organisée avec la participation de l'ANAES Sous l'Egide du Conseil de l'Ordre des Médecins et du Conseil de l'Ordre des Pharmaciens
Sociétés copromotrices
Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France Société de Formation Thérapeutique des Généralistes Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie Société Francophone des Urgences Médicales Société Nationale Française de Médecine Interne Association Pédagogique Nationale pour lEnseignement de la Thérapeutique Société Française de Pharmacologie Généralistes & Toxicomanies
Texte des recommandations élaboré par les Membres du Jury sous la Présidence du Dr S.D. Kipman
Cette conférence a été organisée et s'est déroulée conformément aux règles méthodologiques prÉconisées par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES). Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le jury de la conférence, en toute indépendance. Leur teneur n'engage en aucune manière la responsabilité de l'ANAES.
Le texte long des recommandations est consultable ci-dessous, pour le texte court cliquez ici.
Trois arguments ont conduit les professionnels à organiser cette conférence :
- la complexité des situations des personnes dépendantes des opiacés en particulier la multiplication inquiétante des poly-toxicomanies ; la confusion troublante entre dépendance à des drogues illicites, à des médicaments, ou à des produits utilisés dans le cadre de la substitution ; et
- les difficultés rencontrées par les professionnels, et lentourage des patients à assumer leurs activités quotidiennes et à se rencontrer sur des repères et indicateurs communs.
- et la conférence inter-universitaire « Intérêts et limites des traitements de substitution dans la prise en charge des toxicomanes » des 23, 24 et 25 juin 1994, parue chez Masson en novembre 1994, sup. 3, Vol 145, qui a abordé la question du seul point de vue de la substitution.
Le jury a été mandaté pour fournir des recommandations médicales. A ce titre, il paraît nécessaire de ne pas continuer à confondre - y compris dans les sigles officiels - les « usagers de drogues », consommateurs dans une société donnée, et les « personnes dépendantes de substances psycho-actives », qui présentent un trouble du fonctionnement psychique.
Le jury a été frappé des glissements sémantiques dans lusage des termes techniques, et a donc dû se poser les questions centrales des concepts utilisés, des théories et idéologies de référence, avant de préciser et de détailler des modalités de sevrage.
Lessentiel de notre tâche a été de suivre, en deçà et au delà des modalités techniques, le cheminement des patients souffrants. Un des paramètres de cette souffrance étant la difficulté collective à leur procurer un lien social assez fort.
La dépendance - ou laptitude à la dépendance - qui est au premier plan de la situation des personnes concernées - ne se résume pas à la description des conduites ou des comportements.
Elle sintègre à lensemble du fonctionnement psychique du sujet, et dans son évolution passée et à venir.
Dans ces conditions, le sevrage ne peut trouver sa place que dans le cadre dune prise en charge globale, continue ou discontinue.
Le choix de lobjectif, de la forme du moment du sevrage sont étroitement liés à une analyse multidimensionnelle de la situation personnelle médicale et psychiatrique et sociale du sujet, donc un travail déquipe.
La complexité de lapproche de la toxicomanie nous oblige à poser, en préalable, les bases fondamentales qui nous servent dappui. Ce champ recouvre en effet les diverses dimensions humaines : psychologique, sociale, médicale, économique ...
Les recommandations sont donc liées à léthique et la déontologie médicales dont les valeurs sont partagées par lensemble de la société. La référence scientifique tient compte de nombreux paramètres qui rendent difficile datteindre le niveau de preuve exigé. Enfin lexpérience, reconnue comme essentielle, est une confrontation, dans la durée, de ces paramètres avec la réalité du patient.
Le patient dépendant aux opiacés oblige les intervenants à travailler ensemble. Une circulaire, à cet effet, a lancé les réseaux de toxicomanie qui recouvrent des réalités très différentes. Pour le moment ces pratiques nont pas été évaluées, ni clairement explicitées ; un travail dévaluation doit être entrepris avant de le promouvoir comme modèle.
Laffirmation répétée de la nécessité du travail en réseau ne préjuge pas, pour le jury, dun modèle organisationnel quel quil soit, mais signifie limpérieuse obligation de développer un abord multidisciplinaire et partenarial autour de la personne du patient.
LA PERSONNE DU TOXICOMANE
Le jury critique ici lusage du terme de toxicomane qui pourrait être assimilé à celui de simple usager de drogue.
La conférence se situe dans un registre de soins où la toxicomanie nest pas réduite à une conduite ou un comportement. Le toxicomane est un patient quand il entre dans le système de soins avec une demande daide, du fait de sa dépendance, notion différente dun usage ou abus dopiacés.
Compte-tenu de la morbidité associée, volontiers diverse, récidivante et chronique, le jury privilégie ainsi à travers la référence à la notion de dépendance lapproche transnosographique. Lincidence de la morbidité est plus importante pour les personnes dépendantes que pour les simples consommateurs de drogues.
La multiplicité des statuts de la personne dépendante aux drogues, par ailleurs, infiltre le dispositif de soins. Si comme citoyen, cette personne est usager de drogue, ce nest pas à ce titre quelle consulte le dispositif sanitaire. Elle peut, par lintermédiaire de la loi du 31.12.1970, être considérée comme délinquante soumise à une injonction de soins. Et suivant le biais de son arrivée dans le dispositif, elle peut être anonyme ou non, relevant dun financement différent ; ce double financement ne favorise pas la mise en oeuvre des réponses et leur articulation. La loi, dite de 70, rend, dautre part, nécessaire le maintien de lanonymat.
La question de la spécificité de la réponse soignante aux patients dépendants est posée et si des particularités sont retenues, la comorbidité importante sur le plan psychique amène le jury à rappeler les articulations indispensables avec les réseaux déjà mis en place comme celui des secteurs de psychiatrie.
Si la dépendance a été le critère retenu comme essentiel, cest quelle crée une entrave au fonctionnement psychique et à lexercice des potentialités du sujet. Elle est source de dommages bio-psycho-sociaux et dune souffrance véritable justifiant des soins.
Les soignants face à ces patients ont des objectifs thérapeutiques à maintenir. Le traitement des symptômes, de la douleur, des maladies adjacentes est associé à celui de la dépendance dont le but est larrêt total de lusage de la substance. Les sevrages trouvent toute leur place dans une stratégie de soins pour ces personnes.
