Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants



Interactions entre les parcours médicaux, sociaux et judiciaires

Quelles sont, en fonction des différents types d'expertises, les questions auxquelles l'expert est amené à répondre et quelles peuvent en être les implications pour la prise en charge médicale ?

Dr B. CORDIER*, Dr C. GIRAUDIER, Mme M. BROUSSE

* Psychiatre - Hôpital Foch - Suresnes

Pour mieux en dégager les implications médico-psychologiques, nous allons tout d'abord resituer la question posée dans son contexte médico-légal. Dès qu'une plainte est déposée pour maltraitance sexuelle, si la justice a besoin d'être éclairée, elle ordonne des expertises médicales et/ou psychologiques.

Qu'entend-on par « maltraitances sexuelles » ? Le nouveau Code Pénal en vigueur depuis le 01/03/1994, ne parle pas de maltraitance sexuelle mais prévoit plusieurs types d'infractions sexuelles à l'encontre d'un adulte ou d'un mineur de 15 ans : le harcèlement, l'exhibition, les atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans sans violence, contrainte, menace ni surprise et les agressions sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise, qualifiées crimes en cas de pénétration sexuelle de quelque nature qu'elle soit.
De quelle instance judiciaire s'agit-il ? Selon le type et le stade de la procédure, la justice est représentée par le parquet ( procureur, substitut des mineurs, officiers de police judiciaire,Š), par un magistrat instructeur, par un juge des enfants ou par une juridiction de jugement qui juge l'auteur de l'infraction sexuelle. Indépendamment de cette procédure pénale, la victime qui souhaite une indemnisation peut saisir la CIVI (cf ci-dessous).

Quelles sont les expertises demandées ? Rappelons qu'une expertise médicale est un acte à visée non thérapeutique demandé à un médecin par une autorité ou un organisme afin d'apprécier l'état de santé d'une personne et d'en évaluer les conséquences qui ont des incidences pénales, civiles, administratives ou contractuelles. Si l'autorité mandante agit conformément à des dispositions figurant dans un code ou un règlement administratif, cet acte est une expertise, sinon c'est en principe un simple avis technique. En l'occurrence, les examens de victimes demandés peuvent être d'ordre somatique, surtout si les faits sont récents et/ou d'ordre psychiatrique ou médico-psychologique.

Pour mieux comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés la justice et les experts dans les affaires sexuelles, nous rappellerons tout d'abord la finalité judiciaire de ces expertises, nous nous interrogerons sur la compétence des experts puis nous poserons les problèmes spécifiques aux expertises de victimes adultes et ceux aux expertises de mineurs, avant de faire des suggestions à cette Conférence.

I. La finalité des expertises de victimes :

En matière d'agressions sexuelles ou autres, la justice poursuit deux objectifs essentiels : établir la vérité et évaluer l'éventuel préjudice. Pour ce type d'infraction, la « vérité judiciaire » est d'autant plus difficile à établir que les éléments matériels sont souvent précaires voire inexistants. A ce sujet, M. SAUVAGE (1) écrit « face à cette difficulté, essentielle, le juge est confronté à deux tentations : tout d'abord celle de l'inaction qui peut prendre le masque extrêmement séduisant du respect de la présomption d'innocence au mépris des droits de la victime ; la seconde tentation consiste à transmettre le fardeau de l'établissement de la preuve à l'expertise, alors qu'il appartient au juge seul de décider si les faits sont établis ou non, bien sur en s'appuyant sur différents éléments dont les expertises. ». Avec une grande franchise, ce magistrat , en évoquant cette seconde hypothèse, nous fournit une explication plausible à la persistance de la question sur la crédibilité de la victime, toujours posée à l'expert malgré sa contestation (2). Nous y reviendrons. Quand à l'objectif du préjudice à évaluer, problème spécifique aux victimes adolescentes et adultes, il faut rappeler que le procès pénal français, contrairement aux procédures anglo-saxonnes, se déroule en une seule phase (culpabilité et jugement) et cette question est donc posée avant même que la culpabilité de l'auteur et les faits soient établis. Le problème est le même pour l'examen psychiatrique d'un prévenu, sur l'état mental duquel l'expert est interrogé, alors même qu'il n'a pas été encore prouvé qu'il soit l'auteur des faits reprochés. Pour une victime présumée, l'expert doit donc rechercher d'éventuels troubles qui pourraient être compatibles avec ceux qu'une telle agression est supposée induire ! (3)

