Introduction
Le rôle de la famille, lorsqu'il y a maltraitance sexuelle et que la victime est un adulte ou une personne âgée, est peu étudié et a donné lieu à peu de publications. Le sujet est en général traité du point de vue unique de la victime et la famille n'apparaît que si l'abus possède un caractère intra-familial.
En ce qui concerne la personne âgée, les publications sont encore plus pauvres, ce n'est que récemment que l'intérêt s'est porté sur la maltraitance du sujet âgé quelque soit sa nature. Ainsi les maltraitances physiques représentent 15% des maltraitances subies par les personnes âgées [1]. Il est considéré que parmi ces violences physiques, 2% sont des sévices sexuels. [2] Rappelons que la majorité des maltraitances de la personne âgée se situe au sein de la famille, les maltraitances en institution ne venant qu'ensuite.
Après ces quelques avertissements, signalons que nous référerons notre réflexion à la conceptualisation de la Thérapie Familiale Psychanalytique [3]. L'appareil psychique familial [4] possède une fonction de contenance qui peut être "débordée" lors d'un événement traumatique survenant à l'un de ses membres. La famille met alors en place un certain nombre d'aménagements défensifs visant à contenir malgré tout et tant que faire se peut les angoisses suscitées par cet événement traumatique. La famille est alors traumatisée et nous pouvons parlé de traumatisme familial. [5] Le groupe familial qui subit un traumatisme et met en place un fonctionnement groupal spécifique.
Le traumatisme familial
Un événement dramatique faisant irruption brutale dans la vie de la famille sidère l'appareil psychique familial dans ses différentes fonctions à savoir:
Une écoute précoce de la famille
La victime de maltraitance ou d'agression sexuelle est rarement seule lors du dévoilement et des expertises nécessaires à l'établissement des faits de maltraitance. Dans les premiers moments, la famille reçoit l'annonce de la violence sexuelle comme un choc, un effondrement. Il serait nécessaire que dés lors une équipe de thérapeutes familiaux puissent être présents et proposer à la famille un lieu de paroles sur ce qui est en train de se vivre dans la famille. Ce premier temps quelque soit la nature de l'abus sexuel extra ou intra-familiale revêt une importance particulière. La famille, en grande souffrance, en grande vulnérabilité a besoin de trouver un espace où elle puisse dans un premier temps déposer sa souffrance, le temps d'élaboration viendra plus tard. Les thérapeutes doivent être présents et disponibles afin d'accueillir la famille et lui permettre de mettre des mots sur les vécus émotionnels et affectifs déclenchés par l'événement dramatique dont est victime un de ses membres. Il n'est pas question lors de ses rencontres de mettre en place un cadre rigoureux de thérapie, cela viendra peut-être ultérieurement, mais d'être présent, d'accueillir et de contenir les angoisses familiales. Chaque membre de la famille présent sera invité à exprimer ses vécus émotionnels, à mettre des mots sur ce qu'il vit dans ce moment dramatique. Inviter, ne veut pas dire contraindre, certains membres d'une famille ont besoin de plus de temps pour pouvoir exprimer leur sentiments ou émotions. Il est important lors de ces entretiens de crise, à chaud, de permettre que débute le travail de figuration du traumatisme. Le groupe et à fortiori le groupe familial est la voie d'accès à ce qui ne peut trouver ni mot, ni image pour s'exprimer. [9]
Le temps de la thérapie familiale, l'indication
Parfois plusieurs années après les faits, certaines familles souffrent toujours grandement des traumatismes subis par l'un de ses membres. Cette souffrance peut prendre diverses formes et être portée par l'un des membres de la famille, la victime mais pas nécessairement, un autre membre de la famille peut également en rester grandement affecté. Ce qui permettra de faire l'indication d'une thérapie familiale est la nature de la souffrance et le fait que bien souvent les thérapies individuelles débutées par les membres de la famille ne donnent aucun résultat ou ne peuvent se poursuivre. Une adolescente dans une famille où un événement dramatique avait eu lieu me disait en début de thérapie : <
La thérapie des familles traumatisées, objectifs
Le but du travail nous semble alors de permettre la remise en mouvement des capacités de penser de la famille afin d'assouplir les modalités défensives requises face à l'irruption de l'événement traumatique. En terme d'économie du fonctionnement psychique familial, les aménagements défensifs utilisent d'importante quantité d'énergie, énergie alors non disponible pour autre chose. L'énergie libérée grâce au travail thérapeutique par l'assouplissement des aménagements défensifs pourra être utilisée à des fins créatrices. La famille pourra créer de nouveaux mythes qui constitueront la trame de l'histoire de la famille.
