Dans les années 1970, les réponses apportées en France à un phénomène nouveau et encore mal connu divergent, voire sopposent. En fonction des idéologies, les solutions proposées varient de la prise en charge médicale ou psychiatrique à lassistance psychosociale en passant par les techniques comportementales et les projets éducatifs ou communautaires. Certes, tout le monde saccorde à reconnaître la diversité des types de consommateurs de drogues. Mais derrière la multiplication des expériences et des initiatives privées, transparaît aussi la rivalité entre linstitution médico-psychiatrique qui voit dans le toxicomane un malade et linstitution " sociale " sous ses diverses formes qui considère la toxicomanie comme un symptôme du malaise relationnel apparu chez les jeunes (15, 22, 70). Si lune voit sa compétence reconnue dans la nécessité dun traitement, lautre voit sa justification dans la nécessité dune assistance. Cette rivalité, produit dune vision où lidéologie tient lieu de savoir et de doctrine, volontiers entretenue par les toxicomanes eux-mêmes, fera place cependant à la définition progressive dune " voie " thérapeutique qui nest pas sans rappeler celle proposée aux patients souffrant de troubles mentaux.
Cette évolution, qui conduira à la professionnalisation des intervenants en toxicomanie, samorça rapidement en raison principalement de deux types de facteurs. En premier lieu, il apparut que les toxicomanes sadressaient peu aux structures de soins classiques, mal préparées pour répondre efficacement à cette situation nouvelle et déconcertante. En second lieu, il apparut aussi que lactivisme initial basé sur lempirisme de soignants qui sétaient senti la " vocation " de soccuper de toxicomanes conduisait infailliblement à une impasse : ce type de fonctionnement oblitère toutes possibilités démergence de la demande, considérée comme seule garante du succès de la prise en charge, en même temps quil réduit soignants et soignés à la répétition inlassable du même discours. Des solutions mieux adaptées aux problèmes posés, tenant compte du caractère multidimensionnel du phénomène, étaient donc à rechercher. La " médicalisation " de la prise en charge sopéra à partir dune part, de la " cure ", les progrès de la psychopharmacologie permettant un meilleur confort du patient lors du sevrage, dautre part, de la constatation quun certain nombre de toxicomanes présentaient des troubles mentaux associés nécessitant des soins appropriés. Parallèlement, les particularités de la rencontre avec le toxicomane, la fréquence des rechutes, lincapacité supposée ou réelle des toxicomanes à sadapter aux normes de vie habituelles entraînèrent la mise en place de centres spécialisés faisant appel essentiellement à des acteurs du champ éducatif et social et ne comportant quune présence médicale limitée (15, 23, 70).
Au fil des années, sans quil y ait eu de réel schéma directeur, les soins aux toxicomanes sorganisent alors selon une " chaîne thérapeutique " qui comprend schématiquement (24, 29, 70) :
Ce schéma thérapeutique a lavantage de bien montrer que la prise en charge des toxicomanes doit être raisonnée, cest-à-dire hiérarchisée et séquentielle. Il a lavantage dexposer clairement les objectifs et les stratégies à mettre en oeuvre à chaque phase de cette prise en charge, nécessairement longue. Contrairement à une idée largement répandue dans lopinion publique, contrairement à ce qua pu laisser croire linjonction thérapeutique inscrite dans la loi du 31 décembre 1970, contrairement à ce que vivent et laissent à penser les toxicomanes eux-mêmes, attribuant à la cure de sevrage un effet magique, celle-ci ne représente nullement lélément essentiel de la prise en charge. Elle doit toujours sarticuler avec la post-cure, véritable période de sevrage psychologique, qui amènera progressivement lindividu à investir dautres domaines que celui de la drogue. Dans cette perspective, la diversité des techniques proposées, de conceptions parfois opposées, trouve sa cohérence dans la nécessité pour chaque toxicomane de trouver une formule correspondant à ses besoins, à son mode relationnel et à ses possibilités dadaptation. En raison de la souffrance et des conséquences liées aux conduites toxicomaniaques, tout toxicomane éprouve de temps à autre lintention de sen sortir. Cela ne veut pas dire pour autant quil est prêt à rompre réellement avec ses habitudes toxicomaniaques. Certes, un sevrage imposé ou réalisé en urgence peut être loccasion dun premier contact avec un service de soins et le début dune articulation thérapeutique. Mais un sevrage imposé, mal préparé ou inapproprié, risque fort aussi daboutir rapidement à une impasse et de disqualifier pour longtemps le recours aux services de soins. Il faut souvent du temps et de lexpérience pour espérer transformer un désir flou de se sevrer ou une démarche utilitaire en un engagement personnel authentique. En résumé, les effets à long terme dun sevrage dépendront essentiellement de sa signification pour lindividu, des conditions dans lesquelles il est effectué et de son articulation possible avec un changement de vie (9, 17, 24, 67, 72, 75).
