Dans le domaine de la toxicomanie, contrairement à d'autres phénomènes de santé et de comportement, les travaux de recherche ne se sont pas appuyés d'emblée sur la démarche épidémiologique et le raisonnement statistique à partir de populations ou de groupes de populations.
L'option française d'anonymat des soins (loi de 1970) a entraîné directement l'absence de registres des sujets traités, contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne ou les USA.
L'installation d'un système de soins spécialisé en toxicomanie, indépendant des structures existantes en santé mentale ou en alcoologie, sest faite à partir des interventions multiples : médicale, sociale, psychologique ou à caractère éducatif.
Tous ces choix, législatifs et thérapeutiques marqués par de nombreux changements, n'ont pas été propices au développement d'études quantitatives régulières.
Toutefois depuis quelques années, épidémiologistes, cliniciens et responsables de santé publique ont organisé des enquêtes, avec certaines adaptations des méthodes statistiques permettant d'aborder des questions comme :
Les trois axes de l'épidémiologie sont adaptés à ce type de questionnement avec :
Autant théoriquement, la méthode apparaît adaptée au problème, autant dans la pratique les difficultés rencontrées sont nombreuses :
Cependant, les méthodes d'échantillonnage et les comparaisons internationales des recherches apportent des suggestions dans la construction des études évaluatives.
Ainsi le Conseil de l'Europe avec des experts épidémiologistes a retenu une liste d'indicateurs pertinents en toxicomanie :
Lensemble de ces indicateurs permet de relativiser les « clientèles » des lieux de soins et dapprécier lefficacité globale des politiques à travers le suivi de ces indicateurs.
Les études utilisant tout ou partie de ces indicateurs montrent que l'apport de l'épidémiologie dans la démarche d'évaluation se situe à deux niveaux essentiellement :
Par contre, lensemble des traitements proposés aux toxicomanes na pas donné lieu à des démarches évaluatives aussi structurées.
Les résultats se sont trouvés très nuancés, faisant apparaître différents sous-groupes : l'amélioration pouvant être appréciée pour 40 % des toxicomanes traités. Toutefois, 5 % des sujets sont capables d'abandonner des attitudes protectrices déjà acquises et 24 % persistent dans un refus de protection.
Cet exemple illustre également la difficulté d'interprétation des critères d'évolution des sujets. Doit-on retenir les 40 % ayant amélioré leur comportement pour juger de l'efficacité de la mesure, et mettre en place parallèlement d'autres moyens de prévention plus individualisés pour les autres sujets, soit qu'ils retombent, soit qu'ils persistent dans une attitude de risque ?
Dans un contexte de Santé Publique, les objectifs de l'évaluation sont les suivants :
Pour mesurer l'impact de mesures de prévention sur une population cible, la méthode épidémiologique la plus adaptée est une enquête de type "Avant-Après", c'est-à-dire une étude comportant deux recueils : le premier appréciant le comportement des sujets toxicomanes avant l'application des mesures ; le second appréciant ce comportement après l'application des mesures. Théoriquement, les deux recueils doivent utiliser les mêmes critères de jugement, les autres caractéristiques définissant la population devant rester stables. Ces deux études complémentaires peuvent être réalisées soit sur les mêmes sujets soit sur deux échantillons représentatifs de la population cible, avant et après l'action (METZGER, EKLUND).
Apprécier l'efficacité de la prévention par un recueil avant et un recueil après suffit lorsque l'action à évaluer est ponctuelle, courte dans le temps et très précise ; or dans l'enquête présente, l'action à évaluer est longue, difficile à cerner par des critères objectifs et directs.
Le principe d'une étude longitudinale est arrêté, devant permettre de suivre l'évolution des patients traités au niveau de :
Les questionnaires individuels sont élaborés par la Commission Nationale (1) des traitements de substitution et comportent des aspects socio-démographiques, toxicologiques, sanitaires, psychologiques et comportementaux. Des échelles dappréciation des risques et difficultés rencontrés par les patients complètent les questions portant sur des événements ou des situations.
Lorganisation de la prescription de méthadone a évolué depuis 94 et des relais en médecine générale sont devenus possibles pour des patients dont léquipe du centre spécialisé estime quils sont stabilisés, par rapport à leur traitement et à leur mode de vie (PEREZ, DUGARIN et al., ANONYME, GOSSOP, VERTHEIN).
Pour le suivi épidémiologique, quelques aménagements sont réalisés : le bilan initial et les suivis sont effectués par le centre primo-prescripteur, jusquau relais en médecine libérale. Le médecin dès lors, prend également le relais des suivis épidémiologiques successifs, en liaison avec le centre.