Résumé conclusion
Tout événement de maltraitance sexuelle extra ou intra familial induit un traumatisme familial. La famille, le fonctionnement familial permettront de contenir la traumatisme individuel de la victime si la famille en a les capacités et n'est pas trop mise en souffrance par l'événement traumatique.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Conseil supérieur du travail social, Groupe de travail sur "violence", Rapport d'étape présenté au cours de l'assemblée plénière du 15 février 2000.
Dernière mise à jour : vendredi 28 novembre 2003
Renseignements
- de contenance des angoisses archaïques donc une fonction de pare-excitation et de dépôt des éléments symbiotiques;
- de transformation des éprouvés sensoriels en vécus psychiques;
- de liaison à la fois intra-psychique et intersubjective
- et enfin de transmission dans la succession des générations.
Le traumatisme, occasionné par la révélation de la maltraitance sexuelle subie par l'un de ses membres sidère les capacités de penser de la famille. Cette sidération engendre la souffrance familiale [6] et contraint la famille à recourir à des aménagements défensifs archaïques.
La révélation de l'abus sexuel extra-familial traumatise la famille et met le groupe familial en souffrance. Divers aménagements défensifs peuvent alors être mis en place: la famille se "serre les coudes" autour de la victime. Le traumatisme resserre les liens mais peut aller jusqu'à ce que les membres de la famille se sentent ligotés et étouffés par le fonctionnement familial, on ne parle plus que de ça en famille, les procédures policières et judiciaires occupent la totalité des conversations lorsque la famille se retrouve. Au contraire, dans d'autres situations, l'évocation de la maltraitance sexuelle subie par un membre de la famille va être frappé d'interdit. La victime, elle-même, va inconsciemment, être mise au ban de la famille, augmentant d'autant sa propre souffrance. En d'autres termes, la famille se "débarrasse" de celui ou celle par qui le scandale arrive, la survie familiale nécessite le sacrifice de la victime. D'autres formes plus modérées d'aménagement de fonctionnement peuvent, bien sûr, être mise en place. Mais quelque soit la capacité de la famille à supporter le traumatisme, l'événement traumatique nécessitera un surcroît de travail psychique pour le groupe familial. Chaque famille réagira avec ses propres capacités d'élaboration des traumatismes et son propre fonctionnement. Certaines familles pourront, avec le temps, intégrer la traumatisme à son histoire, d'autres, non, ce sont celles-ci qui auront besoin d'un traitement familial.
L'abus sexuel intra-familial quant à lui, peut être considéré comme l'effet d'une souffrance familiale [7]. La famille incestueuse quelque soit l'âge de la ou des victimes est une famille qui se défend contre des angoisses catastrophiques d'abandon et de déliaison. Le passage à l'acte incestueux tente de contenir les effets de traumatismes transgénérationnels. La révélation des actes incestueux créera un surcroît de traumatisme familial mais permettra également de par la souffrance engendrée de pouvoir, enfin avoir accès à cette souffrance et de la traiter. Le dévoilement et ses suites sont toujours un moment opportun pour mettre en place un suivi thérapeutique familial, nous y reviendrons.
Toutes les familles ne peuvent de par leur fonctionnement, leur histoire, les traumatismes déjà subis effectuer ce travail psychique nécessaire à l'élaboration du traumatisme. Vont alors se constituer des formations psychiques groupales tels que secrets, non-ditsŠ Ces formations groupales se transmettront au fil des générations et constitueront la transmission transgénérationnelle [8].