DEFINITIONS
La place des sevrages, leur nature, celles de la substitution comme de labstinence au sein de labord thérapeutique du patient obligent à les définir. Mais on peut noter que les points de vue se sont modifiés du fait de lévolution des valeurs, des connaissances scientifiques, des pratiques (des toxicomanes et du système de soins), des perspectives envisagées et des pathologies comorbides. Ainsi les mots drogues, drogués, toxicomanies ont reçus des acceptions tellement diverses quils sont devenus impropres pour fonder une politique de santé.
Nous recommandons de leur substituer les termes de substances psychoactives, de comportements de consommation de substances psychoactives, comme le préconise lOMS, en y ajoutant la dimension essentielle de la dépendance.
Cette dépendance, élément central de la problématique du patient, est bien évidemment dabord celle aux produits. La dépendance psychique est essentielle et se caractérise par la recherche contraignante de la satisfaction et le désir de répéter ou de prolonger la prise de drogue afin de provoquer un plaisir ou déviter un déplaisir, elle est aussi relationnelle. La dépendance physique est, elle, définie comme un état dadaptation à la drogue qui saccompagne dune tolérance et sexprime par lapparition dun syndrome de manque.
En matière de sevrage il apparaît que, loin dêtre une fin en soi résumant à elle seule le traitement, la cure de sevrage na de sens quen tant quélément dun programme global dun traitement devant sinscrire très fréquemment dans le long terme. La cure de sevrage a donc une utilité non seulement directe : diminution de la consommation de produits opiacés, voire même abstinence totale, mais aussi indirecte : prise de conscience de la dépendance, désir du sujet dintégrer le système de soin médical et médico-social, amélioration de la qualité du suivi et des aides à linsertion familiale, professionnelle et sociale.
En ce qui concerne le problème de labstinence, toutes les études montrent bien que lévaluation du devenir du sujet dépendant aux opiacés ne saurait sappuyer sur la seule consommation de drogues et labstinence : ladaptation sociale et le fonctionnement psychologique général, les troubles psychopathologiques, les problèmes médicaux, les conduites anti-sociales sont autant de dimensions dont il faut tenir compte pour juger de lefficacité dun traitement.
Quant à la substitution, tous les experts ont souligné limportance des techniques de substitution dans lapproche des sevrages, mais il y a lieu de remarquer aussi que la substitution est un outil de régulation de laddiction mais en rien un sevrage.
OPPOSITION OU COMPLEMENTARITE DES SUBSTITUTIONS ET DES SEVRAGES ?
Lopposition ou léventuelle complémentarité entre sevrage et substitution donne lieu à des débats passionnés qui privilégient à lextrême soit une démarche de soin où le sevrage en vue dune abstinence totale serait lunique objectif, soit une démarche dans laquelle la substitution serait la seule réponse possible sans projet de réduction de la dépendance.
Un glissement conceptuel est relevé, faisant des médicaments de substitution une méthode de sevrage. Il faut rappeler dabord que le sevrage ultérieur de ces médicaments est long et difficile. Ainsi la mise en oeuvre dun traitement de substitution est un acte thérapeutique au même titre que le sevrage et ne doit pas être considéré comme un accompagnement de type palliatif. Au cours de la prise en charge globale du patient, la prise en compte différenciée des situations complexes, la présence de polytoxicomanies, les comorbidités doivent poser la question soit dun sevrage total ou partiel suivant le parcours et la motivation du patient, soit dune substitution. La trajectoire du sujet, qui sétend souvent sur plusieurs années, conduit à ce que lon utilise tantôt lune, tantôt lautre méthode, lesquelles sinscrivent dans le projet thérapeutique au long cours.
Il convient déviter que lorientation thérapeutique ne soit déterminée de manière rigide par des choix exclusifs ou réducteurs parfois liés aux équipements ou aux références des responsables.
OBJECTIFS INDIVIDUELS ET DE SANTE PUBLIQUE DES SEVRAGES
Les objectifs individuels sont fonction des besoins et attentes du patient, de sa famille, mais ils ne peuvent sy réduire. Le soignant aura à faire part, lors des consultations, des objectifs pouvant être mis en oeuvre à court, moyen et long terme pour inscrire le soin dans la continuité. A court terme ils pourront être médicaux, sociaux, psychologiques prévenant les effets des rechutes ; à long terme le maintien de labstinence restera un but non exclusif des traitements.
Les objectifs de santé publique sont dominés par la réduction des risques que sont les infections virales, les conséquences sociales de la dépendance aux opiacés... Il faut noter que, plus que la substitution, cest la disponibilité des seringues qui constitue un élément déterminant de la réduction des risques liés à linjection.
La question est celle de la concordance entre objectifs individuels et de santé publique. Pour ce qui est de la transmission des maladies virales, la concordance est relativement bonne, même si la diminution escomptée des transmissions nest pas aussi importante quelle aurait pu être attendue, du moins pour les hépatites virales B et C.
La corrélation, entre objectifs individuels et de santé publique des sevrages, restera bonne pour lensemble des critères si, pour la réduction des risques, il nest pas mis en place des programmes ne concernant quun élément de la pathologie dont nous avons dit quelle était complexe et polyfactorielle, et à condition que les soignants prennent en compte les exigences de santé publique, très rarement relevés par le patient.
En clair, il ne peut être mis en place des sevrages sans considérer le risque élevé de rechutes et sans lentourer dun soin lui permettant de prendre les mesures de protection médicale et dinsertion sociale. De même, il ne peut être mis en place de programme unique de médicaments de substitution sans prise en charge individuelle et projet thérapeutique à long terme.
Les objectifs de santé publique ne se substituent pas à une approche individualisée centrée sur le souci de la personne mais la complètent.
Une recherche clinique concernant les thérapeutiques de substitution dans ce double projet individuel et de santé publique permettrait de situer cette approche dans un ensemble.
DIVERSITE DES ITINERAIRES, DES LIEUX ET DES INTERVENANTS : COHERENCE OU DISCONTINUITE ?
Si la diversité est une richesse, si la discontinuité fait partie de la prise en charge, la mise en cohérence est la condition dun soin permettant à chacun de trouver sa place dans la globalité des actions.
