Conférence de consensus "La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge"

  • organisée par la Fédération Française de Psychiatrie
  • avec l’aide méthodologique de l’ANAES
  • et le soutien de la Direction Générale de la Santé


  •     


    Sociétés copromotrices

  • Association Pédagogique Nationale pour L'Enseignement de la Thérapeutique
  • CNAMTS (Caisse Nationale d'Assurance Maladie)
  • Société Française de Gérontologie
  • Comité Français d'Education pour la Santé
  • - 19 et 20 octobre 2000 -
    Amphithéâtre Charcot - Hôpital La Salpétrière Boulevard de l’Hôpital - 75013 PARIS

    Texte court des recommandations
    élaborées par le Jury

    AVANT-PROPOS

    Cette conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé (ANAES).
    Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le Jury de la conférence, en toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune manière la responsabilité de l'ANAES.

    INTRODUCTION

    Les données de la littérature sur la prévention du suicide sont abondantes pour la prévention primaire et la prévention tertiaire mais pauvres pour la prévention secondaire. Cela tient au fait que les premières manifestations de la crise suicidaire sont difficiles à cerner : ses aspects sont très variables, les troubles sont parfois inapparents, lorsqu'ils existent ils se manifestent par des signes peu spécifiques et permettent peu de prévoir si la crise va évoluer vers une rémission spontanée ou vers une tentative de suicide ou d'autres passages à l'acte. Il n'y a pas un consensus international sur ses critères de définition.

    Pourtant il est essentiel de repérer une telle crise suicidaire car elle justifie une prise en charge et constitue un moment fécond où une action thérapeutique est possible.

    C'est pourquoi la Fédération Française de Psychiatrie a estimé qu'il serait utile d'organiser une conférence de consensus sur ce sujet. La principale difficulté est venue de cette pauvreté des données.Les recommandations qui suivent correspondent à " l'état de l'art " actuel. Elles ne sont ni complètes ni parfaites. Elles auront certainement à être revisitées lorque les connaissances auront progressé. Leur objectif est de permettre l’amélioration du repérage, et par là même l’organisation d’une prise en charge susceptible d’éviter ou de limiter la fréquence des passages à l’acte.

    Le jury a rédigé des "Recommandations longues" (RL) qui sont plus complètes que celles-ci et auxquelles nous renverrons parfois pour des situations plus particulières: armée, prison, addictions. Ces RL présentent les données de la littérature sous une rubrique "constatations" qui précède les "recommandations" qui en découlent. Nous n'avons pas pu les reprendre ici.

    I - La crise suicidaire : définition

    1. Il s’agit d’une crise psychique dont le risque majeur est le suicide.

    2. Cette crise constitue un moment d’échappement. Un état d’insuffisance de ses moyens de défense et de vulnérabilité place la personne en situation de souffrance et de rupture d’équilibre relationnel avec elle-même et son environnement. Cet état est réversible et temporaire.

    La crise suicidaire peut être représentée comme la trajectoire qui va du sentiment péjoratif d’être en situation d’échec à une impossibilité ressentie d’échapper à cette impasse. Elle s'accompagne d’idées suicidaires de plus en plus prégnantes et envahissantes jusqu’à l’éventuel passage à l’acte. La tentative de suicide ne représente qu’une des sorties possibles de la crise, mais lui confère sa gravité.

    3. La crise suicidaire n’est pas un cadre nosographique simple. C'est un ensemble sémiologique variable en fonction des sujets, des pathologies associées, des facteurs de risque et des conditions d’observation. Elle peut être difficile à identifier.

    Si le recours au médecin apparaît devoir être systématique, le médecin n’est pas la solution à tout. Il est là pour faire le diagnostic et déterminer une stratégie thérapeutique, ce qui implique son investissement. Une partie de son action thérapeutique - et quelquefois la possibilité même de cette action - dépendent de l’entourage qui est le premier témoin des manifestations d’une crise en développement.

    II. Comment des non-professionnels peuvent-ils repérer une crise suicidaire et quelle première attitude adopter ?

    Le repérage de la crise suicidaire s’appuie sur différentes manifestations :

    - l’expression d’idées et d’intention suicidaires,

    - des manifestations de crise psychique,

    - dans un contexte de vulnérabilité.

