Dans l’exposé des motifs de la Loi du
17.06.1998, l’administration de produits anti-androgènes aux
auteurs d’infractions sexuelles est admise puisqu’elle fait
l’objet d’une recommandation d’information sur les
conséquences de ce traitement. Et pourtant, il n’existe
actuellement en France, aucun médicament dont l’autorisation de
mise sur le marché (AMM) ne prévoit cette indication. Hier encore,
on dénonçait la « castration chimique »
qualifiée de nouvelle camisole et d’atteinte à la
dignité humaine confondue avec la virilité. Aujourd’hui,
dans un contexte « socio-politico-judiciaire »
différent, la prescription d’anti-androgènes est devenue
«politiquement correcte », mais si l’on y prend garde,
elle pourrait devenir « médicalement
suspecte ».
En effet, ce n’est pas parce que la
société réclame des traitements préventifs
efficaces et accorde plus de crédit à un traitement
médicamenteux que les principes qui gouvernent la prescription de tout
médicament doivent être négligés :
indépendance du prescripteur, respect du secret médical,
consentement libre et éclairé du patient, bénéfices
thérapeutiques compensant largement les risques encourus. Le
médecin, et lui seul, doit avoir l’initiative et la
responsabilité d’une prescription d’anti-androgènes.
Il doit se référer à des critères strictement
médicaux, connaître les effets neuro-endocrinologiques de ces
produits, suivre des indications reposant sur des données
cliniques et mesurer l’intérêt et les limites de cette
prescription. Préalablement à celle-ci, il doit se livrer
à une réflexion sur la légitimité de l’usage
de tels produits, au delà de sa légalité, et sur sa
finalité sociale, au- delà de l’objectif d’un
traitement individuel.
1. Prerequis
1.
Testostérone (pour revue Thibaut et coll., 1998)
Quatre-vingt quinze pour cent des
androgènes sont sécrétés par les cellules de Leydig
du testicule, sous forme de testostérone, sous l'influence de l'hormone
lutéinisante hypophysaire (LH) dont la sécrétion est
stimulée par la sécrétion pulsatile de Gonadotrophine
Releasing Hormone (GnRH) d'origine hypothalamique libérée dans le
système porte hypophysaire. La testostérone assure un
rétrocontrôle négatif de sa propre sécrétion
au niveau de l'hypophyse et vraisemblablement de l'hypothalamus. La
testostérone, hormone stéroïdienne synthétisée
à partir du cholestérol, circule dans le sang sous forme libre ou
liée, en particulier à la testosterone binding globulin (TeBG). La testostérone dosée comprend
la forme libre, seule active (environ 2,2 %), et la forme liée. La
testostérone peut exercer son action périphérique
directement en se fixant sur ses récepteurs ou encore après avoir
été transformée par la 5-a réductase en dihydro-testostérone
(DHT). Au niveau du système nerveux central (SNC), la
testostérone est transformée par l'aromatase en œstradiol.
Les androgènes (testostérone, DHT) ont un rôle dans la
différenciation et la croissance de l'appareil reproducteur masculin
ainsi que dans le développement pubertaire des caractères sexuels
secondaires et enfin un rôle anabolisant.
Cinq pour cent des androgènes
sont synthétisés par la corticosurrénale sous forme de
déhydroépiandrostérone (DHEA) ou d'androstérone sous
l'influence de l'ACTH hypophysaire. Le rôle physiologique des
androgènes surrénaliens est très faible chez l'homme.
Cependant, ils peuvent jouer un rôle de neurostéroïdes au
niveau du SNC.
Le rôle de la testostérone
dans l'activité sexuelle est complexe. La comparaison de sujets
hypogonadiques à des sujets témoins a permis d'en préciser
certains aspects. Elle intervient dans les érections spontanées
nocturnes survenant au cours du sommeil paradoxal. Par contre, les
érections provoquées par des stimuli érotiques visuels
semblent indépendantes des androgènes (Bancroft et Wu,
1983 ; Carana et coll., 1992). Les androgènes interviennent dans la
production de liquide séminal et, consécutivement, dans le contrôle
de l'éjaculation. Le rôle de la testostérone dans la libido
est controversé. Une imprégnation adéquate par les
stéroïdes sexuels est un prérequis à l'obtention
d'une activité sexuelle optimale chez l'homme (Kuhn et Cordier, 1989).
