La prise en charge judiciaire de la maltraitance sexuelle a été marquée par une évolution législative significative.
Mais il convient d'observer que c'est presque toujours le regard de la psychiatrie qui a fait progresser la réflexion sur le sujet. Et pourtant l'activité judiciaire occupe ses cours d'Assises à 50% au jugement de ces affaires dites « de m¦urs », dont 30% consacrées à la maltraitance des enfants .Ce chiffre devrait à lui seul, déterminer les magistrats à élaborer de vraies politiques pénales de lutte contre cette criminalité particulière qui perturbe rarement l'ordre public de la rue, si chère à certains, mais qui maintient parfois les victimes dans l'enfer de la barbarie durant de longues années, dans le secret de nos alcôves.
Le ministère de la justice a conscience de la nécessité d'une meilleure connaissance du sujet par ses propres acteurs: un observatoire de la maltraitance sexuelle est en préparation actuellement et je crois qu'il faut se réjouir de cette initiative qui sera peut-être le point de départ d'une politique pénale nationale.
L'évolution législative est là. Mais l'application que font les magistrats des textes en vigueur est très variable d'une juridiction à une autre. Une vraie politique pénale devrait réduire ces inégalités de traitement.
En 1982, j' entrais dans la magistrature en qualité de juge des enfants dans une petite ville du nord de la France. L'essentiel de mon activité portait sur la protection d'enfants victimes de violences dans leur milieu familial, la plupart étant victimes de maltraitances sexuelles. Je découvrais alors avec stupéfaction que les magistrats qui m'avaient précédée ne traitaient ce problème que par l'application de mesures éducatives. A l'époque, ceci était possible car les situations de maltraitances étaient signalées directement par les services sociaux au juge des enfants qui avisait le parquet seulement si bon lui semblait: pendant de longues années, nous avons vécu une situation aujourd'hui heureusement dépassée, qui consistait à opposer poursuites pénales contre les auteurs et mesures éducatives. De la sorte, les parquets n'étaient souvent pas avisés des situations de maltraitances et ils ne pouvaient pas exercer leur pouvoir de poursuites. Aujourd'hui, ceci n'est plus possible car la loi oblige les juges des enfants à aviser le parquet.
Lorsque l'on s'interroge sur l'augmentation des plaintes en la matière, il est donc nécessaire de garder cette réalité à l'esprit : les maltraitances existaient massivement mais ne faisaient l'objet ni de plaintes ni de poursuites pénales par les parquets.
Aujourd'hui, les parquets sont donc avisés de tout, et ils exercent un vrai pouvoir de régulation en la matière: classements sans suite ou poursuites pénales, quels types de poursuites, tous ces choix faits en amont sont tout à fait déterminants du traitement judiciaire.
Les évolutions législatives sont nombreuses. Je n'aborderai que les principales, et exclurai de mon propos celles qui feront l'objet de développements ultérieurs, notamment celles qui concernent l'expertise et le suivi socio-judiciaire.
Les principales évolutions législatives
Les évolutions concernant la prescription de l'action publique
A la différence d'autres blessures, celles qui résultent de maltraitance sexuelle ont souvent des répercutions tout au long de la vie des victimes .C'est donc à l'age adulte que ces victimes prennent conscience de leurs difficultés .Cette réalité a été comprise par le législateur qui a voté des lois spécifiques, dérogeant au régime général de la prescription de l'action publique.
Rappelons que les règles de prescription posent des délais au-delà desquels il n'est plus possible d'exercer des poursuites pénales contre l'auteur des faits.
Le législateur a voté plusieurs lois successives qui permettent de faire renaître cette prescription après la majorité des victimes. Ces lois sont évidemment très bien accueillies par les victimes et leur donnent beaucoup d'espoir .
Toutefois ces lois n'apportent pas toujours la satisfaction espérée car le dispositif juridique est complexe: deux lois se sont succédées :
- la loi du 1O juillet 1989
- la loi du 17 juin 1998
Premier point et c'est une question de droit incontournable, ces lois ne peuvent pas prendre en compte des faits prescrits lors de leur entrée en vigueur .