Ce schéma thérapeutique a lavantage, à première vue, de bien situer la place du sevrage dans la prise en charge des toxicomanes. Cependant, pour être efficace, un cadre thérapeutique doit permettre ladéquation à une personne donnée des mesures nécessaires. Cest dire quil doit pouvoir sadapter aux besoins réels de chaque sujet. Cest le travail des soignants de tailler à la mesure du sujet à partir de ce cadre. Pour cela, il convient que soient précisées clairement les indications propres à chaque stratégie thérapeutique proposée, cest-à-dire que soient définies les populations auxquelles ces stratégies sadressent. De même, il convient que soient réunies les conditions dun travail en commun : seules la reconnaissance mutuelle et la prise en compte effective du rôle, de la spécificité et des limites de chacun des partenaires médico-sociaux peuvent permettre une articulation suffisamment souple de leurs interventions respectives. Dans le cadre du schéma thérapeutique ici développé, ces exigences préalables apparaissent aussi seul gage defficacité (7, 9). A ce titre, plusieurs dysfonctionnements, aux effets cumulatifs, affectèrent la mise en place et lorganisation de cette " chaîne thérapeutique ".
Toute consommation de drogues nest pas synonyme de toxicomanie. Lusage occasionnel, labus, la dépendance psychique et physique représentent autant de modalités différentes de consommation appelant des réponses diversifiées. Un sevrage ne simpose et na de sens quen cas de dépendance. Dès 1963, lOrganisation Mondiale de la Santé recommande de ne plus utiliser le terme trop ambigu de " toxicomanie ", sa signification variant fortement selon les contextes socio-culturels et les théories auxquelles on se réfère, et de le remplacer par celui de " dépendance ", dont la définition sera précisée en 1969 (64). Il nest pas sûr quen France cette conception soit partagée par lensemble des responsables politiques et des acteurs du champ sanitaire et social. Les divergences dans lappréciation du phénomène et lhétérogénéité des usagers de drogues pris en charge dans les centres spécialisés sont sources de confusion et placent les soins aux toxicomanes dans une perspective difficile à appréhender pour la population (15, 22, 70). De plus, contrairement à ce qui est observé à létranger, il nest pas rare que les différentes étapes de la " chaîne thérapeutique " soient assurées en un même lieu, par une même institution, un centre daccueil pouvant, par exemple, assurer également le sevrage et la post-cure (15, 22, 70). Le mode dintervention thérapeutique nest plus alors déterminé en fonction des besoins réels du sujet, lévolution permettant de moduler les moyens utilisés ; il est déterminé, avant même la rencontre avec le sujet, par lorientation initiale de linstitution (médico-psychiatrique, psychologique, sociale, communautaire, éducative, etc.) (15, 22, 23). Labsence de planification centrale entraîne des manques dans léventail des stratégies thérapeutiques possibles, certaines institutions fonctionnant avec un trop faible effectif de patients tandis que dautres sont en permanence surchargées (23, 70). Surtout, ce mode de fonctionnement augmente les risques de transformer la pharmacodépendance en une " institution-dépendance ", le sujet ne pouvant plus fonctionner quen référence au modèle proposé par les soignants (24, 68). Enfin, la "chaîne thérapeutique " implique que dans le temps un sujet, pour accéder à lune des phases du traitement, doit avoir au moins franchi par quelque modalité que ce soit la précédente, les rechutes, fréquentes, nécessitant, parfois à linfini de la répétition, de reprendre la " chaîne " à son début (29, 70).
