La contrainte est nécessairement une modalité de sevrage. Parce que le bébé nest pas sevré entre deux tétées, un temps de rupture élaborant la place des protagonistes souvre. De lenfant, la réalisation dans de nouvelles capacités par la distance de lautre. De la mère, par la loi, la nécessaire évolution de la notion damour, au-delà du soin nourricier, et de besoin dont ils dépendent tous deux.
Dans les propos des opio-dépendants, le sevrage est élaboré dès lors quils expriment, chacun à leur façon hautement respectable, que la drogue cest plus ça, que son recours ne donne plus les résultats attendus, que le manque crée les conditions dun abandon, douloureux certes, mais adulte. Que ce qui imaginairement pourrait alors prendre sa place nest pas un faux-semblant mais une opération qui dépasse le moyen - quel quil soit - pour engager le sujet.
Dans la politique dEtat de linterdit de la drogue et des alternatives de soins aux toxicomanes, les possibilités de soins anonymes et gratuits, les institutions spécialisées et les moyens largement utilisés de substitution visent à labstinence. Labstinence ne règle pas la dépendance mais met la personne à distance de la conduite toxicomaniaque dépendogène, délictueuse et à risques. Tous les enfermements sont productifs dabstinence pour autant quils contraignent le toxicomane se tenant mal à une autre identification (toxicomane-et-rien-dautre) à une identité de substitution : prisonnier, contraint, institutionnalisé, substitué, fidélisé. Le sevrage attendu à terme nest remarquable que si une conception de la toxicomanie fait la place de la dépendance, prévalante sur lopio-dépendance.
Nous utilisons la notion de trajectoires pour inscrire chaque thérapeute et intervenant à sa place, en limitant les valeurs trop sûres déchec, de rechute, dimpuissance et de fuite en avant qui en sont le corollaire. Par exemple, la réussite dune cure de désintoxication nest pas fondée sur le sevrage, mais sur laccord entre médecin et patient dun état de maladie due à la consommation dopiacés. La médecine, en la personne du médecin et des équipes concernées, noue un accord sur la compétence médicale en matière dintoxication du corps somatique. Tout autre objectif est voué à léchec à cause dune conception réduite de lêtre toxicomane. Une toute puissance en rencontre une autre qui ne fait pas trace sur la trajectoire, pour un temps qui fait penser à un mésusage des moyens efficaces dans un tempo et une présentation incongrus. Ces malentendus ont des effets durables sur les pertes de vue, les ruptures de prise en charge et la difficulté de prendre place après-coup pour une proposition qui paraît déjà épuisée et sans espoir. La relation et ses qualités transférentielles prévalent sur les moyens utilisés. La proposition ainsi formulée : "pas de prescription sans relation" offre une place au médecin, et une place aux moyens médicaux annoncés par tout intervenant dans le partenariat souhaitable de prise en charge.
Limplication est donc commune, sincère et liée au contact dun demandeur qui crée lobligation de répondre. Répondre nest pas donné. Mais se conjoint aujourdhui lobligation de moyens dont chaque acteur sarme pour se maintenir dans ses prérogatives, en particulier de spécialiste.
Implications et articulations des différents partenaires amènent à discuter la spécificité de chaque champ, les dispositifs en place par zone régionale, le rôle moteur dun ou plusieurs acteurs, le redéploiement efficient ou résistant des moyens mis en oeuvre, la place dun coordinateur et la notion de réseau.
Le moins est que le médecin reçoive un patient et, en faisant le point avec lui, quil loriente sil ne se ressent pas de sembarrasser du toxicomane. Sil effectue à cette place son travail de médecin, la rencontre nest pas un non-lieu.
Sil sestime compétent, lessentiel est quil pratique la prise en charge quil connaît pour lui-même sans saventurer dans des recettes, certes licites, mais quil ne sait pas maîtriser.
Pour les médecins de réseau, la prise en charge offre trois propositions qui ne sont pas hiérarchiques mais appliquées à la demande le jour J.
Laccompagnement, la désintoxication, la substitution répondent à la demande de soins, sans viser forcément au sevrage comme objectif immédiat. Ces protocoles mettent en place, avec des effets immédiats et des effets différés, une relation thérapeutique qui apparaît de plus en plus source de continuité et de coordination.
