Évaluation des résultats :
rôle de l'épidémiologie

Françoise FACY

Directeur de Recherche INSERM U.302

Dans le domaine de la toxicomanie, contrairement à d'autres phénomènes de santé et de comportement, les travaux de recherche ne se sont pas appuyés d'emblée sur la démarche épidémiologique et le raisonnement statistique à partir de populations ou de groupes de populations.
L'option française d'anonymat des soins (loi de 1970) a entraîné directement l'absence de registres des sujets traités, contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne ou les USA.
L'installation d'un système de soins spécialisé en toxicomanie, indépendant des structures existantes en santé mentale ou en alcoologie, s’est faite à partir des interventions multiples : médicale, sociale, psychologique ou à caractère éducatif.
Tous ces choix, législatifs et thérapeutiques marqués par de nombreux changements, n'ont pas été propices au développement d'études quantitatives régulières.
Toutefois depuis quelques années, épidémiologistes, cliniciens et responsables de santé publique ont organisé des enquêtes, avec certaines adaptations des méthodes statistiques permettant d'aborder des questions comme :

y-a-t-il évolution des populations concernées et des clientèles ?
le système de soins est-il adapté aux nouveaux besoins de la population toxicomane ?
peut-on évaluer certains modes de prise en charge ou actions de prévention ?

Les trois axes de l'épidémiologie sont adaptés à ce type de questionnement avec :

la description des populations si elle est organisée de façon répétitive ;
la recherche des facteurs de risque ou des symptômes antérieurs ou associés à la dépendance avec des enquêtes sur groupes comparatifs : toxicomanes et non toxicomanes ;
l'évaluation des interventions avec organisation d'étude longitudinale pour suivre un échantillon de sujets et mesurer une liste d'indicateurs avant et après l'action examinée.

Autant théoriquement, la méthode apparaît adaptée au problème, autant dans la pratique les difficultés rencontrées sont nombreuses :

difficultés à suivre une population qui par définition est cachée ;
difficultés à délimiter une intervention et ses conséquences du fait d'interactions multiples ;
difficultés à arrêter des critères précis permettant de juger de la qualité et de l'efficacité d'une action.

Cependant, les méthodes d'échantillonnage et les comparaisons internationales des recherches apportent des suggestions dans la construction des études évaluatives.
Ainsi le Conseil de l'Europe avec des experts épidémiologistes a retenu une liste d'indicateurs pertinents en toxicomanie :

Premières demandes de traitement,
Admissions dans les hôpitaux,
Hépatites virales,
Décès liés à la drogue,
Arrestations par la police,
Emprisonnements,
Saisies de drogues illicites,
Prix/degré de pureté des drogues illicites,
Données provenant d'enquêtes (urgences, SIDA, marques de piqûres).

L’ensemble de ces indicateurs permet de relativiser les « clientèles » des lieux de soins et d’apprécier l’efficacité globale des politiques à travers le suivi de ces indicateurs.

Les études utilisant tout ou partie de ces indicateurs montrent que l'apport de l'épidémiologie dans la démarche d'évaluation se situe à deux niveaux essentiellement :

1 - connaissance des populations exposées et des risques, directs et indirects, antérieurs ou associés à la dépendance ; cette connaissance est utile pour la définition des niveaux de prévention, primaire, secondaire, tertiaire.
La synthèse réalisée par l’OFDT des travaux épidémiologiques illustre l’intérêt et la nécessité de ces bases de connaissance.

2 - Méthode d’évaluation de programme de santé ou d’intervention médico-sociale.
Le schéma médical le plus classique est illustré avec les essais thérapeutiques. Les travaux sont nombreux autour du sevrage des toxicomanes, effectué souvent en milieu hospitalier, sans qu’il y ait recours à des échantillons plus représentatifs des toxicomanes ou au moins plus diversifiés.

Par contre, l’ensemble des traitements proposés aux toxicomanes n’a pas donné lieu à des démarches évaluatives aussi structurées.
Un recensement des études fait par F. Lert et E. Fombonne avait montré les situations disparates entre les pays pour les évaluations et les résultats limités.

