Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants


Quel est le rôle du psychiatre au long du parcours judiciaire de la victime ?

Carol JONAS

psychiatre des hôpitaux, chef de service au CHU de TOURS, médecin légiste, docteur en droit, expert près la Cour d'Appel d'Orléans


Il n'est pas si éloigné le temps où nombre de personnes bien intentionnées, y compris des psychiatres, pensaient qu'il était bien souvent préférable de recommander à une victime d'abus sexuel de ne pas porter l'affaire en justice compte tenu de la difficulté du parcours judiciaire qualifié abruptement de « parcours du combattant ». Si la situation a aujourd'hui évolué, cette position de Ponce-Pilate connaît encore quelques défenseurs et ne repose pas uniquement sur une méconnaissance du monde de la justice par le corps médical ou sur le choix d'une fuite des responsabilités. De fait, chaque praticien qui a eu l'occasion de vivre à travers un ou plusieurs de ses patients (es), le déroulement d'une procédure d'enquête puis de jugement dans les affaires de violences sexuelles a pu mesurer les difficultés que cela suppose, la complexité de la procédure pour un non spécialiste et les interactions que cela peut entraîner dans l'évolution psychologique de son patient (sa patiente).

Il est certain que si l'épidémiologie des troubles consécutifs aux maltraitances sexuelles aussi bien que le diagnostic de ces pathologies et même maintenant les modalités de prise en charge sont mieux connues, les aspects particuliers de l'accompagnement médical de ce type de patients dans le cadre de la procédure judiciaire restent encore insuffisamment explorés. En d'autres termes, sur un plan très pratique, il n'est pas suffisant de savoir diagnostiquer une pathologie liée à un abus sexuel ni même de connaître les modalités thérapeutiques qui semblent être les plus efficaces, encore faut-il savoir prendre en charge le patient dans le contexte très particulier qui devient le sien lorsqu'une procédure est en cours, de son fait ou de celui du ministère public ou encore d'un tiers.

Le psychiatre doit se poser les questions des limites de sa mission, mais aussi des compétences spécifiques qui doivent être les siennes en ce domaine. En ce sens la connaissance des modalités de ce parcours judiciaire (exposé de Serge PORTELLI) et des effets potentiels du parcours sur la victime (exposé de Véronique SIBIRIL) sont des connaissances que le psychiatre doit acquérir. Nul doute qu'il jouera un rôle important voire majeur (et parfois exclusif) auprès de la victime durant un parcours judiciaire dont la durée, la procédure et parfois le formalisme sont souvent en contradiction avec les nécessités du travail thérapeutique. Il n'en demeure pas moins que dans ce cas le malade qui est également une victime devient un justiciable et que ces différentes étiquettes ne peuvent se résoudre en une seule.

Quel rôle doit jouer le psychiatre ? Jusqu'où doit-il aller ? Comment peut-il aider sa patiente ou son patient ? Quel contact devra-t-il accepter, voire rechercher avec les tiers ? Autant de questions dont il ne faut pas faire l'économie lorsqu'on accepte de prendre en charge une personne alléguant avoir été victime de violences sexuelles. Qu'il le veuille ou non le praticien devient alors, certes accessoirement, mais de manière indubitable et quasi obligatoire, un des acteurs de la procédure qui est en marche. Il ne doit pas se considérer comme un auxiliaire de justice ce qu'il est loin d'être mais il ne doit pas non plus se retrancher derrière une conception erronée du secret professionnel et de la confidentialité qui serait à la fois contraire aux intérêts de sa patiente et à certaines règles juridiques et déontologiques.

Ainsi à son rôle habituel de prise en charge et de soins, le médecin devra ajouter une capacité particulière d'accompagnement. Pour ce qui est de la prise en charge et des soins, le rôle de soutien bien connu des psychiatres et développé par ailleurs dans d'autres exposés de cette conférence de consensus, doit se doubler d'une capacité d'écoute peut être encore plus importante que pour des patients souffrant d'autres types de troubles.

Il est surtout important de souligner que le soutien prend une dimension particulière parce qu'une procédure d'enquête et de jugement est en cours.

Malgré les dispositions novatrices et protectrices de la loi du 17 juin 1998 , surtout pour ce qui concerne les mineurs qui peuvent désormais être accompagnés par un professionnel lors de leur audition, laquelle peut être enregistrée de manière à éviter les répétitions potentiellement traumatisantes , la procédure reste traumatisante pour la victime. Une participation efficace pour le fonctionnement social, et acceptable pour la victime suppose une capacité d'aide, de soutien, de prévention et d'explication que le psychiatre doit être à même de jouer.

Par ailleurs ce rôle d'accompagnement impose assez souvent des relations avec les tiers puisque la victime s'inscrit alors très clairement dans une vie sociale non seulement par ses relations avec sa famille et ses proches mais également par la nécessité de contacts avec les services de police, de justice, les avocats, les services sociaux, etc. Le psychiatre doit dans certains cas accepter d'entrer en contact avec les tiers, dans d'autres susciter ces contacts qui sont nécessaires à la prise en charge de la victime, mais dans certaines conditions maintenir le devoir de confidentialité qui est de l'essence même de son rôle médical.

Si le psychiatre a, une fois n'est pas coutume ce double rôle de prise en charge et d'accompagnement social, c'est bien parce que son patient est dans une situation particulière.