En ce qui concerne l'indemnisation de la victime, elle est accordée par le TGI (Tribunal de Grande Instance) ou par la Cour d'Assises, mais rien n'est prévu pour que la victime ait la possibilité d'imposer à l'auteur le versement des indemnités accordées au pénal. Par ailleurs, la victime peut introduire une action auprès de la CIVI en vue du versement de l'indemnité accordée au pénal. Toutefois, il faut souligner que la CIVI est autonome (principe de l'autonomie consacré par la jurisprudence de la Cour de Cassation) et n'est pas tenue par les décisions indemnitaires du pénal. Aussi, de nouvelles expertises peuvent être demandées, le cas échéant pour évaluer les séquelles de la victime selon les règles du droit commun. Le préjudice de la victime fera l'objet d'une nouvelle évaluation par la CIVI et l'indemnité accordée sera versée par le Fonds de Garantie, qui ensuite se retournera vers l'auteur pour exercer un recours, en collaboration avec les parquets et les centres de détention.


II. La compétence des experts :

Le Décret du 31 décembre 1974, prévoit les conditions et la procédure d'inscription sur la liste d'expert commune aux juridictions pénales et civiles. Parmi ces conditions, celles relatives à la compétence sont laissées à l'appréciation des bureaux de cour d'appel car il est seulement prévu (article 2) que le candidat doit « exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité » et « avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions ayant pu conférer une suffisante qualification ». Indépendamment de ces critères d'inscription, nous nous permettons de soulever prudemment le problème de la qualité du « parc expertal psychiatrique français ». Faut-il rappeler que les mots « expert » et « expérience » ont la même étymologie, pour souligner que la justice ne devrait désigner que des praticiens qui exercent réellement l'activité spécifique à propos de laquelle ils sont sollicités. Le problème se pose particulièrement en pédopsychiatrie (cf. ci-dessous). Aux Etats-Unis, les fonctions d'expert ne peuvent être assumées dans un procès qu'avec l'accord de la Cour et de chacune des parties. La compétence de l'expert est vérifiée au cour d'un interrogatoire et d'un contre-interrogatoire concernant ses études, ses travaux et l'activité qu'il exerce habituellement (4).

III. Problèmes spécifiques aux expertises d'adultes victimes de maltraitances sexuelles :

Une étude a été réalisée sur 14 628 dossiers de victimes d'infractions indemnisées par le Fonds de Garantie à la suite d'une demande auprès de la CIVI.
Rappelons que le Fonds de Garantie est une société de droit privé, gérant des fonds publics, sous contrôle d'un conseil d'administration réunissant des responsables d'association de victimes, des représentants des ministères de la justice et des finances et des assureurs. Le Fonds de Garantie des victimes de Terrorisme et d'Infraction (FGTI), en ce qui concerne les victimes d'infractions, a une double mission : indemniser les victimes et exercer un recours contre l'auteur d'infraction sexuelle, soutenu par l'action des TPG (Trésoriers Payeurs Généraux) ou de l'administration pénitentiaire. Selon cette étude seulement 108 victimes sur 14 628 ont été expertisées, dont 17 mineurs de moins de 15 ans au moment des faits. Cette étude va être poursuivie par l'un d'entre nous (C. GIRAUDIER) qui en tant que médecin conseil national du fonds de garantie, a accès à des données nationales sur les indemnisations allouées par les différentes CIVI et aux diverses expertises pratiquées. Ces données n'ont, à notre connaissance, jamais été exploitées en France. Elles révèlent, ce que beaucoup de médecins ignorent, que l'expertise n'est qu'exceptionnellement réclamée par le juge qui s'estime tout à fait apte dans la grande majorité des cas à évaluer le préjudice de la victime sans l'aide d'un expert « psychiatre ». Cette étude nous amène à relativiser l'incidence de l'expertise dans des procédures d'indemnisation.

