Au pays des Aspres, dans la Catalogne française
Henri Ey est né avec le siècle, le 10 août 1900, à Banyuls-dels-Aspres dans le Roussillon, d'une famille catholique de viticulteurs catalans. Il est l'ainé de quatre enfants. Son grand-père paternel (Louis Ey) était médecin et son grand-père maternel, avocat. Il y eût sept médecins dans la famille.
Il suivra ses études primaires à Céret juste avant que Picasso et Braque n'y inventent le Cubisme (1911). C'est là, comme il nous le dit dans La notion de schizophrénie, qu'est née sa vocation pour la psychiatrie, lors de ses rencontres avec cet homme étrange que tout le monde appelait "le fou".
L'âme de cette terre catalane, alternativement ibérique et française tout au long de l'histoire, nous dévoile la clé de son amour pour l'Espagne et l'hispanique, pour la tauromachie (les arènes de Ceret ont rempli sa jeunesse), pour Lain Entralgo et pour Dali, ainsi que pour la langue castillane dans laquelle il a écrit deux de ses livres: Ensueño y Psicosis (Lima 1948) y Estudio sobre los delirios (Madrid 1950).
Il poursuivra ses études secondaires classiques (latin, grec, mathématiques) au collège dominicain de Sorèze (Tarn)
Les premiers pas
Il débute ses études de médecine à Toulouse (1917), études qu'il poursuit (1920) et termine à Paris en 1923, alors que parallèlement il fréquente La Sorbonne et la bohème du Quartier Latin et obtient sa licence de philosophie et également un diplome de médecine légale.
A compter de l'obtention de son diplôme de médecin (1926), il va travailler comme interne des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine, dans les services de Guiraud, Marie, Capgras, et entre 1931 et 1933 comme Chef de clinique dans le service d'Henri Claude à Sainte-Anne. Ainsi, il va se former dans la brillante tradition clinique de l'école de Sainte Anne, la plus jeune de Paris, l'école de Magnan, opposée en quelque sorte aux écoles de la Salpêtrière, Bicêtre, Charenton, et de l'Infirmerie Spéciale du Dépôt de la Préfecture de Police de Paris (dont le médecin chef était Clérambault).
C'est dans l'ambiance fabuleuse de la salle de garde de l'internat de Ste Anne qu'il reconstruit chaque jour la psychiatrie avec ses amis Pierre Mâle, Julien Rouart, Jacques Lacan, Le Guillan, Mareschal, ... et qu'il rencontre Renée (1932) qui deviendra sa femme.
Les Colloques de Bonneval
En 1933 il est nommé médecin chef de l'hôpital psychiatrique de Bonneval, dans un service de femmes de 380 lits, où il va vivre et travailler jusqu'à sa retraite en 1970. Il ne quittait Bonneval que le mercredi, jour où il donnait son enseignement à Ste Anne: les fameux "mercredi de Ste Anne", fréquentés par plusieurs générations de psychiatres. Il habitait alors son appartement, rue Delambre, à Montparnasse.
C'est à Bonneval, dans cet hôpital historique - aujourd'hui Centre Hospitalier Spécialisé (CHS) Henri Ey - installé dans les cloîtres de l'abbaye bénédictine de Saint Florentin, dans l'ancienne cuisine des moines transformée dans son bureau légendaire, qu'il conçoit et mûrit la plupart de son oeuvre écrite. C'est là aussi qu'il organise et dirige les célèbres Colloques de Bonneval: en 1942, L'Histoire Naturelle de la folie, en 1943: Les rapports de la Neurologie et de la Psychiatrie avec Ajuriaguerra et Hécaen, en 1946: Le problème de la psychogenèse des Psychoses et Névroses avec Lacan, Bonnafé, Follin et Rouart, en 1950: L'hérédité en Psychiatrie, avec Duchêne, en 1956: La Psychopathologie et le problème de la volonté, en 1957: Les Schizophrénies avec Follin, Stein, Mâle, Green, Leclaire, Perrier, Racamier, Lébovici, Diatkine, Danon-Boileau, Rumke, Morselli et Laboucarié, en 1960 le célèbre Colloque sur L'Inconscient, avec Blanc, Diatkine, Follin, Green, Lairy, Lacan, Lanteri-Laura, Laplanche, Lébovici, Leclaire, Lefebvre, Perrier, Ricoeur, Stein et de Waelhens parmi d'autres.
Un humaniste dans la théorie et dans la pratique
Pendant les années difficiles de l'occupation et du régime de Vichy, Henri Ey milita vaillamment pour la défense de ses patients et leur droit à l'existence et à l'alimentation. Dans ses rapports aux autorités sanitaires il dénonça avec courage les conditions de vie misérables des patients de Bonneval.
A trois reprises il dut quitter Bonneval, d'août 1939 à juin 1940, pour combattre les nazis; en 1944 pour rejoindre la Résistance et en 1971 lors de sa retraite. En 1944 il s'incorpore à un bataillon des FFI. Il participe alors dans des batailles et il est décoré avec la Croix de Guerre. Et, avant de rentrer à Bonneval, il est affecté pendant un certain temps au service de Psychiatrie de l'Hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris.
La retraite
Après sa retraite il va repartir son temps entre Banyuls-dels-Aspres, avec la chaleureuse bibliothèque de sa maison natale, la bibliothèque de Sainte-Anne (aujourd'hui Bibliothèque Médicale Henri Ey), et l'Hôpital Psychiatrique de Thuir où il organise le séminaire sur La Notion de Schizophrénie en 1975. C'est dans cette période de six ans, qui va de sa retraite en 1971, jusqu'à sa mort en 1977, qu'il va écrire deux de ses ouvrages les plus importants: le Traité des Hallucinations (1973) et Des idées de Jackson à une conception organodynamique (1975).
Il meurt le 8 novembre 1977, dans la maison qui le vit naître, à Banyuls-dels-Aspres.