En effet classiquement le médecin soigne un malade qui vit dans un tissu social particulier. Le fait qu'il soit malade suppose un diagnostic puis la mise en ¦uvre du traitement approprié. Ici le praticien se trouve face à un état de stress postraumatique, à une pathologie anxieuse, à des troubles dépressifs, à des symptômes psychosomatiques voire à d'autres signes qui peuvent évoquer la réalité d'un abus sexuel (voir exposés précédents). Comme souvent les proches du patient, avec ou sans l'accord de celui-ci, souhaitent obtenir des informations. Il est alors nécessaire pour le praticien de déterminer si cette demande répond à une curiosité bienveillante, à une volonté d'apporter un soutien efficace, ou encore à une curiosité déplacée. La situation sera différente selon que l'on est face à un mineur ou un majeur. On sait cependant que la loi du 4 mars 2002 a introduit une nouvelle dérogation pragmatique à l'obligation de secret figurant désormais à l'article L1110-4 du code de la santé publique et permettant, sauf opposition du patient, de fournir à la famille, aux proches ou à la personne de confiance désignée par le malade les informations nécessaires « à leur permettre d'apporter un soutien direct » au patient. Cet article d'application générale trouve une traduction particulière en matière de victimologie et spécifiquement dans les abus sexuels. A qui peut-on être autorisé à parler, dans quelles conditions, de quelle manière et pour donner quelles informations ? Autant de questions qui doivent être soigneusement pesées. La position de refus obstiné de contact avec les tiers est tout autant préjudiciable à la victime que les renseignements fournis tous azimuts. Cet abord particulier de la question conduit également à s'interroger sur le rôle que l'on peut faire jouer à ces tiers. Doit-on ou non les intégrer dans la prise en charge ? De quelles manières ? Ces questions méritent d'être réfléchies.

Pourtant il s'agit là de questions finalement bien banales et qui n'ont rien de spécifiques aux pathologies présentées par les victimes d'abus sexuels. En revanche deux caractéristiques de la situation ont des conséquences majeures sur les modalités d'action du psychiatre en cette circonstance :
- il s'agit d'une victime
- le patient devient un justiciable

Victime. Parmi les nombreuses définitions que l'on peut proposer, il est légitime de retenir celle qui affirme qu'il s'agit d'un sujet ayant subi un préjudice. Cette définition est bien utile pour le juriste et le magistrat qui devront définir ce préjudice et en déterminer éventuellement les conséquences pour proposer la réparation sociale que prévoit le code civil. Pour le psychiatre ceci a deux conséquences essentielles.

- Même si la procédure prévoit à juste titre une expertise qui définira le préjudice et ses conséquences, les informations apportées par le psychiatre peuvent être particulièrement utiles pour permettre de bien comprendre un dommage qui ne se réalise pas instantanément comme un certain nombre d'autres, mais évolue au fil de la métabolisation du traumatisme par la victime et en fonction du traitement. En ce sens un certificat médical pourra avoir un intérêt crucial dans la procédure.

- La justice est à l'aise lorsqu'elle est face à des faits établis et des conséquences objectives. Devant des faits dont la matérialité est difficile, voire impossible à établir, et lorsque les conséquences sont subjectives, la tâche est beaucoup plus ardue. Elle cherchera donc à objectiver le préjudice de la victime. Le psychiatre doit se poser la question du rôle qu'il est susceptible de jouer dans cet objectivation. Il sait mieux que quiconque que la souffrance subjective de la victime n'est pas toujours comparable à l'observation objective (plus ou moins) d'un tiers. En ce sens, parce qu'il est un peu pris dans la procédure judiciaire, doit-il céder à l'objectivation ou non. Il est absolument indispensable qu'il soit capable de maintenir son rôle de médecin et donc de thérapeute et de prendre en compte avant tout la subjectivité de la victime sans pour autant oublier que la procédure judiciaire nécessite d'avoir un point de vue relativement objectif. Cette double tâche est un aspect essentiel de la prise en charge des victimes durant la phase judiciaire.

Justiciable. Le patient devient en effet un usager de la justice. Qu'il se soit ou non porté partie civile (cf exposé de Serge PORTELLI), qu'il soit à l'origine ou non de la procédure, il est engagé dans un processus qui vise avant tout à déterminer la responsabilité voire la culpabilité d'un tiers. Bien souvent comme on le sait les indices matériels de l'agression sexuelle sont minimes, ambigus ou inexistants. Se pose alors la question, que certains jugeront un peu sacrilège, de la crédibilité de la victime (voir exposé de Bernard CORDIER et al.). C'est une des spécificités essentielle de la situation. Certes, ça ne sera jamais au psychiatre traitant de résoudre le problème. Ce rôle est partiellement dévolu aux experts, mais au bout du compte c'est celui des magistrats ou du jury. Cependant cet aspect a des conséquences de divers ordres. Le simple fait de poser la question conduit à une relation différente entre le médecin et son patient. Dans la pratique nombre de psychiatres ont pu mettre en doute la crédibilité de leur patient quant à leurs allégations sur leurs relations avec des tiers (conjoint, employeur, famille, etc) sans pour autant dénier la réalité de la souffrance psychique qu'ils donnent à voir. Le médecin traite le patient pour sa souffrance et non pas en raison d'un préjudice qu'il estime avoir subi de la part d'un tiers. En revanche lorsque le même patient est confronté à la justice sa parole est évaluée car, de sa crédibilité ou non découleront des conséquences, parfois majeures, pour un tiers. Le psychiatre n'a certes pas à jouer un quelconque rôle d'auxiliaire de justice sur ce point quelque soit les demandes et pressions qui pourront lui être faites (et qui ne le sont jamais à ma connaissance). En revanche les informations qu'il pourra éventuellement transmettre dans un certificat peuvent influer sur l'évaluation de la crédibilité de la victime. Bien plus, selon que sa parole aura été entendue ou non la victime réagira différemment et sa symptomatologie peut en être modifiée. Ainsi connaît-on le rôle parfois cathartique du procès qui permet à la victime de dépasser sa symptomatologie car elle a obtenu une réparation à la fois réelle et symbolique. A l'inverse on a parlé de survictimation ou de revictimation lorsque la victime n'était pas entendue soit parce que l'on a réellement mis en doute sa crédibilité, soit parce que, faute de preuves suffisantes l'agresseur a été relaxé, acquitté ou a bénéficié d'un non lieu. La victime vit alors ce type de décision comme une mise en cause de sa propre parole, ce qui peut accentuer son trouble et donc mettre le psychiatre devant une situation plus difficile encore à traiter. Ainsi le psychiatre est-il confronté à quelques difficultés inhabituelles et ceux qui rencontrent régulièrement les victimes savent combien la symptomatologie peut être mouvante en fonction d'un certain nombre d'événements extérieurs qui apaisent ou réactivent le traumatisme initial. La procédure judiciaire, par son aspect formaliste et symbolique, par sa durée et ses conséquences, est certainement un des événements les plus marquants dans la trajectoire de la victime.