Il n'en reste pas moins que parmi les questions posées aux experts, celle de la crédibilité, a « la vie dure » et mérite l'attention de cette Conférence.

A noter, qu'elle n'est jamais posée dans le cadre de l'indemnisation.

III. 1. La question de la crédibilité

En 1983, deux psychiatres experts et une avocate (2) ont présenté au Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française, un rapport très complet sur cette question, étayé par les réponses à un questionnaire détaillé adressé à des magistrats et des experts psychiatres. Dans leurs conclusions, ils demandaient la suppression de l'examen de crédibilité. Vingt ans plus tard, on peut lire parmi les questions d'une mission type : « préciser s'il existe des raisons d'ordre médical ou psychologique autorisant à douter de la crédibilité de ses déclarations (celles de la victime présumée) ». En n'interdisant ni l'enquête de moralité, ni l'examen de crédibilité, la loi continue de faire peser la suspicion sur les victimes d'agressions sexuelles et sur elles seulement. Or, en droit, l'examen de crédibilité n'est ni obligatoire, ni même prévu par un texte. Les auteurs du rapport (2) écrivaient « il suffit cependant que l'un des accusés, ou son avocat, le demande, pour que le Juge, se retranchant derrière le prétexte fallacieux que, s'il n'a pas lieu, la défense en tirera argument, l'ordonne. ». Ils citaient une décision de la Cour d'Assises de Créteil qui avait acquitté trois violeurs d'une jeune femme qui avait refusé, par principe, l'examen de crédibilité. Certes, la question peut être formulée différemment selon le juge mais le problème de fond reste posé. Le plus souvent il est demandé de préciser le degré de crédibilité, ce qui peut se traduire dans les réponses en « fort, moyen ou faible. ». Une autre formulation fréquente est la suivante : « dire s'il s'agit d'un sujet anormalement suggestible ou influençable, si au contraire ses déclarations sont dignes de foi ». Mais on revient de loin, car, dans un passé pas si lointain, on a osé posé ainsi la question « dire s'il s'agit d'une personne vicieuse, perverse, portée à fabuler, à inventer, à mentir, ou au contraire d'une personne normale aux déclarations de laquelle il y lieu d'ajouter foi. Dire s'il existe ou non des raisons médicales d'écarter le témoignage de ces personnes (de préférence pour des adolescentes ou des enfants) ».

Quoiqu'il en soit, les experts considèrent presque toujours les victimes comme crédiblesŠ c'est-à-dire comme ne présentant pas de caractères psychopathologiques les prédisposant aux délires, à la mythomanie, à l'histrionisme. (1) M. SAUVAGE remarque à juste titre qu'on peut être mythomane, délirant et avoir été agressé ou violé et, a contrario, on peut être ni mythomane, ni délirant et accuser sciemment un innocent en obéissant à des mobiles non-pathologiques. En définitive, l'examen de crédibilité a peu d'intérêt pour la recherche de la vérité (1).