I - EXEMPLE D’ÉVALUATION D’UNE MESURE RÈGLEMENTAIRE


En 1987, la libéralisation de la vente des seringues en pharmacie est proposée à titre expérimental, dans le cadre de la politique de réduction des risques.
Les décideurs en 1988 se tournent vers différentes équipes de chercheurs en leur posant la question de l'évaluation de l'impact de cette mesure auprès des toxicomanes usant de drogue par mode intraveineux. Les épidémiologistes de l'INSERM (U.302) montent un protocole d'étude sur un échantillon de toxicomanes traités en centres spécialisés, interrogés de façon rétrospective sur leur attitude avant la mesure, et de façon actuelle sur leur comportement d'échange de seringues, 10 mois après la mise en place de l'action de prévention. Les bases sont établies ainsi :
niveau de prévention : secondaire ; critère évalué : taux de partage de seringues ; méthodologie : enquête épidémiologique avec entretien des sujets par les équipes des centres spécialisés sur les mêmes questions avant et après l'action (de façon rétrospective pour la période antérieure à l'action).

Les résultats se sont trouvés très nuancés, faisant apparaître différents sous-groupes : l'amélioration pouvant être appréciée pour 40 % des toxicomanes traités. Toutefois, 5 % des sujets sont capables d'abandonner des attitudes protectrices déjà acquises et 24 % persistent dans un refus de protection.

Cet exemple illustre également la difficulté d'interprétation des critères d'évolution des sujets. Doit-on retenir les 40 % ayant amélioré leur comportement pour juger de l'efficacité de la mesure, et mettre en place parallèlement d'autres moyens de prévention plus individualisés pour les autres sujets, soit qu'ils retombent, soit qu'ils persistent dans une attitude de risque ?


II - SUIVI DES PATIENTS BENEFICIANT DE PRESCRIPTION DE METHADONE DEPUIS 1993


Dans un contexte de Santé Publique, les objectifs de l'évaluation sont les suivants :

apprécier quantitativement les groupes de sujets traités, caractériser les sujets traités et les comparer aux toxicomanes habituellement vus dans le système de soins, rechercher l'existence de sous-groupes distincts par rapport au suivi du traitement.

Pour mesurer l'impact de mesures de prévention sur une population cible, la méthode épidémiologique la plus adaptée est une enquête de type "Avant-Après", c'est-à-dire une étude comportant deux recueils : le premier appréciant le comportement des sujets toxicomanes avant l'application des mesures ; le second appréciant ce comportement après l'application des mesures. Théoriquement, les deux recueils doivent utiliser les mêmes critères de jugement, les autres caractéristiques définissant la population devant rester stables. Ces deux études complémentaires peuvent être réalisées soit sur les mêmes sujets soit sur deux échantillons représentatifs de la population cible, avant et après l'action (METZGER, EKLUND).

Apprécier l'efficacité de la prévention par un recueil avant et un recueil après suffit lorsque l'action à évaluer est ponctuelle, courte dans le temps et très précise ; or dans l'enquête présente, l'action à évaluer est longue, difficile à cerner par des critères objectifs et directs.

Le principe d'une étude longitudinale est arrêté, devant permettre de suivre l'évolution des patients traités au niveau de :

la santé physique, la santé mentale, la santé sociale.

Les questionnaires individuels sont élaborés par la Commission Nationale (1) des traitements de substitution et comportent des aspects socio-démographiques, toxicologiques, sanitaires, psychologiques et comportementaux. Des échelles d’appréciation des risques et difficultés rencontrés par les patients complètent les questions portant sur des événements ou des situations.

L’organisation de la prescription de méthadone a évolué depuis 94 et des relais en médecine générale sont devenus possibles pour des patients dont l’équipe du centre spécialisé estime qu’ils sont stabilisés, par rapport à leur traitement et à leur mode de vie (PEREZ, DUGARIN et al., ANONYME, GOSSOP, VERTHEIN).

Pour le suivi épidémiologique, quelques aménagements sont réalisés : le bilan initial et les suivis sont effectués par le centre primo-prescripteur, jusqu’au relais en médecine libérale. Le médecin dès lors, prend également le relais des suivis épidémiologiques successifs, en liaison avec le centre.