Cependant, lorsque le taux de
testostérone est situé dans les valeurs normales, il n'y a pas de
corrélation entre le taux de testostérone et les fantasmes ni
avec la fréquence ou la qualité des érections (Buena et
coll., 1993). Toutefois, Monti et coll. (1977) rapportent des taux de testostérone normaux mais
significativement plus élevés chez des volontaires sains dont
l'activité masturbatoire est plus fréquente. De plus, la GnRH
exerce chez l'animal des effets centraux qui concernent le comportement sexuel
(facilitation des performances sexuelles).
Les relations entre testostérone et
agressivité sont très controversées. Chez les primates, la
testostérone joue un rôle extrêmement important dans le
comportement social normal (dominance, ambitions territoriales) (Mc Kenna,
1983) et dans les comportements agressifs (Coe et Levin, 1983). Dans d'autres
espèces (comme la caille), la testostérone doit être
transformée par l'aromatase en œstradiol pour influer sur
l'agressivité (Schlinger et Callard, 1990). Chez l'homme, en
dépit de quelques données négatives (Bradford et Mc Lean,
1984 ; Mattson et coll., 1980), des taux de testostérone normaux
mais significativement plus élevés ont été
mesurés chez des sujets témoins dont l'agressivité,
mesurée à l'aide d'échelles comportementales, est plus
importante (Brown et Davis, 1975 ; Persky et coll., 1971 ; Scaramella
et Brown, 1978) ou encore chez des sujets délinquants ayant
présenté des raptus violents (Ehrenkranz et coll., 1974 ;
Kreuz et Rose, 1972).
Certaines études plaident en faveur de
l'existence d'une corrélation positive entre la violence du comportement
du sujet délinquant (qu'il s'agisse ou non de délinquance
sexuelle) et le taux de testostérone, qui demeure toutefois dans les
limites de la normale (Bradford et Bourget, 1987 ; Rada et coll., 1983).
Des taux de testostérone plus élevés et des
antécédents criminels plus fréquents ont également
été décrits chez des sujets de caryotype XYY (Schiavi et
coll., 1984). Chez la femme, les liens entre les hormones sexuelles, en
particulier la testostérone, et l'agressivité et la
sexualité demeurent obscurs (Rubinow et Schmidt, 1996).
Ainsi, le rôle de la testostérone n'est
pas établi de manière linéaire dans l'activité
sexuelle ou dans la violence masculine; cependant, un certain nombre
d'arguments permettent de supposer que des modifications du taux plasmatique de
la testostérone influent sur l'agressivité ou sur le comportement
sexuel (Wincze et coll., 1986).
Gaffney et Berlin (1984) ont rapporté une
augmentation significativement plus importante de l’hormone
lutéinisante après administration de GnRH chez des sujets
pédophiles, comparativement à des sujets atteints d’autres
types de paraphilies, ou à des sujets témoins. Ces
résultats pourraient orienter vers un dysfonctionnement de l’axe
hypothalamo-hypophysaire chez les pédophiles.
2. Sérotonine
Chez l’homme, les inhibiteurs sélectifs
de recapture de la sérotonine induisent souvent des effets secondaires
sexuels, tels qu’une diminution de la libido ou des perturbations de
l’éjaculation. Cependant, les relations entre sérotonine et
comportement sexuel demeurent mal connues (pour revue Meston et Fröhlich,
2000).
3. Régions
cérébrales impliquées dans le comportement sexuel
Chez l’homme, une étude française
récente (Stoléru et coll., 1999), à l’aide de la
tomographie par émission de positrons, a répertorié les
régions cérébrales activées par des stimuli
érotiques visuels.
