Ces dernières années, l'évolution a été majeure dans le champ de la prise en charge des toxicomanes. Autrefois le sevrage était l'unique attente des patients, des familles, des professionnels.
Il existait un schéma idéalisé sevrage-postcure, schéma idéalisé tant par les patients que par les équipes. L'admission dans de nombreuses structures spécialisées passait et passe encore par l'abstinence de tout produit.
La pression des patients, des familles était grande, le manque de lits de sevrage également, les listes d'attente étaient longues.
Nous nous trouvions quotidiennement confrontés à des sujets en manque.
Les pratiques larges de substitution ont radicalement modifié la situation : le sevrage est devenu une modalité thérapeutique parmi d'autres.
Les pratiques de substitution des opiacés sont souvent plus valorisées que le sevrage. Celui-ci n'a plus pour seul objectif l'abstinence définitive de tout produit. Il peut s'agir de sevrage partiel chez des polytoxicomanes destiné à instaurer une substitution de qualité. Il peut s'agir d'un sevrage ayant pour objectif l'amélioration de la qualité de vie, le sevrage-abstinence n'étant pas d'actualité pour le patient.
Parallèlement, le développement des structures et des politiques de soins permet dans la plupart des régions de disposer de possibilités d'hospitalisation facile pour des sevrages. Il appartient alors aux équipes soignantes de s'adapter à ces nouveaux types de sevrage, notamment le sevrage partiel.
Ces divers éléments nous permettent de travailler dans un contexte plus souple. A la diversité des situations répond une diversité des réponses possibles. La situation de l'offre est telle que le dialogue est plus facile, les demandes de médicaments pour pallier le manque sont plus rares ; il est possible d'évaluer beaucoup plus facilement la situation. Dans ce contexte l'élaboration de la demande sera meilleure. Encore sommes nous probablement dans une période intermédiaire entre l'ère des opiacés et celle des psychostimulants.
Le moment, l'opportunité peuvent être envisagés selon le patient et selon le médecin.
Selon le patient : le point le plus évident est sa demande, demande étayée par des éléments de sa vie psychique et sa volonté de changement par rapport à son existence.
Nous l'avons déjà souligné, il est beaucoup moins fréquent que par le passé que cette demande se situe dans l'urgence. Il est plus facile de préciser la demande thérapeutique du patient et d'élaborer un projet de soins qui soit le sien propre. L'important est de parvenir à une alliance thérapeutique dont les objectifs sont revus au fur et à mesure avec le patient, en le renforçant dans son désir de changement.
Comme toujours en Psychiatrie le temps et la continuité des soins sont des alliés thérapeutiques.
D'une manière générale l'objectif de tout sevrage est de s'intégrer dans une dynamique de changement.
Nombre de sevrages se situent actuellement dans une perspective d'amélioration de la qualité de vie au sens large somatique, psychique et social.
L'opportunité de ces sevrages se dégage en fonction de la situation, de l'histoire du sujet, d'un bilan psychologique, médical et social :
Les familles comprennent mal les démarches de substitution par le corps médical, attendant plutôt des propositions de sevrage.A l'occasion d'une grossesse, il est assez fréquent que les femmes toxicomanes demandent un sevrage : l'arrêt brutal des opiacés n'est pas sans risque pour le foetus, le temps de la gestation et du post-partum est potentiellement une période de réactivation des angoisses et des conflits, aussi est-il préférable de différer le sevrage, proposer là encore un traitement de substitution.
Dans le même cadre, on peut noter aussi les situations ou des troubles psychiatriques préexistants rendent délicat le sevrage par le risque de réapparition de symptômes dépressifs ou psychotiques par exemple. Rappelons qu'il est inutile de proposer un sevrage trop précocément à un sujet pharmacodépendant, dans la période "lune de miel". Le deuil du produit serait alors impossible et compromettrait les possibilités de sevrage ultérieur.
