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Michel Horassius et Jean-Jacques Kress
La rapide extension du mouvement éthique au cours du dernier quart du XXè siècle a bien sûr aussi concerné la psychiatrie, mais d'une manière particulière, car les interrogations, les savoirs et les actions de soins de cette discipline concernent le psychisme, lieu central de la singularité des personnes.
Cette particularité du questionnement éthique en regard de la psychiatrie se manifeste dans une grande diversité de registres qui seront indiqués ci-dessous et dont certains seront ensuite développés.
1) Les grandes déterminations historiques et sociétales qui sont à l'origine de l'actuel mouvement éthique ne se réfractent pas de manière égale en psychiatrie. En effet, la psychiatrie est certainement concernée au premier chef par le recul du paternalisme autoritaire, la montée de l'individualisme ainsi que la revendication d'autonomie pour la personne dans les sociétés occidentales. Elle a été ébranlée à long terme par le dévoiement de ses savoirs sous l'influence de l'idéologie nazie et des excès de la répression politique soviétique. Mais, contrairement à d'autres branches de la médecine elle est, peut-être, moins directement concernée, pour le moment, par les questions éthiques si souvent médiatisées que posent les avancées des sciences biologiques et leurs nécessités expérimentales.
2) Au plan général les concepts essentiels de la réflexion et du débat éthique : recherche du bénéfice pour le patient, respect de son autonomie et de sa dignité, transmission de l'information et surtout recueil du consentement libre et éclairé aboutissent à camper un sujet idéal que le trouble psychopathologique fait chanceler. Ainsi, le questionnement éthique spécifique de la psychiatrie réside dans la prise en compte des effets du trouble psychopathologique sur le libre arbitre de la personne en regard de la proposition de soin sous les auspices du consentement. Mais en même temps ce soin devra être conçu et dispensé en sorte que le bénéfice qui en résulte aboutisse à la restauration ou l'instauration de l’autonomie du patient.
3) La psychiatrie tente de comprendre et d'expliquer les faits psychopathologiques par le recours à des champs théoriques divers souvent difficilement compatibles entre eux comme la neurobiologie, la psychanalyse, la psychologie cognitive mais aussi les sciences humaines. Cette diversité se retrouve dans les pratiques thérapeutiques correspondantes, la question éthique des effets de ces diverses conceptions du fonctionnement psychique sur le destin des personnes est souvent peu discernée.
4) Depuis ses origines, au début du XIXè siècle la psychiatrie s'est interrogée sur le rôle du psychiatre dans la société et ses rapports avec l’Etat et la Justice de par la tension entre sa mission d'assistance auprès des patients et la protection de la société. De même, d'une manière encore plus actuelle se pose la question des limites de ses savoirs et de ses actions en regard des effets sur le psychisme de la montée de l'exclusion sociale. Ces questions se situent au croisement d'une éthique liée à la singularité subjective et de la prise en compte de la collectivité.
5) La psychiatrie connaît en son sein la nécessité des procédures évaluatives qui s'avèrent fécondes dans des pans entiers de la discipline comme l'épidémiologie et la découverte et l'application de médicaments nouveaux. Depuis quelques années les procédures évaluatives ont gagné l'ensemble des actions de soin en médecine sous l'effet de la pression économique et de l'avancée de l'informatique. Ces orientations sont en tension avec ce qui relève de l'attention à la personne singulière et à son histoire. La psychiatrie se trouve ici en porte-à-faux, appelée à noyer la singularité sous l'évaluation, si elle veut satisfaire aux exigences évaluatives qui s'avèrent armées de la contrainte liée à leur utilité. A cette tendance s'ajoute le mouvement épistémologique actuel de la médecine centrée sur la preuve, qui concerne aussi la psychiatrie.
Ces interrogations, parmi d'autres, et notamment celles qui concernent la variété de ses références théoriques, et l'ambiguïté de ses missions par rapport à la société sont riches de stimulations pour la psychiatrie, mais en même temps elles posent la question de son identité. C'est ainsi que l'intérêt de la psychiatrie pour les questionnements éthiques ne concerne pas seulement le sens de ses savoirs et de ses actions par rapport aux personnes dont elle à la charge, mais aussi son propre centrage quant à son objet et ses fonctions.
La faveur accordée à la notion « d'éthique » est d'apparition récente, environ trente ans pour les États-Unis et moins de vingt, en France avec la création, en 1983, du Comité consultatif national d'éthique.
Pour certains la prééminence de la notion d'éthique sur celle de morale, plutôt liée aux préceptes de l'église et aux devoirs familiaux, est à mettre au compte de la montée de l'individualisme :
« L'éthique serait la morale évolutive d'une société laïque individualiste ».(1)
Pour d'autres, comme François Ewald, l'éthique serait « l'espace de débat, toujours collectif, où nous réfléchissons sur le sens et la finalité de la puissance technique apportée par le développement prodigieux de la recherche scientifique », développement technique qui, par le danger encore mal précisé qu'il peut fait courir aux principes traditionnels d'humanité, explique, en partie, la promotion actuelle de la démarche éthique.
L'émancipation des minorités dépendantes à dominer les décennies que nous venons de vivre, les patients succèdent aux peuples colonisés, aux femmes, aux enfants. Nous passons
« des devoirs des médecins à l'égard des malades, aux droits de ces derniers face aux médecins ».(2) Nous passons du « paternalisme » à autre chose qui n'est pas encore l'autonomisme anglo-saxon mais qui s'en inspire.
La philosophie moderne oppose la morale « téléologique » qui juge l’action selon sa finalité à la morale « déontologique qui s’inspire de la notion de devoir, de respect des règles qui se fonde sur l'égale valeur humaine de chacun en tant que sujet moral.
La morale « déontologique » orientée vers le Bien à faire, s'appuie sur le principe de bienfaisance ou de non-malfaisance. Elle est qualifiée de paternaliste par rapprochement avec la paternité, le médecin, à l'image des parents, à la fois bienveillants et bienfaisants pour leurs enfants, a l'obligation morale de protéger le patient rendu physiquement, psychiquement et intellectuellement vulnérable du fait de son état pathologique.
La morale « téléologique », prône le respect de la liberté et de la capacité du patient de prendre toutes les décisions le concernant dans une relation de type contractuel avec le médecin. Cette position en faveur aux États-Unis est très bien exprimée par le philosophe
T.Engelhardt : « Fais à autrui son bien et non pas le Bien. » Et il ajoute : « fais à autrui son bien tel que tu t'es engagé, avec lui, par contrat à le lui faire ».
Cette opposition des éthiques médicales entre la France et les pays anglo-saxons se fonderait, entre autres, sur des approches différentes du sens à donner au principe d'autonomie et au problème de la propriété du corps des individus.
Selon l'analyse, proposée par Madame Suzanne Rameix (2), le principe d'autonomie implique que l'on « considère tout être humain comme une personne, c'est-à-dire comme un être libre, déterminant lui-même la conduite de son existence ». Deux interprétations s'opposent :
- Une première interprétation dite « tempérée », inspirée de la philosophie des lumières prévaut en France et dans le sud de l'Europe. L'homme libéré de la loi de la nature ou de la loi divine, mais non exonéré pour autant de référence morale, s'en remet à une exigence d'universalité qui n'est autre que le respect de ses devoirs envers les autres et envers soi-même, au titre de membres de l'humanité. Dans le domaine de la santé, le patient, en fonction de cette première notion d'autonomie, est le maître de ses décisions et, en dehors de quelque cas particulier où il ne dispose plus de sa liberté du jugement, nul ne peut se substituer à lui. En revanche, il perd ce pouvoir de décision si, à son encontre, il fait des choix irrationnels ou dangereux qui ne pourraient être partagés par autrui.
- La deuxième interprétation dite « forte » de type anglo-saxon, beaucoup plus radicale porte à respecter tous les choix singuliers du patient, même dommageables, sous réserve, toutefois, qu'ils ne portent pas atteinte à un tiers. Dans le domaine médical, le praticien doit respecter la liberté du patient, ses croyances, ses choix même s’il les juge irrationnels.
Cette conception ancienne de l'autonomie est celle de « «l'habeas corpus » présente dans la Grande Charte, promulguée en Angleterre en 1215 et reprise par « l'Act d'habeas corpus » de 1679 qui confirmait que l'autorité judiciaire garante de la liberté de l'individu et de son corps primait sur l'autorité politique, policière et administrative.
