érentes modalités de soins et d'accompagnement après sevrage à court, moyen, et long terme. (Au niveau médical, psychologique, social)


Francois HERVÉ


Association Le Trait d’Union,
154 rue du vieux pont de Sèvres, 92100 Boulogne


On ne peut évoquer les suites du sevrage indépendamment de la dynamique dans laquelle ce temps particulier s’inscrit. En effet, l’accompagnement suivant le sevrage apparaît d’autant plus efficace qu’il a été préalablement préparé, le projet de suite soutenu durant le temps du sevrage, inscrivant ainsi le patient dans une trajectoire cohérente.

Quel qu’en soit la forme, un accompagnement doit toujours être proposé, le succès du traitement dépendant en grande partie de la qualité de ce dernier. Comme tout soin apporté aux toxicomanes, il doit être individualisé, tenir compte de la spécificité de la personne concernée, de ses attentes, et recueillir son adhésion. Ses modalités doivent donc être librement choisies, parmi différentes propositions.

Ce préalable étant posé, il faut rappeler que la diversité des situations rencontrées appelle des modalités différentes d’accompagnement post sevrage.
En effet, il va falloir traiter dans la suite du sevrage ce qui était en cause dans la genèse même de la toxicomanie du patient, mais aussi les conséquences psychiques et sociales liées à l’intoxication, d’autant plus sévères que celle-ci a été importante et le cadre de son déroulement dégradé.
L’accompagnement et les soins mis en place ont une double fonction : permettre une certaine « protection » immédiate du patient, fragilisé par le sevrage, et au delà de ce premier temps, l’aider à construire ou restaurer un cadre personnel lui permettant d’accéder à une meilleure qualité de vie, conforme à ses aspirations et ses possibilités.

Au moins quatre points sont alors à prendre en compte :

  • Le suivi médical. Ce point de vue médical étant abordé par ailleurs, je ne l’évoquerai pas.
  • L’accompagnement social, qui vise à restaurer l’inscription sociale du patient, l’aider dans les éventuelles démarches administratives, qu’elles soient liées à l’identité, à l’accès aux soins, à l’accès au logement, etc.
  • Le suivi éducatif, qui vise à aider par la relation, le dialogue et l’accompagnement actif à résoudre les problèmes rencontrés au quotidien, à (re)construire un environnement personnel suffisamment satisfaisant. Cela passe par un apprentissage à faire les négociations nécessaires à la vie en société, qu’elles concernent la vie relationnelle, où le rapport au travail, aux loisirs, à l’argent, etc.
  • Le soutien psychologique, qui vise à prendre en compte les modifications de l’économie psychique induites par le sevrage, en particulier les aspects dépressifs fréquents, et, au delà de ce premier temps, à rendre plus satisfaisant pour le patient son rapport à lui même et aux autres. Ce soutien est nécessaire tout au long de la prise en charge, avant, pendant, et après le sevrage. Parfois, il peut déboucher sur une psychothérapie.
  • Les problématiques recouvertes par ces quatre points sont souvent intriquées. Parfois, ou à certains moments en fonction de l’évolution de la personne, un de ces axes doit être privilégié.
    Ces différentes dimensions de l’accompagnement, dont on a dit qu’il est préférable qu’il soit engagé avant le sevrage, doivent se concrétiser dès la fin de celui-ci, (voire pendant si le sevrage est réalisé en ambulatoire), les priorités évoluant en fonction du déroulement de la prise en charge.


