Conséquences des maltraitances sexuelles. Les reconnaître, les soigner, les prévenir

Conférence de consensus qui s'est tenue à Paris les 6 et 7 novembre 2003 organisée par

Fédération Française de Psychiatrie
selon la méthodologie de l’ANAES
avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

Sociétés Partenaires : Sociétés Francophone de Médecine d'Urgence, INAVEM, Société Française de Pédiatrie, Collège National des Généralistes Enseignants



Comment reconnaître une maltraitance sexuelle récente chez l'enfant de 3 ans à la puberté ?


Blandine Guettier, Mireille Nathanson

Après la communication d'Ambroise Tardieu devant l'Académie de Médecine, en 1860, portant sur 339 cas d'inceste chez des enfants de moins de 11 ans, il a fallu un siècle pour que les médecins « redécouvrent » le sujet. La force du déni qui a longtemps caché la réalité des abus n'a pas totalement disparu, y compris chez les professionnels

I. Définition des abus sexuels commis contre les enfants

A- La définition n'en est pas facile: des auteurs ont tenté de définir des critères diagnostiques , tels les critères de Wyatt (1985) :
- activité sexuelle intrafamiliale avant l'âge de 18 ans, soit non désirée, soit impliquant une personne plus âgée de 5 ans ou plus
- activité sexuelle extra-familiale non désirée avant 18 ans
- ou activité sexuelle extra-familiale avant 13 ans avec une personne plus âgée d'au moins 5 ans
Les abus sexuels peuvent également être définis comme une activité sexuelle que l'enfant ne peut comprendre, à laquelle il ne peut pas consentir, et pour laquelle son stade de développement ne l'a pas préparé, ou qui viole la loi ou les tabous sociaux.
Une définition est couramment admise actuellement : constitue un abus sexuel toute activité sexuelle à laquelle une victime est incitée ou contrainte de participer par un agresseur sur lui-même , sur elle-même ou sur une tierce personne, contre son gré, ou par manipulation affective, physique, matérielle ou usage d'autorité, de manière évidente ou non, que l'abuseur soit connu ou non, qu'il y ait ou non évidence de lésions ou de traumatisme physique ou émotionnel, et quel que soit le sexe des personnes impliquées
Le fait que l'enfant paraisse « consentant » ne modifie absolument pas le fait qu'il s'agit d'un abus.

B- Constituent un abus sexuel : l'exhibitionnisme, les attouchements, les tentatives de pénétration (vaginale, anale, buccale, par le pénis, le doigt ou un objet quelconque), le fait de faire participer un enfant à des manifestations de pornographie, l'incitation à la prostitutionŠ
Un cas particulier : la pornographie sur Internet : aux Etats-Unis, en 1998, le FBI (Federal Bureau of Investigation) a investigué 700 cas de pornographie en ligne, la plupart concernant des enfants ; en 2000, le nombre avait plus que quadruplé (2856 cas)
C- On admet généralement qu'il doit y avoir une différence d'âge de quelques années entre l'agresseur et l'agressé, mais il y a des exceptions (viol collectif par un groupe de jeunes de même âge que la victime, contraintes d'un enfant à des pratiques sexuelles sur des enfants de même âge alliés contre lui)
D- Il ne faudrait cependant pas prendre pour un abus sexuel les jeux entre jeunes enfants (tels les jeux de « papa et maman », du docteur), dus à une curiosité normale quant à la sexualité

II- Dans quelles circonstances évoque-t-on un abus sexuel ?

Rappelons que la plupart des abus sexuels commis contre les enfants (des deux tiers aux trois quarts, selon les études) sont commis par un familier de l'enfant : les chiffres donnés en 1985 par le rapport Badgley sont assez proches des estimations actuelles : un agresseur sur quatre est un membre de la famille ou une personne de confiance, la moitié environ sont des amis ou connaissances, un sur six seulement est inconnu de l'enfant.
Il sera essentiellement question dans cet exposé des abus sexuels commis par un familier de l'enfant, bien que les abus sexuels commis par un inconnu puissent être de diagnostic malaisé si l'enfant a trop honte ou pas suffisamment confiance en les adultes pour révéler ce qui lui arrive.
La situation est tout à fait différente selon que le motif de la consultation est ou non la révélation d'un abus sexuel .