La prise de contact
Conditions et construction de la relation thérapeutique
Les demandes initiales de soin sont multiples et ne se limitent pas à la demande fréquente dun sevrage en urgence : douleurs liées au manque, complications somatiques, overdose, accidents de la voie publique ... Il nest pas non plus exceptionnel que ce soient des tiers qui pressent le patient vers une demande de soins. Si lintention du soignant reste avant tout de parvenir, à terme, à ce que la personne dépendante se libère définitivement de sa conduite toxicomaniaque, il existe un consensus pour reconnaître que ce résultat ne pourra être obtenu quau terme dun parcours souvent très long, émaillé de nombreuses rechutes, au cours duquel les soins consistent dabord à aider le patient à déplacer sa dépendance sur dautres objets. Cest pourquoi il importe de saisir le moment de la première rencontre non seulement pour répondre à une éventuelle demande de sevrage que pour essayer avant tout de nouer une relation thérapeutique, considérant lurgence de cette demande de sevrage comme étant aussi le symptôme de lévitement dune trajectoire plus longue. Certains auteurs préfèrent utiliser le terme « dalliance thérapeutique » dans ce contexte de dépendance mais peu importe en fait le choix du terme. Il convient essentiellement de savoir prendre une position de soignant, clairement démarquée dune attitude fusionnelle avec le patient. La relation avec la personne dépendante ne présente pas de particularité en terme de confiance ou de respect mutuels. La spécificité de la demande de sevrage est liée au fait que le patient se présente dans un moment privilégié, prise de conscience furtive de sa propre impuissance à se libérer seul du produit ainsi que des rituels qui laccompagnent. Il sagit donc dune opportunité à saisir et à pérenniser. Le patient doit avoir la possibilité dun accès libre et facile aux soignants en direction desquels il décide deffectuer une démarche, ce qui suppose pour ceux-ci une disponibilité suffisante mais aussi une formation adéquate.
Les différentes portes dentrées dans le système de soins
Il existe un large consensus sur la nécessité dune prise en charge pluridisciplinaire des personnes dépendantes aux opiacés et tous les auteurs préconisent la coordination des différents acteurs dans un réseau de soins centré sur le patient. Le patient doit rester parfaitement libre de sadresser aux interlocuteurs de son choix. En aucun cas le réseau ne doit être conçu comme une structure autoritaire imposant un parcours thérapeutique prédéterminé. Quand bien même le patient serait adressé dans le cadre dune injonction judiciaire de soins, il doit pouvoir retrouver la même liberté que celui qui présente une demande spontanée.
Cette organisation en réseau ne vise pas à capturer le patient dans un système institutionnel. Elle doit être comprise comme une logistique au service des relations entre les différents acteurs de soins afin de proposer à la personne dépendante une prise en charge plurielle et globale. Le but du réseau est de favoriser la cohérence de cette prise en charge quelle que soit la porte dentrée du patient dans le système de soins, tout en garantissant la séparation claire des fonctions soignantes selon les différents intervenants. En revanche, il se peut, dans ce cas comme dans le cadre général, quune pathologie mentale fasse passer le problème de la dépendance au second plan et impose le recours à une hospitalisation sous contrainte.
Le constat clinique
Evaluation psychopathologique
La dépendance ne comporte aucune spécificité nosographique et lévaluation psychopathologique doit donc suivre les règles habituelles, ce qui peut demander plusieurs consultations. Il sagit dun temps indispensable puisquil va conditionner la mise en place ultérieure du cadre psychothérapique après avoir permis de dégager une orientation diagnostique.
Evaluation des dépendances
Lévaluation de la dépendance est toujours nécessaire, dautant plus que des allégations de dépendance aux opiacés pourraient être utilisées pour obtenir une substance de recours, licite (Méthadone, Buprénorphine). Cette évaluation ne pourra cependant valablement se faire que lorsque la relation thérapeutique aura déjà été bien installée.
Evaluation de la dépendance aux opiacés
Sur le plan clinique, lhistoire de la relation au produit doit être explorée, notamment dans ses articulations avec lhistoire personnelle et familiale du patient, en tenant particulièrement compte aussi bien de son début (date et circonstances de la première utilisation dun opiacé) que de lintégralité du parcours : doses, voies dadministration, produits de remplacements, dose maximum administrée. Une attention toute particulière doit être accordée à lexistence doverdoses ou daccidents qui sont considérés par certains comme des indices de sévérité de la dépendance. Une volonté dévaluation plus formalisée, dans un but de recherche clinique, mais aussi en vue dune évaluation plus objective de lévolution et de lefficacité a été proposée au moyen de diverses échelles dont aucune ne simpose.
Evaluation dautres dépendances
La co-dépendance à dautres substances est fréquente. Elle doit être systématiquement recherchée. Les principales substances impliquées sont le tabac, les dérivés du chanvre, lalcool, les benzodiazépines, la cocaïne, les amphétamines ... De la même manière que pour le produit principal, lhistoire de la relation à ces différentes substances doit être explorée. La mise en évidence de ces co-dépendances sera déterminante dans le choix de la modalité de sevrage. Hormis les substances associées, cette évaluation doit également sétendre à la recherche de dépendances de situation ou relationnelles.
Evaluation sociale initiale
Il existe un consensus fort pour reconnaître que le pronostic à long terme est étroitement lié à linsertion sociale du patient. Cette dernière doit donc être soigneusement évaluée en vue dinitier au besoin des mesures de réinsertion. Lévaluation de la situation sociale de la personne dépendante doit au moins préciser les points suivants : couverture sociale et ouverture des droits afin de permettre un accès direct et facile aux soins, mode de subsistance, situation financière (dettes liées au trafic) formation et insertion professionnelle, logement, situation par rapport à la justice, la survenue de sanctions pénales pouvant bouleverser le déroulement des soins. Lexploration des liens familiaux et sociaux revêt également une grande importance. Il faut tenir compte de la présence et de la compétence des familles et de lentourage qui encouragent et soutiennent le patient dans sa démarche de soins.
Evaluation somatique
Lexamen clinique et biologique est fondamental, à la fois comme bilan dentrée dans le système de soins mais surtout du fait quil permet délaborer tout un pan du projet de soins concernant la recherche de dinfections particulières, la prévention de douleurs qui risquent dêtre majorées et la prise en compte de la dimension somatique. De ce fait, les points suivants réclament donc une attention particulière : les infections à VIH, VHB et VHC et celles liées à la précarité, létat de la peau et des veines, létat des dents, de la bouche et des voies aériennes supérieures, lensemble coeur-poumon, notamment à la recherche dinfections, enfin létat nutritionnel et lappareil digestif. Le patient doit également être prévenu des douleurs qui peuvent être aggravées par le sevrage (caries dentaires, séquelles daccident, etc...) et qui justifient ladjonction dun traitement antalgique. La grossesse pose un problème spécifique et doit être recherchée. Il existe un contraste entre une demande explicite fréquente de sevrage et le fait quil ne sagit pas du moment le plus opportun pour le réaliser.
