Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants


Quelles sont les relations du psychiatre avec le somaticien et les autres acteurs de santé concernés ?

Paul MARCIANO

L'intervention des professionnels de santé n'a peut être plus comme objectif exclusif et systématique la prise en charge psychothérapique individuelle de l'enfant après des révélations d'atteintes sexuelles et l'audition qui suit.

Il nous semble en effet que les conceptions se sont sensiblement infléchies à la lumière des constatations cliniques et des phénomènes observés.

Ainsi, selon nous, le parcours de l'enfant et de sa famille doit être accompagné par une sorte de chaîne solidaire des professionnels qui peuvent alors leur permettre de nouveaux processus de repérage, de différents mécanismes d'identification aux adultes et l'intériorisation d'un monde environnant selon une acception plus favorable.

En d'autres termes il conviendrait selon nous que ces victimes et leurs parents, puissent se sentir très précisément étayés, respectés et pris en compte.

On peut dès lors espérer que l'espace extra-familial ne sera pas uniquement perçu comme hostile et persécuteur et qu'elles pourront ainsi reprendre à leur compte le travail de lien et d'articulation développé par les professionnels entre eux.

Il nous semble enfin précieux de rehausser et de valider quand cela est possible bien sur, les capacités élaboratives de l'enfant et sa famille. Il est ainsi licite de concevoir que certains d'entre eux pourront s'affranchir d'une chape de silence intra-familiale vers ce que nous pourrions appeler une chaîne intra-familiale de parole. Surtout si les professionnels restent attentifs, disponibles et marquent ainsi le territoire extra-familial comme désormais moins hostile voire résolument étayant.


I - La situation psychologique de l'enfant victime au décours d'une révélation

Nous évoquerons ici les principaux paramètres que nous avons pu mettre en exergue à l'occasion de ces moments clés du parcours de l'enfant ; signes qui doivent guider nos pas dans le travail d'accompagnement.

1°) L'enfant est en effet pétri d'une angoisse plutôt vive avec un sentiment d'insécurité lié au désordre ou à la désorganisation que ses révélations vont entraîner.

2°) Ainsi l'enfant est directement placé sur le devant de la scène et cette situation favorise chez lui, l'émergence facile et quasi obligée d'un vif et douloureux sentiment de culpabilité. Il passerait ainsi d'une position de victime à une position de coupable :

- coupable d'avoir ainsi désorganisé la famille surtout quand son environnement immédiat ne cache pas sa réprobation devant les révélations qu'il a faites, les mettant parfois en doute.
C'est ainsi que l'on peut expliquer certaines rétractations. Ces mêmes enfants se trouvant après leur révélation, confrontés à une hostilité du milieu - sourde ou ostensible - hostilité qui les désarçonne de manière massive dans la mesure où leurs repères volent en éclats et que les adultes qui étaient censés les aider, désertent leur place, majorant ainsi leur très pénible sentiment de solitude.

- coupable de s'être ainsi laissé faire, d'avoir été peut être, s'imagine t'il, par trop complaisant voire éventuellement incitateur des passages à l'acte dont il a été victime. Cet élément est précieux à considérer d'autant que notre pratique nous a donné l'occasion de constater que ce sentiment de culpabilité était moins important quand l'enfant avait subi ces passages à l'acte dans un climat de vive pression avec une certaine violence : l'enfant ayant alors le souvenir qu'il ne pouvait que subir ce qui se passait.

- coupable de n'avoir rien dit auparavant et d'avoir le sentiment d'avoir été caution par son silence.

3°) A coté de cela et de façon apparemment étonnante, l'enfant éprouve une sorte de compassion paradoxale vis à vis de l'agresseur et de sa propre mère, quand bien sur c'est avec le père qu'ont été initiées les relations incestueuses.

4°) Dès lors l'enfant est parcouru par une sorte d'inclination réparatrice vis à vis de cet agresseur dans la mesure où il a perçu au delà parfois de l'agressivité ou de la pression exercée par cet adulte, sa fragilité et sa vulnérabilité.

