le Livre Blanc


de la
Fédération Française de Psychiatrie





13. Les modèles en psychiatrie

Michel Botbol

Sans doute plus que dans toute autre discipline médicale, la question des modèles de référence théorique et pratique est cruciale en psychiatrie. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'il s'agit là d'une des principales spécificités de notre discipline, ce qui de l'extérieur en constitue peut être l'une des faiblesses les plus flagrantes( les psychiatres ne sont jamais d'accord entre eux), mais ce qui peut apparaître aussi comme l'une de ses forces et même une condition nécessaire pour lui permettre de rendre compte de l'ensemble de son champ de pertinence, "de la molécule au comportement ".
Cette place particulière paraît donc relever des spécificités du champ de la discipline et de sa proximité avec d'autres disciplines non médicales; elle recouvre en tous cas le fait qu'en psychiatrie les modèles sont multiples et hétérogènes voire difficilement compatibles entre eux sauf à faire un effort particulier pour les intégrer dans des « méta modèles » communs.
De ceci découle également la relativité de ces modèles en fonction des contextes des objectifs ou des priorités; elle recouvre enfin des incertitudes particulièrement vives en ce qui concerne les méthodes de validation de ces modèles et plus encore celles de leur intégration.
A ceci s'ajoute le fait que pour traiter la question des modèles en psychiatrie, il nous faut évoquer deux séries de questions :
1) Les différentes références théoriques explicites qui sont utilisées en psychiatrie pour définir les approches employées.
2) Les théories qui sont implicitement mobilisées par les pratiques psychiatriques, en deçà ou au-delà des références qui sont ouvertement revendiquées.
3) Ces deux séries de questions sont complémentaires et traitent toutes deux de l'écart théoricopratique dans notre domaine Autrement dit, la question peut se poser à nous de la façon suivante : dans quelle mesure les théories déterminent-elles les pratiques en psychiatrie et réciproquement ?

I/ Relativité des modèles et niveaux

Plusieurs théories s'entrecroisent Dans la plupart des pratiques psychiatriques on constate généralement l'entrecroisement de plusieurs théories pratiques ou étiologiques. Ces théories ne sont pas forcément incompatibles entre elles car elles s'inscrivent souvent à des niveaux différents et non dans des séries d'opposés.

On est ainsi conduit à considérer que les modèles ne se définissent pas dans l'absolu mais en fonction du niveau que l'on considère comme pertinent au moment de leur application.

1 ­ Modèle en fonction des pathologies :


- Le modèle implique une nosographie qui définit son domaine d'application tout en étant déterminé par les théories qui sous tendent la construction nosographique en question.
- Le modèle se construit généralement autour d'un malade ou d'une maladie paradigmatique dont l'élection et la définition sont liés au modèle.

2 ­ Modèle en fonction des types de pratiques thérapeutiques :


Les types de pratiques découpent le champ considéré en fonction des points de vue qu'elles adoptent et des priorités qu'elles déterminent.

a) l'urgence : dans ce champ on parle volontiers en population et en cohorte plus qu'en individus et en sujets. La pratique de l'urgence doit rapidement déboucher sur l'action qui détermine une orientation. Certes il existe des situations objectives ou subjectives qui nécessitent des actions thérapeutiques urgentes, mais il existe également un risque actuel de voir ces pratiques urgentes devenir le modèle de toutes les pratiques en santé mentale. A ce propos, il convient de différencier l'urgence et la crise cette dernière pouvant imposer parfois des interventions immédiates mais souvent sur d'autres modèles que ceux de l'urgence biomédicale qui paraît le seul à être actuellement valorisé.

Se pose également la question de savoir qu'est-ce qui détermine les pratiques de l'urgence : réponse à la demande sociale ou véritable théorie de la pratique référée à un modèle théorique implicite ou explicite. S'opposent ainsi les modèles qui font de la proximité ou de la rapidité de la réponse les principaux critères de valeur d'un dispositif d'urgence, et d'autres modèles pour qui c'est une véritable théorie de la crise, qui parait déterminants.

b) Cette différence de modèle est également évidente en ce qui concerne les traitements institutionnels dans lesquels s'opposent les traitements institutionnels modélisés sur la psychothérapie, et ceux qui se fixent des objectifs dominants ou exclusifs de protection, de contenance ou de préservation, voire de pédagogie et de rééducation. Au-delà des différentes théories sur lesquelles se fondent ces traitements, on peut en effet supposer un modèle commun où c'est l'action sur les relations avec les personnes de l'environnement du patient qui est utilisée pour modifier ses fonctionnements intra-psychiques. On est bien là dans un modèle qui est celui des psychothérapies.