Ces outils expérimentaux sont validés sur 1 697 patients, confirmant la première validation faite sur les 300 cas vus dans les premiers centres prescripteurs de méthadone. Les deux études statistiques, reposant sur des analyses factorielles des correspondances multiples démontrent la validité de l’outil et la fiabilité des scores. La progression des notes attribuées sur les échelles visuelles est très similaire pour l’appréciation des risques de contamination, les niveaux d’insatisfactions ; les troubles dépressifs et anxieux montrent une répartition similaire, sauf pour le score le plus élevé réservé à un groupe très limité, semble-t-il.

Au niveau de la méthodologie, différents outils d’évaluation de patients bénéficiant de prescription de méthadone sont utilisés depuis de nombreuses années dans d’autres contextes de Santé Publique (SAXON, RUTHERFORD).

La commission nationale française, dès 1993, a opté pour un outil spécifique, qui tient compte des expériences des premiers programmes, des nouveaux besoins de soins et qui soit plus proche des préoccupations des cliniciens, que certains outils de recherche.

D’autres pays ont fait des choix semblables, même s’ils se privent ainsi de comparaisons internationales, ils optent pour des considérations locales par rapport aux conditions d’application des traitements ou aux enjeux actuels de Santé Publique (UCHTENHAGEN, VERTHEIN, DEGLON).


DESCRIPTION DES TOXICOMANES COMMENÇANT UN TRAITEMENT AVEC DE LA METHADONE


Un échantillon de 4061 sujets est analysé à l’INSERM à partir des dossiers de bilan initial parvenus et informatisés avant le 31 Mai 1997, et contrôlés (cohérence des suivis).

Au niveau toxicologique et médical, il s'agit d'usagers d'héroïne à 93 %. Le produit principal de dépendance est l'héroïne pour 79 % des consultants. L'injection intraveineuse est (ou a été) pratiquée par 93 % des sujets, avec un nombre moyen de 22 injections hebdomadaires, (la médiane est de 21). 36 % associent de la cocaïne, 19 % de la codéïne, 6 % d’autres opiacés, 14 % des benzodiazépines, 7 % du rohypnol et 16 % de l’alcool. Le produit de début est le cannabis (46 %), l'héroïne (34 %), l'alcool (7 %).

75 % des sujets ont eu des sevrages institutionnels antérieurs à leur entrée dans le programme. 46 % ont eu un surdosage. 35 % ont fait une tentative de suicide et 45 % ont eu un recours au service des urgences.
Le test de sérodiagnostic VIH est effectué dans 96 % des cas. Il est alors positif pour 28 % des sujets. Parmi eux, 46 % ont une forme asymptomatique, 35 % une forme clinique mineure, 11 % une forme clinique majeure.

Au niveau des hépatites virales (B ou C), 64 % des toxicomanes sont ou ont été infectés, toutefois pour 5 % cette information n’existe pas, 7 % n'ont pas fait le test et pour 1 700 sujets, il n’existe aucune indication. Pour les questionnaires les plus récents, hépatites B et C sont distinguées : cette dernière est trois fois plus fréquente en terme d’infection actuelle. 1 % des patients a une tuberculose actuellement, 11 % ont d'autres infections. Les taux de non-réponses à ces questions sont relativement élevés, entre 15 et 20 %, montrant les difficultés à établir les situations sanitaires lors du bilan initial (DIMARIA).
Parmi les femmes, 42 % ont des antécédents obstétricaux. On note des grossesses en cours pour 7 % des patientes.

Au niveau socio-démographique, la moyenne d'âge des sujets à l'admission est de 32 ans, plus élevée que dans les centres de soins (29 ans).
On note une surreprésentation de femmes par rapport aux autres prises en charge (29 %), une majorité de français (93 %). 54 % des patients sont célibataires, 34 % vivent en couple, 39 % sont parents. Pour les hommes, 36 % ont été réformés, seuls 25 % ont effectué le service militaire.
Le niveau scolaire est souvent plus élevé que celui des patients des centres de soins (23 % ont un niveau bac ou plus). Une qualification professionnelle existe dans 69 % des cas. 18 % des patients ont une activité professionnelle continue, et 30 % une activité intermittente. 20 % bénéficient du RMI, seulement 5 % n’ont aucune protection sociale. Parmi les catégories citées : 41 % sont des employés, 32 % sont des ouvriers.