A partir des années 1980, la dissémination épidémique du VIH dans la population toxicomane, la politique de réduction des risques et le développement des techniques de substitution reléguèrent progressivement au second plan ces questions relatives au traitement de la toxicomanie, considéré alors par certains comme " bien codifié " (28, 55). Les quelques études réalisées à cette époque sur le devenir des toxicomanes montrent pourtant que les choses sont loin dêtre aussi simples (30, 74, 76). Vingt ans après, de nombreuses questions persistent : il ny a pas de consensus en matière de choix thérapeutiques pour les toxicomanes ; il ny a pas non plus de consensus sur la définition même de la toxicomanie (63).
Cest dans ce contexte, de nos jours mieux connu, que se pose la question de la place de la prise en charge thérapeutique, et ce dautant que certaines données laissent à penser quun nombre non négligeable de sujets consommateurs abusifs ou dépendants sen sortent seuls, sans aucun suivi sanitaire ou social.
Le développement des techniques de substitution pose aussi problème. Certes, pour beaucoup dauteurs, les techniques de substitution permettent de réduire les risques inhérents aux conduites toxicomaniaques et de favoriser la mise en place des autres stratégies thérapeutiques, le but final restant larrêt définitif de la consommation de drogues (16, 31). Cependant, la référence au diabète et à linsuline introduite par Dole et Nyswander (32, 33) suggère la possibilité dun traitement à vie, lobjectif nétant plus dès lors labstinence mais la réinsertion psychosociale des patients (34). On perçoit là combien ces différents points de vue dépendent des hypothèses théoriques qui sous-tendent notre compréhension de la dépendance.
A ce titre, les études visant à comparer différents schémas thérapeutiques entre eux, et notamment les vastes programmes dévaluation entrepris aux Etats-Unis, posent plus de questions quelles napportent de réponses. En règle générale, ces études ne peuvent conclure à la prédominance dun schéma thérapeutique sur lautre. Cependant, elles montrent aussi clairement que les caractéristiques des patients diffèrent notablement selon les types de traitement considérés, ces caractéristiques influençant très largement le devenir à long terme. Par ailleurs, ces études amènent aussi à sinterroger sur la définition des critères defficacité. Certes, les patients devenus totalement abstinents apparaissent bien comme ceux présentant le meilleur pronostic à long terme. Mais doit-on pour cela retenir labstinence comme seul critère valable ? Une consommation intermittente et contrôlée, le déplacement de la toxicomanie vers dautres produits tels que lalcool ou les médicaments psychotropes peuvent-ils être considérés comme des évolutions favorables dans la mesure où il y aurait abandon dun mode de vie entièrement parasité par la drogue ? Une substitution réussie est-elle synonyme de guérison ? En fait, toutes ces études montrent bien que lévaluation du devenir des sujets dépendants aux opiacés ne saurait sappuyer que sur la seule consommation de drogues : ladaptation sociale et le fonctionnement psychologique général (statut marital, emploi, loisirs), les troubles psychopathologiques, les problèmes médicaux, les conduites antisociales sont autant de dimensions dont il faut aussi tenir compte pour juger de lefficacité dun traitement (37, 43, 53, 61, 78, 79).
Le contexte socio-culturel semble également jouer un rôle important. Ainsi, certains auteurs soulignent-ils léchec relatif des programmes centrés sur labstinence dans les pays du monde industrialisé occidental où sest instauré un climat dacceptation sociale de la drogue saccompagnant dune dépénalisation de fait de son usage. Par comparaison, le succès des expériences de Singapour et du Japon pourrait être lié au maintien dune philosophie fondée sur le respect des valeurs éthiques familiales et sur un engagement social (59, 60).