    Initialement, la crise suicidaire peut se manifester à travers la fatigue, l’anxiété, la tristesse, des pleurs, une irritabilité et agressivité, des troubles du sommeil, une perte du goût aux choses, un sentiment d’échec et d’inutilité, une mauvaise image de soi et un sentiment de dévalorisation, une impuissance à trouver des solutions à ses propres problèmes, des troubles de la mémoire, une perte d’appétit ou boulimie, une rumination mentale, une appétence alcoolique et tabagique, un retrait par rapport aux marques d’affection et au contact physique, un isolement.

    À un stade ultérieur de la crise, celle-ci peut s’exprimer par des comportements particulièrement préoccupants : le désespoir, une souffrance psychique intense, une réduction du sens des valeurs, le cynisme, un goût pour le morbide, la recherche soudaine d’armes à feu. Une accalmie suspecte, un comportement de départ sont des signes de très haut risque.

    Parmi les facteurs de vulnérabilité, la dépression, des affections psychiatriques déjà existantes, les facteurs de personnalité ainsi que l’alcoolisme et la toxicomanie y tiennent une place importante. Dans ce contexte, l’histoire familiale individuelle, des événements de vie douloureux (déplacement, perte d’un être cher, conflits, …) peuvent être des éléments de précipitation de la crise suicidaire.

    Les premiers signes que nous venons de décrire ne sont, dans leur majorité, ni spécifiques ni exceptionnels pris isolément. Ils peuvent être labiles. C’est leur regroupement, leur association ou leur survenue comme une rupture par rapport au comportement habituel qui doit alerter l’entourage, le conduire à suspecter l’existence d’une crise suicidaire et à provoquer une investigation complémentaire par le médecin. L’approche de bienveillance, d’écoute, de dialogue et d’accompagnement de l’entourage est un élément essentiel pour l’engagement de cette prise en charge.

    Repérage à des âges et dans des environnements particuliers ; premières attitudes recommandées

    Chez l’enfant

    L’expression d’idées et d’intentions suicidaires est rare.

    La crise psychique peut s’exprimer par des problèmes somatiques mal étiquetés, un isolement, des troubles de la communication et de l’apprentissage, une hyperactivité, une encoprésie, des blessures à répétition, des préoccupations exagérées pour la mort, une tendance à tenir la place de souffre-douleur de la part des autres.

    Sont décrits comme facteurs de vulnérabilité, l'isolement affectif, les bouleversements familiaux, l'entrée au collège, un contexte de maltraitance.

    Les premières attitudes recommandées sont les suivantes : ne pas chercher à résoudre le problème seul, parler avec l’enfant sans que cela soit intrusif, signaler les signes repérés à la famille, les signaler au médecin scolaire qui fera le lien avec le médecin généraliste et/ou le médecin spécialiste.

    Chez l’adolescent

    L’expression d’idées et d’intentions suicidaires était jadis jugée " banale " à l’adolescence. On s’accorde actuellement à les considérer comme un motif suffisant d’intervention et de prévention.

    La crise psychique peut s’exprimer par un infléchissement des résultats scolaires, des conduites excessives et déviantes, une hyperactivité, une attirance pour la marginalité, des conduites ordaliques, des conduites d’anorexie et de boulimie, des prises de risque inconsidérées, notamment au niveau sexuel, une violence sur soi et sur autrui, des fugues.

    L’adolescence est une période de particulière vulnérabilité à laquelle peuvent se surajouter l’isolement affectif, les ruptures sentimentales et les échecs, notamment scolaires, les conflits d’autorité.

    Les premières attitudes recommandées sont les suivantes : créer un climat d’empathie avec le jeune qui va permettre son accompagnement vers les professionnels de l’établissement (médecin, infirmière, psychologue ou assistante scolaires), la famille et le médecin traitant ; utiliser les réseaux spécialisés existants.

    Chez l’adulte

    Les idées suicidaires sont peu exprimées en dehors de la relation avec le médecin ou de façon très manifeste dans la famille.

    Les manifestations de la crise psychique sont : l’ennui, le sentiment de perte de rôle, d’échec, d’injustice, de décalage et de perte d’investissement au travail, les difficultés relationnelles (y compris celles de couple), l’incapacité à supporter une hiérarchie, les arrêts de travail à répétition ou au contraire le surinvestissement au travail, les consultations répétées chez le médecin (douleur, sensation de fatigue,…).