III. 2 La question du préjudice

Sa détermination a pour le juge deux objets (1) : sa réparation et donc son évaluation d'une part et, d'autre part, le prononcé de la peine. Si la maltraitance a été perpétrée au cours de l'enfance, la question du préjudice ne peut être raisonnablement traitée qu'à la fin de l'adolescence. Dans la grande majorité des cas, il est demandé à l'expert psychiatre de décrire les troubles constatés chez l'intéressée, d'établir l'imputabilité de ces troubles à l'agression sexuelle en cause et de proposer si cette imputabilité est retenue, une date de consolidation « des blessures », une estimation précise des périodes d'ITT (Incapacité Temporaire total de Travail) et d'ITP (Incapacité Temporaire Partielle), un taux d'IPP (Incapacité Permanente Partielle), une évaluation quantifiée (en utilisant une échelle de 0 à 7) du quantum doloris (QD) et éventuellement une description du retentissement professionnel. Ceci impose une connaissance certaine des critères médico-légaux en matière d'imputabilité et de réparation du « dommage corporel » ce qui à priori est hors du champ de compétence des psychologues. L'évaluation du taux d'IPP doit se faire par référence à l'un des barèmes en « droit commun » publié en citant ledit barème (3). Mais il faut ici rappeler quelques évidences du dommage corporel : dans le cadre d'une expertise médicale en droit commun, l'expert doit évaluer non pas une lésion mais une séquelle. Par exemple, dans le cas d'une fracture, si celle-ci aboutit à une consolidation sans déformation, ni limitation de mouvement, le médecin doit conclure à un taux d'IPP nul. Cela n'empêche pas la victime d'être indemnisée de ses souffrances endurées (QD) et du préjudice esthétique s'il y en a un. Si la fracture évolue de façon pathologique et limite des mouvements ou entraîne une gêne fonctionnelle, l'expert accorde une IPP en plus des souffrances endurées et du préjudice esthétique. Si on assimile le viol à une lésion, la réaction à cette lésion peut être physiologique, c'est-à-dire aboutir à la reconstruction d'un individu qui ne sera jamais le même mais qui sera malgré tout en pleine possession de ses moyens et que l'on ne peut pas définir en permanence comme un être diminué : il y a bien un préjudice mais ce n'est pas une IPP. Au même titre qu'il existe après la perte d'un être cher des évolutions vers des « deuils pathologiques », il existe aussi des « deuils physiologiques » (heureusement les plus nombreux) et même si le souvenir douloureux est toujours présent, on ne raisonne pas dans ce cas en terme d'IPP mais en terme de préjudice moral. Par analogie, nous pensons que l'on peut dans certains cas, à distance de l'agression sexuelle, conclure à une IPP nulle, ce qui ne veut pas dire que l'on n'indemnisera pas la victime car il existe évidemment un préjudice indemnisable comme tel par le magistrat au titre du préjudice moral. Ce préjudice n'est pas forcément un dommage. Un dommage suppose une pathologie séquellaire avec diminution de la capacité physiologique, ce qui, heureusement, n'est pas souvent le cas en matière d'agression sexuelle.

Quand le médecin constate une évolution non-pathologique à la suite d'une maltraitance sexuelle, il est important pour la victime elle-même de savoir qu'elle s'est reconstruite et qu'elle n'est donc pas devenue une « handicapée ». C'est à la société de déterminer la valeur accordée au « préjudice viol », c'est-à-dire au juge, et il est malsain que l'expert médical s'instaure indemniseur en accordant des taux d'IPP qui sont fonction de sa propre représentation de l'agression sexuelle.

Enfin nous partageons la prudence de D. ZAGURY (6) lorsqu'il conseille de « peser soigneusement les indications des psychothérapies », en ajoutant « on n'accueille pas un événement qui s'est réellement passé, comme on accueille l'expression d'une souffrance névrotique. Ce n'est pas du tout la même chose. Le risque est alors de précipiter un effondrement en récusant la réalité de l'événement, ce qui télescope de façon catastrophique et intempestive le réel et l'imaginaire. »

Nous avons noté que l'étude sur les 14 628 dossiers révélait que les demandes d'expertise sont rares en matière d'agressions sexuelles. Mais, le juge n'étant pas a priori compétent pour constater une éventuelle pathologie psychiatrique sous jacente ou réactionnelle à l'agression, il ne doit pas hésiter à demander une expertise (ou être contraint de ne pas le faire faute d'expert) et à choisir un expert qui soigne habituellement des victimes de maltraitance sexuelle.