Second point: l'application dans le temps de ces lois successives nous oblige, dans chaque situation, à prendre en compte l'age de la victime au moment de la plainte, la date des faits et c'est la combinaison de ces deux éléments qui permet de déterminer si les faits sont prescrits ou non.
Exemple : au terme de la loi de 1998, la prescription est de 10 ans après la majorité pour tous les crimes et les délits sexuels commis pendant la minorité des victimes .Mais si la victime invoque des agressions sexuelles, encore faut il, pour que la prescription renaisse, que l' auteur des faits soit un ascendant ou une personne qui avait autorité sur la victime au moment des faits.
Ainsi, une victime qui dépose plainte à l' age de 24 ans contre son père pour des agressions sexuelles, voit sa plainte recevable, mais si sa plainte vise un voisin, elle n'est pas recevable car nous retombons dans le délai de prescription de 3 ans: cette victime aurait donc du déposer plainte avant 21 ans
Cette situation n'est pas comprise des victimes. Et on peut se demander sur quels fondements il était nécessaire d'instaurer une hiérarchie dans les infractions à retenir.
Les évolutions concernant l'accueil et la prise en charge des victimes pendant la phase judiciaire
La loi du 17iuin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles a profondément réformé la procédure pénale en la matière ainsi que certains points de droit pénal :
Une meilleure répression du « tourisme sexuel » permettant des poursuites pénales contre des personnes françaises ou résidant en France pour des faits d'agressions sexuelles commises à l' étranger
L'enregistrement audiovisuel des enfants victimes de maltraitances sexuelles lorsque ceux-ci sont entendus par les services de police ou par les magistrats. Nous nous sommes tous réjouis de cette réforme tant nous avions conscience du traumatisme engendré par la multiplication des auditions des enfants ( à l' association d'aide aux victimes, au médecin légiste, aux policiers, aux juges, au médecin psychiatre. . . ).
Toutefois, la pratique a montré les limites de ces enregistrements : l' enfant dit rarement tout en une seule fois. Lorsqu'il arrive aux services de police, il est souvent encore dans une grande ambivalence: il a le désir de mettre fin à une situation insupportable pour lui, mais s'il dénonce un proche avec lequel il a tissé des liens d'affection, l'action judiciaire peut être vécue comme une intense difficulté si la première écoute est suspicieuse à son égard. Il en dira alors le moins possible, et racontera ce qui l'implique le moins. Un peu plus tard, il en dira peut-être un peu plus s'il sent un accueil de la justice. Quelle est alors la valeur du premier enregistrement qui fige les déclarations à un moment donné ? Il apparaît bien souvent comme une amorce dont il n'est pas possible de se contenter. En outre, les exigences imposées par la loi pénale, et je développerai ce point ultérieurement, nous conduisent nécessairement à examiner non seulement les faits, mais aussi le contexte dans lequel ils ont été commis; et ce point est rarement approfondi lors de l'audition initiale. Pour toutes ces raisons, cet enregistrement qui était destiné à éviter les auditions ultérieures, apparaît insuffisant.
L'audition du mineur en présence de tiers
Depuis 1998, il est possible d'entendre l'enfant victime en présence :
-d'un psychologue ou d'un médecin spécialiste de l'enfant
-ou d'un administrateur ad hoc
-ou d'une personne chargée d'un mandat du juge des enfants
-ou d'un membre de la famille du mineur
L'administrateur ad hoc est choisi pour accompagner l'enfant tout au long de la procédure et pour exercer pour lui, tous les droits reconnus à là partie civile: il lui choisit un avocat, se constitue partie civile pour lui, demande des dommages et intérêts.
Même si la désignation de l'administrateur ad hoc est soumise à certaines conditions légales, cette innovation parait être une véritable avancée dans l'amélioration de l'accueil judiciaire des enfants victimes: c'est la fin de la solitude, voire même de l'absence de l'enfant. Désormais, le chemin judiciaire, qui peut parfois durer des années, devient compréhensible pour lui. Si le juge, l'administrateur ad hoc et l'avocat travaillent ensemble, l'enfant peut être préparé aux auditions ou aux éventuelles confrontations avec son agresseur et je remarque que cela contribue à améliorer considérablement la qualité des auditions, car il n'a plus d'appréhension, il se livre donc plus facilement.