    Le contexte de vulnérabilité dépend beaucoup du statut conjugal, social et professionnel et peut être aggravé par un climat délétère, voire de harcèlement dans le travail. Parmi les autres facteurs, on trouve les toxicomanies, le sida, la violence ou l’atteinte narcissique et l’émigration.

    Les premières attitudes recommandées sont les suivantes : l’entourage proche doit essayer d’établir un lien et une relation de confiance en adoptant une attitude de bienveillance, d’écoute, de dialogue et d’alliance qui favorisera le recours aux réseaux d’aide et au soin.

    Chez la personne âgée

    Les idées suicidaires sont rarement exprimées, et lorsqu’elles le sont, elles ne doivent pas être banalisées par l’entourage.

    Les manifestations de la crise psychique peuvent comporter une attitude de repli sur soi, un refus de s’alimenter, un manque de communication, une perte d’intérêt pour les activités, un refus de soin et des gestes suicidaires.

    Le contexte de vulnérabilité peut comporter une dépression, des maladies somatiques notamment sources de handicap et de douleur, les conflits, le changement d’environnement. Un autre facteur est le veuvage pour les hommes.

    Les premières attitudes recommandées sont les suivantes : être attentif à la possibilité d’une dépression, envisager une souffrance somatique et une maltraitance devant un changement comportemental.

    Chez les personnes atteintes de troubles psychiques avérés

    Les idées suicidaires peuvent être exprimées ou à l’inverse totalement dissimulées.

    La crise suicidaire est constituée d’une alternance de moments à haut risque et de moments d’accalmie, sur un fond de variabilité permanente. Certains signes peuvent marquer une aggravation du risque, qu’il peut être difficile de repérer parmi des signes qui sont déjà présents : isolement, rupture des contacts habituels, réduction et abandon des activités, exacerbation de tous les signes de maladie.

    Le contexte de vulnérabilité est la maladie, au sein de laquelle des événements d’allure insignifiante peuvent avoir un impact très important.

    Les premières attitudes recommandées sont les suivantes : prendre contact avec le ou les thérapeutes habituels, assurer la sécurité par rapport à des objets ou des médicaments dangereux.

    Pour les personnes souffrant d'alcoolisme et pour les situations particulières rencontrées dans l'armée et dans les prisons, voir les RL.

     

    III. Comment reconnaître et évaluer la crise suicidaire en milieu sanitaire ?

    A - reconnaître la crise

    Chez un patient connu

    1. Patient ayant des troubles psychiatriques (troubles anxio-dépressifs, troubles de la personnalité, conduites addictives, etc.) une aggravation récente des troubles, perçue par le patient ou son entourage.

    2. Patient sans troubles psychiatriques préalables :

    - symptomatologie physique inexpliquée, pouvant masquer un état dépressif ;

    - événement vécu comme stressant ;

    - conduite inhabituelle ;

    - changement de tonalité dans la relation avec le médecin ou avec l’entourage

    - le contexte peut être la survenue d’une pathologie organique à retentissement vital ou à impact déstabilisant.

     

    Chez un patient peu ou pas connu, l’attention peut être attirée par :

    - un changement récent de praticien ;

    - un motif d’appel ou de consultation pas clair ;

    - un état d’agitation ou de stress ;

    - des allusions directes ou indirectes à un vécu problématique.

    Il ne faut pas hésiter à questionner le patient sur ses idées de suicide. Cette attitude, loin de renforcer le risque suicidaire, ne peut que favoriser l’expression des troubles.

    Le praticien pourra alors :

    - utiliser des outils de repérage adaptés ;

    - rechercher des événements de vie récents, éléments conjoncturels pouvant avoir déclenché le processus ;

    - situer l’épisode dans son contexte socio-environnemental (famille, profession, milieu de loisir, etc.).

    Au-delà de la présence éventuelle d’un syndrome dépressif franc ou d’une pathologie psychiatrique, le diagnostic de crise suicidaire s’appuiera sur :

    B - en apprécier la dangerosité et l’urgence

    Il est souhaitable d’explorer six éléments :

    1. Le niveau de souffrance : désarroi ou désespoir, repli sur soi, isolement relationnel, sentiment de dévalorisation ou d’impuissance, sentiment de culpabilité.

    2. Le degré d’intentionnalité : idées envahissantes, rumination, recherche ou non d’aide, attitude par rapport à des propositions de soins, dispositions envisagées ou prises en vue d’un passage à l’acte (plan, scénario).

