L’évaluation psychologique et sociale avant un sevrage peut rencontrer plusieurs types d’obstacles :
Le propos général, sans doute largement influencé par la formation, le type d’exercice et la structure de soins à laquelle appartiennent les auteurs, cherche à plaider pour une évaluation précise des dimensions syndromiques et structurales. Cette évaluation ne peut se faire en un seul entretien. Elle nécessite plusieurs formes de compétences. Elle inscrit le sevrage non dans l’idée dichotomique "abstinence et réussite" contre "rechute et échec", mais dans l’hypothèse qu’un sevrage peut être une étape dans le processus de soins, qu’un sevrage peut être partiel, qu’un sevrage doit rester, dans une perspective médicale, un objectif du soin. Même si cet objectif apparaît lointain ou sera nuancé par l’émergence d’autres conduites addictives, il ne doit pas faire renoncer à l’idée de l’interruption d’une dépendance aux opiacés.
La prise en considération de cette évaluation relève de plusieurs arguments épidémiologiques :
Compte tenu des simples chiffres de prévalence des différentes pathologies mentales dans la population générale, étude ECA 1990 et NCS 1994, on peut de façon très conservatrice estimer à 10 ou 15 % les sujets qui, ayant une dépendance, ont une autre pathologie mentale associée ; on utilise le terme de comorbidité ou de double diagnostic.
Les patients déjà inscrits dans un dispositif de soins vis-à-vis de la toxicomanie ou des affections mentales, définissent un échantillon particulier et ne représentent en aucun cas un reflet de la population générale. La prévalence des troubles psychiques paraît nettement plus élevée chez les sujets cherchant un traitement pour la toxicomanie. Plus de 50 % des sujets dans ce contexte accusent la présence d’un autre diagnostic mental : troubles de la personnalité, schizophrénie, troubles de l’humeur, trouble anxieux, autres consommations de produits.
A la suite d’études d’épidémiologie descriptive dans les années 1990 aux Etats-Unis (Regier et Coll., 1990), on a pu montrer que les toxicomanes aux opiacés présentent :
Ces éléments d’épidémiologie descriptive se recoupent avec la description d’addictions alternantes montrant qu’à une addiction peut succéder un autre trouble addictif, ce qui corrobore les notions cliniques d’addiction à l’alcool faisant suite à des addictions aux opiacés.
Dans cette perspective, on considère les troubles psychiques de plusieurs façons :
Ces notions de psychopathologie générale prennent une importance toute particulière lors du sevrage. Pendant plusieurs décennies, le sevrage a représenté l’idéologie dominante du soin vis-à-vis du toxicomane. Le sevrage se voulait radical, définitif ; tout échec ou abandon était mis sur le compte d’une insuffisance de demande et de motivation. Il est évident que les modalités des sevrages connaissent d’infinies variétés entre le sevrage complet réalisé en milieu hospitalier et le sevrage progressif que peut effectuer un médecin généraliste, voire un patient seul. Il est connu de longue date (Loô et Laqueille, 1987) que derrière une toxicomanie, peuvent se dévoiler des pathologies schizophréniques ou des décompensations dépressives automédiquées par les produits toxiques.
Dans le contexte actuel où tout sujet dépendant aux opiacés peut aisément se procurer une substitution par la buprénorphine et éventuellement par la Methadone, la place du sevrage dans l’économie psychique du patient mérite une attention particulière : approche idéalisée d’une guérison, injonction suscitée par des tiers, simple pause dans un itinéraire complexe. De façon analogue, poser l’indication d’un sevrage actuellement revient à discuter le lieu et le moment, et le sens d’une toxicomanie en tant que symptôme.
On peut considérer que l’évaluation psychopathologique et sociale permet à la fois de repérer la trajectoire de l’individu, les points de faiblesse qu’il peut éprouver, l’entourage social dont il peut disposer.
L’évaluation de l’indication relationnelle du sevrage peut comporter plusieurs cas de figure :
Evaluer le contexte relationnel du sevrage a donné une importance toute particulière à des modalités plus subtiles que l’arrêt définitif de toute consommation de drogue. Ces modalités traduisent une certaine forme de demande de soins, mais ne vont pas jusqu’à une interruption complète de l’intoxication. Respecter ces modalités revient également à entretenir une forme de relation autorisant un cheminement ultérieur. Ce cheminement tentera d’insérer du sens, de l’élaboration et une compréhension au sein d’actes répétitifs.