A- L'abus sexuel peut être, après dévoilement, le motif de la consultation
1-On peut distinguer deux modèles de révélation :
- Le premier consiste en une révélation par phases successives , incluant des dénis et des rétractations : Summit a décrit le « syndrome d'accommodation » avec ses 5 stades : secret, désarroi, révélation retardée, révélation non convaincante, rétractation.
Sorenson et Snow décrivent 5 stades successifs : déni, tentative de révélation, révélation active, rétractation (inconstante), réaffirmation. Ils rapportent que 79% des enfants dénient l'abus dans un premier temps ou font des révélations vagues, partielles, variables dans le temps (disant qu'ils ne se rappellent plus, que l'abus est survenu une seule fois ou longtemps auparavant, ou qu'ils plaisantaient, ou que l'abus a concerné quelqu'un d'autre. Dans leur étude, 22% des victimes se sont rétractées, dont 93% ont ensuite réaffirmé l'abus.

- Dans le deuxième modèle, l'enfant révèle l'abus de façon accidentelle ou délibérée, mais clairement. Les différents facteurs entraînant la révélation ont été étudiés : Di Pietro et coll. analysent les données de 179 enfants ayant été examinés pour abus sexuel : les facteurs significativement en rapport avec la révélation étaient : une révélation antérieure, l'âge de l'enfant supérieur à 4 ans, la présence de frères ou s¦urs au foyer, un abus oro-génital, une pénétration vaginale ou rectale, un abuseur qui n'était pas un parent biologique, un examen anormal, le fait que l'entretien se faisait avec la même personne que l'examen (médecin ou infirmière).Après analyse stastique, les facteurs indépendants les plus significatifs étaient l'âge, une histoire de révélation antérieure, le fait que l'entretien et l'examen soient menés par la même personne.
Campis et coll analysent le rôle des stades de développement de l'enfant dans la détection et la révélation des abus : les enfants d'âge préscolaire (au sens américain du terme) sont plus susceptibles de manifester des symptômes physiques ou comportementaux faisant soupçonner un abus, de faire des révélations « accidentelles », avec un événement déclenchant qui n'a pas toujours de rapport avec l'abus ; ils peuvent être incapables de comprendre l'acte de l'abuseur et omettre dans la révélation des éléments essentiels, engendrant ainsi un doute dans l'esprit de l'adulte.

2- Lorsqu'un grand enfant révèle clairement un abus intra-familial ou perpétré par un familier (révélation à un proche, à une amie, à l'infirmière ou à l'assistante scolaire), il est habituel que cette révélation s'accompagne de demande de secret (« je ne veux pas que vous le disiez à quelqu'un d'autre », « je ne veux pas que ma mère soit au courant », « j'ai quelque chose d'important à vous dire, mais je ne vous le dirai que si vous me promettez le secret ») et d'un désir de maîtrise de la situation (« je ne veux pas que mon père aille en prison »). Le professionnel ne doit pas se laisser enfermer par ces demandes et doit l'expliquer clairement à l'enfant.
Il est essentiel de noter immédiatement les mots exacts qu'utilise l'enfant, pour pouvoir les transcrire dans le signalement qui sera peut-être fait.
On l'a vu, la rétractation est fréquente et ne doit pas remettre en cause la révélation.