    3. Les éléments d’impulsivité : tension psychique, instabilité comportementale, agitation motrice, état de panique, antécédents de passage à l’acte, de fugue ou d’actes violents.

    4. Un éventuel élément précipitant : conflit, échec, rupture, perte, …

    5. La présence de moyens létaux à disposition : armes, médicaments, etc…

    6. La qualité du soutien de l’entourage proche : capacité de soutien ou inversement renforcement du risque dans le cas de familles " à transaction suicidaire ou mortifère ".

     

    Le jury recommande de considérer :

    En urgence faible une personne qui :

    En urgence moyenne une personne qui :

    En urgence élevée une personne :

    - décidée, dont le passage à l’acte est planifié et prévu pour les jours qui viennent ;

    - coupée de ses émotions, rationalisant sa décision ou très émotive, agitée, troublée ;

    - complètement immobilisée par la dépression ou dans un état de grande agitation ;

    - dont la douleur et la souffrance sont omniprésentes ou complètement tues ;

    - ayant un accès direct et immédiat à un moyen de se suicider ;

    - ayant le sentiment d’avoir tout fait et tout essayé ;

    - très isolée.

    Il faudra également tenir compte de l'élément de dangerosité lié à l'accumulation de facteurs de risque, notamment l'âge (> 75 ans).

    Un tel bilan exhaustif n’est pas toujours possible. Il est souhaitable dans une évaluation psychiatrique. Le médecin généraliste confronté à la diversité des situations aura à évaluer au moins la crise et son degré d’urgence. L’urgentiste confronté à une crise d’angoisse aura à apprécier le potentiel de dangerosité suicidaire. Le médecin scolaire et le médecin du travail confrontés dans leurs pratiques respectives à des signes d’appel auront à les identifier et à orienter le sujet vers une structure de soins.

    IV. Quels modes d’intervention proposer ?

    Ils répondent à quatre principes de base :

    1. Adaptation aux différents contextes dans lesquels se situe le sujet en crise.

    2. Prise en compte des interrelations de l’individu avec son entourage et avec l’ensemble du tissu social.

    3. Prise en charge pluridisciplinaire de la crise suicidaire.

    4. Place essentielle réservée aux liens dans la prise en charge des personnes en crise suicidaire. Le sentiment d’être compris, reconnu et accepté par l’intervenant, la capacité d’établir un bon contact avec la personne suicidaire, ne peuvent être remplacés par aucune technique standardisée.

    1 - La famille et l’entourage proche

    Inciter les familles, et en particulier les parents d’adolescents, à accorder une valeur à leur ressenti et à leurs inquiétudes, avec demande d’aide à l’extérieur de la famille et auprès de professionnels.

    Informer les parents des facteurs de risque repérables sans investigation ou nécessitant le recours aux soins spécialisés ;

    Informer la famille des facteurs de protection, en particulier :

    Développer ou renforcer au sein de la famille la capacité de mettre en mots, les tensions ressenties et agies.

    Favoriser l’alliance thérapeutique avec les autres intervenants, tout comme les initiatives positives de la personne.

    Considérer la concordance ou la multiplication des manifestations alarmantes à l'intérieur et à l'extérieur de la famille comme un élément de gravité.

    Faciliter la mise à disposition des informations susceptibles d'améliorer le repérage de la crise suicidaire.

    2 - Milieu socioprofessionnel

    En milieu scolaire

    Le cumul des difficultés sociales et familiales, l’absentéisme scolaire, l’isolement au sein du groupe, la consultation auprès de l’infirmière scolaire ou du psychologue, le fait qu’un tiers vienne s’inquiéter pour un élève sont à considérer avec vigilance.

    Il est recommandé de :

    Communiquer sur les réseaux d’écoute et d’accueil jeune (numéros verts et accueils locaux).

    Favoriser le développement en milieu scolaire des programmes visant à améliorer l’estime de soi et à s’exercer à la résolution de conflits.

    En cas d’inquiétude ressentie, proposer à l’élève de le rencontrer, éventuellement plusieurs fois.

    En cas d’énoncé suicidaire ou de plan suicidaire, ne pas se laisser enfermer dans le secret, se référer à l’infirmière ou au médecin scolaire.

    Contacter les parents.

    En cas d’imminence de passage à l’acte, solliciter l’aide urgente du réseau de soins (médecins traitants, dispositif d’urgence ou spécialisé en psychiatrie).