Il s’agit de (1) une activation
bilatérale du cortex temporal inférieur (aire associative
visuelle), (2) une activation de la région insulaire et de la partie
inférieure du cortex frontal à droite (impliquée dans les
relations entre l’état motivationnel et le traitement des
informations sensorielles) et, enfin, (3) l’activation du cortex
cingulaire antérieur gauche (impliqué dans le contrôle des
fonctions hormonales et de celles du système nerveux autonome).
Des psychotropes appartenant à diverses
classes thérapeutiques ont été utilisés dans le
contrôle des troubles du comportement sexuel avec une efficacité
discutée, en dehors des cas où ces troubles étaient
associés à une pathologie psychiatrique avérée.
Chez les patients psychotiques présentant des
troubles du comportement sexuel secondaires à une thématique
délirante, les neuroleptiques conservent leur efficacité alors
que, paradoxalement, les traitements hormonaux peuvent aggraver la psychose.
Chez
les sujets présentant des troubles de l’humeur associés
à des désordres sexuels, le lithium, de par son efficacité
dans le traitement du trouble thymique, peut permettre
l’amélioration des troubles du comportement sexuel (pour revue
Gijs et Gooren, 1996).
Les antidépresseurs sérotoninergiques
Un certain nombre d’arguments cliniques
plaident en faveur d’une parenté entre le trouble obsessionnel
compulsif et certains cas de paraphilies pour lesquelles le passage à
l’acte serait plus rare.
D’autres types de comportements paraphiliques
pourraient être apparentés à des troubles du contrôle
de l’impulsivité.
En outre, les épisodes dépressifs
compliquent fréquemment l’évolution des paraphilies.
Tous ces arguments, basés sur
l’observation clinique, plaident en faveur d’une efficacité
prévisible des antidépresseurs sérotoninergiques dans
certains types de paraphilies. Encore restait-il à définir le
profil clinique des patients pour lesquels on pouvait espérer une bonne
réponse clinique.
Depuis l’avènement des nouveaux
antidépresseurs sérotoninergiques (IRS), dans les années
1990, de nombreux « case report » soulignant
l’efficacité de ces molécules dans les différents
types de paraphilies ont été publiés (pour revue Balon,
1998 ; Bradford, 2001). Coleman et coll. (1992), Kafka (1994) et Greenberg
et coll. (1996) ont rapporté l’efficacité des IRS dans des
études en ouvert dans le contrôle des paraphilies. Seule l’étude
de Stein et coll., (1992) conclue à l’absence d’effet de la
fluvoxamine ou de la fluoxetine à doses efficaces pendant une
durée maximale de dix mois chez cinq patients.
Dans la plupart des études
précitées, la durée totale du traitement
n’excède pas une année, alors que l’efficacité
(jugée généralement sur le taux de récidives) est
parfois obtenue tardivement (entre un et trois mois après introduction
du traitement) avec des doses qui se rapprochent de celles prescrites chez les
patients atteints de troubles obsessionnels compulsifs.
La plupart des sujets inclus dans ces études
ont des troubles thymiques ou des symptômes obsessionnels associés
à des paraphilies (les plus représentées dans ces
études sont : l’exhibitionnisme, la masturbation compulsive
et la pédophilie).
Dans l’étude de Greenberg (1996),
l’efficacité de la fluvoxamine, de la sertraline et de la
fluoxétine paraissent équivalentes sur douze semaines.
Alors que la plupart des études plaident en
faveur d’une spécificité d’action des drogues
sérotoninergiques, Kruesi et coll. (1992) rapportent une
efficacité équivalente de la clomipramine et de la desipramine
(aux même doses) dans une étude contrôlée en double
aveugle et cross-over chez huit sujets paraphiles.
Greenberg et Bradford (1997) ont comparé 95
sujets atteints de paraphilies et traités avec des IRS à 104
sujets atteints de paraphilies et traités par thérapie
cognitivo-comportementale. L’activation observée avec les IRS
étant significativement supérieure à la douzième
semaine.
En résumé, l’efficacité
des antidépresseurs sérotoninergiques dans le contrôle des
paraphilies est fortement suggérée par ces études, surtout
lorsqu’il existe un trouble obsessionnel compulsif (TOC), un trouble du
contrôle de l’impulsivité ou une symptomatologie
dépressive associée. Leur bonne tolérance en ferait
à long terme un traitement intéressant dans l’indication de
la paraphilie, surtout chez les adolescents.