Lavancée médicale récente repose les questions de la médecine générale et dune pratique spécialisée par le médecin formé, du libéral et de linstitutionnel, des différentes acceptions de ce qui est recommandé sous le terme générique de psychothérapie. Il apparaît que le suivi dun toxicomane dans une relation médicale a des effets psychothérapeutiques. Le maintien durable dune relation thérapeutique avec le médecin diffère la psychothérapie qui ne saurait être une adresse obligatoire comme condition injonctive. Au contraire, la relation dun toxicomane à un médecin qui assure un traitement laisse penser au patient quétant soigné, il naurait pas besoin - pas immédiatement en tout cas - dune démarche complémentaire. Cest le leurre du bon médicament de la toxicomanie, mais cest aussi la qualité de la relation qui simpose. Les adresses obligatoires, forcées, conditionnelles et ne tenant pas compte dun tempo engendrent plus de malentendus et de ruptures de soins que de thérapies efficientes, comprises et durables. Lattente des psychologues, et en particulier des thérapeutes des institutions spécialisées, nest ainsi pas satisfaite. Risque de réduction par le médical ou place indispensable du médecin traitant, tels sont les pôles pour indiquer en son temps avec l'adhésion du patient une articulation pour une prise en charge efficace tant sur le manque que sur la dépendance.
Reste que le médecin qui na pas le temps, qui ne peut dégager un temps de consultation répétée, qui pare à ce quil estime être le plus pressé selon un modèle de traitement symptomatique ou de décision médicamenteuse, occupe rarement cette place décrite. Recevoir une file active importante de toxicomanes est un autre écueil qui montre ses limites du côté de la réduction de la prise en charge globale ou articulée. Par exemple, résultat dune enquête récente, des médecins recevant de nombreux toxicomanes ne peuvent plus les compter et les singulariser.
Le partenariat ponctuel avec le psychiatre, autre médecin, pour avis sur la psychopathologie sous-jacente un temps masquée par lintoxication installée, est fréquemment utilisé. La demande de partenariat avec les institutions spécialisées correspond aux cas demblée ou secondairement les plus complexes quand les moyens institutionnels, pluridisciplinaires, de séjour, dhébergement, daccompagnement 24h/24 savèrent indiqués. Le médecin a souvent à se plaindre du peu de retour partenarial dans ce cas. Comme si ladresse par un médecin à une institution signait le refus, le désengagement, lincompétence de lenvoyeur. Le téléphone est plus efficace que la lettre pour réduire les malentendus dommageables pour tous, et dabord le patient. Les rapports avec les services hospitaliers, renouvelés depuis le retour des toxicomanes en services spécialisés dinfectiologie et dhépatologie, et en psychiatrie pour des lits réservés aux cures de désintoxication, sont aussi lobjet de travaux de préparation en amont et de préparation à la sortie en aval par le médecin traitant.
Les traitements de substitution ont marqué limplication des pharmaciens dofficine en tant que premier partenaire des médecins. Très demandeurs et actifs dans les formations le plus souvent communes avec les médecins, ils tiennent une réelle place de partenaires dans linitiation et le suivi quotidien des premiers temps de délivrances serrées selon les recommandations. Les échanges confidentiels, avec laccord du patient, enrichissent les éléments dévaluation des résultats de la prescription. De vendeur de seringue anonyme et de codéines incontrôlées quils étaient, les pharmaciens dofficine deviennent des intervenants en toxicomanie dans un rôle autrement intéressant.
Parce quils sont impliqués par une politique de santé publique et dEtat, les différentes compétences se situent dabord comme des lieux reconnus, comme étant par exemple spécialisés.
Les Institutions spécialisées, en remaniement, proposent plus souvent des filières quune concrète participation aux réseaux. Lorsquelles sintègrent aux réseaux, elles revendiquent, ou bien de recevoir les cas les plus lourds, ou bien font des offres de collaborations marquées par la nécessité de leur place. Mais ceci, qui ne retire rien à leur spécificité, savère aujourdhui non systématique et ne propose pas darticulation diversifiée en fonction des cas. Pourtant, être un recours fait partie de leur mission et accepter le redéploiement ne dévalorise pas leur place qui est indispensable. Leur implication est réelle et sincère, mais les articulations sont difficiles et source de retard pour un consensus.