D’autre part, le sevrage médical ambulatoire accompagné par un thérapeute qui prescrira des psychotropes, ou éventuellement une substitution progressivement dégressive. Cette modalité de sevrage s’inscrit dans un contexte relationnel où un médecin généraliste accompagne une demande d’arrêt. Vis-à-vis de ce processus, certains thérapeutes considèrent qu’un arrêt progressif n’est en fait qu’une tentative généralement vaine vis-à-vis d’un sevrage. Ils préconisent l’arrêt absolu de toute prise médicamenteuse : contexte du sevrage hospitalier classique, Gossop, 1986 ( ).
Les toxicomanes qui fréquentent des structures de soins peuvent élaborer progressivement une demande vis-à-vis d’un sevrage. Cette élaboration rend compte d’un travail psychique. Elle est généralement facteur d’un meilleur pronostic par l’existence de ce travail préalable.
Enfin, le dispositif le plus classique des lits de sevrage pose l’indication d’un arrêt quasi-absolu de la prise de toxique.
Différentes études d’épidémiologie, dont celles de Rounsaville ( ), portant sur 533 toxicomanes aux opiacés, ont permis d’avoir des indications sur les pathologies que l’on peut trouver le plus souvent chez le toxicomane.
Tout d’abord, 70% d’une population de toxicomanes présentent un diagnostic psychiatrique, et 52% de cette population a deux diagnostics psychiatriques au delà de la notion de consommation d’opiacés.
Il existe deux formes de prévalence : la prévalence actuelle qui donne le risque au moment de l’étude d’avoir une pathologie mentale associée à la toxicomanie, la prévalence sur la vie qui indique le risque au fil de l’existence d’avoir une co-morbidité psychiatrique associée à la toxicomanie.
En matière de prévalence actuelle, la dépression majeure est estimée à 23,8%, la dépression mineure à 12,2%, les troubles anxieux à 3%, les troubles schizo-affectifs à 1,5% et la schizophrénie à 0,02%. On retrouve 13,7% d’alcoolisme.
Lorsque l’on s’intéresse à la prévalence sur la vie, les grands diagnostics concernent les troubles de l’humeur (74,3% dont 53,9% de dépression majeure et 8,4% de dépression mineure), les troubles anxieux, toutes catégories confondues, représentent 16,1% pour l’essentiel il s’agit de troubles phobiques ; les troubles schizophréniques oscillent autour de 1% ; l’alcoolisme est retrouvé dans 34,5% des cas, les troubles de la personnalité sont retrouvés à 26,5%. Cette étude a été réalisée chez des toxicomanes se présentant dans des centres de soins. Elle ne reflète pas forcément la psychopathologie des toxicomanes de la population générale. Elle indique cependant la fréquence de la psychopathologie des utilisateurs d’opiacés, puisque la moitié va présenter un trouble de l’humeur et un quart un trouble de la personnalité.
Parmi les composantes relationnelles des entretiens figurent : les non-dits, l’ambivalence, le déni. Les non-dits relèvent ou des complications médico-légales de la toxicomanie, ou de l’histoire familiale, ou des motifs immédiats précipitant une demande de sevrage. L’ambivalence se retrouve face aux différentes stratégies de soins proposées : maintenance, sevrage, groupe de paroles. Le déni peut apparaître dans la conviction d’un sevrage aisé et définitif.
Le déroulement de l’entretien doit suivre plusieurs étapes :
L’évaluation cognitive apparaît dans la concision de la relation des faits, dans la précision des souvenirs, la capacité à fournir des dates, et la cohérence des souvenirs, la mémoire autobiographique peut être lésée. De façon générale, le premier entretien doit être général dans ses thématiques, empathique dans la relation et réfléchi dans ses conséquences. La réflexion vise à améliorer l’alliance thérapeutique. Dans bien des cas cette alliance peut nécessiter au début un acte de soins. Cet acte peut être une nouvelle consultation, décision d’un bilan, évaluation sociale. Souvent la simple neutralité bienveillante va se conclure par une consultation unique ; l’aspect essentiel reste l’amorçage relationnel qui passe souvent par une prescription et le souhait d’entrer plus avant dans la relation. La prescription pourrait être une substitution brève, 3 à 5 jours, un antispasmodique, elle ne sera pas une benzodiazépine ou un hypnotique. Dans la pratique ne pas poser un cadre revient à ouvrir beaucoup d’incertitudes.