Evaluation de lopportunité
Afin dapprécier lopportunité du sevrage, le praticien devrait chercher à répondre aux quatre questions suivantes. Au nom de qui ? La personne dépendante présente-t-elle sa demande en nom propre ou bien sous la pression de son entourage, voire sous leffet dune injonction judiciaire ? Seule une demande négociée avec le patient en nom propre devrait conduire à une proposition de sevrage. Dans quel but ? Le but recherché par le patient au-delà de sa demande de sevrage doit être précisé afin den définir la modalité. Il peut sagir dun sevrage partiel aux benzodiazépines en vue dinstaurer un traitement de substitution de qualité, dun sevrage aux opiacés dans le but de réguler sa consommation sans aspirer à une abstinence durable ou dun sevrage aux opiacés vécu comme le moyen dune séparation définitive avec le produit. A quel produit ? La réponse à cette question dérive directement de la précédente car il existe de plus en plus de demandes de sevrage partiel ou de demandes de sevrage de produits de substitutions. Dans la perspective dun traitement de substitution, le jury recommande dêtre extrêmement attentif aux dangers de lassociation entre les benzodiazépines, lalcool et les produits de substitution, en particulier la Buprénorphine. Hormis cette situation particulière, la question de savoir si, dans le cas de co-dépendances, il vaut mieux réaliser un sevrage simultané de tous les produits ou un sevrage sélectif de lopiacé ou des autres produits ne fait pas consensus. Quand ? Il ny a pas de consensus apparent quant à un éventuel indicateur du moment le plus favorable à la mise en oeuvre du sevrage, ce qui pourrait traduire lhétérogénéité des situations et des facteurs, en partie liée à lintroduction des traitements de substitution. La personne dépendante aux opiacés ne parviendra à se séparer définitivement du produit quau terme dun long cheminement qui suppose préalablement la capacité de déplacement de sa dépendance sur dautres objets : traitement de substitution, relation ou institution. Il convient de souligner que le risque de rechute ne constitue pas en lui-même une contre-indication au sevrage. La majorité des auteurs saccordent au contraire à dire que la rechute constitue en elle-même un moment particulièrement important dans la trajectoire de soins. Cependant, il ne faut pas oublier que de très nombreux décès par overdose surviennent lors de rechute après sevrage, de sorte que celui-ci ne peut jamais être présenté comme anodin et isolé. Il doit être soigneusement tenu compte de la stabilité du patient sur les plans psychopathologique, social et judiciaire avant denvisager ce sevrage.
Le projet de soins
Le projet de soins sélabore au coeur dune double exigence, souvent paradoxale, inhérente à la situation : dune part une demande immédiate de soulagement à laquelle on se doit de répondre, et dautre part une mise en place des conditions préalables à une prise en charge au long cours. Négliger lune ou lautre alternative cest faillir à sa mission de thérapeute. Il sagit donc dintégrer le sevrage dans un projet de soins plus large dont lélaboration doit être explicite en tenant compte de lurgence de la demande et du caractère prolongé de la démarche.
>La négociation du projet
Quel que soit le mode de sevrage envisagé, le praticien ne peut le concevoir que comme un jalon dans un processus visant à terme la rupture davec la dépendance. Cependant, la nature de la demande du patient impose la négociation de ce projet de soin au cas par cas. La négociation précise les conditions dans lesquelles va se dérouler le sevrage et aboutit à un engagement réciproque de la personne dépendante et du ou des thérapeute(s) dans un esprit de respect mutuel de ce projet. Il sagit bien dun véritable contrat, issu dune négociation aboutissant à la rencontre des consentements. En aucun cas il ne pourrait sagir dun contrat dadhésion dans lequel les obligations des uns et des autres seraient préalablement fixées unilatéralement par le thérapeute sans aucune explication ni possibilité dadaptation personnalisée, et dans lequel le seul choix laissé au patient serait de contracter ou non. Dans le cadre du travail en milieu hospitalier, il est nécessaire que lensemble des intervenants connaissent tous les termes de ce contrat mais il nest pas indispensable pour autant que le contrat soit écrit. Les modalités pratiques du contrat sont variables en fonction du cadre du sevrage. Il peut lui être mis fin si le patient nest pas en mesure den respecter les termes ; cette possibilité modifie les conditions de la prise en charge sans pour autant la suspendre. Prétendre faire léconomie de la rupture serait faire léconomie du sevrage et donc accepter la dépendance au produit et à la relation.
La place de la psychothérapie
Lun des points à négocier dans le projet de soin est constitué par léventualité dune psychothérapie. Tous les auteurs en rappellent limportance sans que cela soit documenté avec précision dans la littérature. Il existe un consensus large pour reconnaître que le succès du projet de soins est lié à linstauration dune relation psycho-affective forte et stable. On ne peut quen conclure la prééminence de la prise en charge psychique pour la réussite du projet. Techniquement les meilleures chances dy parvenir supposent la mise en place préalable dun cadre psychothérapique. Cela impose donc la séparation du rôle de consultant et de psychothérapeute, notamment sils sont organisés en réseau. La confusion des rôles au sein dun collectif soignant évoque la dépendance, la séparation des fonctions évoque la séparation autonomisante du sevrage.
Le cadre : ambulatoire ou institutionnel
Le sevrage peut être réalisé soit de manière ambulatoire soit dans le cadre dune institution. Le milieu dans lequel doit se dérouler le sevrage ne fait pas consensus quant à lincidence sur lefficacité
. Sevrage ambulatoire
Bien que lon ne dispose daucune statistiques sur le sevrage ambulatoire, ce dernier mérite une attention particulière dans la mesure où il pourrait présenter une solution intéressante. Certains éléments le rendent cependant plus délicat :
antécédents de prise massive de benzodiazépines ou dautres psychotropes, antécédents dalcoolisation chronique ou compulsive, complications psychiatriques ou troubles graves de la personnalité, maladie intercurrente telle que sida évolutif, hépatite virale ou toxique, un rythme de travail très éprouvant, labsence de soutien de proximité et, a fortiori, la désinsertion sociale.
Le sevrage en institution
La grande majorité des sevrages a lieu en institution. Parmi ceux-ci, un grand nombre dentre eux a lieu en milieu carcéral, de manière forcée et avec un accompagnement médical insuffisant. Il nexiste pas détude précise sur les conséquences de cet acte peu médicalisé. Hors cette situation particulière, le sevrage en institution pourra être réalisé soit en milieu hospitalier, en service de médecine ou en service de psychiatrie, soit en institution spécialisée.