Également dans la tradition de « l'habeas corpus », le corps est appréhendé, selon la conception Anglo-Saxonne, comme une chose appartenant à la personne qui en est ainsi détentrice. En France, le citoyen n'est pas propriétaire de son corps, il en serait, en quelque sorte « l'usufruitier ». (2) Selon une tradition qui remonte au droit romain et se perpétue dans le modèle de la monarchie de droit divin, le corps appartient toujours à l'Etat, charge à lui de définir les limites intervention sur lui, ce corps, dans un but de protection du citoyen ou de garanties de l'état de santé de la collectivité sociale.
Parallèlement à l'aspiration de nos sociétés à plus de respect de l'individualisme et à davantage de démocratie, d'autres facteurs, de natures différentes, contribuent eux aussi, à la mise en question du paternalisme, même éclairé, par une plus grande implication du sujet malade dans ses problèmes de santé. Me Véronique Ghadi (3) souligne l’influence :
- De l'accroissement de l'efficacité médicale et, en conséquence, celle du risque au point que la décision thérapeutique ne peut plus appartenir qu'aux seuls praticiens.
- De la montée en puissance des associations de patients, portée par le mouvement consumériste favorisé par l'explosion des nouveaux moyens d'information.
- Dans un autre domaine, économique celui-là, de l'accroissement permanent des dépenses de santé et leur poids dans le budget de notre pays, placent nos responsables politiques devant des choix de priorité à forte incidence sociale. Ce qui les obligera, dans l'avenir, à solliciter et à tenir compte de l'avis des usagers.
Si, depuis un demi-siècle, la place réservée à la « personne » malade n'a fait que grandir, c'est surtout au cours de la dernière décennie qu’ont été publiés les textes officiels les plus importantes concernant les droits des malades, parmi ceux-ci :
- La loi du 20 décembre 1988 révisée le 20 juillet 1994, dite loi Huriet, sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales.
- La loi du 27 juin 1990 qui affermit le respect des droits des malades admis en institutions psychiatriques et crée une commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques chargées de contrôler le respect de la liberté et de la dignité des personnes hospitalisées sans consentement.
- À partir de l'année 1994, toute une série de textes européens ou nationaux, vont insister, particulièrement, sur la nécessité du recueil du consentement éclairé des patients après une information claire, loyale et appropriée. Allant plus loin, l'arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997 a inversé la charge de la preuve que l'information avait été donnée. Auparavant cette preuve était le fait du patient, maintenant il incombe au médecin d'en prouver l'exécution. Selon la Cour, le défaut d'information de la part du médecin, peut entraîner pour le patient, un préjudice qui consiste à la perte de la chance d'avoir pu faire le choix éclairé.
- Récemment la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, vise à l’instauration d'une véritable « démocratie sanitaire. »
En ce qui concerne plus particulièrement la pratique psychiatrique, la loi précédente propose l'augmentation, de quatre à six, du nombre des membres des Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques, en ajoutant un médecin généraliste et un représentant des usagers.
- Enfin le Plan santé mentale, publié par le ministère an 2001, souligne par son titre : « l'usager au centre de dispositif rénové », la double intention de promotion des droits des patients et de refonte du système de soins. Il est envisagé la promulgation d'une « loi-cadre » dont, parmi les premières priorités, on note, avec satisfaction, la révision de la loi du 27 juin 1990 et la lutte contre la stigmatisation attachée aux maladies mentales.
Dans l'évolution actuelle de la relation médecin-malade, une dimension devient essentielle : la participation, même poussée jusqu'au partenariat. « Cette évolution n'est ni bonne ni mauvaise », selon Mme Anne Fagot-Largeault, « elle est un choix de société, elle va avec le choix de vivre dans une société plus démocratique ».(4)
Ainsi devraient s'affirmer deux démarches nouvelles, également importantes sur le plan de l'évolution de nos sociétés : la notion de « démocratie sanitaire » et celle « d'éducation à la santé. » La « démocratie sanitaire » dans le sens retenu par le rapport Evin: « le droit de chacun à être traité dans le système de soins, en citoyen libre, adulte et responsable ». Le devoir « d'éducation à la santé » auquel devront se soumettre les individus, s'ils veulent pouvoir revendiquer et exercer les droits de leur citoyenneté.
Mais quel que soit le développement et la qualité de « l’éducation à la santé », il n'en est pas moins vrai que toute maladie peut venir plus ou moins obérer l'exercice de cette « démocratie sanitaire ». Ce n'est pas seulement par un désir de comportement autocratique que s'est développée la relation paternaliste, aujourd'hui, reprochée à la médecine française. L'angoisse, la douleur, la diminution des ressources psychiques dues à la maladie induisent le patient à rechercher auprès de son médecin une relation privilégiée où ce dernier pouvait donner libre cours à ses sentiments de bienveillance et ses attitudes de bienfaisance.
D'autre part, le respect, souhaitable, de l'autonomie du patient, ne peut pas aller, pour nous, jusqu'à la relation médicale Anglo-Saxonne, construite sur le modèle des contrats passés entre individus libres et égaux. Il n'y a pas d'égalité entre le praticien et le malade qui souffre qui a peur et attend une intervention presque « magique » de la part de ce dernier. De plus, l'angoisse, née de la pathologie, vient limiter, chez le patient, les possibilités de compréhension d'un langage médical difficile à communiquer, malgré tous les efforts faits dans ce domaine, d'autant que ce dernier, le patient, n'est pas toujours disposé à le recevoir.
Quoi qu'il en soit, la situation où les « malades étaient ramenés à l'état d'enfants dociles de leur médecin de famille »(4), a vécu, mais il est difficile d'imaginer l'évolution de la relation soignante, surtout en France ou la « nécessité thérapeutique » individuelle et collective a encore droit de cité face au consentement du patient. Irons-nous vers une relation soignante ou s'accorderaient un principe de bienfaisance, sans excès de paternalisme et un principe d'autonomie, modulé pas la tradition française du respect des devoirs universels envers les autres et soi-même ? Irons-nous vers une attitude médicale où, selon Mme Anne Fagot Largeault, « le praticien, tout en étant attentif aux volontés exprimées par le patient, conserverait la responsabilité des décisions, en veillant en respect d'une discipline collective jugée bienfaisante pour les individus ? (4) »
Tout cela vaut pour la médecine en général mais qu'en est-il pour la psychiatrie ? Déjà on peut se demander ce que peut devenir la notion d'autonomie, et même l’exercice des droits récemment reconnus, dans une discipline où dominent les atteintes du psychisme, c'est-à-dire les possibilités d'expression d'un jugement et d’une volonté personnelle. Malgré tous les principes démocratiques, la maladie mentale à sa propre logique qui n'est pas celle de tout le monde et dont le propre est de céder à l’irrationalité. Les psychiatres n'ont pas attendu l'arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997 pour se préoccuper du problème de la qualité de l'information donnée, qui conditionne la valeur du consentement et fonde l'alliance thérapeutique. Mais, reconnaissons-le, ils s'en préoccupaient plutôt dans l'intimité de leur relation singulière avec le patient ou de leur réflexion, au sein de ce dialogue avec eux-mêmes, où s'élabore la qualité de leur « art médical." »
Les difficultés de communication dues à la maladie mentale, certes, ne légitiment pas une rétention d'information, d'autant que l'expérience nous a appris que celle-ci, concernant l'ensemble de la personnalité, se traite par la mobilisation de la globalité des potentialités du sujet et que l'efficacité d'une information, tenait, parfois, moins de sa qualité « informative», c'est-à-dire la valeur des renseignements donnés, que de sa dimension de manifestations d'attention, de respect, de considérations et même d'amitié, autrement dit, du contexte affectif dans lequel elle est exprimée par le médecin et reçue par le patient.
Si l'on revient sur le projet de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins, il est sans ambages puisque, dès le titre premier, est affirmé le désir d'instaurer une « démocratie sanitaire » basée sur la participation plus active du patient à son processus de soins et la possibilité accordée aux associations d'usagers d'exercer un droit de regard sur l’élaboration et l'application de la politique de santé publique du pays.