Les institutions qualifiées de postcure, attachées ou pas aux lieux de soins, fournissent un très riche répertoire de lieux dhébergement, dencadrement et daccompagnement dans le temps de labstinence ouvrant à un possible sevrage. Leurs références sont variées, à la ville ou à la campagne, en milieu thérapeutique ou de réinsertion, avec des moyens humains irremplaçables pour la qualité de leur présence physique et leur disponibilité 24h/24. Lieux protégés, elles ont lexigence dautonomiser et, tout particulièrement, dévaluer et de traiter les dépendances en dehors de la drogue afin que la réussite durable de labstinence aboutisse à la réalisation de ce quaura été la drogue pour léconomie psychique de la personne.
Obligées par leur raison dêtre, elles simpliquent au nom dune théorie, dune conception de la toxicomanie ou dune offre spécifique qui ne les mettent pas nécessairement à la place de recours immédiat. Elles peuvent ainsi se plaindre de devoir faire du social et dêtre convoquées pour résoudre des précarités.
Les assistantes sociales et les services daide des communes, ainsi que les services économiques sont systématiquement sollicités pour trouver les moyens daccès aux soins, dinscriptions et dinsertion qui sont un traitement de la dépendance sociale à la drogue.
Ces partenaires de la prise en charge sont classiquement formés à ladresse aux lieux spécialisés. Mais ils redécouvrent progressivement lintérêt du travail de proximité avec les compétences du lieu, du quartier, de la petite ville, des zones rurales, tissant un réseau de première approche évitant de précipiter lenvoi ailleurs sans élaboration de la demande.
La psychothérapie mêle le normal et le pathologique par le mot-même et la diversité de ce quil recouvre.
Cest donc un terme riche mais confus, source dapproches créant autant des ouvertures que des malentendus produisant des fermetures. On laissera là leffet le plus radical de rejet, de refus, dexclusion : excès biologique totalisant, dérision idéologique ou refoulement personnel. Ces considérations respectables peuvent simposer à tout moment chez chacun - patient, entourage ou médecin - et nécessitent un accompagnement didactique le temps dune compréhension pour convenir de la place - même si celle-ci reste vide transitoirement - du "psy". Le psy : une manière simple de dire ce complexe.
La psychothérapie, avec ses effets attendus, mêle le subjectif, transmis comme ressenti par le patient, et lobjectif, mesuré selon des critères scientifiques - par le thérapeute. Ce dernier se doit de préciser les critères auxquels il se réfère.
Au passage, le médecin comme nous en parlions plus haut nest pas étranger dans son art à la qualité de thérapeute différent de soignant. Les thérapeutes rassemblent des intervenants médecins, soignants et non médicaux. Ici par expérience, par constat quotidien des soignants et des psychologues, lidée d"effets psychothérapeutiques" étend à toute présence humaine professionnelle et aussi non professionnelle les actes efficients. La rencontre compte.
Si le médecin se dit non psychologue, ne faisant pas de psychologie, somaticien ne souhaitant pas sengager dans une relation pour laquelle il nest pas formé ou quil ne souhaite pas pour lui même, sa position népuise pas pour autant leffet psychothérapeutique que le patient exprime ou que les confrères repèrent lors dexposés de cas. Cette dimension de lacte et de la relation médicale est repérée et admise comme inhérente à lexercice médical, pour indiquer une psychothérapie à son patient. Sinon, cette indication, aussi pertinente soit-elle, remanie toujours, bouleverse parfois la relation médecin/malade, thérapeute/patient. Il existe un temps pour laccompagnement - chaque médecin le fait à sa façon -, un temps pour compléter le médical par une autre thérapie, mais le médecin reste, à sa place, celui qui aura entendu et orienté.