Le modèle type Alcooliques Anonymes est centré uniquement et spécifiquement sur le problème de la dépendance aux drogues. Très structuré, il implique une progression dans la prise en charge thérapeutique : reconnaître la réalité de la dépendance et ses conséquences ; admettre la nécessité dune aide ; identifier ce qui nécessite dêtre changé ; effectuer ces changements et développer un nouveau mode de vie sans drogue.
Le modèle multidisciplinaire se donne pour objectif de prendre en charge la totalité des difficultés du sujet. Il implique lintervention de plusieurs spécialistes : psychiatres, psychothérapeutes, médecins somaticiens, assistants sociaux, éducateurs, etc. appartenant ou non à la même structure. Si chacun de ces spécialistes est responsable de son action dans son domaine propre, celle-ci doit aussi sarticuler avec les autres dans le cadre dun projet thérapeutique " sur mesure ", élaboré en commun en fonction des besoins propres à chaque sujet.
Ces deux modèles posent de manière exemplaire la question de la philosophie générale des soins aux sujets dépendants aux opiacés : se centrer exclusivement sur le problème de la dépendance ou prendre en charge globalement les difficultés du sujet dont la dépendance aux opiacés ne représente quun des aspects.
Un parallèle pourrait être fait ici avec le phénomène de la stigmatisation, bien connu en criminologie (27, 45, 80, 81). Cloward et Ohlin (27) décrivent ainsi le chemin que parcourent les adolescents en train de se séparer des structures légales pour rejoindre le groupe délinquant qui leur apporte un sentiment de puissance, de sérénité et dappartenance. Pour ces auteurs, le premier conflit avec les représentants de lautorité met en marche un processus de définition qui range le délinquant dans une catégorie différente des autres individus respectueux de la loi. Ses actes et sa personnalité étant définis comme " mauvais ", le délinquant est alors enfermé dans un cercle vicieux de rejet et de stigmatisation. Ce processus daliénation concourt à permettre à ladolescent dintérioriser les catégories dactivités antisociales et de les utiliser comme matière première dans la construction de son " identité du moi " délinquante (80). Ce processus se trouve parfaitement illustré par la phrase de Jean Genet, extraite du " Journal du voleur " : " Plus je suis coupable à vos yeux, plus solide deviendra mon identité dans ma solitude mais aussi dans ma liberté ". Cette théorie de la stigmatisation permet de rendre compte de limportance de limage sociale, véhiculée par les adultes et par le groupe des pairs, dans lavenir délinquant des enfants et des adolescents (36, 56, 83). Elle permet de rendre compte aussi de linefficacité du monde carcéral à réadapter les délinquants : ceux-ci cherchant à rationaliser leur existence marginale, rationalisation indispensable à la solidité de leur image sociale et à leur existence même, lidée de subir la détention ne les arrête en rien dans la mesure où le monde carcéral leur procure une sorte de protection et de réassurance sur leur appartenance à une sous-culture particulière (27, 80).
La dépendance aux opiacés sinscrit dans un contexte individuel et environnemental particulier à chaque sujet. Cest dire quil ne peut y avoir de traitement univoque. La réponse thérapeutique doit toujours être adaptée à chaque situation dans sa singularité et sa particularité. La place prise par lusage de la drogue dans léconomie psychique du sujet se modifiant au travers des interactions et des expériences vécues entre celui-ci, la drogue et lenvironnement, cette réponse pourra varier dans le temps en fonction de lévolution pour le sujet de la signification de ses conduites toxicomaniaques. Isoler la dépendance aux opiacés du contexte particulier à chaque sujet, cest risquer de proposer des " fausses solutions " qui seront toujours rejetées comme telles. Cest aussi risquer daboutir à des résultats inverses de ceux que lon escompte : intégrer tous les sujets dépendants aux opiacés dans un même programme thérapeutique élaboré a priori, cest risquer de renforcer leur identification et leur degré dinsertion au groupe marginal des toxicomanes, de les enfermer dans ce " personnage " et de les empêcher dévoluer (9, 10, 66).