C'est un pari ambitieux qui va demander de véritables efforts aussi bien aux soignants qu’aux soignés, les uns devant s'astreindre à un effort de communicabilité, les autres à un effort de sensibilisation et de formation aux problèmes de santé publique qu'ils soient individuels ou collectifs.
C'est à ce prix qu’on peut espérer une évolution favorable de l'état d'esprit des usagers passant progressivement du comportement de consommateur de soins, plus ou moins passifs, au statut de citoyen responsable face à la maladie. Malgré les nombreuses tentatives d'information sur les problèmes de santé et d'hygiène de vie, reprises inlassablement par les différents médias, le niveau moyen de connaissance des consommateurs de soins demeure encore insuffisant, d'autant que l'état de maladie diminue encore plus leurs qualités de critique et de jugement, pressés qu’ils sont et à bon droit, de trouver apaisement à leurs inquiétudes et leurs souffrances.
Dans ce domaine de l'information et de la formation des usagers, il faut rendre hommage, en toute justice, au rôle essentiel joué par leurs associations et celles de leur famille. Nous en avons vérifié l'efficacité en psychiatrie et il est légitime que leur action soit reconnue par la loi.
Pourtant certaines voix expriment des craintes face à l'évolution en cours, notamment celle de juristes qui, subodorant une évolution à l'Anglo-saxonne, redoutent que la question de l'information et du consentement ne devienne le « cheval de bataille » de toutes les associations spécialisées dans la défense des victimes d'accidents médicaux, avec le risque d'aggravation du contentieux de la responsabilité médicale. Pour le moment cette crainte paraît exagérée si l'on en croit le témoignage des Commissions de Conciliation d’établissements hospitaliers qui ne notent pas, au cours des dernières années, une augmentation significative des plaintes. Mais nous manquons de recul et de données statistiques assez générales pour nous rassurer sur l'éventualité d'une tendance dont les conséquences pourraient être néfastes à la qualité intersubjective de la relation soignante. Certains praticiens, inquiets des contentieux possibles, pourraient céder à la tentation de se réfugier derrière des documents informatifs préétablis ou de solliciter des consentements signés de la main des intéressés, ce que ne demande pas la loi, sauf en cas de recherche et de chirurgie esthétique. Une telle attitude pourrait être interprétée, par le patient, comme un geste de méfiance du médecin cherchant, avant toute chose, à décharger sa responsabilité, au détriment de la dimension d'écoute, d'échange et de réconfort qu'il est en droit d'attendre.
Parler de « démocratie sanitaire » veut dire, primauté grandissante du principe d'autonomie au détriment d'un paternalisme désavoué qui n'est plus supporté que « tempéré » ou « éclairé ». Sortant d’une position d'infantilisation médicale, le « malade-citoyen » cède la place au « citoyen malade », mais avec pour conséquence une irrésistible montée en puissance des normes juridiques et des droits des citoyens et le risque d’une réduction du sujet, au seul sujet de droit. Le risque en saurait de réduire l'homme à sa seule citoyenneté au-delà d'un nécessaire équilibre entre sujet de droit et sujet souffrant. La loi de 27 juin 1990 en est un bon exemple, qui est apparu comme privilégiant la protection du citoyen contre un éventuel internement arbitraire plutôt que de mettre l'accent sur la protection et l’assistance au malade mental, comme le voulait la loi de 1838.
Si le citoyen est d'abord citoyen sur l'agora, parent dans sa famille, croyant dans son culte, il doit conserver le droit d'être d'abord un « sujet souffrant » dans un hôpital. Il conviendrait que l'affirmation paradoxale des droits de l'homme ne menace pas un individu en niant la complexité de sa nature et en le réduisant à sa citoyenneté. Tout ce qui renforce la citoyenneté du malade, certes, est bon, pourvu qu'il n'en coûte pas aux soins du citoyen.
Si la citoyenneté du malade est de plus en plus interpellée par l'éthique médicale individuelle, elle l’est également par la dimension collective de l'approche éthique de santé publique. La progression du déséquilibre entre les dépenses de santé des pays, même les plus développés, et leur produit national brut, génère la notion d' « économie normative » dont le but est de définir et de justifier les mesures collectives les plus utiles, à partir d'une approche évaluative des techniques et des pratiques médicales. C'est l’esprit « d'utilitarisme » qui s'inspire de la morale téléologique Anglo-saxonne pourtant différente de la déontologie médicale française traditionnelle qui privilégie les intérêts de l'individu et le colloque singulier médecin-malade. Le poids des dépenses de santé l'imposera de plus en plus même dans le champ de l'éthique médicale individuelle. La loi de 1993 sur « la régulation médicale des dépenses de santé » a ouvert la brèche, en introduisant le concept de « références médicales opposables » c'est-à-dire de techniques de soins qui, après évaluation, peuvent être imposées aux médecins par la collectivité ou par leurs pairs. La multiplication des conférences de consensus montre que la majorité du corps médical accepte cette démarche.
Il est paradoxal de constater que les deux démarches éthiques, individuelles ou collectives, apparemment antinomiques, sont, dans leur développement actuel, lourdes du même risque d’effacement de l'image du malade derrière celle du citoyen ; citoyen, dans un cas, considéré comme suffisamment maître de lui-même pour pouvoir passer contrat avec son médecin vécu comme un pair ou citoyen, dans l'autre cas, auquel la communauté impose ses obligations. Le principe de subjectivisation de l'individu, fondement premier de l'éthique psychiatrique, ne peut pas se résoudre à ce risque d'effacement ou même d’appauvrissement au détriment de la singularité humaine. Il en est là de l'essence même de la pratique psychiatrique dans la mesure où la « folie » en tissant, le plus souvent, ses fils à ceux de la personnalité du malade, se rend inséparable de lui.
La visée du soin psychiatrique se caractérise par une attention particulière à la personne, puisqu'il s'attache à la restauration du psychisme troublé en même temps qu'au soulagement de la souffrance liée à ce trouble.
Cette attention particulière à la personne se manifeste par le caractère essentiellement relationnel du soin psychiatrique même s'il est centré sur des prescriptions médicamenteuses et articulé selon un environnement institutionnel.
Dégager la dimension proprement éthique de cette attention à la personne demande un effort de réflexion portant sur les fondements même de l’action du soin et pose la question de ses objectifs, car la restauration d'une psyché troublée ne saurait obéir au principe général de la restauration des fonctions organiques.
Si bien qu'en psychiatrie le, respect de l'autonomie, de la dignité et la recherche du bénéfice des soins pour la personne s'inscrivent dans un processus dynamique, évolutif au cours du temps, axé sur la relation qui a pour propriété de se construire comme une histoire portée à l'expression par la parole.
La mise en oeuvre des valeurs et des principes éthiques qui les sous tendent ne saurait donc résulter d'une estimation expertale fixe et ponctuelle, mais elle est appelée à se vivre selon la singularité d’une relation et cela même si l'appareillage conceptuel technique de la clinique et de la thérapeutique est de nature évaluative se prétant à l'établissement de données chiffrécs.
La question s'est posée à la psychiatrie de la nature des normes qui guide son action, ce qui ouvre la question de la normalité psychique à laquelle les principes éthiques n’ont probablement pas à répondre.
L'information du patient et la recherche de son consentement constituent deux temps essentiels pour la démarche éthique d'ailleurs dépendants l'un de l’autre puisqu'il n'est de consentement valable qu'éclairé, c'est-à-dire informé. Or ces deux temps s'avèrent particulièrement problématiques en psychiatrie.
Informer, dans le cadre de la relation médecin malade consiste à communiquer l’articulation d'un savoir à la situation particulière du patient. Ce qui chez le praticien est de l'ordre d'un savoir devient vérité pour l'existence singulière du patient, or ce concernement de l'existence est renforcé en psychiatrie parce que le savoir porte sur le fonctionnement psychique. C'est ainsi que la dimension du diagnostic, dénomination de la maladie, désigne pour une part l'identité de la personne et ceci à tel point que certains diagnostics psychiatriques équivalent à des injures. La connaissance du diagnostic ouvre la question de la cause du trouble qui expose le patient et souvent son entourage à la culpabilité, la maladie psychique pouvant être, plus que d'autres, considérée comme le résultat d'attitudes fautives. Par le savoir sur le pronostic est touché le rapport de la personne à son destin, à la forme que peut prendre la suite de son existence. Enfin, par l'information sur la thérapeutique, il est fait appel aux tendances à la soumission passive ou à la collaboration active de la part de la personne.