    ÉVOLUTION DES PRIORITÉS

    A court terme

    La qualité de l’environnement est primordiale au sortir du sevrage. On ne peut raisonnablement envisager d’accompagnement psychologique pour une personne qui ne sait ni où dormir ni comment se nourrir. La construction d’un environnement favorable est donc une priorité de l’après sevrage. Une attention toute particulière doit donc être portée au cadre de vie : celui-ci doit être suffisamment contenant et sécurisant afin de limiter les situations tant d’ennui que de stress qui potentiellement, conduisent aux réintoxications. Il est d’autre part préférable que le cadre de vie, au sortir du sevrage, ne soit pas associé à des prises de drogues passées.
    Au delà de l'hébergement, ce doit être aussi un cadre relationnel, permettant de (re)nouer des liens, (re)trouver des rythmes, retrouver une assise sociale et suffisamment de sécurité et d’assurance personnelle.
    Lorsqu’un tel cadre peut être mis en place, un suivi ambulatoire peut être proposé associant en fonction des nécessités, les quatre points évoqués plus haut.
    En revanche, si un tel cadre de vie n’est pas réalisable en s’appuyant sur l’entourage proche, ou s’il ne paraît pas « suffisamment bon » au regard des possibilités et ressources personnelles du patient, un lieu institutionnel peut être proposé. Il en existe de plusieurs types, pouvant répondre à différentes attentes. S’ils peuvent répondre dès la sortie du sevrage, ils s’inscrivent déjà dans un projet de prise en charge à moyen terme.
    Si une période d'attente est nécessaire pour bénéficier d'une prise en charge en ces lieux, un hébergement de transition, en appartement individuel ou en structure collective peut souvent être organisé, pour un temps variant de quelques jours à quelques semaines.

    A court et moyen terme

    L’intérêt des centres d’hébergement spécialisé est de proposer le plus souvent, conjointement à l’hébergement, un accompagnement social et psychothérapique, s’inscrivant ainsi comme des lieux de transition entre le sevrage et la pleine autonomie.

    Postcure

    Ce sont de petites unités dont la capacité est limitée à 20 places, et la durée de séjour à un an. L’accueil des toxicomanes, anonyme et gratuit, est basé sur le volontariat. L’encadrement, assuré par une équipe de professionnels, est permanent.

    D'une manière générale, la finalité de ces centres est d'apporter des aides psychologiques, éducatives, sociales et parfois médicales afin que le résidant puisse retrouver des capacités d'autonomie dans sa vie psychique et sociale, à travers une double expérience : celle de l'abstinence et celle d'une vie de groupe régulée. Précisons que dans un certain nombre de postcures coexistent maintenant des personnes abstinentes et des personnes bénéficiant de traitements de substitution. La postcure offre une possibilité de "prendre de la distance" dans un espace protégé et dans un temps limité pour des personnes qui n'arrivent pas à rompre autrement avec le produit, le mode de vie et le monde qui s'y rattache. La participation à la vie quotidienne, les entretiens individuels, les réunions de groupe, les activités à l’intérieur ou à l’extérieur du lieu constituent les outils de travail de la postcure.

    Largement ouverts sur l’extérieur, ou au contraire délibérément axés sur l'éloignement, ces centres sont implantés en ville ou en zone rurale, et offrent des modalités et des styles de prise en charge diversifiés : selon les lieux, le séjour des patients peut s’organiser autour d’activités créatives, sportives, d’ateliers de production (entraînant alors rémunération ou indemnités) ou ouvertement de travail psychothérapique. Certains centres travaillent plus spécifiquement sur l’insertion professionnelle.

    Cette diversité ouvre la possibilité d'orienter chaque usager en fonction de l'évaluation de son projet personnel et permet de poser de véritables indications.

    Communautés thérapeutiques

    Pour un certain nombre de toxicomanes, le type de prise en charge individualisée proposé en postcure apparaît inadéquat ou peu accessible. Les communautés thérapeutiques proposent un hébergement collectif davantage axé sur la responsabilisation au sein d'une dynamique du groupe, soutenu par une équipe de professionnels, et privilégiant un "co-étayage" entre les résidants.

    Ces structures récentes accueillent jusqu’à 50 personnes, pour un séjour pouvant durer jusqu’à deux ans. Elles sont organisées autour d’une activité centrale, chaque résident y prenant sa part. Une évaluation du devenir des patients hébergés en ces lieux est cependant nécessaire afin de mieux en apprécier les indications.

    Il convient d'exclure de ces indications les communautés gérées par des sectes et qui servent de vitrine à leur idéologie.