Les outils de l’évaluation : la plupart des professionnels de santé en matière de toxicomanie hésitent ou répugnent à se servir d’instruments. Ceci apparaît dans l’enquête de Charpak, 1997 ( ). Les instruments d’évaluation appartiennent à trois catégories : 1/ Auto-questionnaires remplis par le sujets ; 2/ Hétéro-questionnaires portant souvent sur un domaine pathologique défini ou sur une idée de dépistage ; 3/ Entretiens structurés.
Ces instruments ne doivent pas être utilisés lors des 2 ou 3 premiers entretiens ou du moins pas durant l’entretien clinique qui doit se dérouler en face à face, pour développer le mieux possible une alliance thérapeutique.
L’intérêt de tels outils, outre les aspects de quantification, revient au caractère systématique des investigations qu’ils autorisent amenant à des données relativement complètes. Cependant le patient doit percevoir son vis-à-vis comme à son écoute, tentant de comprendre, faire des liens, et essayer de repérer ses besoins.
Lorsque l’on compare l’ASI à un entretien structuré destiné à établir un diagnostic avec le DSM III, tel le SCID (Dixon, 1996), il existe des corrélations avec le score composite des items psychopathologiques de l’ASI. Le score composite a une bonne corrélation entre les cotateurs et évalue sur les 8 items (dépression, anxiété, hallucinations, troubles cognitifs, troubles du contrôle des impulsions, pensées de suicide, tentatives de suicide, autres problèmes psychologiques) présents dans les 30 derniers jours et le nombre de jours où ils ont pu éprouver ces symptômes. Dans l’étude de Dixon, il existe une bonne corrélation entre les items d’index de sévérité d’addiction et l’existence d’un diagnostic psychiatrique repéré en entretien structuré.
Une version du HSCL 90 a été utilisée chez des toxicomanes pour évaluer leur état psychique. Des valeurs de HSCL au dessus de 2,5 indiquent un stress psychique. Une forme réduite à 24 items existe. Dans l’étude de Berg, 1996 ( ) l’utilisation du HSCL 24 ne distingue pas les sujets restant dans un programme de soins, de ceux qui abrègent leur séjour. Ce programme est un programme de 3 semaines, après désintoxication, avec hébergement, conseil et soutien.
Dans une étude de Ravndal et Vaglum, 1994 ( ) les sujets, avec les valeurs de dépression les plus élevées au HSCL 90 après 1 an de séjour communautaire quittent le plus fréquemment les programmes de soins.
Dans l’étude de Rounsaville, 1982 ( ), la prévalence des troubles de l’humeur chez 157 toxicomanes est de 17% ponctuellement et de 48% sur la vie ; 5, 6% sont des dépressions primaires, avant le début de la toxicomanie ; 94,5% sont des dépressions secondaires apparues au décours de la prise de toxiques. Eprouver une dépression majeure ou mineure au début d’un traitement renforcer le risque d’usage de drogues illicites et de symptômes péjoratifs dans les 6 mois qui suivent l’évaluation.
La même équipe, Kosten et Rounsaville, 1986 ( ) s’intéressant à 268 toxicomanes aux opiacés montre : 1/ que le traitement de la dépression renforce l’abstinence ; 2/ les toxicomanes déprimés à l’entrée dans le programme ont moins de chances de rester abstinents ; 3/ les crises existentielles augmentent le risque de rechutes ; 4/ les crises et les troubles de l’humeur agissent en synergie pour majorer le risque de rechutes.
Dorus, 1980 ( ) retrouve un taux de dépression de 46% pour les dépressions modérées, et de 29% pour les dépressions sévères.
Strain et Broner, 1991 ( ) retrouvent une prévalence de 20% de dépression majeure et de 3% de dysthymie dans une population de 66 sujets toxicomanes.
