Les conditions de la construction de l'alliance thérapeutique

Jean-François BLOCH-LAINÉ




Les conditions requises afin de parvenir à la construction d’une alliance thérapeutique en matière de traitement médical de la toxicomanie sont, en première analyse, les conditions généralement requises en toute matière médicale :

- le soigné est identifié comme malade
- le thérapeute est identifié comme soignant.

L’alliance thérapeutique entre un soigné et un soignant ne peut avoir d’existence que dans la mesure exacte où il n’existe entre eux ni mépris ni complicité, ni indifférence ni complaisance, ni haine ni amour, mais seulement un authentique respect mutuel.

Le respect du soigné à l’égard du soignant ne peut être dissocié de la nécessaire confiance que manifeste le soigné à légard du soignant, chacun convient du bien-fondé de cette banalité.

Le respect du soignant à l’égard du soigné est plus difficile à formuler.
Respecter le soigné, cela suppose que l’on respecte la personne soignée et que l’on respecte la réalité de sa pathologie.

Le respect de la personne toxicomane soignée n’est pas toujours évident.
Habituellement, le « toxico » est tutoyé d’emblée par tout « intervenant », qui imite ici ce que fait le policier ordinaire ou ce qui est encore trop souvent fait dans certaines institutions pour personnes âgées démunies..
Or la langue française est ainsi faite que l’on peut, selon l’accord des deux personnes concernées, user du VOUS ou du TU. Ici, le soignant use du TU bien souvent sans l’accord du soigné et l’usage du TU est encore trés souvent à sens unique. Lorsque le TU est utilisé également par le soigné et par le soignant, il n’y a plus de manifestation de subordination ; le seul risque résiduel est de faire croire à une fausse complicité ou à une vraie complaisance.

Le respect du soigné, cela suppose aussi que l’on reconnaisse et que l’on admette la pathologie dont il souffre. En toute matière médicale, il ne suffit pas de reconnaître le soigné pour ce qu’il est, encore faut-il reconnaître ce qu’il a.
En d’autres termes, on ne peut ici, pas plus qu’ailleurs en Médecine, faire l’économie de l’établissement du diagnostic. Or, il est habituel que le soignant du toxico se croît autorisé à décider que le soigné toxico n’a plus besoin de la molécule dont il est devenu dépendant.
C’est ici que l’on aborde à l’absurde : on a affaire à une personne dont on a diagnostiqué la dépendance opiacée et, par principe ou par conviction intégriste, on va priver cette personne de toute molécule de la famille des opiacés. En d’autres termes, on va "LA SEVRER".

Que fait-on là ?

- un acte de soignant, dont la règle première est de ne pas nuire (primum non nocere) ?
- ou un acte de terroriste conséquent, dont le but dans la vie est d’obliger l’autre à agir et penser comme « sa règle à lui » dit que l’on doit agir et penser ?

Or la clinique médicale est ainsi faite qu’elle n’a de sens que si elle admet le réel. Ici, bien souvent, le soignant nie le réel, en imposant un "SEVRAGE" impossible, tant il est évident qu’un "DÉPENDANT" est dépendant de la molécule dont il dépend.

Le constat clinique révèle que 98% des sevrages sont suivis de rechutes dans l’héroïnomanie, et que 98% des morts par Over-Dose surviennent au sortir d’un sevrage hospitalier ou carcéral.
Tenter de parvenir à un "CONSENSUS RÉFLÉCHI" sur la question des "MODALITÉS DE SEVRAGE CHEZ LES TOXICOMANES DÉPENDANT(S) DES OPIACÉS" cela peut sembler être une gageure.
En effet, pourquoi vouloir ainsi priver un patient du médicament dont il a besoin à un point tel qu’il en est devenu "DÉPENDANT" ?

A quoi joue-t-on ici ?

- au « Gendarme et au Voleur » ?
- à « Celui qui vous fait Mal parce qu’il vous veut du Bien » ?
- ou se trompe-t-on les uns les autres, sans le savoir ?

Nous avons tous affaire à des patients dont la pathologie ne se réduit jamais au seul symptôme toxicomaniaque.
La dépendance opiacée qui les réunit leur fait croire qu’ils sont solidaires et nous fait croire qu’ils sont tous pareils : manipulateurs, menteurs, fourbes, tricheurs, sans foi ni loi, délinquants minables, prêts à vendre leur corps et ce qui leur tient lieu d’âme pour quelques sous.
Or, la solidarité entre patients toxicomanes ne tient que le temps d’un plan, et l’aveuglement des soignants est à la mesure de notre ignorance. Il est inhabituel en matière médicale qu’une façon de faire dont l’inefficacité est patente, et la potentielle nocivité évidente, soit durablement tenue pour une méthode de soin souveraine et exclusive de toute autre. C’est pourtant le sort réservé à la méthode de traitement qui consiste à priver d’opiacé un malade dépendant des opiacés.
Sauf à répondre à une demande claire du patient, on ne voit pas comment une alliance thérapeutique peut être scellée au cours d’un « Sevrage ».