Prise en charge spécifique et accompagnement social, rédaction éventuelle de certificats, communication avec les tiers, proches ou institutionnel, gestion de la notion de crédibilité, autant d'aspects qui méritent d'être détaillés. L'enjeu est notamment de déterminer si tous les psychiatres doivent pouvoir intervenir pour les victimes d'abus sexuels ou si certains doivent se spécialiser en ce domaine. Il est aussi de permettre au praticien, soucieux d'aider au mieux leur patiente, de respecter les règles de droit et de déontologie qui s'imposent à eux dans cette situation comme dans les autres. Comme on le voit le psychiatre a à la fois un rôle médical, classique mais particulier du fait des circonstances (I) ainsi qu'un rôle socio-juridique qui est particulièrement spécifique (II).

I - UN RÔLE MÉDICAL CLASSIQUE MAIS PARTICULIER

Il n'est pas dans l'objet de cet exposé de développer les aspects diagnostiques et thérapeutiques qui sont propres à la prise en charge des patients présentant des troubles après abus sexuels mais peut être, avec beaucoup d'autres de préciser que la prise en charge est différente selon un certain nombre de paramètres dont l'âge, le sexe et le type d'abus sont sans doute les plus importants. Il n'y a pas lieu non plus d'insister sur les techniques de soins parfois particulières qui sont nécessaires. En revanche, comme nous l'avons précédemment développé il faut souligner que durant la phase judiciaire la symptomatologie peut se modifier, les tableaux cliniques être très différents, ce qui suppose une attention de tous les instants et un questionnement perpétuel. En effet comme le souligne notamment le guide édité par le ministère de la justice, « le praticien face aux violences sexuelles » , il convient d'éviter deux écueils encore fréquemment rencontrés : la décision d'un suivi psychothérapique systématique pour toutes les victimes, et l'inverse, le refus d'une approche psychothérapique sous le prétexte que la victime aura ainsi de meilleures possibilités d'oublier le traumatisme . Il est indispensable de se poser régulièrement la question de la nécessité ou non d'un traitement et de l'évolution de celui-ci en fonction de l'évolution du patient durant cette phase particulière de la procédure judiciaire. Il faut également savoir qui est compétent pour prendre en charge la victime. On peut également suivre l'opinion proposée par le fascicule précédemment cité du ministère de la justice en estimant que le recours aux spécialistes ne doit jamais être systématique . Cette recommandation peut être faite aux médecins généralistes mais également aux psychiatres. Il est parfois préférable de confier le patient à un spécialiste soit des problèmes d'abus sexuels, soit d'une technique de soins particulière dont l'efficacité est reconnue. Dans d'autres cas il faut au contraire privilégier la continuité de la prise en charge initialement mise en place, permettant une relation de transfert et de contre transfert favorable pour le patient. Il s'agit là de remarques générales qui trouvent à s'appliquer quelque soit le type d'abus, quelque soit le sexe du patient, quelque soit son âge et sans doute quelle que soit sa demande. Doit-on traiter ? Qui doit le faire ? Pour combien de temps ?

Il n'en demeure pas moins que la procédure judiciaire a son rythme, ses temps forts et ses particularités que nous ne détaillerons pas mais dont nous soulignerons à nouveau les incidences évidentes sur le patient, soit à court, soit à moyen, soit à long terme. Il n'est pas non plus inutile de rappeler que la chronologie de la relation avec le psychiatre est totalement dissociée de la phase judiciaire. Parfois cette phase survient alors que la relation est établie depuis de nombreuses années. Dans d'autres cas elle est totalement concomitante de la mise en place de la relation thérapeutique. Soit que l'une entraîne l'autre, soit que la victime ou ses proches font dans le même temps la démarche judiciaire et la démarche thérapeutique. Enfin la démarche thérapeutique peut survenir alors même que la phase judiciaire en est presque à son terme. Ainsi en est-il d'une victime qui peu de temps avant la confrontation prévue aux assises ressent un certain nombre de symptômes qui la conduisent à consulter. Cette dissociation aboutit à des situations qui seront notablement différentes.