En matière de suicide, la fréquence des tentatives de suicide ou des suicidés réalisés apparaît nettement plus élevé chez les toxicomanes, les suicides sont 3 à 4 fois plus élevés que dans la population générale.
Rounsaville et Weissman, 1982 ( ) dans une étude sur 523 toxicomanes aux opiacés font un bilan des troubles schizophréniques : la prévalence sur la vie de la schizophrénie chez les toxicomanes est de 0,8%, celles des troubles schizo-affectifs de 2,1%.
Une étude d’Addington et Duchak, 1997 ( ) chez 41 sujets schizophrènes consommant des substances montre le rôle d’apport énergétique et de bénéfice d’intégration sociale recherché dans l’utilisation des substances. Les résultats attendus concernent un effet euphorique et antidépresseur et dans l’espoir de réduire l’isolement social.
La recherche de symptômes psychotiques avant un sevrage implique plusieurs aspects. le toxique peut alléger la souffrance perçue du fait d’idées délirantes de persécution. Le toxique peut réduire des impressions de dissociation et améliorer des dysphories sous-jacentes. L’arrêt du toxique va s’accompagner d’une émergence d’angoisse.
L’évaluation clinique de la personnalité n’est pas facile, ceci pour trois raisons : 1/ Dans les premiers entretiens, les toxicomanes mettent l’accent sur les produits et une évaluation indirecte de leur personnalité peut s’effectuer au travers des mouvements de leur biographie et des relations stables ou chaotiques qu’ils ont pu nouer. 2/ L’action des produits toxiques peut altérer divers modes du fonctionnement d’un sujet et ce n’est qu’à distance qu’une évaluation plus stable peut être effectuée. 3/ Les questionnaires de personnalité s’adressant directement au sujet soulèvent des processus défensifs rendant incertaine la validité des réponses. Ainsi, une question du type"Je suis capable de manipuler les autres très habilement si j’y trouve avantage" va soulever de fortes résistances.
1 - Le SCID II, entretien structuré pour les troubles de la personnalité, permet de poser un diagnostic selon le DSM IIIR.
Il s’agit d’un entretien semi-structuré, à partir d’un auto-questionnaire de personnalité comportant 113 questions portant sur l’un ou l’autre d’un trouble de la personnalité spécifique. Les épreuves de test-retest, comme les cotations inter-cotateurs, ont mis en évidence des kappas de 0.5O et plus pour la plupart des troubles de la personnalité.
Les études portant sur des questionnaires de type SIDP, SCID ou VKP retrouvent systématiquement associées à la toxicomanie, les personnalités antisociales, limites, narcissiques, dépendantes, passive-agressives et histrioniques. Généralement se retrouvent plusieurs traits ou plusieurs chevauchements de personnalité.
2 - Le TPQ : questionnaire tri-dimensionnel de personnalité représente un auto-questionnaire de 100 items s’intéressant à des dimensions de personnalité telles que la quête de nouveauté, l’évitement de la douleur, la dépendance à la récompense.
3 - Le VKP : le VKP version française de 1987, fait référence au DSM IIIR et reprend 12 catégories de personnalité. Cet auto-questionnaire comporte 157 questions auxquelles le patient répond par oui, non et dans quelques cas par un point d’interrogation.
Dans l’étude d’A. Bennet ( ) portant sur le VKP, la personnalité antisociale s’exprime chez 45% des toxicomanes aux opiacés, la personnalité état limite chez 39% , la personnalité passive-agressive chez 24%, la personnalité histrionique chez 14%, 15% représentent un trouble de la personnalité non spécifié.
4 - Le Rorschach : comme on le sait, 10 planches non figuratives, symétriques, sont proposées au patient pour évaluer son appréhension, son interprétation ou les déterminants de la réponse. A côté de la passation classique existe une modalité de Rorschach associatif élaboré par de Tychey.
Les études menées à partir du Rorschach révèlent des manifestations non spécifiques de la faiblesse du Moi : manque de contrôle pulsionnel et de tolérance à l’anxiété, prédominance du processus primaire de pensée, troubles du caractère de "bas niveau". Le vécu relationnel hostile et persécuteur, la pathologie des relations d’objet, le maintien des liens avec la réalité, Caglar, 1981 ( ) apparaissent systématiquement.