IV. Problèmes spécifiques aux expertises de mineurs victimes de maltraitances sexuelles :

IV.1 La question de la crédibilité :

Même remarque que pour les victimes adultesŠ quel degré de crédibilité accorder à la réponse à une telle question !ŠMême si des échelles de crédibilité de l'enfant ont été récemment proposées.

IV. 2 Le problème de la compétence :

Il a déjà été abordé pour les expertises en général, mais il se pose de manière beaucoup aiguë pour les enfants et adolescents victimes. En effet la loi du 17/06/1998 préconise des expertises médico-psychologiques des enfants victimes, mais elles sont souvent confiées à des psychiatres ou des psychologues qui n'exercent pas quotidiennement une activité de soins en psychiatrie infanto-juvénile. Faut-il rappeler que l'évaluation psychologique globale d'un être « en devenir », tel que l'enfant, est difficile mais elle devient particulièrement complexe si cet enfant a été victime de maltraitances sexuelles de la part d'un adulte, a fortiori s'il s'agit d'un proche. Un tel examen suppose une méthode très élaborée et quotidiennement entretenue. Elle ne peut être confiée à un psychiatre qui n'exerce pas en psychiatrie infanto-juvénile, même s'il possède un CES ou un DES de pédopsychiatrie. Mais ce choix inadéquat des experts est principalement lié à l'insuffisance du nombre d'inscription de tels spécialistes sur les listes d'expert. Ainsi sur la liste des experts près la Cour d'Appel de Paris, il n'y a que 5 pédiatres et encore moins de pédopsychiatres !

IV.3 Expertise et audition des mineurs victimes :

La loi du 17/06/1998 précise les conditions dans lesquelles le mineur victime pourra faire l'objet d'une expertise médico-psychologique. Cette dernière pourra être ordonnée par le Procureur de la République dès le stade de l'enquête. Cette décision évite une double mesure d'investigation et ses conséquences pour la victime mineur. Afin d'éviter tout risque d'aggraver le traumatisme du mineur, l'expertise médico-psychologique n'est pas rendue obligatoire. Si elle est ordonnée, l'expert désigné aura pour mission d'apprécier la nature et l'importance du traumatisme subi et d'établir si celui-ci rend nécessaire des traitements ou des soins appropriés. Ces derniers seront pris en charge à 100 % par l'assurance maladie.

Par ailleurs, les conditions d'audition du mineur victime sont améliorées par cette loi. Elle systématise l'enregistrement audiovisuel ou audio des enfants victimes à compter du 01/07/1999. Ces nouvelles dispositions doivent limiter le caractère particulièrement éprouvant de ces moments de la procédure et éviter au mineur de répéter à maintes reprises ce qu'il a vécu, sachant que « redire c'est revivre ». En outre, il a le droit, au cours des auditions, des confrontations mais aussi durant l'enquête d'être accompagné d'une personne de son choix. Il pourra s'agir de l'un de ses proches, de l'administrateur ad hoc, d'un psychologue, d'un pédopsychiatre ou encore d'une personne investie d'un mandat du juge des enfants.

Mais revenons à l'expertise du mineur victime : elle est supposée cerner la personnalité du mineur, la qualité affective relationnelle de son entourage, la compétence éducative des parents et évaluer un éventuel dommage psychologique voire psychiatrique et son pronostic, à moyen et long terme. Pour l'expert scrupuleux, il ne s'agit plus d'un simple examen mais d'une véritable évaluation collatérale et longitudinale, de préférence pluridisciplinaire. Cet expert reste introuvable, d'où la désignation de professionnels de l'expertise, « omnispécialistes », rédacteurs de rapports, souvent trop superficiels, dont les juges submergés ne peuvent que se contenter. A propos du pronostic de la victime, l'un d'entre nous (B. CORDIER), soignant des agresseurs sexuels, s'est interrogé sur l'idée couramment répandue selon laquelle, en vertu du processus de répétition, une forte proportion (jusqu'à 60 % a-t-on dit !) de pédophiles ont été victimes d'agressions sexuelles dans l'enfance. De telles idées doivent être plus sérieusement étayées, car lorsqu'elles arrivent aux oreilles des parents d'un enfant victime d'une agression sexuelle, ils demandent qu'on le soigne pour qu'il ne devienne pas pédophile ! Or, selon une récente étude du Pr. D. SKUSE, de l'Institut de Santé de l'Enfant de Londres, cette idée est surévaluée : sur 224 victimes d'agressions sexuelles, seulement 12 % ont commis ultérieurement des agressions sexuelles, dans presque tous les cas sur des enfants et le plus souvent à l'extérieur de leur famille. Une telle incertitude sur ce processus de répétition justifie que l'on approfondisse les antécédents d'agression sexuelle allégués par des pédophiles : l'âge de survenue, le lien à l'agresseur, la réaction de l'entourage, etcŠ.