Cependant, leur efficacité reste à
démontrer par des études contrôlées en particulier
comparativement aux traitements hormonaux. Le profil des patients chez lesquels
ces traitements pourraient être prescrits en monothérapie reste
à définir plus clairement.
Les défenseurs de ces thérapeutiques
insistent sur la spécificité d’action de celles-ci dans le
contrôle du comportement paraphile avec une action
préférentielle sur ce dernier et un respect voire même,
pour Kafka et Prentky (1992) ou pour Bradford (1999), une relative facilitation
du comportement sexuel non paraphile.
Cependant, ces mêmes auteurs émettent
quelques réserves sur l’utilisation de ces thérapeutiques
dans les cas les plus graves de paraphilies (comme par exemple les
pédophilies, en particuliers homosexuelles, surtout lorsque les patients
ont déjà commis plusieurs passages à l’acte).
A partir du rôle supposé de la
testostérone dans l’agressivité et dans le comportement
sexuel, la castration chirurgicale a été proposée aux
délinquants sexuels dès 1892. Dès les années 1930,
plusieurs auteurs insistent sur l’efficacité de cette technique
(taux de récidive moyen d’environ 3 %, comparativement à 60
% en l’absence de castration) dans le contrôle des déviances
sexuelles.
Cette « thérapeutique »,
complètement abandonnée dans de nombreux pays d’Europe,
suscite actuellement un regain d’intérêt Outre-Atlantique,
si l’on en croit la réintroduction de cette méthode dans
plusieurs états américains et les nombreux débats sur
Internet.
C’est à partir de
l’efficacité de la castration chirurgicale qu’ont
été introduits les traitements hormonaux dans cette indication.
Les premières tentatives de modification du
comportement sexuel à l’aide des traitements hormonaux datent des
années 1950. Ces traitements présentent l’avantage
considérable d’offrir une « castration » qui
est réversible à l’arrêt du traitement.
L’oestrogénothérapie, initialement proposée, a
été rapidement abandonnée à cause du risque de
féminisation, parfois irréversible, et à cause du risque
de cancer du sein.
Ensuite, les progestatifs, comme
l’acétate de médroxyprogestérone (Depo-Provera R)
ont été proposés dans les années 1960. En Europe,
ce produit a été abandonné dans cette indication du fait
de la survenue d’effets secondaires graves à type de thrombose
veineuse, d’insuffisance surrénale ou de diabète. Il
demeure très utilisé aux Etats-Unis en raison de son faible
coût.
1. L’acétate de
cyprotérone (CPA) (Androcur R)
Il s’agit d’un dérivé
progestatif qui s’oppose à l’action
périphérique des androgènes, en particulier en inhibant de
façon compétitive leur liaison au récepteur nucléaire.
Il possède parallèlement une action antigonatotrope
(réduisant ainsi la sécrétion de LH).
Ce
dérivé progestatif possède déjà
l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans plusieurs
indications (comme l’hirsutisme majeur et le cancer de la prostate). En
France, seule une forme orale existe.
Les premiers travaux rapportant
l’efficacité du CPA chez les exhibitionnistes remontent à
1967.
Depuis, des centaines de sujets ont fait
l’objet de « case report » ou d’études
non contrôlées qui ont confirmé l’efficacité
du CPA dans le traitement des paraphilies (pour revue Bradford et Greenberg,
1996). Laschet et Laschet (1975) ont rapporté l’efficacité
du CPA chez environ trois cents sujets traités, en ouvert, pendant une
durée maximale de huit ans.
Finalement, quelques études contrôlées
(alternant antiandrogènes et placebo, et utilisant chacun des sujets de
l’étude comme son propre témoin) ont rapporté
l’efficacité du CPA dans le traitement des paraphilies (Cooper,
1981 ; Cooper et coll., 1992 ; Bradford et Pawlak, 1993 ).