3- Un problème difficile est celui des allégations d'abus sexuels. Il importe de définir ce mot, qui en soi veut simplement dire « affirmation quelconque » (pour le Petit Robert). Cependant, comme le rappelle M Manciaux dans un ouvrage sur les allégations d'abus sexuels, le Dictionnaire encyclopédique Larousse le définit ainsi : « affirmation, assertion, le plus souvent considérée comme mal fondée ou mensongère ».
C'est ainsi qu'actuellement, le terme de « allégation d'abus sexuel » est souvent appliqué aux déclarations ou suspicions d'abus énoncées par un parent accusant l'autre dans des situations de séparation.
A la période de doute systématique sur la parole de l'enfant (« l'enfant est naturellement menteur » a succédé une phase où l'enfant, supposé innocent, disait forcément la vérité. Mais la difficulté réside ici en ce que la parole de l'enfant est rapportée par un adulte. Il semble important que le professionnel conserve une attitude ouverte, permettant de penser que le parent qui allègue l'abus peut avoir raison ou non. C'est l'évaluation de sa parole qui s'impose.
L'entretien est donc essentiel, si possible séparément avec l'enfant et avec le parent ; avec celui-ci, il faut tenter de savoir pourquoi il a des soupçons, comment il a formulé les questions à l'enfant, et s'il a les a répétées ; l'enfant a-t-il spontanément dit des mots évoquant un abus, ou le parent, inquiété par le comportement de l'enfant (triste ou inquiet) au retour d'un week-end chez l'autre parent, a-t-il « soutiré » des réponses imprécises ?
Les fausses allégations ne concerneraient que 3 à 7 % des allégations des enfants ( M.Gabel 1992 ). Elles seraient particulièrement redoutées lors des conflits de garde d'enfant ou d'exercice de droits de visite. A l'inverse ces situations de séparation des parents peuvent permettre la circulation d'une parole chez l'enfant cadenassée avant la séparation par les deux parents.
L'analyse de ces allégations de l'enfant est importante: elles doivent être interprétées en fonction de l'âge de l'enfant. Une expression trop secondarisée, trop adulte dans la formulation est suspecte d'influence et de manipulation par un adulte. ( cf C. Ollivier-Gaillard 1999,). Cette manipulation peut être consciente dans le but de nuire à l'autre conjoint, elle peut-être inconsciente du fait que le parent ( la mère le plus souvent ) a pu subir des abus sexuels dans son enfance, et susciter inconsciemment de telles situations pour son enfant, ou les appréhender de manière angoissante, et les redouter constamment.
Bien souvent, le sentiment est que les inquiétudes sont peu fondées et que le parent consultant demandait à être rassuré. Il peut arriver également, soit que l'éventualité de l'abus semble à envisager, ou, plus rarement, que le parent crée sciemment un doute sur un possible abus pour un but précis ­obtenir la garde exclusive de l'enfant par exemple. Il est nécessaire en tout cas que cette évaluation difficile soit faite de façon pluridisciplinaire : pédiatre et psychologue ou psychiatre au moins.
Plus préoccupant est le problème du silence des victimes, surtout dans la mesure où elles ne sont pas protégées de leur agresseur. Seulement 7% des situations d'abus sexuel seraient révélées à une autorité médicale ou sociale de police ou de justice ( M. Duboc 1997) .(Deux victimes sur trois ne parleraient pas de cette maltraitance sexuelle).

Par rapport à la population générale, des enquêtes ont montré ( B. Bouhet, D.Perard, M.Zorman) :
- enquête auprès d'étudiants parisiens ( 1988): 8% des femmes et 7% des hommes interrogés affirment avoir subi une maltraitance sexuelle.
- enquête auprès d'une population générale de Grenoble (1989): 9% disent avoir subi des abus sexuels, avant 18 ans (plus de 11% des femmes).
Dans les enquêtes anglo-saxonnes, les pourcentages sont supérieurs ( ?). Ces résultats dépendent de la formulation des questions et de la définition des abus, ou du consensus social qui ose aborder ces questions.) ........
La révélation des faits par l'enfant est importante, et pourtant elle manque souvent:
- honte de l'enfant par rapport à de tels faits, culpabilité: la victime a le sentiment que c'est elle qui a provoqué les faits, ou qu'elle les a consentis ou culpabilité de dénoncer un adulte voire un proche:
- emprise sur l'enfant ou menaces de la part de l'agresseur,
- confusion, perte des repères, particulièrement dans les situations d'inceste, puisque les parents devant représenter l'ordre ou la loi sont défaillants.
Ces situations créent du secret:
- venant de l'agresseur, dans des menaces à l'enfant ou dans un chantage affectif, rendant la révélation des faits encore plus dangereuse que les faits eux-mêmes.
- bien sûr quand il s'agit d'inceste, il y a induction de secret, induit par l'abuseur et par les complices dans la famille ( conjoint ou fratrie) consciente ou inconsciente: méconnaissance de ces faits, refoulement, déni de ces faits, influence des faits dans la génération précédente, participent de ces difficultés.
Le secret familial, lors d'incestes, le plus fréquemment : père- fille, rarement, mère-fils, ou fille, ou frère-soeur, ou plusieurs (père, frères), utilisant sexuellement une enfant très jeune ou adolescente, est présent, du fait de la folie familiale, privée. La révélation des faits entraînera une explosion familiale: placement des enfants, incarcération du parent ( du père le plus fréquemment) ou de frères. La séparation du couple parental est en jeu. La complicité de l'autre parent, consciente ou inconsciente, est interrogée. Le problème de la responsabilité de l'autre parent est toujours questionnée, car pourquoi n'a-t-il pu protéger son enfant?
Le secret familial, est intriqué, fait de répulsion, d'amour et de haine, de perte de repères, d'histoire et d'identité, où les générations, voire les identités sexuelles, sont confondues. Parfois le secret est bien gardé, dans une recherche d'homéostasie, pour préserver l'enveloppe familiale même si à l'intérieur, la destructivité est massive pour les individus.
Il s'agit alors de repérer des signes cliniques reliés à l'aspect traumatique, conséquence des faits