Ces effets de concernement de l'existence par la communication du savoir médical sont propres à l'ensemble de la médecine mais renforcés en psychiatrie puisqu'il y est question de l'être même du sujet.
Nous touchons avec l'information à une autre particularité de la psychiatrie évoquée plus haut : ses appartenances doctrinales variées qui se répercutent sur l'information des patients dans la mesure où le trouble ou la maladie, peuvent être conçus comme un événement quasi extérieur, s'emparant du psychisme, ou comme la conséquence de ce fonctionnement psychique lui-même et de ses relations avec l'environnement. Dans le premier cas le patient est porteur de la maladie, dans le second il en est, pour une part, l'instigateur. Cet écart, qui paraît ici caricatural pèse d'un poids important sur l'orientation de l'information et sur le mode d'alliance thérapeutique qu'elle instaure.
Une attitude peut-être intermédiaire est actuellement en cours de développement, elle consiste à intégrer l'information à une forme d'action pédagogique à visée thérapeutique propre, aboutissant à permettre au patient de reconnaître ses troubles, de les nommer, et d'apprendre en quelque sorte à les gérer en rapport avec le cours de son existence. Cette orientation a l'avantage d'intégrer de manière positive les familles aux procédures d'information et aux entreprises thérapeutiques.
La transmission de l'information pose bien entendu le problème de sa compréhension par le patient. Ce parasitage de l'information par l'activité fantasmatique propre du patient est un phénomène général dont l'ensemble de la médecine doit tenir compte mais en psychiatrie il est renforcé par trois ordres de difficultés qui ne peuvent ici qu'être indiquées. Le trouble peut affecter les capacités cognitives, les instruments de l'intelligence, il peut relever d'une activité délirante qui aboutit à interpréter les contenus de l'information et à les déformer par des fausses connections, il peut aussi, dans les cas des troubles de l'humeur ou la prééminence de l'anxiété aboutir à une compréhension radicalement déviée.
Enfin, intervient un autre ordre de perturbations de l'information relevant des représentations négatives répandues dans l'opinion au sujet des maladies mentales, qui sont d'une particulière intensité lorsqu'elles concernent la schizophrénie.
De l'ensemble de ces particularités se dégage à l'évidence que l'information en psychiatrie ne saurait être ponctuelle et relever de procédures systématisées qui se pratiquent dans d'autres domaines, mais qu'elle est à intégrer à la relation médecin malade comme un processus étendu dans le temps, adapté à la personne du patient, parfois aussi à son entourage et intégré à la conduite des soins.
Toujours dans le chapitre de l'information, la loi du 4 mars 2002 a établi la possibilité, pour le patient, d'accéder directement à son dossier de soins. Ce qui n'est pas sans poser des problèmes en psychiatrie compte tenu d'éventuelles répercussions psychologiques et de réactions irrationnelles chez des sujets atteints dans leur jugement. Comme nous l'avons vu précédemment, la loi a prévu une disposition particulière pour la psychiatrie, chargeant les Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques de jouer le rôle d'arbitre en cas de désaccord entre le patient et son médecin traitant sur l'opportunité d'accéder directement, sans intermédiaire, à son dossier médical.
Les nouvelles dispositions légales,affirmant que les informations que contient le dossier sont désormais considérées comme une extension de la personnalité du patient, font de celui-ci leur indubitable propriétaire, charge à lui d'assurer le contrôle des éventuelles utilisations abusives des données numérisées de son dossier médical. Il se trouvera seul face à l'avidité des assurances , des banques , des mutuelles , des firmes pharmaceutiques , et pourquoi pas , des employeurs.
La question du consentement dont l'information est une condition absolue en regard du respect de l'autonomie autant que de la dignité de la personne est tout d'abord particularisée en psychiatrie par la possibilité d'exercer la contrainte et par conséquent de passer outre au consentement pour l'hospitalisation et pour les soins.
Ces conditions nécessaires pour l'exercice de la contrainte sont liées aux risques en rapport avec le comportement du patient dans la mesure où il est lié à la pathologie. La contrainte introduit un déséquilibre considérable entre les principes éthiques en faveur du bénéfice à rechercher pour le patient dont seul le médecin est alors juge, les principes d'autonomie et bien entendu de recherche du consentement ne sont alors pas respectés. Que l'information soit délivrée malgré la difficulté des circonstances et que la contrainte soit appliquée avec le moindre déploiement de force possible peut atténuer l'atteinte à la dignité.
La formule en usage lorsque est prise la décision de mettre en oeuvre la contrainte consiste à attester que « les troubles du patient rendent impossible son consentement » ce qui introduit la notion complexe de capacité à consentir spécifique de la psychiatrie. Que l'incapacité à consentir relève de troubles cognitifs instrumentaux, de troubles délirants ou de l'humeur, elle ne peut être attestée qu'en situation et s'avère, dans un grand nombre de cas fluctuante et évolutive. De ce fait la question du consentement se présente aussi à la manière d'un processus plutôt que d'un moment ponctuel. La contrainte évoluant notamment dans un grand nombre de cas vers le consentement négocié dans un second temps.
En dehors de ces situations de contrainte le problème général du consentement aux soins en psychiatrie est tributaire d'une part de la capacité de compréhension et de mémorisation du patient mais aussi de sa capacité à concevoir qu'il est atteint de troubles, à se les représenter, à intégrer un projet thérapeutique aux perspectives de son existence et, à s’avérer en mesure de prendre une décision à cet égard et à maintenir cette décision au cours du temps. Même s'il existe des tests permettant d'évaluer ces diverses dimensions il est aisé de comprendre que leur appréciation ne saurait être adéquate qu’en situation, dans le cadre de la relation soignante et de son évolution, rapportée aussi à l'histoire personnelle du patient et à ses éventuelles expériences antérieures du soin psychiatrique.
Il est un fait que les troubles psychopathologiques et les thérapeutiques dont ils relèvent, ne se prêtent pas à une représentation imagée et ponctuelle; leurs définitions sont complexes, parfois mal circonscrites comme c'est le cas pour la schizophrénie. L'information nécessite que le médecin s'efforce de les rapporter aux conditions concrètes de l'existence et aux difficultés relationnelles qu'ils occasionnent pour engager le patient à collaborer avec l'action thérapeutique, ce qui donne actuellement le pas aux thérapeutiques réadaptatives.
Il est un domaine des thérapeutiques psychiatriques qui pose des problèmes particuliers, spécifiques aussi à la psychiatrie, c'est celui du consentement aux psychothérapies.
Les psychothérapies structurées sont toujours en rapport avec une conception, une théorie, du fonctionnement psychique et de la genèse de ses troubles. S'il est possible de présenter un procédé psychothérapeutique selon son cadre, selon les procédures que le patient s'engage à suivre, il est bien difficile de lui faire-part de la conception du psychisme dont elle relève, si bien que l'on peut se demander si l'engagement dans un processus psychothérapeutique obéit aux règles du consentement éclairé. Ce problème est particulièrement renforcé dans le cadre des psychothérapies inspirées par la psychanalyse. Car la référence à l'inconscient met en porte-à-faux les concepts de l'éthique, comme l'autonomie, et le consentement, qui relèvent de la part consciente de la personnalité. Là aussi, il est nécessaire d'envisager le consentement comme un processus qui portera initialement sur le cadre et qui se déploie au cours de la marche du traitement plutôt que comme moment ponctuel inaugural.
Dans un domaine moins spécifique on pourra encore évoquer la question du consentement éclairé en regard des patients psychotiques chroniques qui sont intégrés à des entreprises psychothérapiques de divers ordre, plus ou moins structurées, prises dans les projets institutionnels et à propos desquelles il est quasi impossible de clarifier aux yeux des patients les enjeux théoriques ou doctrinaux qui sont à l'oeuvre.