Il est prescrit, en dehors de toute autorisation de
mise sur le marché en France, dans les cas d’hypersexualité
chez l’homme comme chez la femme et dans les cas de paraphilies. Dans
plus de 80 % des cas, avec une dose variant de 100 à 200 mg par jour de
CPA, les fantasmes et l’activité sexuelle paraphiles disparaissent
en un à deux mois. Sa prescription n’est pas indiquée
lorsque le sujet n’a pas donné son consentement
éclairé (cependant aucune obligation n’est faite au
prescripteur de l’obtenir, même si on ne peut que le regretter),
chez les sujets n’ayant pas achevé leur puberté et chez les
sujets atteints d’épilepsie ou de psychose.
En effet, chez ces derniers, il peut aggraver les
symptômes psychotiques. L’efficacité du CPA paraît
moindre chez les sujets présentant une personnalité antisociale
(en partie pour des raisons liées à une mauvaise observance du
traitement), chez les sujets consommateurs de toxiques, ou lorsqu’il
s’agit d’adolescents.
En moyenne, le traitement par CPA,
parallèlement à la diminution du taux de testostérone
plasmatique, réduit le taux de récidive du comportement
déviant à environ 6 % comparé à 85 % avant la mise
en route du traitement (Meyer et coll., 1997). Dans la plupart des cas, parallèlement
à la disparition des comportements sexuels paraphiles, le comportement
sexuel non paraphile, les fantasmes sexuels paraphiles et non paraphiles sont
drastiquement réduits dans un délai de deux à quatre
semaines. Les érections matinales, l’éjaculation et la
spermatogenèse sont également réduits. L’efficacité
du traitement est maintenue pendant toute la durée de prescription de
celui-ci. Lorsque le traitement est interrompu, les effets biologiques et
comportementaux du CPA disparaissent en un ou deux mois après
l’arrêt du traitement, le taux de récidive est compris entre
20 et 50 % dans les années qui suivent.
Peu d’études (Bancroft et
coll.,1974 ; Cooper et coll., 1992) ont utilisé des mesures plus
objectives du comportement sexuel, en étudiant la réponse
pénienne à des stimulations visuelles érotiques par
pléthysmographie. L’effet du CPA sur la réponse
pénienne est plus variable et n’est pas toujours
corrélé à la disparition de l’activité
déviante rapportée par le patient. Le traitement permettrait
alors au patient de mieux contrôler cette excitation et
d’empêcher le passage à l’acte déviant.
Le CPA aurait également un effet antiagressif.
En dehors de l’apparition fréquente
d’une gynécomastie (20 % des cas), réversible à
l’arrêt du traitement, et de rares cas de cytolyse hépatique
(nécessitant une surveillance régulière du taux des
transaminases), la plupart des effets secondaires sont peu gênants
(asthénie, prise de poids, sécheresse des téguments ou
diminution de pilosité). La survenue d’une dépression peut
parfois conduire à la co-prescription d’antidépresseurs.
Et, enfin, comme tout traitement
antiandrogène, le CPA peut provoquer une déminéralisation
osseuse à l’issue d’un an à deux ans de traitement
(une surveillance est donc nécessaire et on peut être amené
à traiter une déminéralisation éventuelle).
Cependant, en dépit de son efficacité,
trois facteurs limitent sa prescription :
(1) l’absence, en France, d’une forme
galénique retard, qui limite l’observance du traitement chez les
patients non compliants,
(2) l’absence de marqueur biologique de
l’efficacité ou de la bonne observance du traitement (taux de
testostérone très inconstamment abaissé).
(3) l’absence en France d’AMM dans cette
utilisation
2. Les analogues de la GnRH
(triptoréline, Decapeptyl R ou leuproréline, Enantone R)
Ils induisent constamment une inhibition
réversible de la sécrétion gonadique de
testostérone, par désensibilisation gonadotrope à l'action
de la GnRH endogène. Cependant, la désensibilisation intervient
environ 10 jours après le début du traitement, après une
phase de stimulation initiale qu'il est impératif d'inhiber en
prescrivant conjointement de l'acétate de cyprotérone.