c) Dans la pratique privée, beaucoup de praticiens fonctionnent sur un modèle ou se croisent :

- un modèle nosographique
- un modèle psychanalytique
- un modèle " biologique " (autre terme dont la définition dépend des modèles), chimiothérapique, plus souvent dimensionnel que catégoriel.


d) Le modèle du Secteur

d1 : Le secteur comme modèle: Le secteur est certes une organisation administrative, mais c'est une organisation qui s'est bâtie sur des modèles cliniques et théoriques très déterminés :

- d'une part un modèle antiasilaire visant :

° à ouvrir la possibilité d'une continuité entre hospitalisation et post-hospitalisation ou cure et post cure
° à décentrer le lieu de la rencontre en dehors de l'hôpital et avant lui
° à désaliéner plutôt qu'à desinstitutionnaliser
° à faire liaison dan le cadre de réseaux avant la lettre


- d'autre part un modèle théorique concernant le processus thérapeutique et la psychopathologie

Dans l'esprit de ses pionniers, le secteur s'est donc bâti sur la rencontre d'une volonté humaniste de sortir la psychiatrie de la misère matérielle et morale de l'asile et de son modèle totalitaire et d'une application de la théorie psychanalytique à la psychiatrie et à la psychose, le secteur recherchant une adéquation entre d'une part l'organisation des soins et d'autre part la relation d'objet, le fonctionnement ou le transfert psychotique ( Gauthier).

Derrière l'évidence sociale des dispositifs de secteur il y a donc une puissante armature théorique qui est sans doute plus déterminante qu'il n'est classique de le dire aujourd'hui.

d2) De la psychiatrie à la santé mentale
Témoin de cette double référence, l'évolution du modèle du secteur au fur et à mesure que les références historiques ou psychanalytiques s'éloignent.
On risque alors d'aboutir à un modèle où l'effort de désaliénation passe forcément par la desinstitutionnalisation radicale des pratiques psychiatriques c'est à dire par la disparition des structures d'hospitalisation psychiatrique au long cours.
En séparant la visée antiasilaire des considérations psychopathologiques qui l'accompagne dans le modèle initial du secteur, cette relecture de la santé mentale considère en somme que la maladie mentale n'est ni plus ni moins que l'effet de la psychiatrie, de la pensée psychopathologique et des dispositifs soignants.
L'officialisation de cette nouvelle orientation, qui schématise à l'extrême les conceptions de l'antipsychiatrie d'autrefois, conduit un grand nombre de psychiatre à considerer que le terme de santé mentale est devenu un habillage commode pour justifier l'instrumentation de la psychiatrie comme outil de régulation d'une souffrance psychique qui, déniant toute référence à une psychopathologie spécifique, est conçue uniquement comme une réaction traumatique à la crise sociale ( N Garret).

d3) L'Hôpital
A l'autre extrémité du spectre, la psychiatrie de secteur se heurte également à une autre butée, celle de l'hospitalocentrisme et de son modèle de référence ( Garnier).
L'hôpital ( général ou psychiatrique) reste souvent au centre des pratiques psychiatriques : en effet l'hospitalisation constitue la question centrale qui se pose en situation d'urgence; c'est également la seule référence légale pour les soins sous contraintes; la psychiatrie lui reste d'ailleurs identifié dans les représentations des usagers et du public; c'est enfin encore et toujours le siège des administrations gestionnaire du secteur, l'hôpital gérant ses propres alternatives.
D'une façon plus insidieuse, cette centralité s'exprime d'ailleurs par le contre modèle que représente encore l'hospitalisation pour un grand nombre de praticiens du secteur, le bon extra s'opposant au mauvais asile

Trois remarques en ce qui concerne cette relativité des modèles par rapport aux pratiques thérapeutiques.

1 - S'il est clair que les modèles sont déterminés par les pratiques, il est également évident qu'elles influent également sur elles.
Les différences entre psychiatrie publique et privée ou celles entre psychiatrie et psychanalyse illustrent tout particulièrement ce point:
Le dispositif de psychiatrie publique est très largement déterminé par la question de la demande sociale dont les lois d'hospitalisation sous contrainte et la question de la dangerosité constituent l'un des paradigmes ( Lewkowitz).
De son côté, la psychiatrie privée a toujours à faire avec une demande explicite, mais il ne s'agit pas pour autant toujours d'une demande d'interprétation ou d'une demande qu'il faut interpréter. A certains moments, et pour certains patients, c'est l'étayage qui va être essentiel, et un étayage qui ne passe pas par l'interprétation du transfert mais par une mise en forme supplétive. Ceci est particulièrement le cas dans des situations d'effraction ou celles qui font appel à "un espace psychique élargi"(Jeammet) comme dans les situations de crise ou de développement intense( nourrisson, adolescents).