La présence d'un proche ou d'un éducateur peut être également précieuse , mais il est parfois délicat d'accepter la présence d'un parent lorsque c'est l'autre parent qui est mis en cause. Dans ce cas, la désignation d'un administrateur ad hoc s'impose.
La présence d'un psychologue ou d'un médecin peut également être extrêmement précieuse; mais la loi l'a prévu muet et son rôle est donc difficile à situer: s'il se tait, il ne sert à rien, s'il parle, que peut il dire, puisqu'il n'a pas droit à la parole dans le procès verbal qui est rédigé.
Tout cela devrait évoluer: en effet nous voyons parfois arriver de très jeunes enfants dans les commissariats et dans nos bureaux de juges, et nous ne sommes pas du tout formés à cela. Nous aurions besoin de l'aide de ces professionnels. Peut- être faudrait-il leur permettre d'intervenir officiellement au procès verbal, ce qui serait plus clair, plus transparent dans le rôle qu'ils ont eu dans le déroulement de l'audition de l'enfant.
Quel usage font les juges de ces dispositions ?
D'une juridiction à une autre, cela varie beaucoup: il arrive que de petites juridictions dont l'activité associative est très dynamique, soient dotées de structures d'accompagnement depuis longtemps. Il arrive aussi que rien n'existe. A Lyon par exemple, aucun administrateur ad hoc n'est prévu lors de l'enquête initiale, et le parquet commence seulement à envisager le recrutement de psychologues, alors même que les services de police ont une spécialisation en la matière et qu'un médecin légiste officie dans ces locaux dans l'acceptation de tous depuis plusieurs années. Au stade de l' instruction puis du jugement, c'est encore trop souvent le cas : beaucoup de magistrats ne voient pas encore l'utilité de l'accompagnement judiciaire de l'enfant. L'accueil et l'accompagnement de la victime n'ont pas encore pénétré la culture judiciaire.
La loi de 1998 est donc une loi innovante mais il faudrait la compléter, la parfaire, et surtout en favoriser l'application par toutes les juridictions: la loi doit pouvoir bénéficier à tous et il est regrettable que son application soit subordonnée à l'intérêt porté par les chefs de juridictions à ces questions.
Le fonctionnement de la loi pénale
Lorsque l'on aborde le problème de la maltraitance sexuelle, nous parlons rarement du fonctionnement de la loi pénale. J'ai choisi d'en faire l'essentiel de mon propos. Les infractions de nature sexuelle sont visées aux articles 222-23 et suivants du code pénal.
Qu'elles soient vécues par un adulte ou par un enfant, les textes applicables sont les mêmes. La loi pénale méconnaît les termes inceste ou pédophilie.
Comment fonctionne la loi pénale ? Elle opère plusieurs séries de distinctions :
- S'il y a eu pénétration sexuelle, on retient la qualification de viol. S'il n 'y a pas eu pénétration sexuelle, on retient la qualification d'agression sexuelle ou d'atteinte sexuelle. La loi ajoute que la pénétration sexuelle peut être de n'importe quelle nature. Il peut donc s'agir de pénétrations anales ou vaginales ou de fellations, et la pénétration peut avoir été effectuée par n'importe quoi: sexe, doigt, objet. La cour de cassation précise en outre que la pénétration ne peut être retenue que si elle est faite sur la personne de la victime. Cela signifie qu'une fellation commise par la victime constitue un viol alors que si l'agresseur fait une fellation sur la personne de la victime, cela ne constitue pas un viol, mais une agression sexuelle.
- Autre distinction: le législateur nous oblige à nous demander si, au moment des faits, la victime était sous l'empire de le violence, de la contrainte, de la menace ou de le surprise. S'il n'est pas possible d'établir l'existence de 1 'un de ces éléments, il est impossible de retenir la qualification de viol ou d'agression sexuelle. Lorsque la victime est majeure, ce texte est facile d'application. Lorsque la victime est mineure, le législateur a crée une infraction spécifique: lorsqu'il n'y a ni contrainte ni violence ni menace, on pourra retenir la qualification d'atteinte sexuelle.
Ce point très juridique est fondamental à la compréhension du problème car le fonctionnement de la loi pénale est totalement déterminant du processus judiciaire qui en résulte.