Ils ne modifient pas la sécrétion
d’androgènes d’origine surrénalienne. Ces produits
ont déjà obtenu l’AMM dans le traitement de
l’endométriose et du cancer de la prostate
métastasé.
La première publication de Rousseau et coll.
(1990) rapporte l’efficacité, dès le premier mois de
traitement, de la combinaison d’un analogue de la GnRH de courte
durée d’action et d’un antiandrogène (flutamide) chez
un sujet exhibitionniste. L’efficacité est maintenue au cours des
six mois de traitement, puis le comportement déviant est réapparu
deux mois après l’interruption du traitement.
Dickey (1992) souligne l’efficacité de
la leuproréline chez un patient présentant de multiples
paraphilies.
Thibaut
et coll. (1993) rapportent la première série en ouvert de six
patients atteints de diverses paraphilies ( 4 pédophiles, un
exhibitionniste, un cas de sadisme sexuel) et traités par la
triptoréline (3.75 mg i.m. par mois). Chez tous les patients, un
traitement par acétate de cyprotérone avait été
initié dix jours avant la première injection d’analogue de
la GnRH afin de ne pas exposer le patient aux conséquences éventuelles
d’une hyperstimulation initiale et transitoire de la sécrétion
de testostérone.
Parallèlement
à la diminution du taux de testostérone plasmatique, le
comportement sexuel déviant disparaît pendant la durée du
traitement dans cinq cas sur six, dès le deuxième mois. Les
fantasmes sexuels paraphiles disparaissent et l’activité sexuelle
est considérablement réduite pendant toute la durée du
traitement (au maximum trois ans). L’activité sexuelle est
mesurée par autoquestionnaire et évalue le nombre de rapports
sexuels ou de masturbations au cours du mois précédant la consultation,
le nombre et la fréquence des fantasmes ou comportements
déviants. L’un des patients à interrompu le traitement
à la fin de la première année et une récidive du
comportement paraphile a été observée dix semaines
après l’interruption.
Notre
série a été complétée par cinq patients
(Thibaut et coll., 1998) (3 pédophiles, un exhibitionniste, un cas de
sadisme sexuel). Le traitement a fait disparaître le comportement sexuel
déviant chez ces cinq
sujets au prix d’effets secondaires mineurs (asthénie –
bouffées de chaleur), en dehors de ceux liés à
l’hypoandrogénie. Le bilan hormonal initial était normal
chez tous les sujets et les perturbations hormonales liées au traitement
ont été réversibles quelques mois après
l’interruption de celui-ci.
Rösler
et Witztum (1998), utilisant une méthodologie similaire à la
nôtre, ont publié une étude en ouvert rapportant
l’efficacité de la triptoréline (3.75 mg i.m. par mois)
chez 30 patients (dont 25 pédophiles) traités pendant une
durée variant entre 12 et 42 mois. L’efficacité du
traitement apparaît dès le deuxième ou troisième
mois et, chez tous les patients, le comportement sexuel déviant
disparaît pendant la durée du traitement.
La
plupart des sujets inclus dans les trois études
précédentes (60 %) avaient déjà fait l’objet
de poursuites pénales, et environ un tiers d’entre eux avaient
été initialement traités par acétate de
cyprotérone sans succès ou avec une mauvaise tolérance.
L’hypoandrogénie
prolongée (en règle inférieure à deux ans) a induit
une déminéralisation osseuse ayant nécessité un
traitement dans trois cas sur 41, et une diminution modérée du
volume testiculaire dans environ 50 % des cas.
Onze
patients sur 41 inclus dans les trois études ont interrompu le
traitement au cours de l’étude, en général avant un
an. Parmi ceux-ci, quatre ont souhaité reprendre les analogues de la
GnRH, du fait de la réapparition d’envies sexuelles
déviantes en quelques mois, et trois autres ont dû être
traités secondairement par CPA, du fait d’une mauvaise
tolérance de la triptoréline (dont deux sans succès).
Le
mode d’action de ces analogues : direct (au niveau de structures
cérébrales telles que l’amygdale où la GnRH pourrait
jouer un rôle neuromodulateur ( Moss et Dundley, 1989)) ou indirect (par
la diminution du taux de testostéronémie) demeure mal connue.