Sans revenir sur les différentes phases qui composent le parcours judiciaire de la victime chacun sait qu'elle débute par un dépôt de plainte ou une simple information donnée à un proche, ou pour les mineurs, à un enseignant, une assistante sociale, un éducateur, etc. S'ensuit alors une phase d'enquête à l'occasion de laquelle la victime est entendue par des policiers ou gendarmes. Vient ensuite, éventuellement mais assez souvent, une phase d'instruction, la réalisation d'expertises notamment en matière de crédibilité et de conséquences du préjudice subi. Même si cela n'est pas obligatoire la victime devra assez souvent rencontrer un avocat afin de lui confier ses intérêts. Elle risque d'être confrontée à l'agresseur putatif. Enfin viendront le jugement pénal éventuellement renouvelé à l'occasion d'un appel puis pour terminer le jugement civil qui apportera une réparation à la victime soit de la part de l'auteur si celui-ci est connu ou solvable, soit de la part de la société dans d'autres hypothèses. C'est alors le rôle de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI). Chacune de ces phases, et bien d'autres encore, peuvent être difficiles, voire retraumatisantes pour la victime. Le psychiatre doit y être attentif. Même si chacune a ses particularités il serait fastidieux de les évoquer une à une et de les différencier d'une manière pointilliste. Aussi nous contenterons nous de scinder le parcours judiciaire de la victime en trois phases simples, le début, le parcours lui même et l'après.

Chacun le sait, ce parcours judiciaire peut parfois être très long, précédé d'ailleurs d'une phase que, par atavisme professionnel, nous dénommerons prodromique, phase de maturation durant laquelle la victime s'interroge consciemment ou inconsciemment sur la nécessité de déclencher ou non la procédure judiciaire. Cette phase peut parfois être très longue. On sait que pour certaines victimes elle a duré de très nombreuses années.

- Le début
Il n'y a pas lieu d'y insister dans cet exposé, mais l'insistance est de mise sur le plan général, la phase d'accueil de la victime, le premier contact, sont essentiels comme le rappellent tous les auteurs et notamment de manière très pragmatique le fascicule précité disponible sur le site Internet du ministère de la santé. Certes la situation est différente selon que l'on rencontre pour la première fois une victime en urgence après un abus violent souvent unique, ou que l'on voit un patient qui a subi plusieurs années auparavant, parfois pendant de nombreux mois ou plus, des sévices réguliers notamment dans un cadre incestueux. Pourtant citons à nouveau quelques principes rappelés dans le fascicule en question.

- Écouter la victime
- Informer la victime
Celle-ci recherche certainement le soutien et a besoin de s'exprimer mais elle a toujours également besoin d'informations complémentaires. La seule question à se poser (cf. chapitre suivant) est de savoir s'il s'agit bien toujours du rôle du psychiatre ou si l'information doit se limiter à orienter la victime vers des institutions ou associations mieux à :même d'apporter une information claire et adaptée.

Le premier contact est essentiel et déterminant pour le suivi ultérieur nous précise le ministère de la santé. Il doit viser à bannir toute attitude ou propos risquant de majorer voire de renouveler le traumatisme. « Qu'on fasse appel à ses capacités d'empathie, de délicatesse et d'humanisme » lit-on encore. « Il n'a pas jouer un rôle d'enquêteur. Il ne lui appartient pas d'établir l'exactitude des faits. On ne lui demande pas de confondre les agresseurs ». On retient encore qu'il doit savoir se contenter d'un récif flou, elliptique et brouillé par l'émotion. En pratique il faut être capable de suivre la victime dans ce qui constitue une sorte de demande et d'approche, les informations imprécises à un entretien peuvent devenir beaucoup plus précises voire d'ailleurs contradictoires à un autre. Le médecin doit pouvoir noter soigneusement ces éléments qui lui permettront de mieux comprendre la situation après un certain temps d'évolution.

Sur un plan technique, selon les moments et selon la tournure des entretiens, puisqu'ils seront souvent nombreux et répétés, le médecin doit se contenter d'une écoute ou doit parfois être un peu interventionniste. Il doit alors savoir alterner questions ouvertes et fermées afin d'aider la victime, de limiter son angoisse et de faciliter son expression . Il est indispensable que la victime soit resituée dans son vécu de sujet et ne soit pas traitée comme un objet. Ce qui serait déjà une faute dans une relation expertale deviendrait totalement inexcusable pour le psychiatre traitant. Ce (ou ces) premier contact conduit parfois la victime à interroger son psychiatre directement ou non sur la procédure judiciaire à envisager ou déjà en cours. Il ne doit pas se dérober, sans pour autant prendre partie. S'il y a lieu, à chaque fois que possible, de donner des informations à la victime, il faut rester dans son rôle et dans sa compétence d'une part et, de l'autre, ne pas donner l'impression, de près ou de loin de chercher à peser sur la décision de la victime. Révéler des faits jusqu'alors inconnus des tiers, décider de se porter partie civile ou non, demander une réparation pécuniaire sont des décisions qui ne doivent être que du ressort de la victime et non pas de son psychiatre.

- Le parcours judiciaire
Chacun le sait toutes les phases de la procédure qui peut durer parfois des années peuvent replonger la victime dans son traumatisme et ce d'autant plus qu'elle n'en maîtrise absolument pas le calendrier. L'enquête démarre parfois rapidement puis semble stagner pendant plusieurs mois avant que la victime ne soit brusquement convoquée pour une confrontation dans un délai parfois très court. L'épreuve difficile du procès pénal peut, après un soulagement bien compréhensible, être suivie de l'annonce d'un appel interjeté par l'agresseur, qui relancera toute la procédure.

