’immédiateté de ses pulsions
et de ses désirs et s’estime affranchit de toute limite ou
restriction. Dans cet état prédomine la loi du plus fort.
-
Le stade 1, le second, lie la loi
à l’interdit, dans l’esprit du sujet. La loi limite la
pulsion envers l’objet désiré et sanctionne la
transgression de l’interdit.
« Il
existe donc à ce stade une reconnaissance de la propre pulsion et du
désir, la transgression devient conscient et la loi est en dehors du
sujet. Grâce à cette décentration, il devient son
objet ». R. Perrone
Un
renoncement à l’inéluctable satisfaction du désir
peut apparaître dans la conscience, à condition que le sujet
s’estime « observé » de près par la
loi. Hors de son « regard » la transgression devient
possible.
-
Dans le stade 2 la loi est
liée à la protection de soi, elle apparaît comme
l’instance protectrice devant le désir et l’arbitraire de
l’autre, elle contrôle et limite les débordements qui
mettent en danger l’existence du sujet. Existe donc une reconnaissance
volontaire qui permet d’élaborer, à travers cette
soumission symbolique un deuil de la toute puissance de chacun.
-
Dans le stade 3 la loi est
liée à la protection de l’autre car il y a intention de le
protéger de la pulsion et du désir propre.
Le
sujet se reconnaît comme un être potentiellement porteur
d’arbitraire, capable à son tour de menacer et de nuire. Il
accepte de se conformer à la loi parce qu’elle sert à limiter
les débordements et ceux des autres. La loi est acceptée comme
l’instance qui protège tout le monde, « moi des autres
et les autres de moi ». La loi perd sa connotation coercitive et
devient volontaire.
A
la lecture de ces formalisations concernant l’homme et la loi
apparaît clairement que l’agresseur sexuel se trouve dans un stade
0 ou 1. Il faut saisir que dans la collectivité co-habitent en
même temps individus avec un stade 0, 1, 2, 3
d’intériorisation de la loi. Dans le famille, les adultes peuvent
ne pas avoir dépassé le stade 0 malgré
l’énorme attente que la société a envers eux
Les
conditions du contexte social vont avoir une incidence sur les conditions et
les possibilités d’intériorisation de la loi chez les
individus ; la réussite partielle ou totale de ce processus (ou son
échec) déterminera selon les variables individuelles, la gestion
du désir et (les éventuels débordements abusifs) qui
marquera leurs vie. Sans doute une société égalitaire
(hommes-femmes, adultes-enfants, droits égaux pour tous et chacun) peut
permettre le repérage et le contrôle de ceux qui s’octroient
le droit de coloniser le corps et les biens des plus faibles, quand ils veulent
obtenir plaisir à leur dépend.
Pour
compléter ce chapitre on peut signaler quatre positions essentielles qui
en découlent des stades d’intériorisation de la loi et qui
se traduisent par des comportements sociaux plus ou moins adaptés.
Signalons
la position : -
S’imposer comme une
position marquée dans les cas extrêmes par le déni de
l’autre, par la violence, le passage à l’acte, la
destruction, le vandalisme, le viol et les abus sexuels. L’individu en
position « s’imposer » fait l’économie de la singularité de
l’autre.
- S’affirmer comme une position d’attente, de demande
conflictuelle, de reconnaissance, mais porteuse de résolutions si un
échange s’établie sur des bases équitables.
-
S’intégrer comme la
manifestation d’une volonté d’appartenir à un groupe
(famille, collectivité…) dans le respect de l’identité
de chaque membre, de la diversité et de l’alter ego.
-
Grandir en tant que position
qu’intègre les autres trois et qui se caractérise par la
tolérance et la responsabilité, non pas dans le sens moral, mais
dans le sens relationnel.
« Dans
les familles, les groupes, les institutions et la collectivité (le
contexte social) existent et coexistent des individus qui se trouvent dans des
positions existentielles différentes. La coexistence de celui qui
s’impose et de celui qui veut s’intégrer est difficilement
compatible ». R. Perrone.
Certains
individus resteront toute une vie dans une position, tandis que des autres
évolueront de l’une vers les autres. L’agression sexuelle
(viol, abus) évoque la position s’imposer et pose le problème
et du passage aux autres positions à travers la prise en charge
psychothérapeutique.
Finalement,
la violence intra familiale doit être évoquée comme un
facteur déterminant dans les causes contextuelles d’agressions
sexuelles. Contrairement aux récits habituels scientifiques ou
médiatiques, la violence n’est pas protéiforme ou
multiforme.
Existent
deux formes de violences selon le cadre relationnel de référence
: la violence agression et la
violence punition. Celle-ci
présente une variable : la violence punition avec
symétrie latente.
La
première est symétrique bidirectionnelle et réciproque.
Les gens (adultes ou enfants) s’agressent mutuellement. Aucun veut perdre
la position haute et existe confrontation et rivalité symétrique.