Chez les sujets sains, l’efficacité des analogues de la GnRH sur
le désir sexuel est inconstante (Loosen et coll., 1994).
La
durée pendant laquelle le traitement antiandrogène doit
être poursuivi, ainsi que les modalités d’interruption de
celui-ci (risque d’effet rebond en cas d’interruption trop rapide)
ne font pas l’objet d’un consensus. Une durée minimale de
trois à cinq ans paraîtrait nécessaire à
l’obtention d’un déconditionnement du comportement
déviant, et une interruption progressive des antiandrogènes
semble préférable à un arrêt brutal (Thibaut et
coll., 1996).
Les
analogues de la GnRH paraissent plus efficaces que le CPA dans les deux
études en ouvert, et mieux tolérés. Ils suppriment le
comportement sexuel paraphile en réduisant parallèlement
l’activité sexuelle non paraphile. Aucun des patients n’a
utilisé de façon clandestine de la testostérone pour
annuler l’efficacité des analogues de la GnRH, comme cela a pu
être mentionné comme risque possible avec ce type de traitement.
Avant
tout traitement hormonal, un bilan complet s’impose afin de ne pas
méconnaître une perturbation mentale pouvant favoriser la
paraphilie sexuelle ou contre-indiquer le traitement. Ce bilan inclut :
testostéronémie, TeBG, FSH, LH, prolactinémie, oestradiol.
Une évaluation extrêmement précise du type de paraphilie,
de la nature et de l’intensité des fantasmes sexuels paraphiles,
de l’activité sexuelle paraphile et non paraphile, de la
consommation éventuelle d’alcool et de toxiques, de troubles
psychiatriques ou de troubles de la personnalité associés sera
effectuée.
Bradford
(2001) a récemment proposé un algorithme dans le traitement des
paraphilies en fonction de leur gravité (légère à
très grave) que nous avons adapté à la pharmacopée
française (Thibaut et coll., 2001).
Quel
que soit le degré de sévérité de la paraphilie,
l’auteur propose une thérapie cognitivo-comportementale et des
mesures éducatives visant à prévenir les récidives.
Il nous semble également important d'insister sur la
nécessité d'y associer une psychothérapie.
Pour
les niveaux légers (par exemple, exhibitionnistes –
pédophilie s’inscrivant dans le cadre d’un TOC), il propose
un traitement par IRS pendant quatre à six semaines à doses
adéquates (proches de celles observées dans les troubles
obsessionnels compulsifs).
Pour
des niveaux plus sévères (pédophiles par exemple), un
traitement antiandrogène par CPA est suggéré, à des
doses variant entre 50 et 300 mg par jour, en fonction de la
sévérité du trouble, sous réserve d’une bonne
fiabilité dans l’observance du traitement.
Dans
les formes les plus graves (en particuliers, pédophiles homosexuels
ayant déjà commis des viols, ou en cas de mauvaise observance du
traitement par CPA), un traitement par analogues de la GnRH devient le
traitement de choix, à condition de l’associer initialement
à une prescription de CPA.
IV. OBJECTIFS ET INDICATIONS
En
l’état actuel des connaissances, l’objectif n’est pas
de corriger une anomalie biologique. L’intérêt principal des
anti-androgènes est d’agir rapidement sur un symptôme. Mais,
l’appétence sexuelle n’étant pas une anomalie, bien
au contraire, peut-on parler de symptôme seulement parce que cette
appétence doit être freinée, soit en raison de son
orientation prohibée, soit en raison de son intensité
estimée excessive ? L’objectif de la prescription
d’anti-androgènes est de freiner le désir et
l’activité sexuels chez un sujet qui pense ne pas
pouvoir maîtriser ses pulsions. C’est le principal
critère d’indication.
Cette prescription suppose une prise de conscience d’une anomalie
par la patient. On peut admettre que cette prise de conscience soit en relation
avec la crainte de la répression sociale et qu’elle ait pu
être inspirée par une pression familiale, sociale ou judiciaire.