V. Propositions à discuter :

Ces propositions ont pour seul objectif de limiter les conséquences psychologiques négatives des expertises, par insuffisance ou par excès.

V.1. Pour les adultes :

- Convaincre la justice qu'elle doit renoncer à la tentation de l'examen de crédibilité. Cet examen n'est pas seulement illusoire, il perpétue une discrimination intolérable car il n'est demandé que pour des femmes et des enfants.

- Les expertises des adultes victimes de maltraitances sexuelles qui s'adressent à la CIVI pour obtenir une indemnisation sont moins souvent ordonnées que nous ne le pensions. Mais, en cas de doute sur une particulière vulnérabilité au sens du Code Pénal ou sur une réaction apparemment pathologique à une agression sexuelle, un magistrat doit pouvoir demander un avis spécialisé. Nous savons que des CIVI ont déjà désigné des psychologues pour des missions comportant une évaluation médico-légale. Si des experts psychiatres compétents et disponibles demeurent introuvables (dans un département français, il n'y a plus qu'un seul expert psychiatre sur la liste d'une Cour d'Appel !) , nous suggérons que soit désigné un médecin légiste. Il est formé pour être à la charnière du médical et du judiciaire, et il pourra se choisir un « sapiteur » psychiatre, pédopsychiatre ou psychologue, dont la tâche sera moins lourde.

V. 2. Pour les enfants :

- Après avoir fait le constat qu'il y a très peu d'experts inscrits sur les listes de pédopsychiatrie, qu'une véritable expertise d'enfant victime de maltraitance sexuelle nécessite une observation prolongée et pluridisciplinaire, que la fragilité particulière de l'enfant victime justifie qu'on lui évite l'épreuve des expertises multiples et redondantes, nous avons deux suggestions à soumettre à cette Conférence :

V.2.a. L'accueil de l'enfant victime dans des permanences ou unités médico-légales pluridisciplinaires :

Considérant que l'enfant victime est un enfant souffrant avant d'être enfant plaignant, les professionnels reconnaissent aujourd'hui la nécessité de mettre en place des équipes pluridisciplinaires, dans des structures adaptées qui recourent à la complémentarité des compétences pour conjuguer prise en compte de la souffrance de l'enfant victime et besoins de l'enquête et de l'instruction.
Le milieu hospitalier et en particulier le Service de Pédiatrie semble le plus à même pour répondre à cette mission. En ayant les compétences professionnelles pour évaluer la souffrance de l'enfant, pour interpréter sa parole et ses silences, l'équipe médico-psychologique (pédopsychiatres, pédiatres, psychologues et soignants) prépare le mineur à l'intervention nécessaire des Officiers de Justice.
Pour répondre à cet objectif, il a été créé à Béziers, sous l'égide de la Fédération « La Voix de l'Enfant », la première permanence d'accueil d'urgence pluridisciplinaire en milieu hospitalier d'enfants victimes d'agressions sexuelles.
L'établissement hospitalier a associé les acteurs internes et externes concernés par la démarche : composantes de l'hôpital, de la Justice-Police-Gendarmerie, Conseil Général, réseau social et Education Nationale. Un comité de Pilotage composé de l'ensemble des intervenants se réunit régulièrement pour évaluer le fonctionnement du dispositif, élaborer une procédure de prise en charge de ces enfants, étudier et définir les modalités de signalement et la question du recueil des données. La mise en ¦uvre de cette démarche prend appui sur une notion de réseau, porteuse d'une logique novatrice du point de vue des pratiques " inter-administrations ". (7)