5°) L'on note aussi chez l'enfant une érosion narcissique avec une atteinte parfois sévère de l'image du corps et un sentiment pénible d'effraction. La barrière corporelle devient dès lors vulnérable fragile et ne peut plus remplir efficacement son rôle protecteur. Elle finit même parfois par être complètement désinvestie. C'est le cas de ces enfants sans enveloppe pour lequel il convient de massivement renforcer nos actions contenantes.


II - La situation de la famille


Un certain nombre de paramètres rencontrés chez l'enfant peuvent être appliqués à la situation psychologique de la famille dans la mesure où celle ci est inquiète. Elle éprouve un vif sentiment d'insécurité. Elle est parcourue par une culpabilité massive qui confine parfois à la mortification. On note alors des comportements agressifs, des actions quérulentes ou à l'inverse des attitudes de repli et d'isolement .

Il est dès lors précieux de restaurer sa fonction d'accueil et sa capacité à être à nouveau en relation avec le corps social des lors qu'elle le vivra comme moins persécuteur.


III - L'articulation des professionnels


Ceux ci travaillent désormais en liens pour permettre à l'enfant et à sa famille ainsi qu'aux autres professionnels, de concevoir ce passage d'une chape de silence avant la révélation, vers une chaîne solidaire propice à un travail d'élaboration et de dépassement.

Ces professionnels de santé sont les pédiatres, les médecins légistes, les médecins traitants, les psychologues et les pédopsychiatres.

A - Les actions en direction de l'enfant

Nous aimerions leur donner un aspect de préconisations dont la nature sera bien sur fonction de l'enfant, de son sexe, de son âge, de sa situation familiale et du contexte.

1°) On pourra dire qu'il convient avant tout d'éviter les traumatismes additionnels liés aux répétitions successives des événements vécus par l'enfant. Ainsi dans notre dispositif, l'enfant est auditionné en présence d'un pédopsychiatre ou d'un psychologue, tandis que le médecin légiste qui doit pratiquer l'examen médico-légal assiste à l'entretien à partir de la salle technique dans laquelle s'effectuent les enregistrements son et images. Il n'aura donc pas obligation de faire répéter à l'enfant ce qu'il a déjà déclaré.

Enfin et conformément aux éléments prévus par la loi, cette audition est enregistrée afin que là encore l'enfant ne soit pas contraint de redire ce qu'il a évoqué dans la mesure où l'on s'accorde à dire que ces répétitions ont des effets « survictimisants ».

2°) L'examen médico-légal doit bien sur éviter une majoration du sentiment d'effraction. Ainsi les signes sentinelles concernant la souffrance du corps de l'enfant et sa néo-représentation doivent être précisément repérés par nos collègues somaticiens pour là encore conjurer ces risques d'effraction additionnelle.

3°) D'autre part l'audition qui se déroule dans le cadre de notre protocole au sein du service de pédiatrie, ramène précisément l'enfant au sein de la communauté de ses pairs, au sein de l'enfance, lui qui a subi par son agresseur une « adultisation » à marche forcée.

4°) Il convient aussi d'aider l'enfant à resituer le traumatisme de l'agression et de la révélation dans son contexte temporel et historique : c'est dire qu'il doit pouvoir recontextualiser l'épisode.

Certes l'enfant a vécu des événements éminemment douloureux, mais il est licite de concevoir qu'il en a vécu d'autres moins malheureux. Dès lors cet épisode traumatique ne devrait donc pas constituer l'épine dorsale pour l'agencement et la construction ultérieurs de l'enfant autour de cet événement.

Ainsi, selon nous, le travail des professionnels en étroite relation entre eux, devrait permettre à l'enfant et à sa famille, de se représenter un espace externe autour d'eux constitué « d'objets » en lien, comme devraient désormais l'être ses « mauvais » moments intériorisés à coté des « bons ».

On peut dire alors que l'enfant aurait ainsi l'occasion, de réorganiser son espace relationnel à l'intérieur duquel peuvent alors cohabiter des mauvaises images d'adultes à coté de bonnes, correspondant elles à ces adultes, attentifs, disponibles précautionneux et susceptibles d'être eux, intériorisés comme de bons objets apaisants.

Cependant, il nous semble important aussi de ne pas entretenir l'illusion que ces « bons objets » vont complètement neutraliser et annuler les charges de souffrance antérieurement vécues.