Il apparaît ainsi que dans nombre de cas, le sevrage n'est pas opportun, il s'agit d'accompagner le sujet dans sa toxicomanie et de l'aider à résoudre divers problèmes liés à sa conduite toxicomaniaque (problèmes socio-économiques, complications psychiatriques ou somatiques) "Il s'agit de s'inscrire dans une stratégie thérapeutique où l'abandon de tout produit licite ou illicite n'est pas d'actualité" (S. Wieviorka).
Il apparaît ainsi que le sevrage se situe davantage dans un objectif de qualité de vie que dans une perspective idéalisée d'abstinence.
Le contexte actuel permet de se situer dans la hiérarchisation des besoins. Il devient possible de donner plus de place à la maturation de la décision.
L'éventail des possibilités thérapeutiques est large : avec ou sans substitution, avec ou sans hospitalisation, hospitalisation en médecine, en psychiatrie, en unité spécialisée avec ou sans postcure.
Schématiquement il apparaît que si le moment du sevrage revient au toxicomane, l'opportunité en est négociée entre l'équipe thérapeutique et le patient. Le patient accepte l'idée que "quelque chose" va changer dans sa vie au quotidien, que "quelque chose" va lui manquer, il doit être préparé à ce manque et pouvoir envisager de changer concrètement sa vie quotidienne.
Enfin, le choix du cadre relève in fine du médecin et des moyens dont il dispose. L'essentiel est que celui-ci permette la continuité du projet thérapeutique.
Le sevrage ambulatoire est décidé et mené à bien par le sujet ; il est plus long mais avec une efficacité symbolique plus importante. Rien n'empêche de finaliser un sevrage en ambulatoire par une hospitalisation. Elle sera vécue dans un contexte différent, le sujet se sentant plus actif, plus organisateur. La régression est moins intense, le projet thérapeutique plus achevé, les repères plus nets.
Toutefois le sevrage en ambulatoire suppose que le sujet soit capable de gérer sa pharmacodépendance, c'est-à-dire qu'il puisse la vivre dans une confrontation aux risques et qu'il ait un entourage compréhensif. Cela suppose qu'il puisse adhérer au traitement qui lui sera proposé : en particulier comprendre qu'en ambulatoire il n'existe pas de traitement miracle qui comble le manque.
L'analyse de la demande, de la motivation est essentielle. La possibilité d'un "soutien rapproché" est déterminant et "tout sevrage ambulatoire se bâtit sur le trépied sujet-thérapeute-soutien" (P. Binder).
Les appuis sont à chercher auprès des proches, des structures spécialisées.
Certains éléments contre-indiquent le sevrage ambulatoire ou le rendent délicat :
Dans ce type de situations, il s'agit de prévoir rapidement une hospitalisation et de discuter l'indication du lieu de l'hospitalisation : médecine - psychiatrie.JM Piquet a décrit les quatre grandes fonctions du cadre :
Schématiquement, les sevrages de toxicomanes sans trouble majeur de la personnalité peuvent être réalisés dans des lits de médecine.
Les toxicomanes présentant des troubles de personnalité seront plus volontiers hospitalisés dans des unités psychiatriques formées à ce type de patients. Quoi qu'il en soit il faut souligner l'importance de la pluridisciplinarité des équipes, de la collaboration entre les structures intra et extra hospitalières et de la gestion coordonnée des situations individuelles.
Le sevrage-abstinence coexiste à présent avec des sevrages partiels ou encore sélectifs qui sont des étapes préalables à la maturation d'un projet thérapeutique qui tendrait vers l'abstinence.
Bien qu'il soit désacralisé ou desidéalisé, le moment du sevrage demeure un moment délicat. Il est la mise en acte du désir secret et ambivalent de tout toxicomane d'abandonner sa pharmacodépendance. Les produits de substitution d'une part et l'engouement pour les psychostimulants d'autre part modifient les indications comme le cadre des sevrages.
Il n'est pas exclu que les médecins, compte-tenu de l'importance des polytoxicomanies soient amenés de plus en plus à proposer des sevrages dits de régulation qui permettent d'améliorer la qualité de vie et l'abord psychologique de la pharmacodépendance.
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