L'intérêt porté au questionnement éthique sur l'information et le consentement traduit l'avènement d'un nouveau mode de relation entre les médecins et les patients allant du paternalisme protecteur et souvent autoritaire au partenariat axé sur le dialogue. Mais cette évolution est lente et très progressive et ne va pas sans certains écueils dont l'un des plus redoutables réside dans la confusion pour le praticien entre l'attention éthique à l'égard de la personne et sa propre protection crispée à l'égard de la menace juridique. L'ensemble de la médecine connaît ce dilemme mais il soulève des difficultés particulières en psychiatrie parce que, comme il a été dit, la nature de son objet concerne la part la plus singulière de la personne, parce que ces procédures thérapeutiques ne peuvent que rarement relever de protocoles systématisés du fait des difficultés à les faire comprendre et accepter aussi bien aux patients eux-mêmes que bien souvent à leur entourage.
Néanmoins, la psychiatrie, bien qu'affectée, elle aussi d'un lourd passé contraignant, autoritaire et paternaliste, est animée surtout depuis la deuxième moitié du vingtième siècle d'une tendance forte au dialogue, et à l'écoute des patients à partir notamment du mouvement psychodynamique et de la psychothérapie institutionnelle. En ce sens on a pu estimer qu'elle était en avance par rapport à la médecine somatique en ce qui concerne l'attention à la personne singulière, les efforts étant portés sur l'information et le consentement. Le revers de ces avancées pourrait relever du risque insidieux d'enfermer les patients dans les représentations idéologisées du fonctionnement psychique auxquelles le psychiatre ne peut qu'avoir recours.
Les Commissions de Conciliation installées dans les hôpitaux depuis 1996, ont permis de constater que la majeure partie des sources d'insatisfaction des patients, allant du simple mécontentement à de dramatiques désarrois, étaient en rapport avec l’insuffisance de l'information aussi bien préalable que postérieure aux actes médicaux, mais aussi à un défaut de suivi relationnel immédiatement après la survenue d'un dommage. Selon la toute récente loi du 4 mars 2002, ces commissions, jugées insuffisamment efficaces vont faire place à une structure nouvelle : « la Commission Régionale de Conciliation et d'Indemnisation » ayant pour objet le règlement des litiges.
Enfin une question d'actualité concerne la formation des médecins, des psychiatres qui intègrent d'une manière qui va croissant les sciences humaines et notamment l'éthique en divers point du cursus, depuis près d'une décennie. Des Certificats de Maîtrise ont été créés pour les étudiants, ainsi que des Diplômes d'Université et des D.E.A. s'adressant aux praticiens plus avancés. Quels sont les effets de ces enseignements et de ces formations sur les attitudes médicales, le climat relationnel avec le public, l'image de la médecine et de la psychiatrie? Ce que la psychologie médicale a promu depuis plus de quarante ans, trouve ici un moyen d'expansion selon un registre qui a pourtant d'autres visées, celles de l'éthique.
Poser la question de l'éthique du soin sous contrainte, revient à interroger la psychiatrie sous l'angle du conflit qui oppose la violence de la maladie à celle que la société supporte et légitime.
La première contrainte qui s'exerce sur le malade mental est celle de la maladie qui infiltre le sujet jusqu'au plus intime de lui-même, jusqu'à ce point tout à la fois médical, juridique et philosophique qui définit le libre arbitre et la conscience de soi. « La maladie mentale est une pathologie de la liberté », écrivait Henri Ey.
La seconde contrainte, celle de la société s'exerce sous la forme des contraintes légales que l'homme accepte de s'appliquer à lui-même et fluctue selon les évolutions de l'opinion sur la définition et les limites de la normalité. Dans le cadre de l'hospitalisation sans consentement, cette contrainte d'ordre social, en accord avec l’évolution de l'éthique médicale individuelle, tend à se limiter en affirmant les droits du citoyen contre l'arbitraire de la société, voire de la maladie. En revanche, en matière d'injonction judiciaire de soins, fidèle aux principes de santé publique, elle affirme le droit de la société à contraindre les individus à se soigner. La loi de 1998 sur les délinquants sexuels en est le dernier exemple.
Dans l'une et l'autre attitude vis-à-vis de l'hospitalisation sans consentement ou de l'injection judiciaire thérapeutique, apparemment antinomiques, la société, pourtant, poursuit une démarche cohérente qui tend à privilégier la pensée juridique au détriment de la pensée médicale et l'objectivité du citoyen aux dépens de la subjectivité de la souffrance. Une telle évolution, comme il l’a déjà été évoqué, relève d'une meilleure reconnaissance des droits des individus mais pas seulement, la psychiatrie elle-même est en cause : culpabilisée par une représentation exagérément péjorative de son héritage « asilaire », elle semble renoncer à affirmer la légitimité de sa vocation clinique hospitalière, moment essentiel, pourtant, de la démarche de soins, où elle peut exercer son devoir d'accueillir, de protéger et de soigner.
Dès 1977 l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe, dans sa recommandation 818(1977), soulignait la nécessité d'une meilleure protection juridique des malades mentaux, en particulier de ceux qui font l'objet de mesures de placement involontaire. Les travaux d’un comité d'experts ont abouti à la rédaction d'un texte, adopté, le 22 février 1983, par le Comité des Ministres de l'ordre, en tant que recommandation nºR(83)2 qui demandait aux états membres d'adapter leur législation ou d'en élaborer une conforme aux nouvelles dispositions européennes.
Le 12 avril 1994 l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté la recommandation 1235(1994) invitant le Comité des ministres à promulguer une nouvelle recommandation relative à la psychiatrie et aux droits de l'homme. Cette tâche a été confiée au groupe de travail sur la psychiatrie et les droits de l'homme, organe subordonné du Comité Directeur pour la bioéthique qui a publié en 2000 un « Livre Blanc » à des fins de consultations publiques, en vue d’élaborer des lignes directrices à insérer dans un nouvel instrument juridique du Conseil de l'Europe.
On ne peut être que d'accord avec que la grande majorité des propositions de ce « Livre Blanc Européen » dont la préoccupation majeure est la défense des droits des malades dans le respect de leur liberté et de leur dignité. Toutefois fait débat en France, un point, la séparation du consentement à l'hospitalisation et au traitement, sujet sur lequel nous ne partageons pas l'avis et les propositions, de référence anglo-saxonne, des membres de la Communauté européenne.
L'approche juridique du consentement, d'ordre rationnel, est relativement simple : il y a où il n'y a pas consentement. Il en est tout autrement de l'approche médicale où l'affectivité des patients l'emportant sur leur raison, peut générer des formes variées autant qu’évolutives de consentements. Que dire, alors, des personnes atteintes de troubles psychiques dont l'irrationalité et le risque encouru qui en dépendent, justifient la contrainte d'une hospitalisation?
Le « Livre Blanc » européen, en prônant la séparation du consentement à l'hospitalisation et du consentement au traitement, reprend la position des pays Anglo-saxons et du Nord de l'Europe très sensibles à ce problème de privation de liberté externe qui, pour eux, fait grief même justifié par des raisons médicales évidentes. Paradoxalement cette attitude de défense des libertés du patient qui peut aboutir à surseoir un temps au traitement nécessaire peut avoir le sens d’abandon sans soins de malades mentaux dans des lieux d'enfermement. La valeur thérapeutique de l'hospitalisation n'est pas prise en compte dans sa mission de protection, aussi bien dans son rôle de « contenant réparateur » que dans celui de pare-excitation des stimuli extérieurs. L'institution psychiatrique est assimilée à une prison, sans compter qu’en l’absence du consentement du patient et l'attente de l'avis du référent ou de l'autorité indépendante compétente pourra s’écouler un temps pendant lequel se pérennisera la souffrance du patient ce qui n'est pas sans danger pour l'évolution de certains états morbides graves.
Les auteurs du « Livre Blanc » européen justifient leur position, par le bénéfice d'ordre psychologique, retiré par le patient du fait de pouvoir consentir au traitement proposé, premier acte d'une alliance thérapeutique à laquelle on lui donne ainsi des chances de mieux adhérer. Des équipes psychiatriques françaises ont constaté le bien-fondé de cette attitude thérapeutique au plan individuel et même au plan institutionnel où la qualité de la relation soignant-soigné serait améliorée par l'adoption d’une attitude de recherche presque systématique du consentement au traitement.