Chaque phase a ses particularités qui, comme on l'a dit, peuvent être fonction du type d'agression, de la relation antérieure avec l'agresseur, de l'âge de la victime et même d'événements intercurrents qui se sont déroulés depuis. Il n'est ainsi pas rare qu'une victime traverse une phase judiciaire à propos d'une première affaire alors qu'elle a subi depuis lors d'autres abus d'agresseurs différents. Nous insisterons simplement sur deux points.

Le psychiatre doit se garder d'interférer avec la crédibilité de la victime. Il n'a pas lieu de la renforcer par un certificat faussement rassurant ou au contraire de la diminuer par des informations ambiguës fournies à la justice. (Cf infra). Il n'a pas lieu non plus de « préparer » la victime au procès. Il doit jouer son rôle de médecin, c'est-à-dire de soutien mais pas de défenseur de la victime. Il y a là cependant une question difficile à résoudre. Il peut être utile d'aider la victime à prévoir ce que sera la confrontation ou le procès, de la rassurer, de la rasséréner et la voie paraît bien étroite entre cette position tout à fait légitime et totalement nécessaire et celle de l'interférence avec le procès.

L'autre point très particulier concerne la réparation. On sait en effet que le procès pénal est suivi d'un procès civil permettant que la victime obtienne réparation des préjudices qu'elle a subis. Cela est vrai aussi bien pour un accident de la route, un désordre de voisinage que pour une agression sexuelle. On sait également que cette réparation se traduit par une somme d'argent dont bénéficiera la victime soit de la part de l'agresseur lorsque celui-ci est connu ou solvable, soit de la part d'un fonds de garantie dans le cas contraire. C'est alors le rôle de la CIVI que de déterminer le quantum de cette réparation. Il n'est pas du rôle du psychiatre d'inciter la victime à demander ou au contraire à refuser toute réparation. En revanche il serait inapproprié de refuser d'engager avec elle la discussion sur cet aspect particulier du parcours judiciaire. En effet chacun connaît la culpabilité de la victime qui a subi des abus sexuels. Ses sentiments de honte, de doute, d'incertitude, l'impression parfois qu'elle a engagé sa propre responsabilité peuvent être grandement apaisés par l'aboutissement de la procédure judiciaire. La condamnation de l'auteur est déjà parfois une réparation symbolique mais pour certaines victimes elle est insuffisante. Pour d'autres au contraire une réparation pécuniaire reviendrait symboliquement à admettre que la relation sexuelle qu'elle a eue avec l'auteur était bien une relation financière. En d'autres termes « je suis une putain puisque j'accepte de l'argent pour cette relation » pense-t-elle ou ressent-elle inconsciemment. Cet aspect gagnera souvent à être exploré et travaillé dans le cadre d'un travail psychothérapique à ce moment précis de la procédure.

- L'après
Cette phase est de durée indéterminée parfois très longue, parfois elle recouvre toute la vie ultérieure du patient. Le rôle du psychiatre est alors tout à fait classique et dépend à nouveau de paramètres divers selon les victimes : âge, sexe, circonstances, événements intercurrents, etc.

Un aspect est néanmoins particulier. Il est clairement et très simplement exprimé dans l'ouvrage de G. VILA et coll. . C'est la question du pardon. On sait que cette notion est fortement encouragée par certaines religions mais également dans le fonctionnement social. On sait également que pour l'agresseur le fait d'être condamné signifie payer et qu'il estime être quitte d'une certaine dette lorsqu'il a effectué sa peine. Les auteurs précités insistent bien sur le fait qu'il est essentiel de ne pas inciter la victime à pardonner. Cela n'est pas le rôle du psychiatre. Comme ils l'indiquent « le pardon ne peut venir que du sujet lui même en fonction de ses convictions et, surtout, de l'état psychologique dans lequel il se trouve à ce moment de son histoire, de même que de la position de l'agresseur ». C'est un aspect essentiel dont il ne faudra surtout pas faire l'économie. A un moment ou à un autre, directement ou non, le sujet l'abordera. Le psychiatre doit l'aider à effectuer un travail dans un sens ou dans un autre, sans se départir d'une neutralité totale en ce domaine.

Il n'en reste pas moins que durant toute la phase judiciaire la relation duelle entre psychiatre et patient est fréquemment traversée par des tiers, qu'il s'agisse des proches ou des institutions judiciaires. Quel rôle le psychiatre doit-il envisager en ce domaine ?

II - UN RÔLE SOCIO-JURIDIQUE SPÉCIFIQUE

Il est assez clair que le psychiatre ne peut pas être totalement étranger à la procédure judiciaire qui se joue parallèlement à sa prise en charge. Sa position est ambiguë car il ne serait pas justifié qu'il interfère dans cette procédure en outrepassant sa compétence et ses droits, et surtout pas en violant des règles professionnelles ou juridiques, mais il ne serait pas non plus souhaitable qu'il cherche à s'en abstraire totalement comme si son rôle n'était pas ancré dans la vie sociale et comme si la victime pouvait être prise en charge sans tenir compte de cette procédure dont les conséquences seront majeures sur son avenir. Ainsi doit-on s'interroger sur le rôle que doit tenir le psychiatre et sur ses limites. Comme on le verra son rôle essentiel, en dehors de celui particulièrement important de soutien de la victime, d'aide et de prise en charge thérapeutique qui a été détaillé par ailleurs et déjà évoqué dans le chapitre précédent, consistera à rédiger ou non des certificats dont la victime peut avoir besoin à chaque étape de la procédure. Subsidiairement, dans quelques cas spécifiés, le psychiatre pourra accepter avec l'accord de la victime d'entrer en relation avec certains tiers. Les limites de ce rôle sont établies d'une part par la compétence du psychiatre et la position qu'il doit avoir vis-à-vis de la victime et de l'autre par le concept essentiel de secret professionnel.
- Les limites