2 - Cette relativité pose également la question du rapport entre modèle et pratique, rapport qui oscille entre deux risques: celui d'une trop grande dissociation entre modèle théorique et pratique celle ou celui d'un excès de cohérence théoricopratique. De façon schématique s'opposent ici deux conceptions. L'une qui considère qu'il est essentiel que la pratique soit aussi proche que possible du modèle théorique, l'autre qui valorise au contraire les écarts qui se créent entre les deux, les considérant comme des signes de la créativité de l'approche. Tous les modèles ne sont pas équivalents de ce point de vue, certains supposant plus que d'autres la mise en travail de cet écart.

3 - Dans tous les cas il apparaît que le modèle thérapeutique est volontiers tautologique puisqu'il justifie, à priori, la théorie sur laquelle il se fonde. Par ailleurs, ce qui caractérise beaucoup de psychiatres c'est qu'ils croient faire une chose et qu'ils font (aussi ?) autre chose. On peut également considérer que les praticiens cliniciens balayent un certain nombre de modèles devant chaque cas et ceci de façon plus ou moins inconsciente. Si l'on formalisait ce mouvement, on retrouverait le balayage des différents facteurs de risque ou différentes hypothèses étiologiques (Thurin). Ceci pourrait conduire à penser que l'action du clinicien est en fait très construite contrairement à ce que l'on pouvait penser. Dans ces conditions on pourrait considérer que l'efficience accrue des pratiques tient surtout à l'utilisation accrue de modèles toujours plus pertinents.

3 ­ Modèle en fonction des priorités choisies et des objectifs fixés :


- Importance donnée à l'économique,
- Importance des objectifs de santé publique,
- Importance des valeurs éthiques et humanistes,
- Contexte décisionnaire dans lequel se situe la réflexion sur le modèle ou les résultats attendus de son application. S'opposent ici les débats théoriques sans conséquence directe et ceux dont l'effet est immédiatement celui de choix politiques et économiques potentiellement contraignants et limitants pour les professionnels(comme c'est le cas dans les références médicales opposables par exemple).

4 ­ Modèle en fonction du contexte scientifique du moment :

- La séparation entre psychiatrie et neurologie a-t-elle poussé la psychiatrie vers l'herméneutique ?
- Quelle influence exerce le modèle des neurosciences sur les considérations psychiatriques générales et la logique biomédicale ?
- Quels sont les mécanismes rhétoriques dominants qui participent à la fabrication des modèles (à cet égard, rôle notamment de l'expansion métaphorique du mot) (Tremine) ?
- Le modèle ne risque-t-il pas de devenir alors une construction très idéaliste qui n'aurait plus que peu de rapport avec le réel ( Thurin)?
- Le neurologique est-il une meilleure garantie de la prise en compte de ce réel ? Ne relèverait-il pas lui aussi d'un idéalisme herméneutique caché derrière le vaste projet d'unifier les savoirs " de la molécule au comportement " ?
- Poser les questions comme cela ne relève-t-il pas également du modèle neuro-scientifique actuellement dominant, la référence au réel ne servant ici que d'alibi formel pour poursuivre dans la voie de l'idéalisme que l'on prétend dénoncer ?
- A l'autre bout du spectre se développe également un modèle sociogénétique qui considère que la tache prioritaire de la psychiatrie serait de rendre la société suffisamment bonne pour éviter l'expression des vulnérabilités. Ce modèle faible mais totalitaire est notamment celui qui sous tend le nouveau paradigme de santé mentale tel que nous l'avons évoqué précédemment. Dans cette optique la psychiatrie n'aurait plus besoin de référence à la psychopathologie ce qui revient à dénier l'une des composantes essentielles de la clinique.

Ces considérations montrent en tout cas :
- la complexité de la définition de ce qu'est un modèle et de la nécessité probable de le distinguer de la notion de théorie.
- le risque auquel notre discipline est confrontée tant du fait des modèles forts qui, comme la neurologie, imposent leur définition du réel que du fait des modèles faible qui sont les plus volontiers repris socialement et peuvent ainsi devenir tout aussi totalitaires (Louys)

Il reste que le modèle apparaît toujours comme une construction, ce qui ne doit pas, pour autant, laisser penser que tous les modèles se valent dans un relativisme absolu.