Il nexiste pas de consensus sur les critères de choix dun type de service plutôt que lautre.
La réalisation pratique du sevrage ne représente quune partie limitée de la prise en charge dun patient dépendant. Elle sinscrit dans un projet plus large qui comprend une phase de préparation et dévaluation préalable et prévoit demblée les modalités de poursuite de la prise en charge au décours.
La phase de préparation a permis de sassurer du caractère adapté de lindication de sevrage et de labsence de contre indication ; cette évaluation a permis aussi de discuter et de choisir, avec le patient, le cadre du sevrage.
Le volontariat est un des éléments majeurs de la démarche de sevrage. La fréquence des rechutes et des décès après un sevrage forcé montre que la contrainte et les pressions sont non seulement incompatibles avec l'établissement d'un contrat de soin, mais aussi inefficaces au plan thérapeutique voire nuisibles.
Le syndrôme de manque
Au cours du sevrage, le syndrome de manque se présente de manière différente en fonction du produit concerné.
Le syndrome de manque aux opiacés associe diversement les symptômes suivants : agitation, lombalgies, hyperalgésie, larmoiement, rhinorrhée, augmentation de la transpiration, accélération du transit intestinal, avec diarrhée et parfois vomissements. Lexamen peut mettre en évidence une tachycardie, une hypotension et une mydriase bilatérale de valeur sémiologique importante. Aux signes physiques, sajoutent des symptômes psychiques : anxiété, irritabilité, recherche compulsive de produits, troubles du sommeil, dépression. Le délai dapparition est variable et fonction de la demi-vie délimination de la substance consommée :
- pour les produits de substitution dont l'élimination est longue (méthadone ou la buprénorphine), les symptômes sont souvent décalés dans le temps et persistent de manière plus prolongée. Il sagit alors notamment de manifestations psychiques (anxiété, insomnie, aboulie, asthénie) qui pourraient contribuer à une reprise ultérieure de la consommation de drogue.
La dépendance aux benzodiazépines apparaît le plus souvent après des traitements poursuivis plus de trois mois. Le syndrome de manque survient après un délai de 1 à 10 jours, et son intensité serait inversement proportionnelle à la demi-vie de la benzodiazépine concernée. Le tableau réalisé associe diversement anxiété, irritabilité, troubles du sommeil, douleurs diffuses, troubles sensoriels, troubles digestifs, hypotension orthostatique, et, dans les formes les plus graves, délire psychotique, hallucinations et crises comitiales.
Les méthodes de sevrage
Les différentes méthodes de sevrage sont intégrées dans des projets de soins variés en fonction des patients.
Approche environnementale
Le cadre offert par l'institution et l'équipe soignante, à travers son élaboration, constitue l'aspect environnemental des soins.
Le sevrage ambulatoire
Lorsque les conditions de vie et lenvironnement du patient le permettent, le sevrage peut être réalisé en consultations ambulatoires. Ces conditions impliquent un suivi rapproché, en prévoyant, pour un sevrage court de voir le patient en consultation tous les deux ou trois jours, voire initialement tous les jours, pour adapter le traitement au cas par cas. La remise directe des médicaments en quantités limitées permet dajuster la posologie et de réduire les risques liés aux conditionnements excessifs.
Le sevrage en milieu hospitalier
Des sevrages sont réalisés en service de médecine non spécialisé, en service psychiatrique ou en institution spécialisée. En dehors de certaines pathologies psychiatriques qui justifient en elles-mêmes une hospitalisation en psychiatrie, le choix du lieu paraît actuellement davantage lié à l'offre de soins qu'a une réelle réflexion clinique ou théorique.
Dans ce contexte, le contrat systématiquement établi entre le patient et léquipe de soins (cf. deuxième question) a des aspects particuliers. Variable suivant les institutions, il insiste sur le nécessaire respect par le patient de leurs règles de vie. Le contrat comprend habituellement une période de durée variable pendant laquelle le patient accepte une limitation plus ou moins complète des sorties, des visites, et des appels téléphoniques personnels. Lefficacité de cette contrainte librement acceptée sur la réussite du sevrage ne semble pas avoir été étudiée.
Il nexiste pas de consensus sur l'attitude à avoir vis à vis de la dépendance du tabac pourtant très fréquemment associée. Lorsque ce sevrage ne paraît pas possible, le confinement du patient dans sa chambre pendant les premiers jours peut conduire à une situation contradictoire du fait de linterdiction de fumer en vigueur à lhôpital.
Le soutien relationnel est un élément essentiel du sevrage hospitalier. Plus que sur le thérapeute référent, il repose sur lensemble de léquipe de soin et sur la cohésion de celle-ci. Cet accompagnement demande disponibilité et compétence, ce qui suppose un personnel en nombre suffisant, et préparé à cette tâche par une formation, qui idéalement devrait être réalisée en équipe multiprofessionnelle.
La durée de lhospitalisation pour sevrage varie selon les patients et selon le produit. Dans une période ou les polytoxicomanies sont de plus en plus souvent rencontrées et justifient une prolongation du séjour, la durée de celui-ci ne peut plus être arbitrairement limité à 8 jours.
Approche chimiothérapique
Destiné à réduire la symptomatologie du manque, le traitement chimiothérapique varie en fonction du produit responsable de la dépendance et doit être adapté à chaque patient.
Héroïne
Le sevrage de l'héroïne sans utilisation simultanée dun agoniste opiacé est la modalité habituelle en France. Pour le sevrage des opiacés, plusieurs types de traitements peuvent être proposés :
- Les traitements symptomatiques sont destinés à atténuer et si possible faire disparaître les manifestations du manque : antalgiques, spasmolytiques, antinauséeux, antidiarrhéiques, sédatifs et hypnotiques. Les produits sédatifs sont le plus souvent indispensables, surtout dans les premiers jours. Les benzodiazépines sont utilisées dans certains protocoles pour leur effet anxiolytique. Ces substances saccompagnant dun risque propre dinduction dune pharmacodépendance, il paraît souhaitable de limiter leur utilisation et déviter leur emploi chaque fois que cela est possible. Il existe un consensus fort contre-indiquant certains produits fréquemment recherchés pour leurs effet toxicomanogène : flunitrazépam (Rohypnol°) qui à très forte dose peut induire une agressivité difficile à conrôler, chlorazépate disodique haut dosage (Tranxène° 50 mg). Lalternative peut être lutilisation dun neuroleptique sédatif tel que lalimémazine (Théralène°) ou la cyamémazine (Tercian°).