C'est ainsi qu'auprès de l'enfant et des parents il convient de reconsidérer, la pertinence de l'oubli. En effet, certains d'entre eux se plaisent légitimement à dire que leur enfant va bien finir par oublier lorsqu'il grandira.

Ceci étant dit, il ne nous semble pas pertinent à l'inverse, de vanter la constante confrontation à l'événement.

De ceci découle l'attitude des professionnels, psychologues et pédopsychiatres, qui doivent laisser à l'enfant la possibilité de reprendre à son propre compte le besoin d'une aide psychologique voire d'un suivi psychothérapique.

L'équation traumatisme sexuel, suivi psychothérapique obligé, n'a plus selon nous sa pertinence.

Cependant cet élément doit être pondéré en fonction de l'âge de l'enfant, de l'importance du traumatisme subi et du contexte familial.

Cet élément est selon nous important à avoir à l'esprit pour pouvoir dire à l'enfant que ce n'est pas lui qui est malade ou « fou ». En effet certains enfants intériorisent très clairement l'idée que s'ils sont vus par un pédopsychiatre, cela veut alors dire que c'est eux qui présentent des troubles mentaux.

6°) Il faut à ce point de notre exposé signaler que ces différents éléments sont soutenus par une réflexion commune au sein de notre unité et chaque professionnel doit avoir de manière précise, le sentiment d'appartenir à une chaîne de pensées solidaire même si elle n'est pas uniforme et univoque.

7°) C'est ainsi qu'enfin il nous arrive de préconiser auprès des magistrats et dans bon nombre de cas, une confrontation entre l'enfant et son agresseur :

- Ceci pour que l'enfant soit reconnu par son agresseur comme un enfant sujet et non pas uniquement comme un enfant objet de désir.

- Ceci pour permettre à l'enfant d'intérioriser une image de l'agresseur comme n'étant pas exclusivement un monstre ou un objet uniquement persécuteur.

Il est en effet très difficile pour un enfant d'intérioriser une image externe comme étant uniquement celle d'un agresseur. Il a besoin de retrouver chez lui un minimum d'humanité pour en conséquence restaurer en lui même cette humanité qui n'a pas été respectée.

On pourrait ajouter pour compléter que bon nombre d'enfants s'enlisent dans une disposition masochiste et se prennent alors à penser que s'ils ont été victimes c'est qu'ils le méritaient bien et s'ils ont été souillés , ce n'était que justice.

8°) Enfin, se pose aux professionnels, une question déterminante. Elle pourrait être formulée ainsi : La justice psychique interne à l'enfant ne peut être superposable à la justice des hommes. En d'autre termes : ce n'est pas parce qu'un enfant a des fantaisies incestueuses ou d'autres préoccupations fantasmatiques évidemment repérées par lui comme illicites, qu'il doit pour autant chercher à se faire punir en étant l'objet d'agressions extérieures. ... On peut alors ajouter que l'agresseur n'est pas là pour le sanctionner...L'enfant doit ainsi intérioriser qu'il ne doit plus y avoir forcement sanction de ses fautes imaginaires par une intervention extérieure. Sa cours de justice psychique interne doit rester l'instance interdictrice du Sur Moi, dominant le ça. Et en disant ceci nous pensons à certains enfants qui ont malheureusement été victimes de manière répétée comme pour se punir de façon dramatiquement compulsive.

B - En direction des parents

1°) Ce dispositif et cette alliance entre les différents professionnels de santé permettent aux parents de se sentir accueillis et soutenus.

Il peuvent ainsi opérer de nouveaux processus d'identification à des adultes cette fois organisés en espace contenant. Ils sont ainsi aidés à se déprendre de la surprise sinon de l'horreur qu'ils ont éprouvés lors de la révélation. Ils peuvent en effet être amenés à porter à cette occasion un regard extrêmement péjoratif sur la condition humaine. Ceci est important car leur disposition nouvelle, et le travail de restauration qu'ils peuvent entamer, est éminemment précieux pour l'enfant dans la mesure où celui ci ne peut pas grandir s'il est exclusivement pétri par le sentiment qu'il évolue dans un monde de tout coté hostile.