L'origine des ressources indique pour la majorité des sujets une insertion sociale et professionnelle globalement satisfaisante : seuls 7 % n'ont aucune ressource et 11 % mentionnent une source de revenus autre que le travail ou des aides, à rapprocher des 31 % ayant un endettement non maîtrisé.
Au niveau de l'entourage habituel, on remarque une présence familiale importante (45 % des parents, 38 % un conjoint, 26 % des enfants), seuls 13 % vivent seuls et 5 % vivent en institution. Seuls 4 % sont SDF (HERMALIN).
Au niveau légal, les difficultés sont nombreuses, puisque 49 % ont été incarcérés. La médiane de la durée d’incarcération est de 14 mois (PEREZ).

Au niveau de la substitution, 29 % ont déjà été inclus dans un programme agréé de substitution (623 cas n’indiquent rien).
18 % ont eu de la méthadone et 44 % ont déjà pris de la buprénorphine.
Ce pourcentage révèle-t-il, en terme d'évaluation statistique, un taux minimal d'échec "provisoire" de telles interventions ?
En terme clinique, il faut nuancer ces résultats : des prises en charge de natures diverses (sevrage, substitution en ambulatoire, inclusion dans un protocole Méthadone) peuvent être complémentaires et s'inscrire dans des moments différents du parcours du toxicomane, sans se poser nécessairement en terme "d'échec".

Parmi les 1 388 sujets qui disent avoir pris un produit à visée substitutive, 35% indiquent la codéine, 21 % le temgésic, 20 % d'autres opiacés et 6 % des médicaments.

Au bout du premier mois de prescription de méthadone, la dose moyenne est 65 mg et il y a 5 venues hebdomadaires en moyenne.

A l'entrée, le bilan urinaire est positif à la méthadone (12 %), à un autre opiacé (87 %), à un autre toxique (48 %).
Un suivi socio-éducatif est indiqué pour 53 % des cas.

Au niveau de la gravité des comportements, sur plusieurs échelles, des notes moyennes aux différents bilans sont établies pour les attitudes de prévention (risques sanguin et sexuel), les troubles anxieux et psychologiques, les comportements de délinquance et l’insatisfaction des relations familiales et sociales (RYAN, RUTHERFORD).

Pour les attitudes de prévention, les moyennes des risques de contamination sanguine et sexuelle, sont de 3 (médiane 2)

Pour les données psychologiques, les scores apparaissent très différents :

troubles anxieux, moyenne et médiane : 4 ; troubles dépressifs, moyenne et médiane : 3 ; troubles psychotiques moyenne 2 (médiane 1) ; troubles du comportement, moyenne 2 (médiane 2) ; troubles alimentaires, moyenne 2 (médiane 1). Les niveaux d’insatisfaction familiale indiquent 4 et 3 en moyenne et médiane, et l’insatisfaction sociale montre une moyenne et une médiane de 4. Pour les conduites de délinquance, la gravité est en moyenne de 2, la médiane est de 2.

Les traitements associés sont des antidépresseurs (18 %), des neuroleptiques (12 %), d’autres psychotropes (39 %).

ETUDE DES PATIENTS SUIVIS A 1 AN

D’après les informations recueillies à l’INSERM tous les 6 mois, 949 sujets ont été suivis entre 1 an et 17 mois, parmi les 4 147 sujets ayant commencé un traitement avant le 31 Mai 1997 (PEREZ, STIGLER).

Au niveau toxicologique et médical, il s’agit d’usagers d’héroïne à 94 %. Le produit principal de dépendance est l’héroïne pour 80 % des consultants (à 21 ans en moyenne). L’injection intraveineuse est (ou a été) pratiquée par 94 % des sujets, avec un nombre moyen de 22 injections hebdomadaires. 41 % associent de la cocaïne et 35 % de la codéïne (à 17 ans en moyenne). Le produit de début est le cannabis (49 %), l’héroïne (29 %), l’alcool (8 %).

La durée de dépendance n’est pas significativement différente entre l’échantillon suivi à un an et l’échantillon total, par contre, la durée totale d’intoxication apparaît plus longue d’1 an (test significatif), mais ils ont un an de plus.