V.2.b. Reconnaître une valeur expertale aux évaluations pluridisciplinaires des permanences ou des unités d'accueil :

Cette idée est déjà appliquée depuis plusieurs années au centre de MONTEFIORE situé dans le Bronx (état de New York, Etats Unis). L' « attorney » accorde la valeur d'une expertise à l'évaluation de l'équipe pluridisciplinaire du centre.

Les principales objections à ce mode de fonctionnement sont les suivantes :
- l'atteinte à l'exigence d'impartialité d'une expertise, la justice craignant légitimement que l'évaluation d'un thérapeute ne soit pas suffisamment objective ;
- Selon le code de déontologie des médecins « nul ne peut-être à la fois médecin expert et médecin traitant d'un même malade » (art 105).

Nous pensons comme l'équipe de Montefiore, que l'intérêt de mineur victime est d'être accueilli, évalué et guidé par une seule et même équipe. Il sera informé que cette équipe peut remettre un rapport pluridisciplinaire collégial aux autorités judiciaires qui lui reconnaîtront une valeur expertale au même titre que d'autres examens complémentaires, discutés au sein d'une expertise. Un tel fonctionnement est déjà utilisé par les experts médicaux lorsqu'ils doivent évaluer les séquelles d'un traumatisme crânien grave. Dans ce cas, les éléments dégagés par les bilans effectués dans le cadre des UEROS (Unité d'Evaluation de Réinsertion et d'Orientation Socio-professionnelle) permettent de mieux évaluer les séquelles des victimes.
En définitive, les permanences et les unités d'accueil pluridisciplinaire devraient être généralisées, elles sont l'un des carrefours où peuvent se rencontrer la médecine et la justice . Tout naturellement, elles ont vocation de préserver l'enfant victime de la ronde infernale des auditions, examens et autres par de multiples intervenants cloisonnés, en établissant un rapport d'évaluation globale à valeur expertale.

BIBLIOGRAPHIE

1. SAUVAGE M., Les expertises somatiques et psychiatriques de la victime : aspects judiciaires, in Agressions sexuelles : victimes et auteurs, sous la direction de Evry ARCHER, P 117-123, éditions l'Harmattan, 1998 ;

2. BENOIT G. et BARDET--GIRAUDON C., Le viol, Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de langue Française, LXXX1e session, Poitiers, édition Masson, 1983 ;

3. CORDIER B. et LEYRIE J., Expertises psychiatriques, édition Technique, Encyclopédie Médico-Chirurgicale (Paris-France), Psychiatrie, 37-902-A-10, 1992, 6 p ;

4. KAPLAN H.I., SADOCK B.J, GREBB J.A., Forensic psychiatry. In : Kaplan HI, Sadock BJ, Grebb JA eds. Synopsis of psychiatry. Behavioral sciences / clinical psychiatry (7ème éd.). Baltimore : Williams and Wilkins, 1994 : 1171-1188

5. GIRAUDIER O., Etude statistique à propos des cas d'agressions sexuelles et de viols depuis le 01.01.98, DEUG SV, Faculté de Cergy-Pontoise, 2001 ;

6. ZAGURY D., L'expertise psychiatrique de la femme adulte victime de viol, in Agressions sexuelles : victimes et auteurs, sous la direction de Evry ARCHER, P 105-116, éditions l'Harmattan, 1998 ;

7. CORDIER B. et BROUSSE M., Les infractions sexuelles : préventions des récidives et assistances aux mineurs victimes, Solvay Pharma Edit., 2000 ;


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Dernière mise à jour : dimanche 30 novembre 2003

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