- Lobjectif des cures de sevrage chez les consommateurs dopiacés est généralement défini comme une modification positive dans le parcours du toxicomane de :
- La cure de sevrage aurait donc une utilité, non seulement directe : diminution de la consommation de produits opiacés (quantité, type, sévérité de la dépendance) voire même abstinence totale ; mais aussi indirecte : prise de conscience de la toxicomanie, désir du sujet dintégrer le système de soin médical et médico-social, amélioration de la qualité du suivi et des aides à linsertion familiale, professionnelle et sociale du sujet.
Il apparaît donc que loin dêtre une fin en soi, résumant à elle seule le traitement de la toxicomanie, la cure de sevrage na de sens quen tant quélément dun programme global de traitement, devant sinscrire très fréquemment dans le long terme.
Cest ainsi que les discussions sur le traitement de la morphinomanie portèrent essentiellement sur les différentes techniques de sevrage. Pour lessentiel, trois techniques étaient proposées :
Cependant, il apparut très vite aux cliniciens que dans bon nombre de cas, les cures de sevrage, quelle que soit la technique utilisée, étaient suivies de rechute dans des délais plus ou moins rapides, après la sortie de linstitution.
Ce constat les amena à décrire, par exemple en ce qui concerne les usages de morphine, à côté du morphinisme aigu, de nouvelles entités cliniques prenant mieux en compte cette dimension récidivante voire chronique de la toxicomanie : morphinisme impulsif, morphinisme résistant, morphinisme chronique puis morphinomanie (Magnan à la suite de Levinstein, 1875).
Ball soulignait ainsi en 1885 que Levinstein distinguait avec raison le morphinisme qui est lempoisonnement chronique par la morphine de la morphinomanie qui est une appétence morbide pour ce produit.
Il apparaissait en effet du fait de ces multiples récidives que la toxicomanie aux opiacés nétait pas simplement le résultat dune intoxication et une dépendance induite mais quelle pouvait aussi être la conséquence et lexpression de problèmes antérieurs, constitutionnels ou acquis, aux plans psychologique et social.
Chambard en 1890 (30) résuma la situation : ce serait mal pénétrer létiologie du morphinisme que de ne lattribuer quà lusage de la morphine (...). Tout le monde peut être morphinisé mais ne devient pas et ne reste pas morphinomane qui veut.
Cest ainsi que de plus en plus de cliniciens insistèrent sur la nécessité dassocier aux cures de sevrage un traitement moral de la toxicomanie visant à combattre ces causes constitutionnelles, psychologiques, sociales ou culturelles, facteurs de récidive et qui semblaient, à côté de la drogue, constituer le coeur du problème.
La prise en compte de ces facteurs devenait un élément clef du traitement aux côtés de la cure proprement dite et un des objectifs principaux de cette dernière.
Lexpérience clinique modifia ainsi les conceptions théoriques de la toxicomanie qui fut de moins en moins considérée comme un simple problème physiopathologique, conséquence dune intoxication aiguë ou chronique, mais bien plutôt comme un problème multifactoriel intégrant à la fois des dimensions biologiques, psychologiques, sociales et culturelles. Dès lors, la cure de sevrage ne pouvait plus être perçue comme résumant à elle seule le champ de la thérapeutique mais comme un simple élément, certes indispensable, dun ensemble global dinterventions bio-médicales, psychologiques et sociales. Lun des objectifs centraux de ces cures devenait donc de contribuer à la mise en place de cette prise en charge globale et durable.
Lors de la deuxième vague de toxicomanie aux opiacés, depuis les années 1970 dans notre pays, cette conception plurifactorielle fondée sur leur expérience, popularisée par Olievenstein, fut adoptée par la quasi-totalité des cliniciens. On a vu précédemment que la question des rechutes fut une des raisons essentielles de la prise de conscience de la nécessité dinscrire les cures de sevrage dans une perspective thérapeutique globale et de longue durée. Il convient donc de sarrêter un instant sur ce point.
A cela plusieurs raisons :
Il faut donc se tourner vers des travaux réalisés pour la plupart aux USA, en Grande Bretagne, dans les pays scandinaves et plus récemment en Espagne pour trouver de réelles études de suivi de toxicomanes sevrés.
Ces travaux mettent en évidence les points suivants :
- Après la cure de désintoxication la durée du suivi pour en préciser lefficacité éventuelle, doit être au moins de 6 mois (4, 5, 6, 7, 8, 9). Il apparaît en effet que la grande majorité des rechutes ont lieu dans un délai inférieur à 6 mois (7, 10, 11, 12) mais quau delà pour certains auteurs les résultats sont relativement stables (9). Il est très habituellement établi que le risque de rechute est le plus haut dans les 12 premiers mois qui suivent le début dune rémission. Parmi ceux qui restent abstinents pendant deux ans au moins, près de 90 % resteront abstinents au delà de 10 ans et ceux qui restent abstinents pendant 10 ans au moins ont une très forte probabilité (supérieure à 90 %) dêtre abstinents à 20 ans (34, 35, 36).
Labstinence à 6 mois relevée par examen biologique ou auto-déclaration (24) reste le facteur empirique spécifique daméliorations le plus largement retenu avec des taux de succès voisins de 30 % (10 à 50 %) (8, 9, 12, 25, 26, 27, 28, 29) mais généralement pas à la première cure pour un sujet donné. Certains auteurs (7) observent également que, même en cas de rechutes, le niveau dusage de produits est généralement inférieur à celui existant avant la cure.