Le test de Rorschach représente dans l’approche des toxicomanes un instrument diagnostique précieux, Timsit et Leduc, 1981 ( ).
5 - Le KAPP : il s’agit d’un instrument cherchant à évaluer des modes de fonctionnement mentaux et des traits de caractère relativement stables. Ceci à la fois comme ils sont perçus par le sujet et comme ils apparaissent dans les relations interpersonnelles. Le KAPP est un profil de 18 items classés en 6 sous-groupes : items 1, 2, 3 décrivent les relations interpersonnelles ; les items 4, 5, 6, 7 évaluent le fonctionnement de la personnalité ; les items 8 et 9 s’intéressent à la différenciation avec autrui ; les items 10, 11, 12 évaluent le corps dans sa dimension d’estime de soi ; les items 13, 14 portent sur la sexualité et son vécu ; les items 15, 16, 17 décrivent la perception qu’a le sujet de son importance sociale. Le dernier item porte sur l’organisation de la personnalité. La cotation porte de 1 à 3 par demi 1, 1 et 1/2, ..., et côte en 5 points.
Les études utilisant le KAPP chez des toxicomanes mettent en évidence l’existence de traits alexithymiques significatifs, une capacité à la rêverie défaillante, des affects agressifs difficiles à gérer, des difficultés à établir des relations interpersonnelles sous la forme d’échanges et de réciprocité.
L’évaluation de la personnalité, qu’elle soit structurée ou au travers d’un entretien, permet de retrouver des points communs dans la trajectoire et les relations aux autres que les toxicomanes peuvent nouer. Cette évaluation n’est pas anodine, elle préfigure à la fois des aspects relationnels comme des aspects évolutifs.
- D’autres outils d’adaptation psychosociale comme le DAS II (Disability Assessment Scale) ou l’EGF (échelle d’Evaluation Globale du Fonctionnement), de l’axe V du DSM IV, peuvent faire l’objet d’utilisation, Huguelet ( ).
L’échelle de traitement des abus de substance SATS (Substance Abuse Treatment Scale)
Cette échelle a été conçue pour évaluer des progrès vis-à-vis de la toxicomanie liés à un progamme de traitement. Elle comprend 8 niveaux : 1/ Pré-engagement dans les soins ; 2/ Engagement ; 3/ Début de prise de conscience ; ....... ; 7/ Prévention des rechutes ; 8/ En rémission ou en guérison, Mc Hugo, 1995 ( ).
Les informations concernant les données épidémiologiques sociales ne sont connues que pour les seuls toxicomanes ayant recours au système sanitaire et social de soins. En effet les toxicomanes les plus marginaux aux liens sociaux très pauvres n'ont que peu de recours au système de soins et ne sont donc pas représentés dans les études épidémiologiques descriptives de leur situation sociale. Si la précarité sociale aggrave la toxicomanie et les maladies afférentes, elle rend bien sur plus problématique le recours aux soins.
Un travail mené par l'ASEM en 1991 concluait à l'existence de trois types de toxicomanes :
1 - les toxicomanes errants qui sont des toxicomanes marginaux aux liens sociaux très pauvres ; peu demandeur d'aide,
2 - les toxicomanes de quartier, insérés dans un quartier du fait de leur famille ou de leurs amis. Beaucoup ont grandi dans ce quartier, ont des conduites très antisociales et constituent le noyau dur de la toxicomanie. Les premier interlocuteurs institutionnels de ces toxicomanes sont souvent la Police et la Justice. Ils ont recours en premier lieu aux structures de soins de proximité, implantés dans le quartier,
3- les toxicomanes socialement insérés ; les médecins généralistes sont leurs interlocuteurs privilégiés.
Les informations récentes publiées par l'OFDT rapportent que l'insertion des toxicomanes dans la vie active est faible. 72% des toxicomanes suivis en Novembre 94 n'exercent pas d'activité professionnelle ; parmi ceux-ci 60% sont au chômage. Par ailleurs, la situation de ceux qui exercent un emploi est relativement précaire puisque parmi eux plus de la moitié sont en contrat à durée déterminée. C'est dans les centres sociaux que la part des toxicomanes inactifs est la plus importante, mais les toxicomanes y ayant recours sont également plus jeunes.