- La compétence du psychiatre
D'une manière générale le psychiatre ne doit pas chercher à empiéter sur la compétence de l'assistante sociale, de l'avocat, du magistrat, de l'enquêteur... En pratique il n'a souvent pas les connaissances nécessaires pour donner à la victime une information précise, certaine et exhaustive sur un certain nombre de points. Néanmoins il doit connaître des éléments de la procédure judiciaire afin d'orienter la victime si celle-ci en fait la demande ou dans certains cas s'il apparaît que cela peut être de son intérêt. S'il n'a pas à s'immiscer dans la décision de la justice il peut être utile à son patient de lui fournir une information sur ce que le recours judiciaire peut lui apporter en terme de reconstruction symbolique de sa personnalité, par exemple. Il en est de même du recours ou non à la CIVI pour une réparation financière. Enfin la question mérite d'être posée et le jury devra trancher pour savoir s'il est de la compétence du psychiatre d'informer la victime sur l'utilité de faire réaliser les examens somatiques et biologiques dans le cadre d'une réquisition pour que les conclusions de ces examens et les prélèvements puissent prendre une force probante certaine. On peut en effet s'interroger. Autant il est important pour la victime de ne pas négliger ces aspects procéduraux, autant il s'agit peut être là du rôle d'un autre intervenant (médecin généraliste ou urgentiste par exemple). Le psychiatre a-t-il intérêt à s'immiscer dans ces aspects ou à privilégier avant tout la relation transférentielle avec la victime, il est bien difficile d'en décider.

- Le secret professionnel
La question doit être envisagée sous deux angles complémentaires : le médecin a-t-il parfois l'obligation de parler ? A-t-il dans d'autres circonstances l'autorisation de violer le secret s'il estime que c'est de l'intérêt de son patient ?

Une obligation de parler ? La question a été maintes fois traitée et est relativement complexe. Le lecteur intéressé pourra se reporter à des références bibliographiques plus complètes que le présent article . L'article 226-13 du code pénal comme l'article 4 du code de déontologie médicale punissent la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire. On sait qu'il s'applique au médecin. L'article 226-14 du code pénal établit un certain nombre de dérogations qui autorisent le médecin à informer les autorités judiciaires notamment des atteintes sexuelles dont il a eu connaissance dans l'exercice de sa profession et qui ont été infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, de son état physique ou psychique.

Par ailleurs l'article 434-3 fait obligation à quiconque de dénoncer les abus sexuels commis sur les mineurs de 15 ans ou les personnes qui ne sont pas en état de se protéger pour les mêmes motifs que précédemment ou à peu près. Cependant cet article, comme l'article 434-11 du code pénal qui impose à celui qui a la preuve de l'innocence d'une personne détenue ou jugée d'en informer les autorités judiciaires, ne s'applique pas aux personnes qui sont astreintes au secret dans les conditions prévues à l'article 226-13.

Enfin l'article 223-6 du code pénal qui punit la non assistance à personne en péril ne connaît aucune dérogation, y compris pour les médecins.

Ainsi peut on en déduire que lorsqu'un médecin a connaissance d'un abus sexuel commis sur un mineur de 15 ans ou une personne incapable de se protéger pour les raisons précitées, il a la possibilité d'en informer le procureur de la République notamment, mais qu'il ne s'agit pas d'une obligation. L'information peut également être apportée aux autorités administratives chargées de la protection de l'enfance par le biais d'un signalement prévu et organisé notamment par la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance.

Cependant dès l'instant où l'inaction du médecin constitue une non assistance à personne en péril, celui-ci peut être condamné. En ce sens s'il n'a pas d'autre action envisageable (par exemple séparer la victime de son agresseur potentiel par le biais d'une hospitalisation ou d'un placement) que la dénonciation, il doit le faire, ne serait ce que pour préserver sa propre sécurité juridique. Il peut alors, lorsque que c'est possible, dénoncer l'abus sans dénoncer l'agresseur. Cet aspect est important car bien souvent il n'a pas la preuve que l'agresseur désigné est bien l'auteur réel de l'acte non plus d'ailleurs qu'il a la preuve de la réalité absolue de cet acte, ce qui doit le conduire à des propos et surtout des écrits extrêmement prudents (cf. infra).

Dans tous les autres cas il n'a pas d'obligation de dénoncer.

Lorsque la victime a plus de 15 ans ou n'est pas dans un état de vulnérabilité particulier le médecin a la possibilité de porter à la connaissance du procureur de la république un abus sexuel qu'il aurait constaté ou qu'il soupçonnerait mais avec l'accord de la victime.

Le psychiatre peut parfois se trouver dans ce type de situation s'il lui apparaît qu'il est le premier à avoir connaissance d'un abus. Plus souvent il rencontre la victime dans le cours de la procédure judiciaire ou en concomitance avec le début de celle-ci parce que des tiers, ou la victime elle même, ont estimé qu'il était nécessaire d'envisager un traitement parallèlement à l'action judiciaire.