    En milieu universitaire

    Les problèmes d’adaptation, l’isolement, les conduites d’échec constituent les principaux soubassements de crises, particulièrement pendant la première année de faculté.

    Il est recommandé de favoriser l’accueil, les dispositifs de parrainage, la qualité de diffusion de l’information disponible.

    En milieu professionnel

    L’entourage est toujours un recours et un soutien. L’infirmier(e) et le médecin du travail sont des interlocuteurs privilégiés.

    L’augmentation du suicide est significative chez l’adulte jeune. Les ruminations et les plans suicidaires, les troubles dépressifs, semblent particulièrement dissimulés parmi cette population d’actifs et méritent d’être interrogés.

    Les conflits en milieu professionnel sont de gestion difficile et ont souvent un retentissement de souffrance psychique importante.

    Il est recommandé de :

    Évoquer et interroger sur des idées suicidaires en cas de consultations répétées de médecine du travail, particulièrement après un arrêt maladie.

    Rechercher des abus de toxiques (alcool, …) comme facteurs de risques associés.

    Contacter l’entourage familier si cela aide à une diminution des tensions.

    Privilégier le médecin généraliste comme premier interlocuteur du soin.

    Recourir à l’urgence en cas d'expression de troubles psychiques aigus et évoquant l’imminence d'un passage à l’acte.

    3 - Médecins généralistes

    Nous avons déjà vu les modalités de l'évaluation.

    Il est recommandé de :

    1. Renforcer la formation des médecins généralistes concernant :

    2. Organiser une expérience de formation sur le modèle de Gotland qui a montré que l'amélioration des modalités de dépistage et de prise en charge de la dépression par les médecins généralistes est possible et efficace en termes de morbidité et de mortalité.

    3. Développer des instruments d’aide à la décision spécifiquement destinés aux généralistes.

    4 - Les paramédicaux de proximité et les travailleurs sociaux

    Dans les cas de crise suicidaire de nature psychosociale ou familiale, le jury recommande de viser une réduction de la tension et une orientation vers les structures sanitaires et sociales, socio-éducatives, et vers les réseaux existants.

    C’est pourquoi le professionnel paramédical devra être formé :

    5 - Réseau d’accueil et d’écoutes

    Les services d’aide téléphoniques apportent un support privilégié pour la prévention du suicide chez les adolescents et chez les personnes âgées. L’intervention à domicile s’avère particulièrement bien acceptée pour ces populations.

    Il est recommandé de :

    Mieux évaluer les services téléphoniques français généralistes ou spécialisés, fréquemment confrontés à l’écoute de personnes en crise suicidaire.

    Formaliser les programmes de formation centrés sur la spécificité et la variété des situations de crises suicidaires et mettre en place des protocoles de bonne pratique, adaptés à ce travail.

    Organiser pour les écoutants, de façon plus systématique, une supervision assurée par des spécialistes.

    Améliorer la connaissance du réseau de soins existant et des personnes ressources, avec le but d’affiner les orientations et de préparer le relais vers des structures de soins ou de suivis appropriés.

    Mener une réflexion sur les interventions avec sortie d’anonymat et respect de la confidentialité pour les cas de passage à l’acte imminents ou avérés.

    6 - Urgences

    Les situations de crise suicidaire en phase aiguë passent fréquemment aux urgences hospitalières, le plus souvent comme effet immédiat d’un passage à l’acte, mais aussi sous la forme d'une symptomatologie anxieuse, somatique ou toxicologique.

    L’organisation de l’accueil aux urgences, avec une mise au calme en essayant de garder autant que possible les mêmes interlocuteurs, contribue à une sécurisation immédiate qui est également favorable à l'évaluation du risque et aux décisions concernant la prise en charge.

    Recommandations

    L’évaluation du risque suicidaire associera les constatations cliniques et l’utilisation de l’échelle de désespoir de Beck. Elle respectera les principes suivants :

    - une souffrance tolérable doit être écoutée, une souffrance intolérable (grande perplexité anxieuse, agitation) doit être soulagée par des traitements symptomatiques ;

    - l’examen médical de la personne en crise reste indispensable. Il permet d’apaiser et d’entrer en relation ;

    - la recherche d’antécédents de tentative de suicide fait partie de l’interrogatoire ;

    - la famille et les accompagnants sont à écouter car souvent impliqués dans le suivi ; la possibilité de soutien du suicidaire sera évaluée en cas de retour au domicile comme en cas d’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT).