La loi ne prend en compte la minorité qu'en dessous de 15 ans et uniquement au titre des circonstances aggravantes. Quant à la qualité de l'agresseur ( ascendant, personne ayant autorité sur l'enfant ou personne abusant de ses fonctions ), elle n'est également prise en compte qu'au titre de circonstance aggravante.
Qu' est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que l'âge de l'enfant ( de moins de 15 ans) et le lien entre l'enfant et l'agresseur (lien filiale ou lien d'autorité) ne sont pas pris en compte comme éléments constitutifs de l'infraction.
Les éléments constitutifs de l'infraction ne sont abordés qu'au regard des éléments de contrainte, de violence, de menace ou de surprise.
Quelle en est la conséquence ?
Cela signifie que l'on ne peut jamais se fonder sur l'age de l'enfant ou sur son lien à l'agresseur pour dire que les infractions de viol et d'agression sexuelle existent.
Il faut toujours se demander, dans chaque cas d'espèce, si l'enfant était sous l'empire de la contrainte, de la violence, de la surprise ou de la menace.
Sur ce point, la jurisprudence de la cour de cassation est très stricte. En voici un exemple: l'instruction avait établi que Michael, âgé de 13 ans, avait été incité par son père à pratiquer des attouchements sexuels sur sa belle-mère âgée de vingt et un ans de plus que lui. Puis, dès l'age de 14 ans, Michael avait eu, toujours sous les directives de son père, des relations sexuelles complètes et régulières avec sa belle-mère. Ces relations sexuelles avaient été photographiées par le père, puis la s¦ur de Michael avait découvert les photographies et en avait révélé l'existence, ce qui avait permis le déclenchement des poursuites. La belle mère avait été mise en examen du chef de viols et agressions sexuelles sur mineur de moins de 15 ans, par personne ayant autorité sur la victime, et le père du chef de complicité de ces infractions. La chambre d'accusation (actuellement devenue chambre de l'instruction) avait alors renvoyé les deux mis en examens devant la cour d'assises, sous les qualifications pénales initialement retenues.
Elle avait considéré que, compte tenu du jeune âge de Michael, de son manque de discernement, et du lien d'autorité existant, celui-ci s'était trouvé dans un état de dépendance affective, qui s'était maintenu tout au long des relations sexuelles. Tous ces éléments permettaient ainsi d'établir l'existence d'une contrainte morale.
Un pourvoi en cassation avait été formé par les mis en examen, et la cour de cassation avait cassé l'arrêt rendu par la chambre d'accusation : elle estimait que cette dernière avait fait une mauvaise application de la loi car elle s'était fondée sur l'âge de la victime ainsi que sur la qualité d'ascendant et de personne ayant autorité pour retenir l'existence d'une contrainte morale, alors que ces éléments ne pouvaient être que des circonstances aggravantes des infractions de viols et agressions sexuelles. Cet arrêt rappelle la position constante de la cour de cassation en ce domaine.
Dans le cas de Michael, elle avait ainsi estimé que la preuve de l'existence d'une contrainte n'était pas rapportée et que les qualifications de viols et agressions sexuelles ne pouvaient être retenues: seules pouvait l'être la qualification d'atteintes sexuelles aggravées.-
Elle avait également estimé que le viol n'existait pas car ce n'était pas l'enfant qui était pénétré mais la belle-mère.
Quelle analyse peut-on faire de cette loir ?
Nous constatons que la loi soumet l'appréciation de chaque situation à l'existence ou à l'inexistence d'une contrainte de la victime. Le législateur n'a donc pas souhaité poser d'interdit : nous ne trouvons pas l'interdit de l'inceste ni même l'interdit d'une relation sexuelle entre un adulte et un enfant.
Que penser de l'infraction d'atteinte sexuelle qui punit l'attouchement sexuel même si l'enfant n'est pas contraint ?
On pourrait considérer que, par la création de cette infraction, le législateur a voulu se rapprocher d'un pseudo-interdit. Mais en réalité, c'est exactement l'inverse: lorsque la loi vise l'attouchement sexuel d'un enfant par un ascendant, elle désigne la situation incestueuse.