L'autorisation de parler
Dans le cours de la procédure il n'est pas rare que le médecin soit sollicité par la victime ou par un tiers pour apporter des informations relatives à son diagnostic, à son traitement ou à l'évolution de l'état de la victime. Il peut également souhaiter le faire de sa propre initiative en estimant qu'il y va de l'intérêt de sa patiente. Le psychiatre, dans cette occurrence, ne doit pas oublier que les règles précitées du secret professionnel continuent à s'appliquer. En aucun cas il n'est autorisé à divulguer à des tiers des informations connues à l'occasion de l'exercice de sa profession. Il n'a donc pas à répondre à l'avocat de sa patiente ni à prendre l'initiative d'un contact avec le juge d'instruction par exemple. En revanche si la victime estime utile de pouvoir bénéficier d'informations médicales précises sur son état de santé au moment de la première consultation, sur l'évolution de celui-ci ou encore sur les symptômes qui orientent vers l'existence d'un abus, elle est tout à fait en droit de les obtenir. Cela se fera par la rédaction d'un certificat remis en main propre à la victime et que celle-ci pourra si elle le souhaite produire en justice ou confier à son avocat. C'est a priori le seul moyen et la seule dérogation que le psychiatre peut s'autoriser lorsqu'il essaie de transmettre des informations à des tiers (voir cependant une dérogation particulière vis-à-vis des proches cf. infra).

- Les interventions
. La rédaction des certificats
Cet aspect parfois essentiel dans le cours de la procédure judiciaire est malheureusement méconnu des psychiatres qui refusent souvent des documents de ce type à leur patient alors qu'ils auraient un intérêt majeur au profit de la victime. Le plus souvent cette réticence est liée à la connaissance imprécise des risques importants de la rédaction d'un certificat. De fait il convient d'être très prudent dans la rédaction de ce type de document dont on sait qu'il sera produit en justice.

La rédaction des certificats est un aspect essentiel de la médecine moderne. Elle s'inscrit dans le rôle de témoin au sens large, du médecin dans une société qui a besoin de communication et de constatations réalisées par des professionnels jugés «experts » dans leur domaine. Chaque médecin constate tous les jours l'accumulation et la diversification des demandes de certificats. Les règles en sont simples mais relativement formalistes. Tout médecin devrait les maîtriser parfaitement

La rédaction du certificat doit suivre les préceptes juridiques et déontologiques. Le respect du secret professionnel en est un, ainsi que l'interdiction d'immixtion dans les affaires de famille « sans raison professionnelle » (article 51 du code de déontologie médicale). En revanche l'article 50 de ce même code impose au médecin de rédiger tout certificat qui est demandé par son patient afin de lui permettre de bénéficier des avantages sociaux auxquels il a droit.

Sans être tout à fait exhaustif on peut rappeler quelques règles simples.

Sur la forme, le certificat doit rappeler l'identité du médecin signataire. Il doit être daté et signé. Il doit préciser la date et parfois l'heure de l'examen (qui peuvent être différents de la date de rédaction, ce qui doit figurer dans le document). Il ne peut contenir que des constatations. Lorsque le médecin rapporte les paroles du patient ou d'un tiers celles-ci doivent être inscrites entre guillemets ou énoncées au conditionnel. Le médecin doit bien différencier ses constatations de l'opinion d'autrui.

Dans le cas qui nous occupe, lorsque le certificat est relativement long, il est nécessaire que sur chaque page figure le nom du médecin et celui du patient ainsi que la date de l'examen et la signature du médecin afin d'éviter toute ambiguïté.

Il est impératif de conserver un double du certificat.

Le document ne peut être remis qu'au patient lui même, ou à ses représentants légaux lorsque le malade est un mineur.

Sur le fond, il convient d'être très attentif à tous les signes présentés par le patient. Les signes négatifs doivent être inscrits. En cas contraire leur absence ne permet pas de savoir si le signe a été recherché ou non.

Il ne faut jamais mettre un tiers en cause dans un certificat et encore moins dans un certificat pour agression sexuelle.

En psychiatrie en général, et pour les agressions sexuelles en particulier, la difficulté provient des aspects subjectifs de la symptomatologie psychique. Elle doit être décrite avec le maximum de précision et d'objectivité. S'agissant du certificat d'un psychiatre traitant il n'est pas absolument indispensable d'évoquer des durées d'incapacité temporaire totale ou d'incapacité permanente partielle qui, de toute façon, doivent être évaluées par un expert . Dans le contexte d'une agression sexuelle les demandes peuvent être nombreuses et variées, allant de la description des symptômes lors de la première consultation à l'évolution du patient au cours des semaines et des mois de traitement, en passant par la difficulté ou l'impossibilité de supporter une confrontation dans le cadre de l'enquête ou de l'instruction, et bien d'autres encore. Le psychiatre doit essayer à chaque fois de répondre à la demande de son patient sans jamais dépasser les limites qui sont fixées par le droit et la déontologie et qui viennent d'être résumées. Il peut même dans certaines conditions susciter la demande du patient afin de l'aider dans un parcours judiciaire que ce dernier maîtrise assez mal. Il est évidemment indispensable qu'il garde toute son objectivité.