B- Un traumatisme des organes génitaux peut être le motif de la consultation et faire suspecter un abus sexuel.
Deux types d'éléments sont importants :
- le caractère plausible ou non des explications données par l'entourage
- certaines données d'examen :
les chutes à califourchon entraînent habituellement des lésions des tissus péri-urétraux, des lèvres et du mont de Venus
la pénétration vaginale par un objet mousse peut entraîner des lésions analogues à celles d'une agression sexuelle
la plupart des traumatismes par chute à califourchon entraînent des lésions de la partie antérieure de l'hymen, alors qu'une pénétration forcée est responsable de lésions postérieures
la gymnastique ou l'équitation n'entraînent pas de blessures par pénétration.

C- Infections gynécologiques
1-Les vulvites, même à répétition, sont banales chez la fillette prépubère. Cependant, deux types d'arguments peuvent faire soupçonner (ou affirmer) un abus :
-un contexte particulier que l'on sent « trouble », une proximité excessive avec un parent
-la découverte par les sérologies et les prélèvements vulvaires (qui sont rarement nécessaires) de certains agents infectieux
- la découverte d'un gonocoque, d'un Trichomonas, de Chlamydia après l'âge de 3 ans, donne une quasi ­certitude d'abus. Il en est de même d'une sérologie positive pour la syphilis ou le VIH, en l'absence de transmission materno-f¦tale.
- Une infection génitale herpétique, des condylomes acuminés, doivent faire envisager sérieusement la possibilité d'un abus
- Il n'y que simple possibilité s'il y a présence de Gardnerella vaginalis ou de Mycoplasme
- Certains agents pathogènes ne sont pas sexuellement transmissibles : streptocoque du groupe A, Candida albicans, Shigella, salmonelles, Streptococcus pneumoniae, haemophilus influenzae, staphylocoque doré, Moraxella catarrhalis, Yersinia enterolytica

2- Certaines pathologies peuvent être confondues avec des lésions traumatiques dues à un abus : le lichen scléro-atrophique, une coalescence des petites lèvres, un hémangiome, un prolapsus de la muqueuse urétrale, une cellulite streptococcique, une absence de fusion de la ligne médiane.

D - Troubles fonctionnels : des douleurs abdominales répétées, des céphalées, des malaises ou lipothymies, ont pu permettre de découvrir la réalité d'abus sexuels dont l'enfant n'avait jusque-là pas parlé.
Une jeune de 10 ans fut hospitalisée dans le service après qu'elle eut révélé à l'école avoir surpris des relations sexuelles entre sa s¦ur aînée, âgée de 13 ans, et leur père. Or trois ans auparavant, cette grande s¦ur avait été hospitalisée à 2 reprises pour douleurs abdominales récurrentes. La reprise a posteriori de l'histoire montrait que la grande s¦ur subissait déjà certainement ces relations incestueuses.
Aurait-on dû à ce moment diagnostiquer l'abus sexuel et sur quels arguments ? La première réponse est qu'on aurait pu être étonné que, à la deuxième hospitalisation, les parents ayant dit que la jeune avait eu ses premières règles, ils avaient choisi de la faire sortir « sur demande » lorsqu'on leur avait expliqué que la maturation pubertaire de leur fille n'était pas en accord avec le début des règles, et qu'on allait la montrer au gynécologue. Le deuxième argument est que, à cette époque, la réalité des abus était quasi-inconnue en France, et que, maintenant qu'on en est averti, les entretiens avec l'enfant et sa famille auraient pu faire lever l'intuition que la situation méritait analyse plus poussée.
Une banale énurésie ne fait pas à elle seule évoquer un abus, il peut ne pas en être de même d'une encoprésie.