Entre la conception, trop formaliste, des pays Anglo-Saxons et du Nord de l'Europe et la réglementation française actuelle qui peut permettre un automatisme de comportement ne laissant aucune place à l'avis du patient, au détriment, sans nul qui se doute, de sa participation au processus de soins, existe une position intermédiaire basée sur une sensibilisation rigoureuse des équipes institutionnelles à la dimension éthique de la relation soignante qui considère le patient, hospitalisé sous contrainte, bien que limité dans son jugement par sa maladie, comme susceptible d'exprimer une manifestation d’autonomie qui le fonde comme « sujet » d'une alliance thérapeutique nécessaire. Le Plan Santé Mentale publié par le Ministère de la Santé annonce une révision de la loi du 27 juin 1990 qui sera bienvenue si elle apporte des réponses aux faiblesses de ce texte législatif.
L'expérience des Commissions Départementales des Hospitalisations Psychiatriques. (CDHP) a démontré qu'il n'y a pas ou très peu de véritables problèmes de privation de liberté parmi les plus de 50 000 cas d'hospitalisation sous contraintes qui sont accueillies chaque année dans nos institutions psychiatriques et qu'il ne convenait pas de multiplier, au moment de l'admission, les garanties qui ne peuvent que gêner l'accès aux soins que tout, au contraire, doit favoriser. La complexité des situations rencontrées jointe à la grande évolutivité des troubles mentaux, oblige à revenir au respect des grands principes de la pratique psychiatrique que sont la simplicité, la rapidité, la souplesse, la diversité et l’évolutivité des interventions.
Les CDHP nous ont aussi montré que c'est au niveau du respect de la dignité des malades hospitalisés que se pose le plus de questions, aussi bien sur le plan matériel que psychologique. C'est une question d'ordre éthique autour de laquelle devraient se rassembler et s'interroger tous les responsables du soin psychiatrique. C'est une invitation à la création dans les institutions psychiatriques d’instances à vocation éthique, largement ouvertes aux responsables de la société civile, dans la double intention de modifier la relation entre soignants et soignés et d'améliorer les représentations sociales de la maladie mentale.
La médecine, le politique et la société demandent de plus en plus à la psychiatrie d’intervenir dans d'autres champs que le sien propre. Ainsi en est-il par exemple :
- de certains domaines de la médecine, dite « de pointe », où les découvertes scientifiques et l'application de technologies nouvelles (chirurgicales, biologiques, radiologiques, génétiques, etc.) ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques : techniques d'aide médicale à la procréation, transplantations d'organes, diagnostics positifs et / ou prédictifs avec implication directe sur la vie d'un embryon (diagnostic prénatal - diagnostic préimplantatoire - interruption médicale de grossesse, interruption sélective de grossesse.)
- du psychiatre, nommé par un représentant de l’Etat, pour siéger dans des commissions telles que les Centres Pluridisciplinaires de Diagnostic Prénatal, les Commissions Régionales de la Naissance, les Commissions qui jugent de la recevabilité de donneurs d'organes vivants et apparentés, etc.... sans parler des commissions d'orientation dans le champ du handicap.
- L'objectif de ces "appels" au psychiatre est d'apporter, dans ces situations particulièrement bouleversantes pour le psychisme humain, l'expertise d'un "spécialiste du fonctionnement psychique". Mais il est important de préciser que la place du psychiatre est double :
- en tout premier lieu, il vient "assurer" le médecin somaticien que le patient dont celui-ci a la charge, est exempt de troubles psychopathologiques avérés ou potentiels risquant d'entraver ses capacités de compréhension et de jugement. En effet, si tel était le cas, et si aucun soin spécifique n’était proposé, les principes éthiques de l'acte médical envisagé seraient remis en cause, le patient risquant de souffrir psychologiquement et dans son corps du geste accompli sur lui et/ou de mettre en péril les résultats de l'acte médical lui-même.
- au-delà de cet "avis spécialisé", certes nécessaire pour s'assurer que les capacités de jugement du patient sont bonnes, l'intervention du psychiatre apporte ici une dimension éthique supplémentaire et finalement essentielle: elle permet d’aider le patient à prendre en compte la dimension du sens (ou des sens) de l'acte médical qui lui est proposé, de sa demande propre, de son acceptation. Même si ce point est pertinent, quel que soit le domaine de la médecine (c'est tout le champ de la psychologie médicale et de la psychiatrie de liaison), il est fondamental dans les situations citées plus haut dans la mesure où les questions qui y sont abordées touchent aux règles et aux fondements de la procréation et de la filiation, aux limites du corps et à la notion de soi et non soi, à la "mécanisation" et l'instrumentalisation du corps, au pouvoir de vie et de mort sur soi et l'autre, au désir de vie, de mort et d'immortalité.
De ce fait, le psychiatre convié à faire partie de "l'équipe médicale" permet que les principes s'appuient et tiennent compte de la subjectivité du sujet, dans sa dimension consciente et inconsciente.
"Spécialisation" dans le champ même de la psychiatrie, la pédopsychiatrie occupe une place à part entière en France à partir des années 70 - 80, au moment où la politique de secteur prend toute son ampleur. Pour autant, l'idée de porter une attention particulière à l'enfant et à la spécificité de ses troubles psychopathologiques n’est pas nouvelle et se développe lentement depuis le début du XXème siècle, en réaction aux modèles adultomorphiques. Les psychanalystes y jouent, en l'occurrence, un rôle majeur. En effet, le champ théorique qui féconde la pédopsychiatrie a longtemps été essentiellement la psychanalyse. Et ce n'est que récemment que la pédo-psychiatrie, sur les traces de la psychiatrie générale, s'ouvre aux autres champs théoriques et de recherche que sont la neurobiologie ou la psychologie cognitive. Les mêmes risques potentiels menacent alors la pédopsychiatrie, ceux de la perte de référence au sujet dans sa singularité (son identité d'enfant en développement somatique et psychique, et en liens identificatoires à ses parents et aux autres) au profit de la seule prise en compte du fonctionnement d'un organe (son cerveau) ou de soins à apporter à un handicap ou un trouble du développement. Les pédopsychiatres doivent y être particulièrement attentifs pour que ces ouvertures enrichissent leur discipline.
L'objet même de la pédopsychiatrie est un enfant, un mineur.
Si les principes éthiques concernant la recherche de bénéfices pour le patient et le respect de sa dignité sont indéniables en psychiatrie de l’enfant, la question du respect de son autonomie, de la transmission de l'information et de la recherche d'un consentement posent évidemment problème : en effet, les capacités de compréhension d’un enfant sont relatives dans le temps et sa dépendance tant affective que légale donne un éclairage particulier aux notions de compréhension, d’autonomie et de consentement. Pour autant, le manque d'autonomie d’un enfant ne doit pas empêcher de lui reconnaître une place de sujet et implique la prise en compte pleine et entière à la fois de l'enfant et de ses parents.
L'information est délivrée aux et avec les parents. Pour les adolescents, le problème se pose à peu près dans les mêmes termes que pour les adultes, en précisant toutefois le risque en particuliers de nommer une maladie (donner un diagnostic), avec ce qu’il véhicule de possible chronicité, dans une période de grande mouvance psychologique. De la même façon que Jean Jacques Kress le souligne pour la psychiatrie générale, la dénomination de la maladie, en pédopsychiatrie, se superpose aussi à l'identité de l'enfant (psychotique, autiste, débile.) Mais elle est probablement moins ressentie par les parents comme une injure que comme une profonde blessure narcissique et un coup d'arrêt à leurs projets concernant leur enfant et l'avenir. Le diagnostic les touche dans leur capacité à être parents et les blesse d'autant plus profondément que pendant longtemps, ils se sont sentis ouvertement considérés comme "responsables" des troubles de leurs enfants par les psychanalystes et les psychiatres.