. La relation avec les tiers
Ainsi qu'on l'a vu le psychiatre traitant ne devrait, durant la phase judiciaire, n'avoir aucun contact direct avec les tiers. Il en est ainsi aussi bien avec les enquêteurs, les avocats, les services sociaux que les magistrats. Néanmoins comme tout citoyen le psychiatre doit se présenter à la barre si on lui demande un témoignage. En revanche il peut et doit refuser de répondre à toute question qui le conduirait à violer le secret professionnel. Il renvoie en ce cas vers l'expertise ou encore vers le certificat qu'il aura éventuellement accepter de remettre à son patient.

Reste la question de la relation avec un certain nombre de proches. Sur ce point, il faut être très prudent car dans nombre d'affaires sexuelles les proches sont directement ou indirectement en cause. Ainsi en est-il évidemment du père qui est accusé par sa fille mineure ou majeure d'abus sexuel, mais également de l'épouse de ce père, de son frère ou de ses parents dont on ne sait jamais s'ils ont décidé de prendre partie pour l'un ou pour l'autre dans le procès en cours. Il n'en demeure pas moins que dans cette situation particulièrement difficile et traumatisante la victime a besoin du soutien de ses proches. Comme on l'a vu précédemment la loi du 4 mars 2002 autorise une dérogation pragmatique au secret professionnel vis-à-vis des proches et de la famille mais aussi de la personne de confiance sauf opposition du malade. Dans cette situation il peut parfois être utile, toujours avec l'accord de la victime, et pourrait-on dire quelque soit son âge, d'avoir des contacts à intervalles réguliers avec certains proches de manière à les aider à mieux comprendre les réactions de la victime et ainsi à la soutenir et à éviter un repli sur soi voire une position d'agressivité et de rejet de l'extérieur. La meilleure conduite à tenir dans cette situation est sans doute, avec l'accord du patient, que les entretiens aient lieu en sa présence et après qu'il ait été globalement informé des propos que le médecin allait tenir.

Pour conclure quelques points méritent d'être soulignés. C'est d'abord la nécessité que les psychiatres ne refusent pas de jouer le rôle d'accompagnement qui peut être le leur dans la procédure judiciaire. Ensuite il est important que tout psychiatre confronté à des patients ayant subi des abus sexuels sache bien différencier son rôle de celui de l'expert et encore plus de l'enquêteur. Pour autant le psychiatre doit comprendre que son patient, devenant un justiciable, peut voir sa crédibilité mise en doute. Il doit également connaître les limites apportées par le principe du secret professionnel et les possibilités de rédaction de certificats ainsi que la manière de donner les informations les plus élaborées possibles sans pour autant risquer d'être lui même confronté ultérieurement à un procès judiciaire.

Reste à savoir si ce rôle particulier et parfois difficile doit incomber à des spécialistes ou peut être réalisé par tout psychiatre, voire par des médecins généralistes. La question n'a sans doute pas à être tranchée. En revanche certaines interventions spécifiques ne doivent être réalisées qu'après s'être entourées de conseils éclairés. Ainsi en est-il pour la rédaction éventuelle de certificats remis au patient pour être produit en justice. Tout médecin qui n'est pas régulièrement habitué à rencontrer des patients de ce type et rédiger ces certificats doit s'appuyer sur un avis de ce type.

notes


Loi n°98-468 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. On consultera notamment le chapitre 2, articles 23 et suivants : dispositions modifiant le code de procédure pénale et concernant la protection des victimes.
Voir les articles 706-47 et suivants du code de procédure pénale, découlant de la loi précitée
GAUTHIER D. L'enfant victime d'abus sexuels. PUF ed. PARIS, 1994, collection NODULES
DARVES-BORNOZ J.M. Syndromes traumatiques du viol et de l'inceste. Rapport du CPNLF 1996, MASSON ed. PARIS
Le praticien face aux violences sexuelles, www.sante.gouv.fr/dossiers/violence
Fascicule précité p 66
Fascicule précité p 71

C. JONAS La crédibilité des victimes d'agression sexuelle. Revue de Médecine Légale Hospitalière, vol 1, n°5, nov. 98, p 90 et suivantes
G. VILA, L.M. PORCHE, M.C. MOUREN-SIMEONI, L'enfant victime d'agressions, MASSON éditeur, Paris 1999, collection Médecine et psychothérapie, p 98

JONAS C. Le psychiatre face aux juges. PARIS, ELLIPSES 1997
JONAS C. Le secret professionnel en pratique quotidienne. PARIS, LUNDBECK 1998
JONAS C., SENON J.L. Responsabilité en psychiatrie. EMC, PARIS, 2003, fasc. 37.900.A-30
THOUVENIN D. Le secret médical. Traité de droit médical et hospitalier. Fasc. 11, PARIS, LITEC 1998
On pourra se rapporter à des ouvrages spécialisés et notamment à «Docteur c'est juste pour un certificat » par E. ROUBERTIE, C. JONAS, B. RUAUX, J.F. GRAVOT, Éditions scientifiques L&C Paris 2ème édition 2001. Pour ce qui concerne la psychiatrie, C. JONAS Le certificat médical en psychiatrie. Médecine et Droit, janv-fév 2002, n°52, p 1. En matière d'agression sexuelle de très intéressantes pages ainsi que des modèles de rédaction y sont consacrés dans le fascicule précité du ministère de la santé (www.santé.gouv.fr)
On se rapportera à ce propos au dossier de formation continue dans le cahier de la Société médico-psychologique, Annales médico-psychologiques 2002 : 160 : 605 et suivantes et notamment à l'article de N. DANTCHEV : L'implication du psychiatre dans le parcours judiciaire.


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Dernière mise à jour : dimanche 30 novembre 2003

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