E - Troubles du comportement : les troubles du sommeil sont fréquents chez les enfants victimes d'inceste : le jeune refuse de s'endormir alors qu'il sait que l'abuseur en profitera pour venir dans sa chambre à ce moment.
Un vocabulaire ou un comportement anormalement « sexuel » pour le stade de développement de l'enfant peuvent également attirer l'attention : jeux spontanés sur des poupées, avec maltraitance, ou actes perpétrés sur des enfants: toucher des organes génitaux, fellations, sodomies, pénétrations anales avec des objets, simulations ou réalisation d'actes sexuels sur d'autres enfants. Une expertise concernant un enfant agresseur sexuellement peut révéler qu'il a subi lui-même des violences sexuelles récemment.
Provocations à l'égard d'adultes, rapprochés physiques inappropriés ou distance et méfiance vis-à-vis du consultant.
Les troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie) sont plus l'apanage de l'adolescent(e) que de l'enfant prépubère. Dans un pourcentage non négligeable de cas, ils peuvent permettre de découvrir un abus sexuel incestueux.

F - Les tentatives de suicide, quel qu'en soit le facteur déclenchant apparent ou allégué, doivent systématiquement faire se poser (poser ?) la question d'un éventuel abus.

G - A la limite de la définition des abus sexuels : les « climats incestueux », les « familles à transactions incestueuses », dans lesquelles la perte des repères intergénérationnels peut avoir des conséquences psychologiques aussi sévères qu'un abus sexuel véritable.

III- Evaluation d'une situation de suspicion d'abus sexuel
- Monteleone et coll décrivent les trois composants de l'évaluation : le premier, le plus important, est l'histoire ou les déclarations de l'enfant ; le deuxième est l'évaluation des modes comportementaux de l'enfant, comparés aux indicateurs comportementaux typiques des enfants abusés ; le troisième est l'examen physique. Ils insistent sur le point suivant : ni l'examen physique ni le mode de comportement ne peuvent être analysés seuls ; ils ne peuvent qu'appuyer l'histoire donnée par l'enfant.

A- Le recueil de l'histoire doit être fait par un professionnel formé et expérimenté. Celui-ci doit résister à l'envie de savoir « tout, tout de suite ». L'entretien doit d'abord porter sur la vie habituelle de l'enfant, ses centres d'intérêt et mettre l'enfant en confiance. Il faut apprécier son stade de développement : le jeune enfant peut se rappeler précisément un évènement central et ne pas en avoir mémorisé précisément les à côtés (description du lieu et autres détails). Il peut également ne pas comprendre la signification des nombres (une ou plusieurs fois ?). Les jeunes enfants situent les faits passés par rapport à certains évènements (Noël, les vacances, un anniversaireŠ) plus que par rapport à la date elle-même. La révélation de l'abus peut demander de répéter les entretiens.
La crédibililité de l'enfant est souvent discutée : Monteleone cite Jones qui, en 1986, étudie 576 dossiers d'enfants sexuellement abusés : l'abus a été inventé dans 7,81 % des cas : dans 6,25% des cas par un adulte, dans 1,56% par l'enfant. Pour Cantwell , les allégations d'abus sexuels que font les enfants sont véridiques dans environ 90% des cas. La plupart des auteurs admettent que le déni d'un abus est plus fréquent que l'allégation mensongère.
Rappelons que la loi rend maintenant obligatoire que l'interrogatoire par la police, en cas de plainte ou de signalement, soit filmé.
Les dessins de l'enfant sont parfois suggestifs par des formes qui peuvent inquiéter mais qui n'apportent pas la preuve. Les dessins peuvent être impressionnants dessinant l'acte lui-même, ou l'atteinte du corps: exemple, dessins de deux fillettes ayant subi des agressions sexuelles de 5 et 7 ans dessinant dans le bas-ventre de la fille des stries en damier rouges ou des gouttes de sang coulant du bas-ventre.
- Les jeux avec des poupées sexuées ou non, peuvent apporter un support à l'enfant pour exprimer ce qu'il a subi , surtout s'il a du mal à l' exprimer.