L’action des anti-androgènes doit évidemment se doubler
d’une action psychologique passant par le médecin
prescripteur ; elle peut créer une situation favorable à
l’impact d’une psychothérapie individuelle ou de groupe,
d’inspiration analytique ou par déconditionnement. Le nouvel état biologique
créé par ces traitements entraîne incontestablement un
apaisement propice à l’approche psychothérapique. Compte
tenu des longs délais d’action des techniques
psychothérapiques, on a pu constater qu’avec les anti-androgènes,
elles étaient entreprises avec plus de sérénité et
qu’elles n’étaient pas interrompues par la récidive
transgressive. Les anti-androgènes sont particulièrement indiqués :
-
chez
les pédophiles multirécidivistes, en particulier homosexuels,
-
chez
les pédophiles profondément immatures ou déficients
intellectuels qui ont en quelque sorte l’âge mental de leur
victime. Ce type de traitement évite un « destin
asilaire » et favorise la réinsertion sociale.
V. LIMITE DES TRAITEMENTS ANTIANDROGENES
Il
a été rappelé tout d’abord qu’ils n’ont
pas d’autorisation de mise sur le marché dans cette indication en
France. Un médecin peut toujours prescrire hors
« AMM » lorsqu’il estime qu’un
médicament est nécessaire pour le traitement de son patient, mais
il engage alors son entière responsabilité. Le Comité
Consultatif National d’Ethique a recommandé dans ce cas un
consentement libre éclairé, exprimé par écrit et
renouvelé. Il a même recommandé de ne prescrire ces
médicaments dans cette indication que dans le cadre d’une
expérimentation selon la Loi Huriet. Il faut rappeler par ailleurs
qu’en prescrivant des anti-androgènes, on ne modifie pas
l’orientation sexuelle, et l’action thérapeutique est
symptomatique. C’est une erreur de croire que leur efficacité est
totale. Seul l’effet biologique des anti-androgènes peut
être garanti. On a observé quelques rares récidives sous anti-androgènes mais
également après castration chirurgicale. Enfin, il faut savoir
qu’en prescrivant systématiquement des anti-androgènes on
adopte en fait une solution de facilité qui maintient le patient dans
une position passive et qui ne permet d’aborder les conflits psychiques
sous-jacents à son comportement paraphile. On prendrait ainsi le risque
de lui offrir un alibi s’il était soupçonné de
récidive. On risquerait enfin, en cas de récidive, de le
déresponsabiliser en confondant récidive et échec
thérapeutique, avec un déplacement de la responsabilité
vers le prescripteur. Ce risque existe en fait pour toute autre forme de
traitement dont l’efficacité aurait été
surestimée.
VI. CONCLUSIONS
Quel
que soit le type de thérapeutique utilisé (médicamenteux
ou non), les difficultés majeures auxquelles se heurtent les
thérapeutes impliqués sont les suivantes :
(1)
l’absence
de critères standardisés et reproductibles de mesure de
l’activité sexuelle. La plupart des études utilisent des
autoquestionnaires quantifiant l’activité sexuelle et les
éventuels rapports judiciaires d’actes délictueux,
(2)
l’extrême
difficulté de mettre en place des études randomisées en
double aveugle chez ce type de patient,
(3)
l’absence
d’AMM française de chacun de ces traitements dans cette indication
et l’absence de critères permettant à des non
spécialistes de prescrire le traitement le plus adapté à la paraphilie
présentée par le patient et d’encadrer ces prescriptions.
Les difficultés
représentées par la prise en charge d’adolescents non
pubères, présentant des troubles du comportement sexuel parfois
sévères, et nécessitant un traitement médicamenteux,
justifieraient la mise en place d’études contrôlées.
En définitive, prescrire un
anti-androgène à l’auteur d’agressions sexuelles,
c’est lui apporter un traitement symptomatique efficace. Mais une telle
prescription ne peut être banalisée ; elle se situe souvent
dans un contexte de pression socio-familiale ou judiciaire. Elle suppose une
bonne maîtrise de la relation avec le patient, où cohabitent
l’objectif de soigner et celui d’empêcher de nuire.
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