Ces outils expérimentaux sont validés sur 1 697 patients, confirmant la première validation faite sur les 300 cas vus dans les premiers centres prescripteurs de méthadone. Les deux études statistiques, reposant sur des analyses factorielles des correspondances multiples démontrent la validité de loutil et la fiabilité des scores. La progression des notes attribuées sur les échelles visuelles est très similaire pour lappréciation des risques de contamination, les niveaux dinsatisfactions ; les troubles dépressifs et anxieux montrent une répartition similaire, sauf pour le score le plus élevé réservé à un groupe très limité, semble-t-il.
Au niveau de la méthodologie, différents outils dévaluation de patients bénéficiant de prescription de méthadone sont utilisés depuis de nombreuses années dans dautres contextes de Santé Publique (SAXON, RUTHERFORD).
La commission nationale française, dès 1993, a opté pour un outil spécifique, qui tient compte des expériences des premiers programmes, des nouveaux besoins de soins et qui soit plus proche des préoccupations des cliniciens, que certains outils de recherche.
Dautres pays ont fait des choix semblables, même sils se privent ainsi de comparaisons internationales, ils optent pour des considérations locales par rapport aux conditions dapplication des traitements ou aux enjeux actuels de Santé Publique (UCHTENHAGEN, VERTHEIN, DEGLON).
Au niveau toxicologique et médical, il s'agit d'usagers d'héroïne à 93 %. Le produit principal de dépendance est l'héroïne pour 79 % des consultants. L'injection intraveineuse est (ou a été) pratiquée par 93 % des sujets, avec un nombre moyen de 22 injections hebdomadaires, (la médiane est de 21). 36 % associent de la cocaïne, 19 % de la codéïne, 6 % dautres opiacés, 14 % des benzodiazépines, 7 % du rohypnol et 16 % de lalcool. Le produit de début est le cannabis (46 %), l'héroïne (34 %), l'alcool (7 %).
75 % des sujets ont eu des sevrages institutionnels antérieurs à leur entrée dans le programme. 46 % ont eu un surdosage. 35 % ont fait une tentative de suicide et 45 % ont eu un recours au service des urgences.
Le test de sérodiagnostic VIH est effectué dans 96 % des cas. Il est alors positif pour 28 % des sujets. Parmi eux, 46 % ont une forme asymptomatique, 35 % une forme clinique mineure, 11 % une forme clinique majeure.
Au niveau des hépatites virales (B ou C), 64 % des toxicomanes sont ou ont été infectés, toutefois pour 5 % cette information nexiste pas, 7 % n'ont pas fait le test et pour 1 700 sujets, il nexiste aucune indication. Pour les questionnaires les plus récents, hépatites B et C sont distinguées : cette dernière est trois fois plus fréquente en terme dinfection actuelle. 1 % des patients a une tuberculose actuellement, 11 % ont d'autres infections. Les taux de non-réponses à ces questions sont relativement élevés, entre 15 et 20 %, montrant les difficultés à établir les situations sanitaires lors du bilan initial (DIMARIA).
Parmi les femmes, 42 % ont des antécédents obstétricaux. On note des grossesses en cours pour 7 % des patientes.
Au niveau socio-démographique, la moyenne d'âge des sujets à l'admission est de 32 ans, plus élevée que dans les centres de soins (29 ans).
On note une surreprésentation de femmes par rapport aux autres prises en charge (29 %), une majorité de français (93 %). 54 % des patients sont célibataires, 34 % vivent en couple, 39 % sont parents. Pour les hommes, 36 % ont été réformés, seuls 25 % ont effectué le service militaire.
Le niveau scolaire est souvent plus élevé que celui des patients des centres de soins (23 % ont un niveau bac ou plus). Une qualification professionnelle existe dans 69 % des cas. 18 % des patients ont une activité professionnelle continue, et 30 % une activité intermittente. 20 % bénéficient du RMI, seulement 5 % nont aucune protection sociale. Parmi les catégories citées : 41 % sont des employés,
32 % sont des ouvriers.
L'origine des ressources indique pour la majorité des sujets une insertion sociale et professionnelle globalement satisfaisante : seuls 7 % n'ont aucune ressource et 11 % mentionnent une source de revenus autre que le travail ou des aides, à rapprocher des 31 % ayant un endettement non maîtrisé.