A la question fondamentale : " pourquoi la dépendance ? ", les diverses hypothèses théoriques ne peuvent apporter que des réponses partielles selon que lon privilégie lapproche psychodynamique, comportementale, biologique ou sociologique. Ces différents axes théoriques représentent autant de façons daborder le problème, les différents modèles explicatifs qui en découlent en possédant la logique propre. Cependant, ces différentes théories napparaissent pas exclusives les unes des autres, mais portent en réalité sur des mécanismes distincts : certaines cherchent à expliquer le mécanisme de production de la dépendance, tandis que dautres tentent de rendre compte de létat qui permet à la dépendance de se produire.Concernant ce dernier point, de nombreux travaux ont clairement montré que si les facteurs socio-culturels et environnementaux sont déterminants dans lexpérimentation et linitiation à lusage de drogues, les facteurs psychiatriques, psychologiques et biologiques jouent un rôle prépondérant dans labus et la dépendance aux drogues (19, 38, 47). A partir de ces données, nous avons élaboré un modèle explicatif permettant de rendre compte de la genèse et de la pérennisation de la dépendance aux substances psycho-actives (figure 1). Ce modèle représente une tentative de synthèse qui prend en considération la hiérarchie des processus intervenant dans le développement de la dépendance et qui permet détablir des ponts entre lenchaînement des opérations psychologiques et des mécanismes neurobiologiques : à chaque étape de ce modèle, correspondent des théories relevant dune approche particulière. Sur le plan thérapeutique, ce modèle permet de situer le point dimpact des différentes stratégies proposées et dobserver comment, sous leur influence, telle partie du processus se modifie. En aidant à mieux situer les points stratégiques où se jouent résistance au changement et processus de transformation, ce modèle devrait permettre de proposer, pour chaque cas particulier, des démarches thérapeutiques adaptées et facilement appréciables ultérieurement (12, 13).
La dépendance physiologique correspond à une exigence de lorganisme qui ne peut conserver son nouvel équilibre quavec lapport régulier de la drogue. Le syndrome de sevrage authentifie cliniquement la dépendance physiologique. Ce syndrome traduit la rupture brutale des mécanismes adaptatifs que le système nerveux a développés pour sopposer aux effets de la substance et maintenir une certaine homéostasie (8). La " cure de sevrage " permet de supprimer le toxique tout en évitant la survenue de ce syndrome. Les progrès de la psychopharmacologie permettent aujourdhui de proposer des techniques de sevrage particulières à chaque type de drogues (pour les opiacés : électro-acupuncture, électro-thérapie transcutanée, alpha 2 mimétiques pré-synaptiques). Ces techniques visent à corriger les désordres biologiques sous-tendant la survenue du syndrome de sevrage (8, 67). Dans cette perspective, la suppression du toxique apparaît bien aussi comme un préalable nécessaire à lévaluation du sujet : lintoxication et le sevrage partagent avec certains troubles mentaux de nombreux symptômes communs ; ils peuvent aussi induire en eux-mêmes des troubles psychopathologiques (pour les opiacés : troubles psychotiques, troubles de lhumeur, dysfonctions sexuelles, troubles du sommeil) (5).