Dautres méthodes de sevrage ont été proposées pour le sevrage en opiacés :
- En l'absence d'études démontrant clairement un bénéfice, le jury exprime ses réserves concernant le recours aux antagonistes opiacés (naloxone, antagoniste daction rapide et brève, naltrexone, antagoniste daction prolongée), proposés pour raccourcir la durée du sevrage ou dans le sevrage minute réalisé sous anesthésie générale.
La fréquence des polytoxicomanies s'est notablement accentuée ces dernières années. Elles font appel, outre la consommation des opiacés, à l'association d'alcool, de benzodiazépines, d'antalgiques, de cannabis et maintenant de plus en plus fréquemment aux amphétamines et à la cocaïne. Plusieurs études en France et à l'étranger relèvent qu'entre la moitié et les 3/4 des personnes dépendantes aux opiacés font usage d'autres produits, notamment l'alcool et les benzodiazépines.
Les données scientifiques et thérapeutiques sont bien établies pour le dosage à une seule substance (opiacé, benzodiazépine, alcool). Les études concernant leur association ou celle des substances utilisées dans les polytoxicomanies sont moins nombreuses et relèvent de la pratique et de l'expérience propre à chaque équipe soignante.
Sevrage des benzodiazépines
Les modalités de sevrage aux benzodiazépines sont nombreuses et doivent être spécifiques à la molécule consommée. Une douzaine de molécules peuvent être utilisées. La modalité du sevrage doit donc être envisagée pour chacune en fonction de sa demi-vie, sans pour autant que celle-ci coïncide obligatoirement à la durée de l'effet. Les demi-vies varient dans une proportion de 1 à 50. Une élimination totale du produit peut aller jusqu'à plus d'une dizaine de jours.
Tous les protocoles excluent le sevrage brutal sans substitution en raison de la nécessité éthique et clinique de prévenir ou d'atténuer les signes de sevrage qui souvent importants, peuvent mettre en jeu le pronostic vital.
Protocoles proposés :
Ils font appel au sevrage progressif ou à la substitution.
Dans le cas de la dépendance à une seule benzodiazépine, il est procédé à la réduction par paliers de la dose quotidienne en utilisant la benzodiazépine à l'origine de la dépendance. L'apparition de signes de sevrage important peut prolonger les paliers.
Dans le cas de la dépendance à une ou plusieurs benzodiazépines, il est parfois procédé à un arrêt brutal, mais une substitution par le phénobarbital doit alors être associée. Des tables de correspondance peuvent être utilisées.
Sevrage de l'alcool
Ces modalités ne sont pas spécifiques au consommateur d'opiacés. Elles sont nombreuses et font appel à un traitement médicamenteux, le plus souvent en ayant recours à une benzodiazépine de demi-vie longue. Sevrage des polydépendances aux opiacés, benzodiazépines et alcool
Ces sevrages n'ont jusqu'à présent pas fait l'objet d'études élaborées permettant de faire des recommandations. Sevrage de la cocaïne et des amphétamines
Aucun traitement pharmacologique n'a fait la preuve de son efficacité dans cette indication.
Sevrage et dépression
Plusieurs auteurs s'accordent sur la sous-évaluation de la dépression par les professionnels, ainsi que sur l'inadéquation de son traitement. Le sevrage peut favoriser l'émergence d'une symptomatologie dépressive et cette dimension mérite d'être recherchée.
Approche relationnelle
L'ensemble des praticiens réalisant des sevrages met l'accent sur la nécessité d'une prise en charge relationnelle. La référence à une technique particulière de psychothérapie et l'évaluation de son intérêt ne sont pourtant pas documentés. Les experts s'accordent cependant sur deux points :
- l'intérêt d'une prise en charge familiale même si l'objectif immédiat n'en est pas le sevrage mais le réaménagement des relations familiales.
Situations particulières
La grossesse
Une demande de sevrage est très souvent exprimée par les femmes enceintes dépendantes à des substances psychoactives. Il s'agit de grossesses à risque.
L'analyse de la littérature montre que le sevrage est contre-indiqué pour la plupart des auteurs, principalement aux premier trimestre de la grossesse, et ce du fait de cas de mort in utero survenues lors de sevrages brutaux et d'indices chez l'animal permettant de suspecter une souffrance foetale. D'autre part, les rechutes sont particulièrement fréquentes après un sevrage débuté au cours de la grossesse ou dans les mois qui suivent l'accouchement. Un seul auteur évoque son expérience de sevrages ayant pu être conduits sans danger pour le foetus ou la mère.
Bien que cette question soit controversée en France, le jury recommande de privilégier l'offre d'une thérapeutique de substitution par méthadone en raison de l'absence d'effets tératogènes.
L'incarcération
L'incarcération concerne chaque année 60 000 usagers de drogue en France, pour une durée moyenne de séjour de plusieurs mois. Elle est encore souvent l'occasion d'un sevrage réalisé en dehors de toute volonté de la personne, sans accompagnement médical suffisant. Ce sevrage brutal, extrêmement douloureux, incitant parfois à la consommation de substances psychoactives au sein de la prison est non seulement inefficace mais dangereux. La reprise de conduites toxicomaniaques au sortir de la prison est quasi constante et augmenterait le risque de décès par overdose.
Le jury recommande qu'une attention particulière soit apportée aux personnes dépendantes de substances psychoactives incarcérées. L'offre d'un sevrage médicalisé ou de toute autre modalité de soins doit pouvoir faire l'objet d'un choix et être intégrée dans un suivi médical effectif qui permette une réévaluation régulière de l'attitude adoptée.
Les mineurs
Le cas des mineurs dépendants de substances psychoactives pose plus particulièrement le problème du consentement aux soins proposés, qu'il s'agisse du sevrage ou d'autres modalités thérapeutiques. L'absence d'évaluation ou d'expérience dans ce domaine justifie qu'une attention particulière lui soit porté.
Les soins après sevrage et le suivi se définissent sur le long terme. Il s'agit de prendre en charge le sujet dans sa globalité, tant au niveau psychologique que médical et social. Choisir une stratégie thérapeutique est une opération délicate qui nécessite toujours, au préalable, une évaluation clinique soigneuse. Le projet de soins implique une équipe pluridisciplinaire s'inscrivant dans une alliance thérapeutique avec le patient. Le but est de permettre à celui-ci de trouver ou de retrouver une autonomie et une liberté psychique.