B-L'examen physique
1- Modalités.
L'urgence de l'examen dépend de la date de l'abus : pour A Heger, l'évaluation doit se faire immédiatement si l'abus date de moins de 72 heures, elle est urgente s'il a été commis entre 72 heures et 14 jours auparavant, la consultation doit avoir lieu dès que possible au-delà.
Il implique que l'enfant se sente en confiance et qu'on lui en ait expliqué le déroulement . Il doit lui être dit qu'il n'aura pas mal, que le médecin s'arrêtera si l'enfant le lui demande. Il est recommandé que l'examen soit fait en présence d'une infirmière compétente sur ce sujet, et avec le parent de même sexe (sauf cas particulier).
L'examen doit être général et ne pas porter exclusivement sur les aires génitales. Tout signe de traumatisme associé doit être noté.
Il peut être utile de faire des photos ou dessins. Des photographies des organes génitaux réalisées grâce à une colposcope par le gynécologue ou le médecin légiste peuvent éviter la répétition des examens.
La dimension médico-légale doit être reconnue : nécessité d'un examen précoce, conservation des éléments de preuve éventuels (permettant par exemple de faire une analyse de l'ADN).
L'examen des organes génitaux de la petite fille se fait le plus souvent en décubitus dorsal, l'enfant étant « en grenouille », cuisses fléchies et en abduction, en exerçant une traction légère et prolongée des lèvres en bas en en dehors ou en les tirant doucement vers l'examinateur ; ceci permet habituellement de bien voir l'hymen ; sinon, la position génu-pectorale peut être utilisée, elle peut être moins bien acceptée par les enfants. L'examen doit porter également sur l'anus, la région mammaire, la bouche.
2 - L'hymen normal peut être en croissant (53,5%), annulaire (34,9%), séparé en deux par un septum (2,5%), cribriforme (1,2%), ou imperforé (1,2%).

3 - L'examen d'un enfant qui a subi un abus sexuel peut être strictement normal. Une méta-analyse de 1993 trouve 26 à 73% d'examen normal chez les filles, 17 à 82% chez les garçons . Des lésions évocatrices ou spécifiques d'abus n'existent que chez 3 à16% des victimes. Plusieurs raisons sont invoquées à la fréquente normalité : le retard à la révélation fait disparaître certains signes, les abus contre les enfants consistent souvent en attouchements, simulation d'acte sexuel, pénétration anale ou buccale. La grande dispersion des résultats peut être due à ce que, dans les études les plus anciennes, seules les formes les plus sévères étaient reconnues.

En conclusion (d'après Monteleone), on peut classer ainsi les résultats de l'examen clinique :
I- Examen normal (avec les variantes) : 60% ou plus
II-Examen non spécifique d'abus : par exemple, condylomes, élargissement isolé de l'hymenŠ
III- Examen évocateur ou hautement évocateur d'abus : déchirures ou cicatrices hyménéales, dilatation anale importante en l'absence de fécalome, découverte de Chlamydia, TrichomonasŠ
IV- Certitude d'abus : infection à gonocoque, syphilis, sérologie HIV positive (sans antécédents qui l'expliquent), présence de spermeŠ