Mêlant le normal et le pathologique, lindication de psychothérapie peut avoir un effet de soulagement pour le médecin qui fait bien son travail, limite son savoir dans son champ de compétence et propose aide à son patient. Mais elle peut avoir, à lopposé, un effet redoutable de lâchage et de diagnostic péjoratif, source dinquiétude pour le patient. Sont ainsi souhaitables :
Les psychanalyses - que lon peut rapprocher de ces psychothérapies - se démarquent dabord en ne répondant pas à la dualité normal/pathologique. Elles peuvent être indiquées mais elles demeurent des démarches personnelles, un investissement, une quête, une aventure particulière, parfois secrète. Les effets sont repérables en médecine, mais avec des arguments culturels extraterritoriaux pour le corps médical, souvent mal compris.
Car les psychanalyses nempêchent pas le patient de venir se plaindre. Il sagit de savoir comment lécouter, dès lors quil "est en analyse". La confrontation constructive entre médecins, psychothérapeutes et psychanalystes, lorsquun cadre de travail est sagement élaboré, peut limiter les malentendus, conforter chaque praticien dans sa fonction, même si des tensions sont à attendre - comme on dit : " pour le bien du patient", et , de surcroît, pour le médecin. On peut ici parler de médecine moderne, avec des médecins à laise avec la dimension du sujet, laissée pour compte depuis cent ans, masquée entre autre par le succès des sciences appliquées en médecine, avec les excès que lon sait. Ici, la désintoxication et la substitution comme traitements de la toxicomanie recèlent à la fois le progrès et le refoulement.
La psychologie et les psychothérapies sont largement intégrées à la médecine daujourdhui. Mais ceci ne suffit pas à en faire une panacée aisément maniable de la médecine moderne. La médecine actuelle, scientifique, technique et biologique, tend à tout expliquer et à répondre à tout en médicalisant les réponses. Conscient dune tentation illusoire de toute puissance, remarquable en cas daddiction aux opiacés, le médecin mal à laise sur ces prescriptions peut alors faire valoir "quil y a autre chose" de non médical.
Ici, la place des psychothérapies se catégorise en :
Ainsi les partenaires psychothérapeutes semblent dautant plus retenus quils reçoivent un patient sans viser à la drogue : psychopathologie, symptômes dune structure, dépression, etc. Laccompagnement psychologique du traitement médical dune part, lémergence dune investigation singulière dautre part, sont deux aspects de ce même " psy ". La notion de psychothérapie scelle donc lenjeu essentiel de ce que chaque partenaire réalise.
Ainsi fonctionne le réseau du coordinateur. Les articulations dans une région qui ne manque pas gravement de moyens dépendent des personnes. Chaque lieu et chaque compétence (le médical, le social, le psychothérapeutique), chaque mode dactivité (le libéral, lhospitalier, linstitutionnel spécialisé) reconnaîtra en temps réel pour un patient, et en réunion détude de cas pour la formation, ceux sur qui il peut compter. Nous en sommes à lépoque de la diversification, et donc à laccumulation doffres. Il sagit de ne pas accélérer le tournis de la quête, mais au contraire daccompagner dans des démarches adaptées, ce qui exclut la prévalence des filières.
Le sevrage, dans notre acception, sera ce quun patient repérera un jour quand la drogue, sa consommation et la dépendance psychique à cette trajectoire seront mis à distance pour la vie reprise selon ses désirs. Laccompagnement encore, dans labstinence, nécessitera des partenariats. Car désintoxiqué et traité, substitué ou abstinent celui qui aura été toxicomane reconnaît longtemps encore un don sinon un goût pour les dépendances.
Chacun, passant, sappliquera à la rencontre.
II. Tableau sémantique
III. Plaquette
IV. Bibliographie
TOXIQUE effet aigu INFRACTION |
DELINQUANT (peine) TOXICOMANIE " MALADIE et DELIT" MALADE (traitement) ADDI |
MANIE répétition dépendance CTIONS |
SA DROGUE |
CONSOMMATEUR DE DROGUE - toxicomane - occasionnel - autothérapie - polydéfonce |
CE QUIL EN FAIT |
OBJETS |
REPRESENTANTS
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ACTES |
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Docteur Jean-Claude COQUS
Actualisation 1997