Même très jeune, un enfant est capable de percevoir un malaise plus ou moins précis et de souffrir d’un décalage et d’une différence par rapport aux autres enfants. Mais ce n’est que tardivement, vers l’adolescence, qu’il peut accéder à une véritable compréhension de ses troubles psychopathologiques, surtout d’ordre névrotique. Ceci s’explique par le fait que l’enfant est touché dans son processus développemental et ses capacités relationnelles. Les parents doivent être aidés à reconnaître et comprendre les troubles de leur enfant afin de mieux pouvoir aider celui-ci, pour entendre le sens que ses troubles prennent pour eux et en quoi ils s'articulent ou non à leur propre problématique plus ou moins inconsciente. La compréhension que l'enfant a de son état est nécessairement dépendante de celle des parents et surtout de leur capacité à accepter leur propre implication (sans que cela soit synonyme de culpabilité, en tous cas dans l’esprit du psychiatre) mais aussi l'autonomie de l'enfant, dans les soins en particulier. Longtemps tenus à l’écart du projet de soins, les parents revendiquent actuellement, et à juste titre, d’être respectés et reconnus dans leur statut et leurs responsabilités. C’est bien dans ce contexte que l’information et l’aide à la compréhension des troubles de l’enfant doivent leur être apportée.
Le consentement : ce sont les parents qui acceptent les soins pour un enfant. Cela est indispensable. Mais cette acceptation parentale ne doit pas se substituer définitivement à celle de l'enfant. Elle représente un soutien de l'enfant au début mais doit laisser advenir son adhésion. Celle-ci devient possible lorsque le soulagement de ses troubles va de pair avec l'accord parental au projet de soins. Ceci concerne aussi bien une hospitalisation, lorsque les troubles psychopathologiques sont lourds (autisme), qu’un travail psychothérapique, lorsque l’enfant commence à adhérer au cadre proposé (les règles du fonctionnement de la psychothérapie) avant de comprendre peu à peu que son individualité et sa subjectivité sont prises en compte et respectées ( en éprouvant par exemple la réalité du « secret » gardé par le thérapeute.) Ce n'est qu'alors qu'il peut utiliser le dispositif proposé pour que quelque chose de sa place de sujet advienne et que l’on puisse parler pour lui d’une acceptation des soins malgré son absence d'autonomie légale.
Cette prise en compte conjointe de la singularité du patient/enfant et de la place qu'occupent ses parents est un des impératifs éthiques qui s’impose au pédopsychiatre.
La recherche en génétique progresse mais n'a guère pénétré dans la psychiatrique courante. Il serait cependant souhaitable que la psychiatrie s'ouvre plus largement au dialogue et à la collaboration avec la génétique et qu'elle se prépare à la difficile tâche d'information des patients et des familles qui lui incombera dans ce domaine d'une manière de plus en plus pressante.
La rencontre entre génétique et psychiatrie produit un redoublement de la forte charge affective des deux domaines : la question des origines, des racines de la vie et de sa transmission et celle du coeur de la subjectivité. Il s'y ajoute la tension entre les déterminismes biologiques des processus révélés par la génétique et la singularité des histoires individuelles. L'opinion publique, de par les doctrines héréditaristes qui ont pesé sur le passé de la psychiatrie est aussi particulièrement sensible à ces questions.
Les possibilités prédictives puis préventives qui s'annoncent demandent que soit entreprise une large information du public en vue notamment de l'inviter à se prêter aux recherches statistiques à grande échelle des méthodes génétiques contemporaines.
La demande de la génétique à l'égard de la psychiatrie consiste à lui faire déterminer clairement des phénotypes sur lesquelles elles puissent travailler, ce qui l'a met à nouveau devant la contradiction entre les approches évaluatives et le travail relationnel attaché à la singularité subjective.
Quoi qu’il en soit, il est aisé de prévoir que les avancées de 'la recherche mèneront sous peu la psychiatrie à affronter tout d'abord la question de la prédictivité puis celle de la prévention, avec ce décalage du savoir qui précède le pouvoir thérapeutique, et qui pose le problème redoutable de l'information dans les situations d'impuissance préventive ou thérapeutique qu'on a pu qualifier de véritable « bombe à retardement » pour les familles. Les questions liées à la transmission héréditaire peuvent venir aggraver les tensions et les troubles relationnels avec l'entourage familial, qui sont évidemment fréquent chez les malades mentaux. Une menace concernant l'avenir s'avère plus difficile à intégrer pour les personnalités perturbées. D'autre part un génome porteur d'anomalies, impliquant l'idée d'inscription intime ineffaçable prête au risque de stigmatisation.
En matière de consentement les investigations génétiques amènent à quitter le domaine du colloque singulier parce que le couple et la filiation sont concernés, cela pose le problème de la confidentialité.
L'approche génétique, si prometteuse, devra faire redoubler de précautions éthiques la psychiatrie qui s'en inspirera afin qu'elle soit compatible avec le maintien d'un accès pour chaque individu malade au sens de ce qui lui advient.
La complexité et, partant, la difficulté de développer une réflexion éthique dans le domaine de la recherche en psychiatrie résident dans la nécessité de prendre en compte tout à la fois des considérations d'ordre juridique et réglementaire, une interrogation sur l'éthique personnelle et sur l'éthique de la relation à autrui, et une approche, épistémologique de la psychiatrie et des science affines.
Comme toute recherche s plus cientifique biomédicale, la recherche en psychiatrie doit être réalisée dans le respect de principes législatifs et réglementaires. En France, ces principes ont été défini par la loi du 20 décembre 1988, dite loi Huriet. Ils concernent notamment l'obligation de protéger les personnes qui se prêtent à des recherches, le devoir de les informer, le recueil de leur consentement écrit, la séparation claire du contrat de soins et du contrat de recherche, et l'obligation de soumettre le protocole recherche à un comité d'experts. Notre expérience de clinicien-chercheur montre que l'application de cette loi dans le cadre de la recherche en Psychiatrie constitue un progrès considérable par rapport à la situation qui prévalait antérieurement.. Bien que perfectible, cette loi met en place les conditions qui permette tout à la fois le progrès des connaissances et le respect de la dignité des patients souffrant de troubles psychiatriques. Elle s’inscrit dans le mouvement actuel visant à une plus large reconnaissance des droits des patients souffrant de troubles psychiatriques.
Toutefois, la question se pose légitimement de savoir si les notions d'information et de consentement qui sont au cœur de la loi Huriet restent pertinentes lorsqu'elles concernent des patients dont les troubles ( tels que délires, hallucinations, schizophrénie, démences, dépressions graves) peuvent perturber la compréhension et le jugement et donc rendre le consentement sujet à caution, Des études expérimentales ont donc été réalisées pour évaluer la façon dont ces patients comprennent l'information reçue et le consentement donné, et des critères permettant de s'assurer d'une bonne compréhension ont été définis.
Au-delà du bien-fondé de telles approches, force est cependant de constater que la question du consentement est trop souvent posée en référence à une notion excessivement simplificatrice de « capacité à consentir". Une telle notion repose implicitement sur la naturalisation du consentement, dont le corollaire est la négation de la subjectivité du patient sollicité : elle fait du consentement l'expression d'une aptitude intrinsèque et immuable d'un patient, alors qu'il est au contraire éminemment lié à sa singularité, à son histoire personnelle et à la relation qu'il entretient avec le médecin et le chercheur; il dépend également de ce à quoi le patient est amené à consentir. De plus, l'idée largement acceptée selon laquelle les maladies psychiatriques perturbent la capacité à consentir présuppose que les patients ne souffrant pas de tels troubles ont une capacité pleine et entière. Or l'expérience de la recherche montre que les patients atteints de pathologies somatiques font souvent état d'un réel désarroi, voire d'une totale incompréhension, face à l'information reçue dans le cadre d'une recherche, ainsi que d'un aveuglement complet sur la décision de consentir. Ainsi, par rapport à la situation thérapeutique, la situation de recherche entraîne une subversion radicale du désir et des positions subjectives du médecin et du patient vis-à-vis du savoir. Dans la situation de soins, le patient est le demandeur et le médecin le détenteur du savoir qui permet de répondre à l'attente croyante du patient. Dans la situation de recherche, le chercheur devient le demandeur et le patient le détenteur d'un savoir insu. Ce dernier se trouve ainsi confronté à une situation radicalement nouvelle, mêlant l’incomplétude du savoir médical, le désir de savoir du chercheur et son propre désir de contribuer au progrès de ce savoir. Nul ne saurait donc s'étonner des ratages que peut provoquer la demande de consentement à la recherche. En psychiatrie, la difficulté est redoublée par le fait que les maladies peuvent toucher les patients dans leur subjectivité même, dans leur relation à eux-mêmes et à autrui, Ainsi par exemple, alors qu'il garde une bonne compréhension de l'information qu'il reçoit un patient persécuté pourra-t-il inclure dans son délire le chercheur et sa recherche.