Concernant les données de l'OFDT 8% d'entre eux n'ont aucune couverture sociale, particulièrement représentés parmi les moins de 25 ans. Le quart des toxicomanes perçoivent le RMI.
D'après les études récentes, il semblerait que par rapport aux années antérieures on assiste à une majoration des états de pauvreté et de précarité chez les toxicomanes.
Une enquête effectuée en 1996 concernant 369 patients consultant pour la première fois un centre de soins de proximité rapporte un rajeunissement de la population accueillie s'accompagnant d'une précarité accrue, celle-ci observée tant au niveau de la couverture sociale qu'au niveau des ressources financières légales. Cette augmentation de la précarité concerne une population jeune en situation de rupture familiale et sociale.
Comme nous l'avons vu, l'évaluation sociale et la réponse qui peut y être faite doivent être prises en considération lors du sevrage. Malgré des études classiques montrant l’intérêt d’une prise en charge psychosociale des toxicomanes, Mc Lellan, 1993 ( ), il n'existe pas à notre connaissance d'études évaluant l'incidence de la problématique sociale sur le pronostic du sevrage aux opiacés. De telles études pourraient peut-être déterminer des indicateurs sociaux de mauvaise réponse au sevrage aux opiacés chez certains patients, engageant les équipes soignantes à développer un étayage des soins plus important pour ceux-ci, ou à les orienter vers d'autres modalités thérapeutiques. En effet l'ensemble des études centrées sur l'aspect social chez le toxicomane aux opiacés s'attachent à décrire les caractéristiques sociales de cette population ou à évaluer des procédures de soins (le plus souvent des programmes de substitution) au travers de leur impact sur la situation sociale des patients.
Bien que ces données appartiennent au suivi des toxicomanes aux opiacés en général et non pas spécifiquement à l’évaluation d’un sevrage, on peut reprendre les résultats de Rounsaville 1986 ( ). Ces résultats s’appuient sur l’utilisation de l’ASI et des critères RDC.
De façon générale, une sévérité des troubles psychiatriques évalués par l’ASI rend compte d’un impact majeur sur les différentes composantes de l’évaluation du pronostic, cet impact compte pour 12% de la variance totale.
La présence d’un trouble de l’humeur, notamment d’une dépression majeure, influence fortement sur le pronostic.
Plus de la moitié des sujets font l’objet de plusieurs diagnostics psychiatriques, 53%, et un grand nombre accuse un diagnostic structural de personnalité antisociale ou de traits de cette personnalité associés à ceux d’autres troubles de la personnalité.
L’influence de la psychopathologie retentit directement sur l’adaptation sociale. L’existence de troubles de la personnalité antisociale s’accompagne à 6 mois de problèmes judiciaires plus importants.
L’évaluation doit être multidimensionnelle dès le début de toute inscription dans un dispositif de soins pour sensibiliser à des modifications, même subtiles dans un domaine.
Ainsi, avant tout sevrage :
1/ Identifier et anticiper les facteurs de risques généraux.
2/ Savoir les effets attendus de certains facteurs sur le sevrage.
3/ Pouvoir, dans l’entretien, poser les questions indispensables.
Les personnalités antisociales : leur diagnostic paraît créer un climat d’impuissance. Certaines conduites antisociales traduisent les conséquences de la toxicomanie, d’autres peuvent être liées à un trouble bipolaire ou à un trouble schizophrénique. Il convient d’évaluer soigneusement les premiers troubles et le moment de survenue de la toxicomanie. De la fréquence et de la gravité des passages à l’acte, découlera les conditions de durée d’un sevrage. Dans bien des cas un diagnostic de trouble de l’humeur peut accompagner le diagnostic de personnalité antisociale. Certains troubles de la personnalité antisociale apparaissent comme secondaires aux conduites toxicomaniaques : vols, petite délinquance.
Les personnalités état limite : la consommation de toxiques, ceci de façon impulsive, fait partie des critères de diagnostic. Dans une étude sur la consommation des substances chez les états limites Dulit ( ) a pu montrer que si la toxicomanie ne faisait plus partie des symptômes de diagnostic de personnalité limite, le cours de la maladie devenait plus favorable. Ces patients peuvent engendrer lors des sevrages soit de symptômes psychotiques, soit des troubles anxieux, soit des états dépressifs majeurs sur l’un des 4 pôles : cognitif, affectif, psychotique ou comportemental.