Un proverbe africain dit : <
Le travail en co-thérapie (à plusieurs thérapeutes) est souhaitable car c'est alors un groupe (de thérapeutes) qui rencontre un autre groupe (familial) et les effets de contenance sont ainsi meilleurs. Le travail d'élaboration contre-transférentiel et inter-transférentiel des thérapeutes permet à la famille d'être entendue dans la diversité de ses fonctionnements.
Les rencontres peuvent être proposées à un rythme rapproché, à quelques jours d'intervalle parfois, selon les souhaits et les besoins de la famille.
A l'issue de cette série d'entretiens, il peut être proposé une prise en charge thérapeutique à la famille sous la forme d'une thérapie familiale. Il s'avère que la famille n'est pas forcément prête ou tout simplement n'a pas besoin actuellement de ce travail thérapeutique, il est donc indispensable de lui signifier que si, ultérieurement, des difficultés apparaissaient dans la famille, elle pourrait revenir en consultation et éventuellement entreprendre une thérapie.
Dans ces situations, une proposition de thérapie familiale peut être faite et se justifie pleinement.
Nous constatons, qu'il n'y a pas de moments particuliers où une indication de thérapie familiale peut être faite même si certains temps particuliers représentent des opportunités pour débuter un tel traitement. Lors de la rencontre avec la famille, il faudra tenir compte de la souffrance qui est décrite, de la prégnance encore vive de l'événement traumatique.
Dans notre culture du soin psychique, les familles viennent rarement demander un soin familial. En général, c'est un sujet souffrant qui vient consulter. Mais lors de l'entretien de consultation, apparaît la dimension familiale de la souffrance. Très souvent, la victime, parfois un autre membre de la famille ne parle que de son conjoint, de ses enfants, de ses parents, d'autres membres de la famille. Le sujet de la plainte tourne autour de l'événement traumatique vécu et de la manière dont il a été ressenti par la famille, de la manière dont la victime a été soutenue, entourée ou au contraire rejetée, mise à l'écart, la violence vis à vis de l'agresseur est encore vive et bloque tout processus d'élaboration du traumatisme.
Il est important de s'informer des suites judiciaires de la maltraitances sexuelle, l'affaire a-t-elle été jugée, quelle a été l'issue du jugement ? Le passage par la justice, nécessaire, indispensable peut néanmoins constituer un moment difficile de revécu traumatique pour la victime mais aussi pour l'ensemble de la famille. Ce peut-être un moment de déstabilisation qui sera, comme au moment de l'acte ou de la révélation de l'acte, un temps opportun pour proposer et débuter une thérapie de famille. En tout cas, le clinicien qui a en charge la victime ou un autre membre de la famille devra être attentif à la souffrance familiale dans ces moments particuliers de la prise en charge. Rappelons qu'il n'y a pas de contre-indications à la mise en place d'une thérapie familiale et à la poursuite d'une thérapie individuelle. Les thérapeutes doivent, bien sûr, être informés des différents espaces thérapeutiques mis en place.
Ce qui fait le caractère familial d'une thérapie n'est pas que la famille soit réunie, que les différents membres viennent ensemble aux séances mais que le thérapeute l'écoute comme un groupe, comme un ensemble possédant sont propre fonctionnement particulier et unique. Aucune famille ne fonctionne de la même façon qu'une autre. Les familles mettent en place des aménagements défensifs spécifiques différents des défenses individuelles. Une thérapie peut être dite familiale par l'écoute des thérapeutes et par le cadre mis en place. Il est possible avec une écoute individuelle de la victime par exemple de mettre en place une thérapie individuelle en famille ou avec la mère, le père ou la fratrie. Ce type de thérapie ne pourra contenir la souffrance familial ni permettre un travail d'élaboration groupal du traumatisme. Le groupe étant, rappelons-le, le lieu d'élection privilégié de l'élaboration des traumatismes. La thérapie familiale psychanalytique, par son cadre rigoureux, son type d'écoute permet de prendre en compte le fonctionnement groupal de la famille donc de la rassurer et de lui permettre ce difficile travail d'élaboration du traumatisme.