Le risque encouru par les personnes qui se prêtent à une recherche est évalué en référence à un savoir médical le plus souvent bien codifié. Mais l’évaluation peut devenir particulièrement délicate lorsque la recherche est susceptible de retentir sur la position subjective des patients du fait même des peurs quelle suscite ouvertement et, plus dangereusement peut-être, du fait des représentations qu'elle véhicule implicitement. C'est le cas par exemple des recherches dans le domaine de la procréation médicale assistée ou dans des domaines qui concernent très directement la psychiatrie comme la génétique, l'imagerie cérébrale ou la neuropsychologie. La question qui se pose est donc celle de savoir comment les références théoriques du chercheur et leur mise en acte dans le concret de la recherche sous la forme d'interventions sur le corps et l'esprit peuvent retentir sur la subjectivité du patient qui se prête à cette recherche. En d'autres termes, la façon dont le chercheur conçoit la maladie peut-elle modifier le regard que le patient porte sur lui-même? Si cette question n'est pas propre à la psychiatrie, elle devient là encore très problématique lorsque la maladie psychiatrique touche le patient dans sa subjectivité: les références théoriques du chercheur et leur mise en acte risquent d'entrer en résonance avec les préoccupations psychopathologiques du patient. Le risque d'un retentissement négatif est d'autant plus élevé que le chercheur en méconnaît l'éventualité.
Confronté à des difficultés qui pourraient apparaître stérilisantes au point de conduire à renoncer à toute recherche en psychiatrie, le chercheur leur oppose l'obligation éthique qui est la sienne de contribuer au progrès des connaissances médicales par la réalisation de recherches empiriques. La résolution aussi harmonieuse que possible de cette tension nécessite que le chercheur conduise, individuellement ou en lien avec ses collègues, ce que l'on peut appeler un débat éthique : il s'agit d'un exercice de la raison prenant en compte tout à la fois la singularité du patient, son degré d'autonomie, le bénéfice individuel qu'il peut tirer de la recherche et la façon dont sa participation à la recherche s'articule à sa psychopathologie. Le débat éthique a ainsi pour finalité d'appréhender une situation singulière dans toute sa complexité. Il n'a pas la prétention, littéralement insensée, de déboucher sur une codification valable une bonne fois pour toutes de leur relation du chercheur et du patient, mais de favoriser l'invention d'une relation adaptée à chaque patient et compatible avec le bon déroulement de la recherche. Ce débat n’est pas fondamentalement différent: de celui que mène quotidiennement le clinicien confronté à des patients qui refusent de consentir aux soins. Mais au lieu de se dérouler dans le cadre d'un contrat de soins, ce débat se déroule dans le cadre d'un contrat de recherche défini par un objectif scientifique, des méthodes, des bénéfices attendus, des contraintes et des risques.
La qualité du débat éthique bénéficiera indiscutablement de la réflexion que le chercheur aura engagée sur son désir de faire de la recherche et sur son rapport au savoir, et plus généralement sur son éthique personnelle et celle de sa relation à. autrui, Elle bénéficiera également d'une réflexion épistémologique ayant explicité les catégories de pensée à l’œuvre dans les modèles théoriques auxquels se réfère le chercheur, Enfin, il serait utile que la réflexion éthique sur la recherche en psychiatrie puisse à l'avenir s'appuyer sur des descriptions cliniques approfondies de patient se prêtant effectivement à des recherches. Ces monographies sont à l’heure actuelle virtuellement inexistantes dans la littérature psychiatrique.
Au total alors que la recherche en psychiatrie nécessite d'occulter la singularité du patient, la réflexion éthique sur cette recherche permet de réintroduire la singularité dans ce qu'elle a de plus radical. Ce constat en forme de paradoxe souligne, si besoin était, l'intérêt d'un dialogue pluridisciplinaire associant clinicien- chercheur, philosophe et éthiciens.
Dès la formation des psychiatres il est souhaitable que concepts et questionnements de l'éthique soient transmis, perçus et intégrés. Une condition fondamentale de la formation concerne l'acquisition de la capacité à relativiser et à articuler la diversité des théories et des conceptions de la psychopathologie à la conduite effective des soins. Car la rencontre du patient avec le psychiatre ne se limite pas à une prestation de services orientée par des règles et des contraintes techniques, elle concerne toujours une part de révélation du sujet à lui-même. Apprendre à la susciter en s'appuyant sur les savoir des diverses conceptions du fonctionnement psychique et de ses troubles, dans le respect de l'autonomie, c'est-à-dire la liberté de la personne, devrait être l'effet le plus appréciable de la sensibilisation, des psychiatres en formation, à la réflexion éthique.
Enfin la médecine française et la psychiatrie vont se trouver confrontées à des évolutions éthiques, des exigences économiques et des avancées scientifiques qui vont remettre profondément en question leurs positions traditionnelles.
Le plus grand respect de l'autonomie des patients, s'il rend caduque l'attitude paternaliste précédente, ne va pas, pourtant, jusqu'à l'acceptation d'une relation médecin-malade de type contractuel selon le modèle Anglo-Saxon. Espérons, bien que la démarche soit complexe et difficile et qu'il y faudra du temps, que nous réussissions à inventer et suivre une troisième voie, proche de ce que Mme Anne Fagot Largeau appelle : « paternalisme tempéré », conciliant les exigences du principe d'autonomie et du principe de bienfaisance.
Toujours dans le cadre de l'éthique de santé publique, l'accroissement incessant des dépenses de santé oblige et va obliger, encore plus, les Etats à pratiquer des choix budgétaires, rarement favorables à la psychiatrie. Comment parler d'une promotion de l'éthique quand le nombre des soignants, surtout médicaux, subissent une réduction drastique et que le rythme de rénovation des structures de soins ne correspond pas aux besoins. De plus la politique de santé publique se réfère à une économie « normative », adoptant un point de vue utilitariste justifiant l’imposition aux médecins et aux citoyens de mesures de prévention et de traitement, limitant, de ce fait, leur liberté. D'autant qu’une telle politique de santé publique s'appuie sur des procédures d'appui et de contrôle (qualité, accréditation, PMSI, références médicales opposables) qui risquent de décentrer l'action thérapeutique intersubjective vers une approche normalisée du soin en désaccord avec les exigences de singularité de la relation soignante.
Enfin l'éthique est déjà confrontée au changement de nature de la technique médicale. Celle-ci auparavant était au service de l'homme, utilisée comme moyen, simple prolongement des capacités humaines. Le problème éthique posé étant celui de son bon usage. Aujourd'hui la technique est devenue un milieu, un « technocosme », selon l'expression de Madame Suzanne Rameix, qui suit un développement autonome et incontrôlé dans une logique du « tout est possible » (clonage, brevètabilité et instrumentalisation du vivant, etc.) Le problème éthique prend une nouvelle dimension puisqu'il s'agit, maintenant, de la sauvegarde des principes de l'humanité de l'homme.
(1) Béatrice Mannoni d’Intimation. « Conflits d’éthiques en médecine ». Revue Commentaire. Nº 65/printemps 1994.pp.93-103. Éditions Plon.
(2) Suzanne Rameix. « Du paternalisme des soignants à l'autonomie des patients », dans « Justice et psychiatrie, normes, responsabilité, éthique ». C.Louzoun et D.Salas.pp.65-75. Editions Eres 98.
(3) Véronique Ghadi. « L'émergence de l'usager dans le paysage sanitaire », de « Pourquoi des usagers au conseil d'administration d’établissement de santé mentale?FNAP-Psy et Conférence Nationale des Présidents des CME des Centres Hospitaliers Spécialisés. Editions d’Orbestier. 2000.
(4) A. Fagot-Largeault, H. Atlan, JF Collange.« Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soins ou de recherche ». Avis nº 58 du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Juin 1998.
Rapport rédigé par .. Anne DANION-GRILLAT , Jean-Marie DANION, Michel HORASSIUS et Jean-Jacques KRESS
Il s’appuie sur les travaux et la discussion générale du groupe de travail composé également de Claude BARTHÉLÉMY , Jacques BOURCY, Yves HEMERY et A. GOUIFFES
Dernière mise à jour : lundi 15 mars 2004
Monique Thurin