Les rechutes font partie de l'histoire du soin. Elles sont multiples et de gravité variable. Elles peuvent faciliter l'inscription du sujet dans une prise en charge globale et durable, dans la mesure où elles l'aident à prendre conscience de sa dépendance.
I - FRÉQUENCE DES RECHUTES
Le terme rechute sera considéré dans son acception utilisée en médecine, de "récidive pour désigner la nouvelle apparition d'un affection se manifestant chez un sujet guéri depuis plus ou moins longtemps" (Dictionnaire Larousse) . Rapportée à la toxicomanie, la rechute implique une reprise plus ou moins importante de la consommation de toxiques de quelque nature qu'elle soit. L'accompagnement suivant le sevrage apparaît d'autant plus efficace qu'il a été préalablement préparé. Un projet de suivi soutenu durant le sevrage se doit d'envisager la possibilité de rechutes, plaçant ainsi le patient dans une trajectoire cohérente.
Il apparaît que la majorité des rechutes a lieu dans un délai inférieur à six mois mais qu'au delà pour certains auteurs, les résultats sont relativement stables. Il est habituellement établi que le risque de rechutes est maximum dans les douze premiers mois qui suivent le début d'une rémission. Parmi ceux qui restent abstinents pendant deux ans au moins, près de 90 % resteront abstinents au delà de dix ans et ceux qui sont abstinents pendant dix au moins ont une forte probabilité de le rester au bout de vingt ans.
Les risques de rechute se déclinent selon plusieurs modalités : la morbidité et la mortalité apparaissent particulièrement élevées. En l'absence de cohorte vraie réalisée en France, une modélisation du devenir d'une cohorte fictive d'héroïnomanes en Île de France, a été effectuée par simulation informatique à partir de données issues d'enquêtes diverses. Dans le scénario le plus optimiste, les résultats indiquent, après une période de dix ans, que :
Ainsi, les soignants travailleront en fonction de ces étapes prévisibles :
L'entourage familial se sent blessé par ces rechutes vécues comme des échecs. C'est alors, aux thérapeutes d'écouter sa souffrance, de le soutenir et de l'informer de leur forte prévalence dans l'histoire du soin de la personne dépendante. C'est aussi le moment d'expliquer à la famille que le but du traitement n'est pas l'abstinence immédiate en soi, mais une plus grande souplesse du fonctionnement du sujet, un accroissement de sa possibilité de faire des choix.
II - COMORBIDITE SOMATIQUE ET PSYCHIATRIQUE
Un patient bénéficie et doit bénéficier, dès que possible, au cours de son itinéraire, d'un examen somatique et d'une évaluation psychopathologique : ceux-ci seront complétés après le sevrage et les thérapeutiques nécessaires, tant sur le plan somatique que psychiatrique, mises en oeuvre.
A - Affections somatiques
Le premier axe est l'abord somatique du sujet. Il ancre celui-ci dans une réalité par la prise de conscience de son corps meurtri.
Le suivi somatique de la population concernée facilite la mise en place des actions de prévention concernant, en particulier, les problèmes liés aux séroconversions et à l'alcoolisme. Il permet de soigner les pathologies directement liées à l'absence d'hygiène de vie de la période de dépendance. En post-sevrage, le patient redécouvre la douleur des affections somatiques anesthésiées par les opiacés (douleurs dentaires, ulcéreuses, séquelles de traumatismes...). Ces douleurs doivent être repérées et traitées le plus rapidement possible car elles sont inductrices de rechutes. Redonner au sujet une apparence corporelle "avenante" favorise la restauration de l'image de soi et la réinsertion dans le social.
B - Troubles psychiatriques
Les études anglo-saxonnes ont répertorié 70 % de troubles psychiatriques chez les patients dépendants des substances psycho-actives. D'autres études dorigine américaine évaluent, sur la vie entière, les troubles psychiatriques associés à la dépendance aux opiacés à 84 %, à la dépendance à la cocaïne à 70 % alors que dans la population générale, ils sont évalués à 24 %.
A la suite d'études d'épidémiologie descriptive dans les années 1990 aux Etats-Unis, on a pu montrer que les patients dépendants aux opiacés présentent :
a - Les troubles de la personnalité :
Deux tiers des sujets présentent des troubles de la personnalité. On repère principalement :
b- Les troubles de l'humeur :
Les troubles de l'humeur sont les plus fréquemment associés à la pharmacodépendance. On retrouve toutes les catégories de dépressions des classifications internationales ainsi que la manie (trouble bipolaire). Il n'y a pas de consensus sur les rapports de cause à effet entre le rôle des toxiques et les troubles de l'humeur. Cependant, la dépression paraît largement sous estimée par les professionnels, donc insuffisamment traitée.
c- Les troubles anxieux :
Les symptômes d'anxiété rendent les sujets vulnérables. Il faut apprendre à bien distinguer ce qui relève de l'anxiété au sens clinique et ce qui relève de la symptomatologie résiduelle du sevrage, qu'elle soit physique ou psychique. Les catégories les plus fréquemment concernées sont les phobies sociales ou les troubles paniques qui précédent, accompagnent ou suivent le sevrage.
d- Les états psychotiques et la schizophrénie :
Là aussi, il convient de préciser si les symptômes psychotiques précèdent, compliquent, ou accompagnent la toxicomanie. Dans bien des cas, les opiacés servent à réduire l'intensité de ces symptômes et à améliorer les affects dépressifs. Le produit peut représenter une tentative pour contrôler des hallucinations ou des symptômes délirants. Il agit en les augmentant, en les réduisant, ou en mettant à distance les états émotionnels.
Les professionnels de santé doivent rechercher, tout au long du suivi, les indices de souffrance psychique, d'affections mentales, de troubles de la personnalité et les considérer comme autant d'éléments jouant un rôle pronostique dans la destinée des patients dépendants des opiacés.
III - MODALITÉS DE SOINS ET DE SUIVI
Quelle que soit la forme du sevrage, total ou partiel, un accompagnement doit toujours être proposé. Quatre points sont à considérer :
1 - le suivi médical tient compte des pathologies contractées pendant la période de dépendance telles les hépatites B ou C et le VIH. Celles-ci nécessiteront un suivi et (ou) des thérapeutiques adéquates. Les analyses urinaires, comme critère d'accompagnement, permettent de suivre et aident au sevrage ou la substitution. De façon non contraignante le patient peut déterminer les objectifs dans le temps pour élaborer une stratégie personnelle afin de rendre les examens négatifs. Le fait de montrer au patient l'évolution des résultats des dosages urinaires et indirectement l'évolution de ses consommations, peut constituer un point de repère utile dans le temps pour atteindre des objectifs de réduction ou d'abstinence de consommation de drogues .