    Appartements thérapeutiques relais

    Parfois collectifs (trois ou quatre personnes) ou le plus souvent individuels, ces appartements sont fondus dans le tissu urbain. Une participation financière à l’hébergement peut être demandée, et les personnes hébergées sont suivies, le plus souvent par une équipe pluridisciplinaire, sur rendez-vous dans l’appartement ou au centre d’accueil qui les gère. Réglementairement, la durée du séjour ne peut excéder une année. Les patients peuvent en bénéficier soit directement au sortir du sevrage, soit après un temps d’hébergement collectif.

    Ce mode de prise en charge permet aux patients de se tester dans les conditions les plus proches de la vie sociale « normale ». L’absence d’encadrement permanent réserve ces structures aux personnes ayant la capacité d’être seules, et dont la distance avec les drogues est suffisamment grande. Sous certaines conditions, il est souvent possible d’accueillir des couples, et des personnes accompagnées d’enfant(s). Des services plus spécifiques, dits d’ « appartements de coordination thérapeutique », tournés vers l’accès aux soins, sont accessibles aux toxicomanes malades du sida. Certains services pratiquent le système du bail glissant, permettant à la personne, une fois stabilisée de conserver l’appartement en son propre nom.


    Les familles d'accueil

    Ce sont des familles volontaires, formées et appartenant à des réseaux encadrés par des professionnels. Elles perçoivent une indemnité en fonction de la présence effective d’une personne chez elles. La famille d’accueil, non professionnelle, engage son histoire familiale, son expérience de vie, son style et ses usages, et offre ainsi un espace relationnel singulier et personnalisé, une sorte d’aire intermédiaire, qui va confronter le patient à une histoire autre que la sienne. Les séjours vont aussi favoriser, chez le résidant, un travail autour du lien et de la séparation.

    La famille d’accueil apparaît comme une bonne indication pour les toxicomanes dont l’enfance et/ou l’adolescence a été émaillée de nombreux placements en institution et pour ceux dont les séjours en postcure se sont répétés. Dans ce cas, l’indication d’un accueil en famille peut être le moyen de sortir d’un système de répétitions qui conduit généralement à l’échec thérapeutique.

    Il existe plusieurs types d’accueil en famille, qui vont de la famille "relais", qui intervient après le sevrage physique et avant la postcure, à la prise en charge de quelques mois. Cette différenciation des temps et des modes d'accueil correspondent à des objectifs et des indications différentes.


    Dans ces différents cadres, le soutien psychologique est lié à l’ensemble du travail de l’équipe, lorsque la dynamique de la prise en charge est cohérente, que le patient se sent accepté, compris et soutenu dans l’ensemble des difficultés qu’il rencontre. Un interlocuteur privilégié permet souvent au patient d’aller un peu plus loin dans l’énoncé de ses difficultés. Il faut cependant insister sur l’intérêt de la présence d’un psychologue ou d’un psychiatre dans l’équipe, afin de maintenir un réel éclairage psychologique quant à la situation du patient.

    Un accompagnement psychologique plus spécifique et individualisé est souvent nécessaire et doit être apporté par un professionnel qualifié, psychologue clinicien, psychiatre, sous forme de rencontres régulières ou à la demande. Ce travail vise alors à favoriser les interactions entre le patient et son entourage, la mise en mots de ses expériences, la mise en lien du passé, du présent et de l’avenir, la restauration d’une place à la pensée et aux échanges.

    Un soutien spécifique, peut également être proposé aux familles, sous forme de guidance parentale, de groupe de familles. Lorsque cela est possible et souhaitable une thérapie familiale peut être indiquée. Précisons que le soutien à la famille peut être proposé à tous les stades de la prise en charge, pré- et post-sevrage.

    Il faut aussi signaler que pour un certain nombre de patients, une prise en charge psychiatrique parallèle à celle de la toxicomanie est indispensable.


    A moyen et long terme

    Il est souvent plus difficile de rester abstinent à long terme que de se sevrer. Les moyens pour y parvenir sont divers, allant d’un cadre permettant de tenir à distance en permanence la rechute, jusqu’à un réaménagement psychique profond, ces deux façons de procéder se conjuguant de préférence avec une bonne insertion socioprofessionnelle.