Au niveau de l'entourage habituel, on remarque une présence familiale importante (45 % des parents, 38 % un conjoint, 26 % des enfants), seuls 13 % vivent seuls et 5 % vivent en institution. Seuls 4 % sont SDF (HERMALIN).
Au niveau légal, les difficultés sont nombreuses, puisque 49 % ont été incarcérés. La médiane de la durée dincarcération est de 14 mois (PEREZ).
Au niveau de la substitution, 29 % ont déjà été inclus dans un programme agréé de substitution (623 cas nindiquent rien).
18 % ont eu de la méthadone et 44 % ont déjà pris de la buprénorphine.
Ce pourcentage révèle-t-il, en terme d'évaluation statistique, un taux minimal d'échec "provisoire" de telles interventions ?
En terme clinique, il faut nuancer ces résultats : des prises en charge de natures diverses (sevrage, substitution en ambulatoire, inclusion dans un protocole Méthadone) peuvent être complémentaires et s'inscrire dans des moments différents du parcours du toxicomane, sans se poser nécessairement en terme "d'échec".
Parmi les 1 388 sujets qui disent avoir pris un produit à visée substitutive, 35% indiquent la codéine, 21 % le temgésic, 20 % d'autres opiacés et 6 % des médicaments.
Au bout du premier mois de prescription de méthadone, la dose moyenne est 65 mg et il y a 5 venues hebdomadaires en moyenne.
A l'entrée, le bilan urinaire est positif à la méthadone (12 %), à un autre opiacé (87 %), à un autre toxique (48 %).
Un suivi socio-éducatif est indiqué pour 53 % des cas.
Au niveau de la gravité des comportements, sur plusieurs échelles, des notes moyennes aux différents bilans sont établies pour les attitudes de prévention (risques sanguin et sexuel), les troubles anxieux et psychologiques, les comportements de délinquance et linsatisfaction des relations familiales et sociales (RYAN, RUTHERFORD).
Pour les attitudes de prévention, les moyennes des risques de contamination sanguine et sexuelle, sont de 3 (médiane 2)
Pour les données psychologiques, les scores apparaissent très différents :
Les traitements associés sont des antidépresseurs (18 %), des neuroleptiques (12 %), dautres psychotropes (39 %).
Daprès les informations recueillies à lINSERM tous les 6 mois, 949 sujets ont été suivis entre 1 an et 17 mois, parmi les 4 147 sujets ayant commencé un traitement avant le 31 Mai 1997 (PEREZ, STIGLER).
Au niveau toxicologique et médical, il sagit dusagers dhéroïne à 94 %. Le produit principal de dépendance est lhéroïne pour 80 % des consultants (à 21 ans en moyenne). Linjection intraveineuse est (ou a été) pratiquée par 94 % des sujets, avec un nombre moyen de 22 injections hebdomadaires. 41 % associent de la cocaïne et 35 % de la codéïne (à 17 ans en moyenne). Le produit de début est le cannabis (49 %), lhéroïne (29 %), lalcool (8 %).
La durée de dépendance nest pas significativement différente entre léchantillon suivi à un an et léchantillon total, par contre, la durée totale dintoxication apparaît plus longue d1 an (test significatif), mais ils ont un an de plus.
80 % des sujets ont eu des sevrages institutionnels antérieurs à leur entrée dans le programme (5 en moyenne). 48 % ont eu un surdosage. 39 % ont fait une tentative de suicide. 44 % ont eu recours au service des urgences, 20 % ont eu une hospitalisation psychiatrique.
Le test de sérodiagnostic VIH est effectué dans 97 % des cas. Il est alors positif pour 28 % des sujets. Parmi eux, 39 % ont une forme asymptomatique, 43 % une forme clinique mineure, 11 % une forme clinique majeure (THOME).
Au niveau des hépatites virales (B ou C), 70 % des toxicomanes sont infectés, mais 12 % ignorent leur statut sur 735 sujets ayant donné une information. Pour lhépatite C, linformation complète est disponible sur 212 sujets. Parmi eux, 55 % sont actuellement infectés, 19 % lont été et 10 % ignorent leur statut.
1,4 % des patients ont une tuberculose actuellement, 12 % ont dautres infections.
Parmi les femmes, 48 % ont des antécédents obstétricaux. On note des grossesses en cours pour 8 % des patientes.
Au niveau socio-démographique, la moyenne dâge des sujets à ladmission est de 33 ans (32 ans pour le 1er entretien).
On note une surreprésentation relative par rapport à léchantillon total, de femmes (31 %), une majorité de français (94 %). 49 % des patients sont célibataires, 36 % vivent en couple, 42 % sont parents. Pour les hommes, 39 % ont été réformés, seuls 25 % ont effectué le service militaire.