Beaucoup de patients font donc lexpérience de plusieurs cycles rémission/rechute avant de conclure quun retour à une consommation contrôlée, gérée, est impossible pour eux.
Abstraction faite du lieu de traitement et de ses modalités, la fréquence, lintensité et la durée des traitements sont positivement correlées avec lamélioration de létat du patient (33).
Linscription des approches thérapeutiques dans le long terme est donc un élément central defficacité.
- Les facteurs prédictifs dune bonne réponse au traitement de désintoxication (cures de sevrage) sont :
- Linterprétation de ces résultats est un sujet de débat (15). La plupart des auteurs attribuent les succès à lintervention thérapeutique, tout particulièrement quand il sest agi dune prise en charge globale et durable. Cependant, il est à noter que bon nombre de références attribuent les évolutions positives non pas à la thérapeutique elle-même mais à des modifications spontanées (4) ou à une simple gestion, par les patients, de leur toxicomanie (31).
Comme nous lavons mentionné plus haut, les taux de rechute à 6 mois chez les toxicomanes consultant après une cure de sevrage se situent selon les études entre 50 et 90 % des cas, les taux les plus fréquemment rencontrés étant de 70 % (il sagit là de taux globalisés, il est évident que pour une première cure les taux de rechute se situent plutôt entre 90 et 100 %).
Ces données actuelles confirment la nature volontiers récidivante voire chronique de la toxicomanie aux opiacés comme lavaient relevé les médecins du siècle dernier.
Cela impose donc de relativiser la place et les objectifs de la cure de sevrage dans le traitement des toxicomanies, celui-ci devant nécessairement sinscrire dans le long terme face à un trouble dévolution très fréquemment chronique.
Lexpérience clinique et les travaux de consensus sur le sujet (32) indiquent que la durée de traitement dun toxicomane doit être adaptée à ses besoins individuels et peut varier de quelques mois à plusieurs années selon la gravité de létat de dépendance.
1 - Dans ce cadre, le traitement du syndrome de sevrage a pour but de soulager les symptômes aigus de manque mais surtout de faciliter lentrée dans un programme de prévention de la rechute et donc de traitement au long cours pour les toxicomanes aux opiacés (32).
2 - Lissue idéale pour des patients présentant une toxicomanie est larrêt total de lusage de la substance. Néanmoins, beaucoup de patients sont incapables datteindre cet objectif ou peu motivés pour le poursuivre, surtout en début de traitement. De tels patients peuvent néanmoins être aidés à minimiser les effets directs ou indirects de lusage de drogues. La réduction de la quantité de drogue utilisée ou de la fréquence des prises ou encore lutilisation dune substance moins dangereuse peuvent donc être des objectifs légitimes de traitement.
3 - Lengagement du patient dans un processus de traitement au long cours, qui peut lamener à des réductions durables de lusage de drogues et des pathologies associées, est un but fondamental en début de traitement, ce qui nécessite une réelle alliance thérapeutique et donc le volontariat du patient (37). Rien de durablement utile ne peut être fait pour un toxicomane contre sa volonté.
4 - A côté de cet objectif direct de diminution ou darrêt de prise de drogues, les cures devront également viser à aider le sujet à prendre réellement conscience de sa toxicomanie et de la nécessité de sengager dans une prise en charge durable.
En effet, au plan clinique, lexpérience de labstinence pendant la cure de sevrage et la période de rémission qui suit permet fréquemment au sujet de réaliser que ses problèmes (psychiques, sociaux) ne sont pas réglés pour autant. Cela peut lamener à découvrir à son tour que se droguer nétait pas la cause unique ni nécessairement première de toutes ses difficultés mais en était parfois la conséquence.
Cette expérience peut dès lors amener le patient à une demande globale daide aux plans, médical, psychologique et social, qui peut permettre dengager un processus thérapeutique durable. Mais pour que cette prise de conscience soit efficace, encore faut-il quelle ait été accompagnée professionnellement, ce qui implique que la mise en place de la cure de sevrage ait demblée été placée dans une perspective de long terme (par exemple engagement préalable du patient à accepter une évaluation et si besoin, un suivi durable à lissue de la cure).
Dautre part, lexpérience de la rechute elle-même, à lissue dune cure, pourra avoir les mêmes conséquences pour le sujet qui sera étonné de rechuter alors même quil nétait plus dépendant physiquement du produit. Il aura ainsi constaté son incapacité à retrouver un usage contrôlé de drogues et pourra sinterroger sur ce qui, au delà du produit, dans sa personnalité, dans son histoire, dans ses problèmes psychologiques, dans sa vie sociale, aura contribué à sa rechute. Cest ce constat, pour peu quil ait pu être accompagné, qui pourra lamener là encore à sengager dans un processus thérapeutique au long cours dont on sait que cest de lui en fait que dépendra le pronostic.
Pour parvenir à cette nécessaire inscription de la cure de sevrage dans le long terme, il faudra donc lavoir négociée préalablement avec le patient (le traitement ne se résume pas à la cure) pour que son expérience ultérieure de détresse ou de rechute puisse lamener plus rapidement à sengager dans un traitement durable et donc efficace.
5 - En conclusion, la cure de sevrage ne peut être considérée à elle seule comme le traitement de la dépendance aux opiacés. Elle en est certes un élément essentiel mais uniquement dans la mesure où elle peut contribuer à linscription du toxicomane dans un processus de prise en charge globale et durable.
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