2 - l'accompagnement social vise à restaurer l'inscription sociale du patient. Préalablement évalué lors de la demande de sevrage, il va se concrétiser dans sa réalisation, au cours de cette période de suivi. Cet accompagnement social permet d'aider le sujet dans ses éventuelles démarches administratives qu'elles soient liées à l'identité, à l'accès au soin, à l'accès au logement et à l'insertion professionnelle. Cette insertion ne se pose pas de façon identique pour tous les patients. Elle recouvre plusieurs réalités :
- pour les personnes qui possèdent déjà une qualification professionnelle, des démarches auprès des employeurs et une inscription à l'ANPE sont à réaliser.
Il peut être intéressant, pour tous les sujets, de les informer et de les aider à accéder aux prestations de droit commun et pour les plus de 25 ans, de faire une demande de RMI. Une exonération du ticket modérateur de type Affection Longue Durée tiendrait compte de la durée inévitable des traitements.
3 - le suivi éducatif cherche par la relation, le dialogue et l'accompagnement actif, à résoudre les problèmes rencontrés dans la vie quotidienne. Cela passe par des apprentissages sociaux, en particulier concernant le rapport à l'argent.
4 - le soutien psychologique est nécessaire tout au long de la prise en charge. La présence dun psychiatre consultant est également recommandé. La famille devrait pouvoir s'impliquer dans le processus de soins et de suivi. L'existence d'un support social étayant est l'un des facteurs favorisant l'efficacité des soins.
La qualité de l'environnement est primordiale à la sortie du sevrage. On ne peut raisonnablement pas attendre ce moment pour s'en préoccuper. Dans les temps qui suivent le sevrage physique et dans le cadre du projet, des soins spécifiques peuvent être mis en place sous la forme d'un séjour de transition dans des milieux intermédiaires : tous devraient pouvoir être utilisés.
Le jury se pose la question de savoir s'il est opportun de privilégier des structures créées pour les ex-usagers de drogues. Leur aptitude à la dépendance peut induire des organisations aliénantes fonctionnant sur le mode des sectes dont ils peuvent être les victimes.
Le choix qui est fait de ces institutions est souvent lié aux modalités de financement.
Ces différents types de structures répondent à des besoins spécifiques qui ne s'appliquent pas forcément à tous les usagers et ne constituent pas une étape indispensable par laquelle doit passer le sujet. A l'heure actuelle, il n'existe pas de consensus quant à leurs indications respectives ni d'évaluation de leur efficacité. En définitive la multiplicité des situations rencontrées, les aléas de la vie amènent des réajustements de ces modalités de soins et de suivi, obligeant à des adaptations et des évolutions de la prise en charge. L'arrêt du suivi se fait selon plusieurs modalités : le plus souvent du fait du patient lui-même sans que cela signifie pour autant l'arrêt du traitement, parfois du fait du thérapeute ou dun accord conjoint.
EN CONCLUSION :
Dans le domaine des dépendances aux substances psycho-actives, contrairement à d'autres domaines de la santé et des comportements, les travaux de recherche ne se sont pas d'emblée fondés sur la démarche épidémiologique et le raisonnement statistique à partir de groupes de population. Il n'existe que peu de travaux scientifiques sur lesquels s'appuyer quant aux modalités de soins et de suivi après sevrage. Seules sont disponibles les expériences décrites par les professionnels. Des évaluations méthodologiques bien conduites restent à faire. Ces difficultés n'empêchent pas l'existence de lignes de force dans les soins et le suivi après le sevrage de la personne dépendante.
Au delà même de lintégration des modalités de sevrages à un projet de soins en faveur des personnes dépendantes des opiacés, projet dont on a pu percevoir lampleur, la complexité et les difficultés, le jury tient à insister sur deux points.
1 - La formation des personnels concernés, linformation des professionnels et personnes de lentourage impliqué ; et la sensibilisation du public à ces questions.
Dans ce contexte, cette formation continue devrait pouvoir utiliser au maximum les capacités pédagogiques du petit groupe, que la mise en place de réseaux ne peut que favoriser.
Cette formation devrait obligatoirement incorporer :
b) linformation des personnes impliquées. Compte tenu de limportance des relations établies ou à renouer avec lentourage (famille, amis, voisins, collègues, milieu associatif) et du rôle que peuvent jouer des décisions prises par des acteur sociaux intervenants par ailleurs, une information aussi large que possible est nécessaire à partir des patients eux-mêmes (parler de sa maladie) et des professionnels de terrain. Si la conférence de consensus participe à cette information, elle ne saurait y suffire.
c) une sensibilisation du public au fait que les comportements des personnes dépendantes relèvent moins dune attitude morale ou moralisante que dun traitement de longue durée, incluant des rechutes et récidives possibles. - Au fait aussi que lintégration sociale de ces patients est un élément majeur de pronostic, élément auquel tout le monde participe; - Un relais médiatique, démythifiant, informatif et étayé serait souhaitable.
a) de lancer très vite un programme français ou européen de recherche et de suivi de cohortes importantes de patients, sur de nombreuses années.
Ce programme indispensable, et important reposera sur léchange dinformations entre soignants et chercheurs.
Ces recherches, compte tenu de la diversité et de la variabilité des trajectoires, impliqueront tout autant les praticiens de ville (sevrage et post sevrage ambulatoire) quinstitutionnels tout autant les médecins que les autres acteurs de santé.
d) mais aussi, il importe de multiplier les recherches limitées à partir des réflexions dun groupe, dune équipe ou dun réseau.
Limportance accordée à ces recherches cliniques est le garant dune saine politique de santé en faveur des personnes atteintes par la dépendance aux substances psychoactives.
Elles permettront, de plus, détayer la formation pour le moment plus pratique que théorique.
Trois axes de recherche nous ont, en tous cas, semblé prioritaires :
2 - la comparaison entre les méthodes et procédures de sevrage notamment dans les polytoxicomanies
3 - lévaluation du travail en réseau
Dernière mise à jour : jeudi 25 septembre 2003 Dr Jean-Michel Thurin