Le niveau scolaire est plus élevé (27 % ont un niveau bac ou plus). Une qualification professionnelle existe dans 72 % des cas. 21 % des patients ont une activité professionnelle continue et 27 % une activité intermittente. 19 % bénéficient du RMI.
Lorigine des ressources indique pour la majorité des sujets une insertion sociale et professionnelle globalement satisfaisante : seuls 4 % nont aucune ressource et 11 % mentionnent une source de revenus autre que le travail ou des aides. 31 % ont un endettement non maîtrisé.
Au niveau de lentourage habituel, on remarque une présence familiale importante (48 % des parents, 41 % un conjoint, 30 % des enfants), seuls 13 % vivent seuls et 4 % vivent en institution. Des difficultés sociales antérieures sont importantes, 45 % ont été incarcérés ; la moyenne du temps dincarcération étant de 24 mois.
Au niveau de la substitution, 23 % ont déjà été inclus dans un programme agréé de substitution.
18 % ont eu de la méthadone et 43 % ont déjà pris de la buprénorphine.
Parmi les 47 % qui disent avoir pris un produit à visée substitutive, 39 % indiquent la codéine, 24 % le temgésic, 22 % dautres opiacés et 12 % des médicaments.
Au bout du premier mois de prescription de méthadone, la dose moyenne est 64 mg (médiane 60) et il y a 5 venues hebdomadaires.
A lentrée, le bilan urinaire est positif à la méthadone (11 %), à un autre opiacé (91 %), à un autre toxique (48 %).
Léchantillon suivi à 1 an est très proche de léchantillon total, toutefois la dose moyenne de méthadone apparaît plus faible (test significatif) et des suivis antérieurs de traitement avec des produits de substitution sont moins fréquents, suggérant lexistence moins importante « déchecs » dans le traitement (MAREMMANI, WARD, DEGLON).
Lévolution des comportements est mesurée par les différentes échelles. Les notes moyennes entre le bilan initial et létat au bout dun an de traitement montre soit une stabilité, soit une amélioration (BENDER).
Les améliorations sont notables en moyenne, plus sur les attitudes et les comportements que sur létat psychologique des patients (MUSSELMAN, MINO, CAPLEHORN, ABBOTT).
Linterprétation des différentes moyennes observées sur chacune des échelles est à compléter par des études multidimensionnelles, prenant en compte lensemble des échelles. Ainsi, une étude partielle sur les 491 premiers sujets suivis durant 1 an suggère trois types dévolution, différenciés nettement, où il semble que lamélioration à 1 an sexerce dabord sur les niveaux de difficultés spécifiques les plus élevés.
Lévolution des sujets est appréciée également au niveau des usages de produits (FAIRBANK, FOLTIN).
Les conduites toxicomaniaques sont peu repérées lors des suivis mais les produits suivants sont signalés :
Les traitements associés sont des antidépresseurs (35 %), des neuroleptiques (17 %), d'autres psychotropes (50 %). Un suivi socio-éducatif est réalisé dans 48 % des cas.
Au niveau du traitement, la dose moyenne est de 62 mg (60 en médiane).
Les venues hebdomadaires sont en moyenne de 2. La fréquence mensuelle des consultations est de 2 en moyenne ; 45 % ont des entretiens psychothérapiques, 3 en moyenne par mois.
Parmi les difficultés rencontrées, il faut citer lorganisation des services et le délai souvent long qu'il faut accepter pour apprécier les modifications éventuelles. Par exemple, le suivi des demandes de sevrages aux services des urgences serait important, parmi les motifs de recours.
III - 2. Nécessité de définir des indicateurs spécifiques à toute intervention
Trois niveaux sont indispensables à définir :
Pour les traitements, comme pour les actions de prévention, les études évaluatives utilisant des méthodologies quantitatives comme l'épidémiologie sont rares. Les difficultés de leur mise en place, nécessitant des moyens importants et la définition de critères précis, faciles à mesurer de façon répétitive, en sont probablement la cause.
Toutefois on assiste à présent à un réel souci d'évaluation accompagnant toutes les étapes d'une action de santé :
Même si les fluctuations d'interprétation sont importantes, expliquées souvent par les délais entre l'action et son impact, un effort de rigueur est nécessaire pour définir également, outre les indicateurs eux-mêmes, les conditions d'interprétation de leur sens de variation en terme d'efficacité de l'action.
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