Nous sommes dans le droit fil du but que s'assigne toute prise en charge thérapeutique familiale d'orientation psychanalytique: permettre à travers les mythes thérapeutiques qui se créent lors des rencontres familiales et en étayage sur eux, la remise en marche de la fonction mythopoïétique familiale. La famille doit pouvoir retrouver ses capacités créatrices de mythes, lesquels, à travers les rites, les légendes donneront sens à l'histoire familiale et pourront être transmis aux générations suivantes. Nous n'insisterons jamais assez sur la fonction de transmission de la famille. Une thérapie familiale est le gage que les générations à venir n'auront pas à porter le poids des événements dramatiques survenues dans les générations antérieures. Tout ce qui aura pu être élaboré avec les acteurs de ces événements : victime, agresseur lors des maltraitances sexuelles intra-familiales, ne sera pas à la charge des héritiers, héritiers qui ne pourront plus avoir accès à l'événement mais seulement à ses effets : des mots interdits, des émotions incontrôlables et incompréhensiblesŠ, tout ce qui constitue les modalités de la transmission transgénérationnelle. Ce qui ne peut se transmettre avec une suffisante élaboration est en risque de répétition. La thérapie familiale fait donc ¦uvre de prévention pour les générations à venir et les protège du retour des fantômes.
Certains moments, la plainte, les expertises ou le dévoilement lors des maltraitances intra-familiales doivent faire l'objet d'une attention particulière de la part des cliniciens. Les familles doivent pouvoir bénéficier de prises en charge "de crise", être soutenues et écoutées par des thérapeutes présents et disponibles. Ces rencontres "à chaud" déboucheront rarement sur des thérapies au long cours mais auront permis aux familles d'expérimenter aussi que l'écoute familiale peut être facteur de sédation des angoisses.
Ultérieurement, lors de consultations individuelles, le clinicien devra être attentif à la dimension familiale de la plainte et proposer alors ou indiquer un traitement familial.
La thérapie familiale visera à remettre en route le fonctionnement inconscient de la famille, bloquée lors de l'irruption traumatique de l'événement violent. Cette remise en fonctionnalité permettra à chaque membre de la famille de retrouver sa place au sein de la famille, et, bien sûr, en premier lieu à la victime .
La thérapie familiale possède également une dimension de prévention pour les générations à venir, ce qui a pu être élaboré à l'issue d'un travail psychique groupal sera la meilleure antidote contre la répétition.
Souhaitons que la pensée de la souffrance familiale, distincte de la souffrance individuelle de la victime, soit présente dans l'écoute que les cliniciens auront du traumatisme subi par une victime adulte ou une personne âgée.
[2] Mallier M. Détresses cachées : "vieux" en danger. Revue de l'Infirmière 1998; 42 : 20-36.
[3] Ruffiot A. et al. La thérapie familiale psychanalytique, Paris : Dunod, 1981, 223 p.
[4] Ruffiot A. Le groupe famille en analyse. L'appareil psychique familial. In Ruffiot A. et al. La thérapie familiale psychanalytique, Paris : Dunod, 1981 : 1-98.
[5] Granjon E. Figuration du traumatisme en Thérapie Familiale Psychanalytique. Actes des journées d'étude du C.O.R. (Clinique des Objets de Relation) Arles 1997.
[6] André-Fustier F., Aubertel F., Joubert C. Ecouter la souffrance familiale. Gruppo 1994 ; 10 : 28-40.
[7] Savin B. Sujets auteurs d'inceste in BALIER C., CIAVALDINI A., Agresseurs sexuels : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire, Paris, Masson, 2000 : 27-37.
[8] Granjon E. Les voix du silence. Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe 1990 ; 15 : 79-96.
[9] Granjon E. Figuration du traumatisme en Thérapie Familiale Psychanalytique. Actes des journées d'étude du C.O.R. (Clinique des Objets de Relation) Arles 1997.