La loi estime donc qu'il y a place pour une situation incestueuse sans contrainte, c'est-à-dire librement consentie par les deux acteurs de la relation.
Dire qu'un enfant peut n'être pas contraint à une relation sexuelle avec un adulte, c'est nier la qualité d'enfant qui le place forcément dans une situation de dépendance part rapport à l'adulte, et le prive de toute capacité de se soustraire à la relation sexuelle.
Dire qu'un enfant peut n'être pas contraint à une relation incestueuse, c'est nier l'existence du lien générationnel qui génère une contrainte morale dans toute situation incestueuse.
La loi refuse d'admettre l'existence d'une contrainte générale et universelle, lorsqu'un enfant se trouve dans la réciprocité d'une relation sexuelle.
Dans l'atteinte sexuelle, le législateur a également imaginé qu'il pouvait y avoir attouchement sexuel sans violence. Est-ce que ce n'est pas une pure absurdité ?
Ne doit-on pas considérer que toute relation sexuelle vécue avec un enfant est un acte violent en soi ?
Douleur physique résultant de la pénétration d'Un sexe d'adulte dans un sexe d'enfant, mais violence psychologique qui conduira parfois l'enfant jusqu'à la maladie mentale. Et lorsqu'il n 'y a pas de douleur perceptible, l'enfant ne détecte pas que sous la caresse se masque une violence sournoise, qui ne dit pas son nom et qui va faire son oeuvre dévastatrice sur le plan psychique. La réalisation de l'inceste est, avant tout la négation de l'état d'enfant et la négation du lien générationnel. N'est-ce pas intrinsèquement la violence suprême ?
Par conséquent, lorsque la loi caractérise l'infraction, il m'apparaît qu'elle ne devrait jamais exiger d'élément supplémentaire de violence ou de contrainte, puisque toute relation de type incestueuse ou pédophile recèle en elle-même ces éléments.
Les conduites sexuelles ne devraient-elles pas trouver leurs limites dans la loi ?
Ai- je le droit d'avoir une relation sexuelle avec un enfant ? A partir de quel âge un enfant peut-il être considéré comme consentant à une relation sexuelle avec un adulte ? Un père a-t-il le droit d'avoir une relation avec sa fille ?
Le législateur ne répond pas clairement à ces questions. Il a sans doute considéré que le respect de l'évolution de nos m¦urs exigeait que notre droit reste hors du champ des prohibitions, préférant ainsi l'idée de liberté à consentir. En se voulant délibérément non normatif, il laisse l'être humain créer lui- même la norme, au gré de ses fantaisies et de ses modes du moment.
Il est donc bien difficile pour la justice de faire son oeuvre. L'interdit de l'inceste ne peut pas se réduire à des notions de viols et agressions sexuelles. Il devrait être érigé en une norme absolue exclusive de toute transaction possible. Il en est de même pour toute relation sexuelle entre un enfant et un adulte. C'est seulement à cette condition que la loi pourrait faire son oeuvre structurante des comportements sexuels.
Les conséquences du fonctionnement de la loi
La pratique de ces affaires nous montre qu'il est extrêmement difficile de caractériser les éléments de contrainte sans se référer naturellement à l'âge de l'enfant et la nature des liens à l'agresseur : dans la grande majorité des cas, l'enfant n'affiche aucune opposition, il se laisse faire, tout simplement parce que c'est un enfant et qu'il a des liens d'affection et de respect avec son agresseur. L'agresseur lui-même n'a souvent pas besoin d'utiliser la violence ou la contrainte : l'abus du lien affectif est beaucoup plus opérant.
Nous avons tous tendance à penser qu'en dessous d'un certain âge, la contrainte existe nécessairement. Force est de constater que la loi pénale infirme cela. Il faut donc s'abstenir de dire qu'en dessous de 15 ans, on n'examine jamais si l'enfant est contraint ou pas à la relation sexuelle, car c'est méconnaître la loi pénale. Les magistrats eux- même méconnaissent souvent cette loi et la chancellerie leur rappelle régulièrement par voie de circulaire, la nécessité de caractériser, dans chaque espèce, les éléments de contrainte.
Comment s'accommode t-on de cette loi ?