    À l'issue de cette évaluation, un avis spécialisé ou une hospitalisation brève est recommandé en principe de référence.

    L’hospitalisation du patient reste indiquée à partir des urgences en cas de :

    Après une consultation spécialisée et à l’issue de l’hospitalisation aux urgences, le relais de soins du sujet est à considérer à partir du réseau socio-sanitaire connu et disponible.

    Cette mise en liens est particulièrement indiquée pour les patients qui n’investissent aucune filière de soins autre que la répétition mécanique de leur passage aux urgences en situation de crise.

    Remarque

    Les urgences étant continuellement en difficulté pour gérer les flux d’entrants, on ne saurait trop recommander la possibilité de recours à des lits de crise.

    7 - Psychiatres

    1. L'intervention du psychiatre se situe à toutes les phases de la crise suicidaire pour :

    - évaluer la psychopathologie ;

    - diagnostiquer la crise et les troubles psychiatriques qui peuvent lui être associés ;

    - déterminer des stratégies thérapeutiques immédiates et au long cours de ces patients.

    2. Les éléments centraux de cette prise en charge sont :

    - son adaptation à chaque pathologie ;

    - l'importance de la relation ;

    - les particularités de cette relation (attachement, suppléance des objets internes par des objets réels, caractère conflictuel des identifications).

    3. Les données concernant les médicaments sont les suivantes :

    Lithium

    Dans la psychose maniaco dépressive bipolaire, le lithium ramène le risque suicidant à un taux proche de celui de la population générale, du moins après une année de traitement. Dans les formes unipolaires ce résultat n’est pas retrouvé

    Antidépresseurs

    Aucune étude validée versus placebo ne prouve une amélioration du risque suicidaire sur une population tout venant. En revanche, de nombreuses études épidémiologiques sont en faveur d’une diminution du risque chez les patients suicidaires déprimés.

    Quelques méta analyses vont dans ce sens en montrant une amélioration plus rapide des idées suicidaires avec les I.R.S (Inhibiteur de la Recapture de la Sérotonine) par apport aux tricycliques. Ceci n’exclut pas l’existence de raptus suicidaires brutaux et d’idéation suicidaire rapportés avec tous les antidépresseurs.

    Il est reconnu que le risque d’intoxication mortelle est beaucoup plus faible avec les nouveaux antidépresseurs qu’avec les tricycliques.

    Neuroleptiques

    Il n’a jamais été clairement démontré que les neuroleptiques classiques réduisaient le risque de tentative ou de suicide chez les patients souffrant de schizophrénie.

    Il existe quelques arguments en faveur d’un effet protecteur, contre le suicide, des neuroleptiques atypiques ou " nouveaux antipsychotiques ".

    Benzodiazépines

    Malgré leur efficacité sur certains troubles anxieux spécifiques, elles n’ont pas montré d’efficacité dans le risque suicidaire.

    Il n’existe aucune étude expérimentale venant confirmer la nécessité d’associer systématiquement les benzodiazépines aux antidépresseurs dans le traitement de la dépression.

    Le jury :

    Souligne la nécessité d’une évaluation psychiatrique soigneuse devant une crise suicidaire majeure ou grave.

    Recommande le recours à la psychiatrie dans tous les cas ou l’existence d’une pathologie psychiatrique s’associe à la crise (grade A).

    Recommande le recours à la psychothérapie dans tous les cas où cet abord est indiqué pour traiter les facteurs psychopathologiques de vulnérabilité ou diminuer les effets critiques.

    Recommande de n’utiliser les psychotropes dans la crise suicidaire qu’en fonction des pathologies psychiatriques éventuellement associées. En particulier, les benzodiazépines prescrites le plus souvent à l’instigation des patients, sont encore trop ou trop longtemps utilisées.

    8 - L’hospitalisation

    L'hospitalisation est recommandée si la crise suicidaire est d'urgence élevée (cf. ci-dessus). Toute autre situation devra être évaluée au cas par cas.

    Elle aura pour but :

    - la protection de la personne ;

    - l’établissement d’une relation de confiance avec elle ;

    - la mise en mots de la souffrance en ayant le souci constant de définir et de favoriser les soins ultérieurs (cf. ci-dessous "suivi").

    Si l'hospitalisation est refusée et que la dangerosité de la situation l’impose, il pourra être nécessaire de recourir aux dispositions de la loi du 27 juin 1990.