Les personnalités narcissiques : utilisent les opiacés à la fois comme stimulant, mais aussi comme objet substitutif qu’elles peuvent contrôler à volonté. Dans bien des cas, ces troubles de la personnalité vont entraîner des conduites d’auto-sabotage et de mise en cause du traitement. La perte d’une image brillante et "socialement lumineuse" d’eux-mêmes leur est intolérable. Bien souvent la responsabilité sera rejetée sur le thérapeute ou l’équipe, considérés comme insuffisants, peu disponibles, pas assez à l’écoute, ...
Les personnalités passives-agressives, histrioniques ou autres posent des questions de difficultés dans le transfert et de fragilité vis-à-vis des rechutes. Reconnaître l’existence de telles personnalités revient à ne pas répondre au "pied de la lettre" à des attaques contre le cadre de soins ou le thérapeute, mais de nuancer ou d’introduire des métaphores dans les réponses.
Un des stéréotypes les plus communs tourne autour de la prescription des psychotropes qui ne seraient qu’une toxicomanie induite, surajoutée aux problèmes du sujet. Ces stéréotypes ont amené à fournir des relais de soins peu médicalisés et souvent anti-médicaux au moment où les médecins comme les pharmaciens devenaient des partenaires du premier plan dans le monde des soins de la toxicomanie.
Qu’il s’agisse d’un fonctionnement psychique prévalent, mais le plus souvent acquis après des traumatismes ou des difficultés de vie, bien des toxicomanes expriment au premier contact un fonctionnement hyper-adapté, au plus proche du concret et du réel. Ces contacts initiaux, renforcés par les défenses de caractère, plaident pour la "normalité" des toxicomanes.
Les études épidémiologiques ont pu montrer, et préciser, qu’un certain nombre de pathologies se rencontraient. L’épidémiologie fonctionne comme le révélateur et l’indicateur de besoin de soins. Les professionnels de santé doivent rechercher les indices de souffrance psychique, d’affections mentales, de troubles de la personnalité, comme autant d’éléments jouant un rôle dans le pronostic du sevrage comme dans celui de la destinée des sujets toxicomanes. Certaines pathologies décelées justifient d’un traitement à orientation médicamenteuse, d’autres expliquent les ruptures, les rechutes, d’autres rendent compte de la difficulté dans la relation, des multiples prises en charge, voire des vécus de compétition ou d’hostilité entre certains thérapeutes ou entre certaines équipes.
Une évaluation des problèmes psychiques, des difficultés de personnalité ou des problèmes sociaux, ne doit pas être un élément supplémentaire d’un dossier. Elle doit faire l’objet d’une réflexion, d’un partenariat avec le toxicomane pour que le dispositif de soin possède une certaine consistance, une capacité d’élaboration et une sensibilité suffisante pour déterminer l’opportunité et le moment d’un sevrage.
Identifier et anciper les facteurs de risques généraux du sujet | Risques intervenant sur le sevrage | Stratégies initiales |
Internes | Externes | ||
Syndromiques | |||
comportements | famille | anxiété : prescription BZD | limiter les prescriptions de tranquillisants |
confusion / sevrage | |||
pensées, cognitions et croyances | support et lien sociaux | dépression : automédication par opiacés | rôle des antidépresseurs et des thymorégulateurs |
émotions, affects | revenus et insertion | schizophrénie : vécu persécutoire ou délirant | neuroleptiques atypiques |
co-dépendances : effets des autres produits | traiter les co-dépendances | ||
Troubles de la personnalité | |||
personnalité | crises de vie | personnalité antisociale : ruptures multiples | psychothérapie cognitive et/ou interpersonnelle |
introspection imaginaire | discontinuité thérapeutique | personnalité limite : instabilité, rechutes | psychothérapie et traitements pharmacologiques |
productions mentales pathologiques | dispositif de soins rigide | personnalité narcissique : distance relationnelle | |
Sociaux | |||
milieu de toxicomanes : environnement négatif | mesures sociales : RMI, AAH, stages | ||
désinsertion : absence de soutien | rôle des Associations |
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