80 % des sujets ont eu des sevrages institutionnels antérieurs à leur entrée dans le programme (5 en moyenne). 48 % ont eu un surdosage. 39 % ont fait une tentative de suicide. 44 % ont eu recours au service des urgences, 20 % ont eu une hospitalisation psychiatrique.
Le test de sérodiagnostic VIH est effectué dans 97 % des cas. Il est alors positif pour 28 % des sujets. Parmi eux, 39 % ont une forme asymptomatique, 43 % une forme clinique mineure, 11 % une forme clinique majeure (THOME).

Au niveau des hépatites virales (B ou C), 70 % des toxicomanes sont infectés, mais 12 % ignorent leur statut sur 735 sujets ayant donné une information. Pour l’hépatite C, l’information complète est disponible sur 212 sujets. Parmi eux, 55 % sont actuellement infectés, 19 % l’ont été et 10 % ignorent leur statut.
1,4 % des patients ont une tuberculose actuellement, 12 % ont d’autres infections.
Parmi les femmes, 48 % ont des antécédents obstétricaux. On note des grossesses en cours pour 8 % des patientes.

Au niveau socio-démographique, la moyenne d’âge des sujets à l’admission est de 33 ans (32 ans pour le 1er entretien).
On note une surreprésentation relative par rapport à l’échantillon total, de femmes (31 %), une majorité de français (94 %). 49 % des patients sont célibataires, 36 % vivent en couple, 42 % sont parents. Pour les hommes, 39 % ont été réformés, seuls 25 % ont effectué le service militaire.
Le niveau scolaire est plus élevé (27 % ont un niveau bac ou plus). Une qualification professionnelle existe dans 72 % des cas. 21 % des patients ont une activité professionnelle continue et 27 % une activité intermittente. 19 % bénéficient du RMI.

L’origine des ressources indique pour la majorité des sujets une insertion sociale et professionnelle globalement satisfaisante : seuls 4 % n’ont aucune ressource et 11 % mentionnent une source de revenus autre que le travail ou des aides. 31 % ont un endettement non maîtrisé.
Au niveau de l’entourage habituel, on remarque une présence familiale importante (48 % des parents, 41 % un conjoint, 30 % des enfants), seuls 13 % vivent seuls et 4 % vivent en institution. Des difficultés sociales antérieures sont importantes, 45 % ont été incarcérés ; la moyenne du temps d’incarcération étant de 24 mois.

Au niveau de la substitution, 23 % ont déjà été inclus dans un programme agréé de substitution. 18 % ont eu de la méthadone et 43 % ont déjà pris de la buprénorphine.
Parmi les 47 % qui disent avoir pris un produit à visée substitutive, 39 % indiquent la codéine, 24 % le temgésic, 22 % d’autres opiacés et 12 % des médicaments.

Au bout du premier mois de prescription de méthadone, la dose moyenne est 64 mg (médiane 60) et il y a 5 venues hebdomadaires.
A l’entrée, le bilan urinaire est positif à la méthadone (11 %), à un autre opiacé (91 %), à un autre toxique (48 %).
L’échantillon suivi à 1 an est très proche de l’échantillon total, toutefois la dose moyenne de méthadone apparaît plus faible (test significatif) et des suivis antérieurs de traitement avec des produits de substitution sont moins fréquents, suggérant l’existence moins importante « d’échecs » dans le traitement (MAREMMANI, WARD, DEGLON).

L’évolution des comportements est mesurée par les différentes échelles. Les notes moyennes entre le bilan initial et l’état au bout d’un an de traitement montre soit une stabilité, soit une amélioration (BENDER).

Les améliorations sont notables en moyenne, plus sur les attitudes et les comportements que sur l’état psychologique des patients (MUSSELMAN, MINO, CAPLEHORN, ABBOTT).

L’interprétation des différentes moyennes observées sur chacune des échelles est à compléter par des études multidimensionnelles, prenant en compte l’ensemble des échelles. Ainsi, une étude partielle sur les 491 premiers sujets suivis durant 1 an suggère trois types d’évolution, différenciés nettement, où il semble que l’amélioration à 1 an s’exerce d’abord sur les niveaux de difficultés spécifiques les plus élevés.