    Quel que soit le contexte, et notamment en urgence, il convient d’expliquer systématiquement au patient les raisons de cette démarche de soins et l'impossibilité d’y déroger, les conditions de la prise en charge (lieu d’hospitalisation, délai, équipe) et l’aspect transitoire de cette hospitalisation. Il faut travailler une alliance thérapeutique même lorsqu’elle paraît rompue.

    Situations particulières

    La personne âgée

    À partir de 65 ans, le taux de suicide augmente avec l’avance en âge.

    Chez les personnes âgées, la crise suicidaire est souvent peu apparente et elle est difficile à reconnaître. Ces personnes ne montrent pas leur détresse de façon bruyante ou par une tentative de suicide. Des signes comme le repli sur soi, les attitudes de désinvestissement, le refus de s’alimenter ou le refus de soin doivent faire évoquer la possibilité d’une crise suicidaire. La détermination à se donner la mort augmente avec l’âge.

    Facteurs de risque spécifiques : âge supérieur à 75 ans, le sexe masculin, la perte du conjoint, les maladies somatiques (notamment celles sources de handicap ou de douleur), les changements d’environnement (comme l’entrée en maison de retraite ou une admission à l’hôpital), la perte des rôles, l'isolement, les conflits et la maltraitance, la dépression (quasiment constante même si ses manifestations ne sont pas toujours typiques), l'existence de moyens de suicide par mort violente qu'il faudra rechercher et mettre à l'écart .

    Il est recommandé de :

    Améliorer la formation et l’information des professionnels de santé sur les aspects particuliers de la crise suicidaire et du suicide dans le grand âge.

    Améliorer la formation et l’information des professionnels de santé sur les aspects particuliers de la dépression, sa reconnaissance et son traitement chez le sujet âgé.

    Améliorer le dépistage et le diagnostic de la dépression en médecine générale, en psychiatrie, en hospitalisation et en institution gériatrique, en proposant aux médecins concernés le large recours à des questionnaires simples et utilisables par tout médecin, comme le mini GDS.

    Pour les addictions voir les RL.

    V - Faut-il un suivi après la crise et sur quelle durée l'envisager ?

    Les patients en crise suicidaire et ayant déjà fait une tentative de suicide ont un risque majeur de récidive dans l’année qui suit le passage à l’acte, un taux de suicide de 1 % à un an et un risque accru de décès toute cause confondues. Ce risque est majoré pour les suicidants présentant des facteurs de risque primaires.

    Chez les patients présentant certaines pathologies psychiatriques à haut risque suicidaire (dépression, et schizophrénie notamment) il existe un lien entre la survenue d’une tentative de suicide et la diminution récente de l’intensité du traitement (diminution des posologies, espacement des consultations).

    Chez les patients en crise (suicidaire ou non)

    La prise en compte du contexte familial par les équipes psychiatriques favorise une bonne acceptation des soins spécialisés par le patient et son entourage.

    Ce type de modalité contribue à dédramatiser le recours à la psychiatrie et diminue le taux des rechutes ;

    Le suivi est essentiel dans tous les cas ;

    Les modalités proposées seront adaptées au stade évolutif de la crise, au moment de la prise en charge, au contexte dans lequel elle s’inscrit et aux professionnels ou intervenants sollicités.

    Dans tous les cas le jury recommande :

    D’envisager et d’organiser la continuité des soins dès le début de la prise en charge de crise.

    D'orienter les sujets qui présentent des facteurs de risque primaires ou un cumul de plusieurs facteurs de risque (troubles psychiatriques patents, suicidants, et addictions) vers un suivi spécialisé, qu’il s’agisse d’une hospitalisation ou d’un suivi ambulatoire.

    D’'organiser également un suivi après la crise (tant sur le plan personnel que familial) pour les sujets présentant une crise suicidaire sans facteur de risque primaire.

    Ce suivi non systématiquement médicalisé, doit s’inscrire dans le réseau déjà sollicité.

    De favoriser l’alliance thérapeutique sur le long terme, d'informer le sujet et son entourage sur le choix de l’orientation et d'éviter une rupture de la continuité des soins ;

    De maintenir une attention et une mobilisation soutenues durant l’année qui suit le début de la crise.



    Dernière mise à jour : mardi 21 novembre 2000 10:28:42

    Monique Thurin