2°) Il nous semble déterminant aussi de louer les qualités parentales ou tout au moins de l'un ou de l'autre des parents, arguant du fait qu'ils ont catalysé et soutenu leur enfant dans sa courageuse démarche vers la révélation.

Cette chaîne de professionnels loue donc leur compétence et restaure leur narcissisme en même temps qu'elle les aide à se réaproprier des processus d'élaboration et de mentalisation personnels. Lesquels ont quelque peu été sidérés par le caractère parfois inopiné de l'annonce des sévices subis par l'enfant.

Il est vrai que les parents et la famille plus élargie, doivent être précisément étayés pour rehabiter progressivement leur place dans la mesure où l'agression dont a été victime leur enfant, les interroge vigoureusement sur leur clairvoyance, leur attention et leur compétence.

On les entend en effet souvent dire : « on n'a rien vu... on ne s'est rendu compte de rien... » comme s'ils avaient été sourds à leur enfant et à sa souffrance, éprouvant dès lors un très douloureux sentiment de culpabilité voire de honte.

3°) Ainsi les questions se bousculent dans leur tête et l'entretien qui suit l'audition est à cet égard déterminant. Ils nous demandent en effet ce qui va se passer sur le plan personnel, familial, judiciaire et comment leur enfant risque d'évoluer.... comment sa sexualité va être ou non infléchie ? N'est - il pas promis à devenir homosexuel ou déviant dans ses comportements ultérieurs ?

A cet égard il nous semble déterminant de les avertir très précisément, d'une inclination qui immanquablement les guette : celle d'interpréter tous les comportements ultérieurs de leur enfant à travers les événements qu'il a subis. Ceci vaut aussi pour les professionnels que nous sommes.

IV - CONCLUSION

L'intérêt de ces liens étroits entre acteurs de santé est qu'ils constituent à notre sens une chaîne éminemment solidaire. L'enfant et ses parents peuvent l'identifier comme un réseau d'adultes référents, étayants et n'appartenant pas au monde des agresseurs.

En effet le danger serait que l'enfant intériorise ses espaces environnants comme immanquablement peuplés d'adultes hostiles sans qu'il puisse repérer le moindre îlot de quiétude.

Dans le même ordre d'idée, nous avons souhaité mettre en exergue la dimension d'étayage de l'enfant et de ses parents sans pour autant les déposséder de leur propre et spécifique capacité d'analyse et d'élaboration.

Ainsi le suivi obligatoire d'un enfant agressé, n'est plus tout à fait un dogme. Cependant il convient de pondérer cette assertion en fonction de l'âge de l'enfant et de la gravité des sévices qu'il a subis.

Enfin, ces liens entre les professionnels et leur étroites articulations, doivent permettre à l'enfant et à sa famille, d'intérioriser les rapports entre adultes comme étant cette fois marqués d'un indéfectible respect mutuel.... respect de son corps, de son espace personnel et psychique.

Ainsi l'accompagnement d'un enfant agressé et de sa famille doit impérativement éviter de le placer au centre d'une convergence de regards et d'investigations intrusifs, risquant de majorer de façon préjudiciable, leur pénible sentiment de transparence. Ainsi pourrions nous dire en d'autres termes, qu'une impérieuse lisibilité, transparence et loyauté dans les relations entre les professionnels de santé imposeraient à l'inverse que soit impérativement respectée une certaine « opacité » de l'espace intime de l'enfant et de sa famille.

BIBLIOGRAPHIE

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5°) - MARCIANO P La double injonction paradoxale dans Victime - Agresseur Les éditions du Champ Social 2002.
6°) - MAZET Ph Des problèmes exemplaires pour la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent dans Les enfants victimes d'abus sexuels. PUF revue Psychiatrie de l'enfant.
7°) ­ NATHANSON M L'hospitalisation des enfants victimes d'abus sexuels dans Les enfants victimes d'abus sexuels. PUF revue Psychiatrie de l'enfant.
8°) - ROUYER M Les enfants victimes, conséquence à court et moyen terme dans Les enfants victimes d'abus sexuels. PUF revue Psychiatrie de l'enfant.

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Dernière mise à jour : dimanche 30 novembre 2003

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