Dans la pratique, cette loi est très mal respectée par les magistrats qui, sans pouvoir le dire explicitement, la ressentent mal : les magistrats retiennent très rarement la qualification d'atteinte sexuelle, tellement il apparaît que la contrainte et la violence font corps avec l'infraction quand elle vise un enfant.
En outre, retenir l'infraction d'atteinte sexuelle revient à signifier à l'enfant qu il n'était pas contraint de se soumettre à son agresseur. Il est impossible de dire cela à un enfant. Nous savons tous que l'enfant s'interroge toujours sur son implication dans la relation sexuelle que l'adulte lui a fait vivre. .Plus il grandit, plus cette question le ronge, plus elle est la source d'une grande souffrance : suis- je victime ou coupable ?
Ne pas avoir été dans la capacité de dire non conduit nécessairement l'enfant à penser que son comportement pourra être assimilé à une adhésion à la relation sexuelle.
Or, c'est exactement cette image là que lui renvoie le fonctionnement de la loi lorsque celle- ci retient la qualification d'atteinte sexuelle.
Cette réalité insupportable pour lui, peut conduire l'enfant à rejeter l'action judiciaire qu'il a lui-même provoquée, trop perturbatrice, trop insécurisant.
De cette situation induite par la loi, naît alors une dynamique triangulaire tout à fait perverse :
- une loi qui dit à l'enfant : mais en quoi étais-tu contraint d'accepter cela ?
- un agresseur qui, le plus souvent, affirme qu'il n'a pas contraint et qu'il n'a fait que répondre au désir sexuel de l'enfant
- un enfantqui pense : mais c'est moi le coupable, j'aurais du savoir dire non
La loi devrait assurer une protection totale de l'enfant, y compris, éventuellement, contre lui- même. Son consentement à l'acte sexuel ne devrait jamais devoir être examiné. L'enfant ne connaît pas le sens de ce qu'on lui fait vivre, il n'est pas en capacité de pouvoir repérer la transgression.
S'il n'a pas pu s'opposer, c'est que son état d'enfant ne lui en donnait pas les moyens.
De façon plus ou moins avouée, demeure encore dans de nombreux esprits l'idée que l'enfant serait une sorte de petit pervers qui devrait, de ce fait, partager la responsabilité de l'agression. Il n'est pas question de dire que l'enfant est une sorte d'ange asexué : l'enfant, nous le savons tous, a des attitudes de séduction à l'égard des adultes. C'est précisément parce que l'enfant a une sexualité, mais une sexualité d'enfant, qu'elle doit faire l'objet d'une protection absolue par la loi.
C'est à l'adulte et non à l'enfant de poser les interdits. Mais, pour que l'adulte les pose, encore faudrait-il que la loi les pose préalablement.
Ce glissement vers l'examen du consentement de l'enfant est assurément l'aboutissement de ces non-dits législatifs que constituent l'absence d'interdit légal, dans notre droit français : absence d'interdit de l'inceste, absence d'interdit d'une relation sexuelle avec un enfant.
Face à cette réalité, nous aimerions offrir à l'enfant une protection légale qui le dispense d'un retour à la culpabilité. Nous souhaiterions voir réserver les questionnements relatifs à son implication personnelle à la sphère psychothérapique.
Mais hélas, la loi n'offre qu'un coupable silence à l'enfant. Et c'est là, très certainement, que se joue pour lui : c'est dans la loi qu'il devrait pouvoir trouver la solution à sa culpabilité.
Quant à l'agresseur, au lieu de stigmatiser les interdits transgressés, la loi et le processus judiciaire qui en résulte, ne font que l'inviter à se désengager du processus de culpabilité.
Lorsque l'enfant à la chance de bénéficier d'un soutien psychothérapique, le processus judiciaire qui devrait le faire accéder au statut de victime, le restitue souvent dans le processus de culpabilité dont on essaie de l'extraire grâce à la psychothérapie.
En conclusion, s'il apparaît que les textes pénaux sont satisfaisants lorsque l'on traite la maltraitance sexuelle entre adultes, ils apparaissent très mauvais dans le traitement de la maltraitance des enfants.
Dernière mise à jour : vendredi 21 novembre 2003 Renseignements