Linstallation de la dépendance physiologique implique une répétition de la prise de drogues. Cette répétition peut résulter schématiquement soit dune habitude (comme par exemple dans le cas dune prescription médicale), soit dun apprentissage. La théorie des conditionnements opérants permet en effet de rendre compte de la compulsion à consommer un produit, le renforcement positif, cest-à-dire ici les affects faisant suite à la prise du produit, représentant un facteur puissant dans ce type de conduite. Cest dans cette perspective que sinscrivent désormais les notions de dépendance comportementale et daddiction (57, 69). Cette théorie est corroborée par les données issues de lexpérimentation animale qui montrent que les drogues toxicomanogènes possèdent des effets renforçateurs puissants liés à leur action sur les neurones opioïdes et dopaminergiques du système de récompense du cerveau (8, 41, 52). Sur le plan clinique, la dépendance comportementale se caractérise par lexistence à la fois de phénomènes de " craving " (impulsion à entreprendre le comportement) et de symptômes de sevrage (réapparition dune tension et de cette impulsion après un délai de temps variable) (57). Son traitement fait appel essentiellement à des techniques cognitivo-comportementales dextinction, daversion ou de suppression du comportement addictif, dans le cadre desquelles sinscrit lutilisation de la naltrexone, ou encore de recherche de solutions alternatives (49, 62, 71, 86). Quant à la prévention des rechutes, elle implique la correction des facteurs qui ont permis linstallation et le maintien de ce comportement addictif. Les stratégies thérapeutiques à mettre en oeuvre ici ne sont pas spécifiques et dépendent de la nature à la fois des facteurs de vulnérabilité et des conséquences liées à labus de drogues mis en évidence chez le sujet. Le traitement de la dépendance comportementale ne se limite pas à la seule dépendance aux opiacés, mais doit porter globalement sur la réponse addictive. Les études chez lanimal montrent clairement quil existe des phénomènes de sensibilisation croisée entre les différents types de drogues toxicomanogènes (21, 85). Ce phénomène de sensibilisation croisée peut rendre compte de lutilisation fréquente chez les toxicomanes de plusieurs types de drogues, simultanément ou successivement (48). Il peut rendre compte du fait que chez les héroïnomanes la consommation de substances psycho-actives comme lalcool ou les médicaments psychotropes durant les périodes dabstinence, volontaire ou non, dopiacés représente un facteur de mauvais pronostic se traduisant par un taux de rechute plus élevé (40, 51, 82).
La question persiste cependant de savoir si tous les sujets dépendants aux opiacés dits " toxicomanes " répondent au modèle de laddiction. Dans la perspective du DSM IV, il sagit là dune question qui, à la limite, ne se pose pas : une dépendance physiologique résultant dune consommation régulière en rapport avec une prescription médicale ou des habitudes culturelles ne peut être considérée comme pathologique, dans la mesure où elle ne relève pas dun comportement inadapté (5). Cependant, les recherches en matière de dépendance à lalcool ont montré quil est possible schématiquement de distinguer deux types dalcoolisme : lalcoolisme de type II, traduisant une dépendance sévère, dinstallation précoce durant ladolescence, chez des sujets présentant des tendances dépressives, impulsives et antisociales marquées, se caractérisant par la fréquence des tentatives de suicide et des conduites toxicomaniaques associées et qui serait principalement lié à des facteurs génétiques (fréquence des antécédents familiaux dalcoolisme et de délinquance) ; et lalcoolisme de type I, caractérisé par une dépendance beaucoup moins sévère, dinstallation plus tardive à lâge adulte, chez des sujets sans trouble psychopathologique manifeste, dans lequel les facteurs environnementaux joueraient un rôle prépondérant (6, 18, 26). Au regard de certains critères comme la recherche de sensations, si lalcoolisme de type II présente toutes les caractéristiques dun comportement addictif, il nen est pas de même pour lalcoolisme de type I (1). Ces données peuvent être rapprochées des résultats issus de lexpérimentation animale qui montrent que le syndrome de sevrage est bien plus sévère chez les animaux qui sauto-administrent une drogue volontairement que chez ceux qui reçoivent la même drogue passivement avec des contingences (rythme et dose) rigoureusement identiques (52). Aucune étude de ce type na, à ce jour, été réalisée chez les sujets dépendants aux opiacés. Néanmoins, on sait que 90 % des américains qui avaient développé une dépendance aux opiacés durant la guerre du Viêt-nam ont interrompu sans problème leur consommation à leur retour aux Etats-Unis, même si une minorité dentre-eux se tournèrent alors vers lalcool et les amphétamines (73). Ainsi, lhypothèse ne peut être écartée que, de nos jours, un certain nombre de sujets dépendants aux opiacés répondent aux critères de ce quil était convenu dappeler autrefois les " toxicomanies de groupe ", dans lesquelles les facteurs environnementaux jouent un rôle prépondérant (65).
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