Tous les éléments cliniques sont à réunir, ils peuvent être complétés par des tests psychologiques, pouvant mettre en évidence les représentations sexuelles et traumatiques.
Bien sûr, l'investigation clinique, pédo-psychiatrique, explore:
-La dimension de réalité ou de possibilité des faits par rapport au discours de l'enfant et à un ensemble de symptômes, elle en évalue les répercussions traumatiques. Elle évalue aussi la personnalité de l'enfant victime d'agression sexuelle, sa vulnérabilité, son rapport à la réalité: personnalité proche de la psychose ou mythomanie. Eventuellement, les enjeux de telles révélations de la part d'un enfant sur une personne ou plusieurs.
Cet ensemble d'éléments impose au professionnel (pédo-psychiatre, psychologue, pédiatre) soit d'accompagner les parents, dans le dépôt d'une plainte, ou de faire un signalement auprés du Parquet .
Il est habituel de dire à propos des abus sexuels: " la parole d'un enfant contre celle d'un adulte". Ces situations sont particulièrement graves, vu les conséquences
-pour l'adulte mis en cause ( garde à vue, incarcération),
-ou l'enfant s' il n'y a pas prise en compte de sa parole, si le mis en cause nie des faits, qui n'ont pu être prouvés. Pourtant et parfois l'adulte ou le mis en cause reconnaît les faits, soulagé d'avouer sa folie concernant sa sexualité, ou en éprouvant de la culpabilité ou dans un registre pervers accusant la victime de provocation ou d'avoir consenti, ou d'en avoir joui.
Maltraitance sexuelle et rappel de l'histoire de la psychanalyse concernant le traumatisme et la théorie de la séduction.
Au début de ses recherches, S.Freud (1895-1897) retient le traumatisme psychique sexuel comme cause du trouble mental ( rappellé par J.M.Masson : " le réel escamoté" 1984). Ainsi, il insiste sur l'expérience de la passivité sexuelle avant la puberté " comme cause principale de l'hystérie".
Puis à travers ses études cliniques, essentiellement concernant des adultes, il modifie son propos. Il insiste sur le traumatisme " après coup", quand le sujet réagit, au souvenir de l'expérience sexuelle subie dans l'enfance, adolescent ou adulte, avec la maturité sexuelle (alors qu'il n'a pas eu apparemment de réaction sur le moment même).
Enfin S.Freud semble renoncer au trauma réel pour ne retenir que les fantasmes de séduction de l'enfant, participant de sa structuration psychique oedipienne, organisée par ses pulsions et ses défenses. Les scènes de séduction relatées par le patient sont à entendre comme des fantasmes de désir. Le fantasme de séduction est présent chez l'enfant, fantasme originaire, s'adressant à l' adulte. Dans la configuration oedipienne, ce fantasme s'adresse préférentiellement au parent de l'autre sexe.
Le fantasme est prévalent, dans l'espace des investigations de S.Freud: étude de la névrose, de l'hystérie en particulier, dispositif de la séance: divan-fauteuil. Mais S.Freud ne renonce pas entièrement aux scènes réelles dans la genèse des pathologies. Rappelons l'étude de " l'homme aux loups",( 18.. ) S.Freud retient comme cause de la névrose infantile, les attouchements par la s¦ur du patient sur lui enfant.
Il est à noter que dés 1896, S.Freud souligne l'éveil précoce de la sexualité par les soins maternels. En 1910, dans le "Léonard" , S.Freud , évoque la séduction première, originaire, par la mère dans les soins et la relation, qu'elle prodigue à l'enfant. Cet aspect sera repris en France par J.B.Pontalis et J.Laplanche : Fantasmes originaires, fantasme des origines, origines du fantasme, Hachette, 1964. Il sera repris par M.Fain et D.Braunschweig (1975).
S.Ferenczi, maintient le traumatisme sexuel comme facteur pathogène de l'évolution psychique, dans sa conférence sur la "Confusion de langue entre les adultes et l'enfant, le langage de la tendresse et de la passion" ( 1932).
Dans le trauma psychique du à l'abus sexuel, l'enfant recherche la tendresse de l'adulte, et il reçoit en réponse la sexualité de l'adulte. S.Ferenczi insiste sur les lacunes de la mémoire, dans de tels faits rendant la personnalité lacunaire. Il insiste sur la nécessité d'entendre la réalité de ces traumatismes, pour ne pas ajouter une violence supplémentaire en les niant.
S.Freud reviendra au concept de traumatisme par le biais de la névrose traumatique. Les symptômes sont la conséquence de l'effroi, du sentiment de danger vital. Deux cas sont à distinguer:
-1° le traumatisme agit comme élément déclenchant, révélateur d'une structure névrotique préexistante.
-2°le traumatisme détermine le symptôme et envahit la vie psychique par un syndrôme de répétition. Cette répétition a pour fonction de maîtriser, de lier et d'abréagir la trauma ( qui provoque une déliaison psychique). La victime est envahie par ses symptômes et ne peut plus investir le monde extérieur.
Reste le problème de la culpabilité de la victime particulièrement dans les abus sexuels, S.Ferenczi l'explique par le biais de l'identification à l'agresseur et à sa culpabilité. Reste que la passivité de la victime du fait du choc, de la sidération peut être perçue comme une acceptation de la part de la victime, ce sentiment peut être accentué par les différents entretiens ( avec les policiers , les magistrats , les experts) , qui peuvent être culpabilisants, où le manque de défense de la victime , sa passivité est interrogée comme consentement éventuel.

Références
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Dernière mise à jour : vendredi 28 novembre 2003

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