    Un cadre tenant la rechute à distance : un tel soutien peut être trouvé auprès des associations d’anciens usagers, de type « Narcotiques Anonymes ». Le principe est de tenir 24 h par 24 h sans drogues. Il y existe un système de parrainage qui crée un lien avec un ex-usager sollicitable en cas de tentation de reprendre des drogues. Certains trouvent dans cette dimension groupale un soutien important. Signalons néanmoins que les principes sur lesquels reposent ces groupes sont parfois contradictoires avec ceux des psychothérapies engagées : par exemple, l’une des premières règles de NA est que « l’on ne peut rien à ce qui nous arrive », ce qui s’oppose au discours des éducateurs et thérapeutes qui souvent soutiennent le contraire !


    La psychothérapie

    Si la majorité des patients se satisfait de l’étayage et des aménagements permis par les accompagnements pluridisciplinaires précédemment évoqués, une minorité souhaite s’engager dans un travail de fond sous forme d’une psychothérapie. Le choix est alors vaste, il en existe de plusieurs types, souvent dites « d’inspiration psychanalytique ». L’engagement dans une psychothérapie, voire une psychanalyse, suppose que le patient ait trouvé une certaine stabilité, que la drogue soit déjà à une certaine distance. Il faut aussi qu’il ait une question, un "point aveugle" qui le pousse dans cette démarche qui va consister à travailler sa propre histoire, son propre désir.
    La psychothérapie peut aussi concerner l'ensemble de la famille, les interactions entre ses membres, selon un modèle systémique.


    L’insertion

    Cette dimension ne se pose pas de façon identique pour tous les patients. Elle recouvre en fait deux réalités : des personnes en grande difficultés sociales, préalables ou consécutives à leur toxicomanie, ou des personnes dont le milieu professionnel ou les conditions de travail sont un facteur de facilitation de la rechute. Dans ce dernier cas, le patient peut être soutenu dans ses démarches auprès de son employeur ou des organismes publics concernés par la recherche d'emploi (ANPE). En revanche, dans le premier cas, l’insertion professionnelle passe souvent par une formation qualifiante. Certains organismes privés ou publics dispensent de telles formations. Il existe aussi quelques centres de postcure axés sur la formation professionnelle des « anciens toxicomanes ».
    Selon la situation de départ de la personne, cet accompagnement peut être plus ou moins long, et plus ou moins efficient. Il faut signaler que certains patients, tant en raison de leur problématique personnelle que de l’environnement économique, ne parviennent pas à s’insérer professionnellement. Il est alors nécessaire, tout en maintenant une perspective d’insertion à long terme, de les accompagner vers l’accès aux aides et prestations de droit commun.


    Conclusion

    Au delà de tout ce qui peut être mis en place, les aléas de la vie jouent un rôle essentiel: positif lorsqu’un patient rencontre l’amour avec ce que cela implique de remaniement psychique, fragilisant lorsqu’il est confronté à l'échec, à la perte et au deuil. Nul ne peut prévoir ces accidents du destin, d’où la nécessité pour les professionnels de dédramatiser et déculpabiliser les rechutes, et de toujours maintenir l’alliance thérapeutique avec le patient et non avec l’ordre moral.

    Il est clair aussi que la multiplicité des situations rencontrées ne peut être traitée par un seul type de professionnel, ni par une seule institution. De nombreux acteurs sont souvent impliqués, à des titres divers, dans vie du patient : services spécialisés en toxicomanie, mais aussi médecins de ville, secteur psychiatrique, services sociaux, services judiciaires, services de médecine, etc.

    Il est donc nécessaire de privilégier, non seulement la pluridisciplinarité, mais aussi le partenariat, et la dynamique de réseau, au centre duquel se trouve le patient, afin au cas par cas, de pouvoir recentrer la prise en charge sur l’un des partenaires lorsque le patient se disperse, ou au contraire répartir cette même prise en charge sur plusieurs acteurs lorsque l’intérêt du patient le nécessite. Encore faut-il pour cela, à court, moyen et long terme, maintenir un esprit d’ouverture et de dialogue, tant avec le patient qu’avec les partenaires.