L’évolution des sujets est appréciée également au niveau des usages de produits (FAIRBANK, FOLTIN).

Les conduites toxicomaniaques sont peu repérées lors des suivis mais les produits suivants sont signalés :

En usage habituel, cocaïne 1 %, alcool 12 %, opiacés 4 %, benzodiazépines 17 %, autres produits 20 %.
En usage intermittent, cocaïne 4 %, alcool 10 %, opiacés 10 %, benzodiazépines 7 %, autres produits 7 %.
En usage occasionnel, cocaïne 17 %, alcool 21 %, opiacés 35 %, benzodiazépines 16 %, autres produits 13 %.

Les événements survenus durant le suivi sont : des tentatives de suicide 4 %, des surdosages 5 %, des accidents 2 %, des traumatismes 8 %, des hospitalisations psychiatriques 7 %, des recours aux urgences 10 %.

Les traitements associés sont des antidépresseurs (35 %), des neuroleptiques (17 %), d'autres psychotropes (50 %). Un suivi socio-éducatif est réalisé dans 48 % des cas.
Au niveau du traitement, la dose moyenne est de 62 mg (60 en médiane).
Les venues hebdomadaires sont en moyenne de 2. La fréquence mensuelle des consultations est de 2 en moyenne ; 45 % ont des entretiens psychothérapiques, 3 en moyenne par mois.


III - DISCUSSION


III - 1. Utilité des indicateurs globaux : il importe au niveau national de disposer d'une batterie d'indicateurs globaux qui permette d'apprécier l'impact d'une politique de santé globale sur une période de plusieurs années.
L'intérêt de disposer d'un tel ensemble d'indicateurs est de permettre de suivre l'évolution nationale et d'autoriser des comparaisons internationales, comme par exemple avec les indicateurs suggérés par les experts épidémiologistes du Conseil de l'Europe.

Parmi les difficultés rencontrées, il faut citer l’organisation des services et le délai souvent long qu'il faut accepter pour apprécier les modifications éventuelles. Par exemple, le suivi des demandes de sevrages aux services des urgences serait important, parmi les motifs de recours.

III - 2. Nécessité de définir des indicateurs spécifiques à toute intervention
Trois niveaux sont indispensables à définir :

les sous-groupes de la population concernés par l'intervention doivent être caractérisés par des facteurs précis : variables socio-démographiques, individuelles ou environnementales ;

l'action donne lieu à un descriptif rigoureux : objectifs, moyens utilisés et stratégie d'action. Ce descriptif pourra être répété à plusieurs moments de l'action si celle-ci dure une longue période, afin de mesurer d'éventuelles modifications ;

l'étude longitudinale qui doit permettre une mesure "avant-après" de l'action de santé est à planifier dans le cadre de protocole précis : il peut s'agir des mêmes sujets suivis pendant la durée de l'action sur lesquels les mêmes indicateurs seront mesurés ; ou bien deux groupes de sujets différents, mais déterminés de façon représentative d'une même population avant et après l'action pourront être examinés par rapport aux mêmes indicateurs. C'est leur évolution qui permettra de juger de l'efficacité de l'action, si on fait l’hypothèse que d’autres intéractions n’existent pas.


CONCLUSION

Pour les traitements, comme pour les actions de prévention, les études évaluatives utilisant des méthodologies quantitatives comme l'épidémiologie sont rares. Les difficultés de leur mise en place, nécessitant des moyens importants et la définition de critères précis, faciles à mesurer de façon répétitive, en sont probablement la cause.
Toutefois on assiste à présent à un réel souci d'évaluation accompagnant toutes les étapes d'une action de santé :

état des lieux pour définir les besoins d'une population ; protocole de l'action ; suivi d'indicateurs spécifiques.

Même si les fluctuations d'interprétation sont importantes, expliquées souvent par les délais entre l'action et son impact, un effort de rigueur est nécessaire pour définir également, outre les indicateurs eux-mêmes, les conditions d'interprétation de leur sens de variation en terme d'efficacité de l'action.



(1) Groupe de travail : J. Dugarin, X. Legall, S. Wieviorka, C. Jacob, P. Prat, F. Laurent

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