La
deuxième est complémentaire unidirectionnelle, l’un
(position haute) l’inflige à l’autre (position basse) qui,
lui, l’accepte. Prend la forme d’un châtiment, d’une
pénitence. Existe sous la forme de négligence ou sévices
et quelques fois tortures ou martyres. Les faits divers parlent plutôt de
cette forme de violence, c’est une violence inégalitaire.
La
variable violence punition avec symétrie latente tient compte de la
position de celui qui reçoit la violence. En effet, malgré son
opposition (manifeste ou secrète) il est l’objet d’une
violence punition unidirectionnelle étant donné qu’il
existe une disparité de forces. Cependant lorsque les conditions se
présentent, le sujet qu’existe en position basse, passe à
la position haute et se confronte à l’agresseur sous la forme de
violence agression (égalitaire).
Les
observations cliniques montrent que dans la première forme de violence
il n’y a pas d’agressions sexuelles dans la famille, tandis que
dans la deuxième, elle s’accompagne fréquemment
d’abus sexuel. Par ailleurs, celui qui a subi la violence punition (avec
symétrie latente) peut devenir plus tard agresseur sexuel.
IV-
Constats
cliniques
- N’apparaît pas dans notre
expérience clinique que les pathologies mentales jouent un rôle
déterminant dans les comportements d’agresseurs sexuels ; 90%
ne présentent pas de pathologie selon David Finkelhor, 1993.
- L’alcoolisme prend une signification
seulement, en tant que co-morbidité ou co-facteur qui modifie le
comportement par affaiblissement du contrôle conscient, stimulation, et
déshinibiteur. Existe néanmoins une corrélation entre
ingestion d’alcool et passage à l’acte.
- Le contexte familial en tant que matrice de
l’identité joue un rôle important dans la genesis du
comportement abusif, dans la facilitation du passage à l’acte,
dans la permissivité envers les agissements de l’abuseur et dans
la victimisation des enfants agressés.
-
Le contexte social dans un sens resterait, ne paraît pas être
déterminant dans le comportement des auteurs d’agressions
sexuelles. Les politiques de prévention, information et sensibilisation
ont crée une nouvelle culture de vigilance, mais les résultats
restent à vérifier. Les variables socio-économiques et
culturelles dans un sens large, n’ont pas été
analysé dans ce travail.
Au
niveau plus général, on signale l’importance de
l’intériorisation de la loi en tant que régulateur du
comportement social, pour le control du désir et de la force des sujets
qu’ell leur signifie. Les défauts d’intériorisation
peuvent être responsables de débordements abusifs, tant soi dans
le cadre de la famille ou de la collectivité.
Finalement
la violence intra familiale apparaît comme un facteur important dans
l’émergence des comportements sexuels violents.
ADES J. & LEJOYEUX M., Conduites
alcooliques : aspects cliniques, in EncyclMédChir (Elsevier, Paris), Psychiatrie,
37-398 A – 40, 1996, 11p.
AFIREM, La prise en charge de la
maltraitance,
Karthala, Paris, 1999
BAK F. & PERRONE R., Violence
sexuelle et troubles cognitifs, Le journal des psychologues, Avril 1996, N°136, Paris
BORNSTEIN S., COUTANCEAU R., KOTTLER
C. &CORDIER B., Edition Techniques – EMC, Paris, 1980
BURDEAU G. & LECOURT D., Loi,in Encyclopedia Universalis Vol.
10, EU, Paris, 1980
CIM-10 / ICD-10, Classification
internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement, Masson, Paris, 1994
DALIGAND L. & GONIN D., Violence
et Victimes, Meditions, Lyon, 1993
EDELMAN G., Biologie de la
conscience, Paris,
Odile Jacob, 1992
FINKELHOR D., Epimiological
factors in the clinical identification of child sexual abuse, Child Abuse & Neglect, 1993
MADANES C., Sex, love and
violence, New York,
WW Norton & Comp., 1990
PERRONE R., Aparea miento y
Pareja. Ensayo a proposito che la terapia del deseo in Herramientas para psicoterapeutas, W. Santi (compilation), Buenos
Aires, Paidos, 1996.
PERRONE R., Erotisme, Fantasme et
Passion, La
Passion, Journees G.P.L.R. 8 avril 2000, Lyon
PERRONE R., La genèse de
la violence, la loi et l’interaction violente, in Violence Subie, Violence agie,
sous la direction de Claude Seron et Catherine Denis, Ed. Jeunesse et droit,
Paris, 2000
PERRONE R., Violencia familiar :
la razon y la locura,
in Perspectivas Sistemicas N°5, 1989
PERRONE R. & BAK F., séquelles
de l’abus sexuels chez les enfants au niveau de leur organisation de la pensée, Eleventh international Congres on
Child Abuse and Neglect Children and families creating stability in an unstable
world, Dublin, 1996
PERRONE R. & NANNINI M., Violences
et abus sexuels dans la famille, Paris, ESF éditeur, 3ème ed. 2000
SOFSKY W., Traité de la
violence, Paris,
Gallimard, 1998