II/ Validation des modèles


Se pose ici la question de la validité des modèles, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur le rapport des modèles à la preuve et le type de preuves requises.
A cet égard, on se trouve devant deux logiques méthodologiques opposées :
- une logique uniciste qui suppose que les mêmes méthodologies sont applicables
à tous les modèles "de la molécule au divan", chacun de ces objets étant susceptible d'être abordé dans le cadre d'une démarche scientifique unifiée autour d'un réductionnisme unique.
- une logique dualiste, qui estime au contraire que la démarche scientifique classique aboutit à ignorer ce qui, dans le rapport cerveau-esprit, relève notamment de la subjectivité.

La première logique courre le risque d'ignorer des champs entiers de la psychopathologie au nom de la priorité donnée à la transmissibilité de la preuve et de son objectivation. Elle se base au fond sur deux idées : a) que la subjectivité ne peut pas être un obstacle car si elle l'était, cela serait trop désespérant pour la recherche en psychiatrie. b) que la psychiatrie n'aurait rien a gagner à se distinguer du reste de la médecine, du point de vue des critères de recherche tout du moins.


La seconde logique courre le risque d'augmenter l'insularité de notre discipline ou celle de pans entiers de son champ puisque les méthodes utilisées pour la recherche sur ses objets les plus subjectifs paraît très en écart de celles exigées par la science biomédicale classique qui les ramènent au statut d'heuristique littéraire ou philosophique. Ceci peut avoir le résultat paradoxal de sur valoriser les approches biologiques ou épidémiologiques qui, dans cette perspective sont les seules capables de répondre aux canons méthodologiques de la science du moment.

A ce propos trois remarques :

a) Plus encore que par ses choix concernant l'une ou l'autre de ces positions, la psychiatrie française se caractérise par la place importante que garde ce débat méthodologique au sein de la discipline et ceci tant chez les praticiens que chez les chercheurs.

b) Cette particularité peut être conçue comme une chance ou comme une faiblesse pour notre psychiatrie :

- Cela relativise la valeur donnée aux recherches standardisées en accentuant leur clivage avec ce qui constitue l'essentiel des pratiques et des réflexions de la plus grande partie des professionnels de la psychiatrie en France.
- D'autre part la psychiatrie française est internationalement reconnue comme conservatoire de questions et de pratiques qui sont les principales justifications d'une spécificité psychiatrique. Plutôt que d'évoluer comme une grande partie de la psychiatrie anglo-saxonne et les autres spécialités médicales vers la sélection d'objets et de questions "posables" car méthodologiquement correctes, la psychiatrie française a permis de laisser ouverte des questions qui sont peut-être les conditions du maintien de la prise en compte de la dimension relationnelle et subjective. L'intérêt nouveau que la communauté psychiatrique internationale porte à notre modèle paraît, en tous cas, démontrer l'intérêt de cette exception française.

c) Les deux positions évoquées ne s'opposent pas forcément en ce qui concernent les principes du réductionnisme méthodologique qu'elles reconnaissent l'une et l'autre comme méthode de validation ; leur différence tient au fait que la position uniciste impose un réductionnisme univoque là où l'autre approche valorise la diversité des réductionnismes (J Louys).

III/ Multiplicité et hétérogénéité des modèles théoriques en psychiatrie


Cause et/ou conséquence de la place du débat théorique idéologique dans notre discipline la psychiatrie fait explicitement appel à des références théoriques très hétérogènes.
Face à cette hétérogénéité, il est possible d'adopter deux positions qui paraissent opposés mais peuvent être complémentaires. L'une consiste à mettre l'accent sur les différences entre ces approches, l'autre essaye au contraire de montrer les filiations plus ou moins manifestes, les zones de recouvrement ou de complémentarité.
Ces deux mouvements sont sans doute également nécessaires pour tenter d'aboutir à un modèle intégratif suffisamment souple et complexe pour rendre compte des particularités de notre champ sans l'amputer de parties qui lui sont essentielles.

Il convient donc de faire l'inventaire des modèles théoriques explicitement évoqués dans le champ psychiatrique avant de tenter de présenter différents modèles d'intégration de ces différentes démarches et ceci pour appréhender ce qui fait l'unité et la spécificité de la psychiatrie.

a) Modèles théoriques pour la Recherche en Psychiatrie

Ils répondent à trois modèles :
- Organiciste (biomédical)
- Psychanalytique
- Socioenvironnemental
- Éthologique

b) Modèles théoriques pour la pratique clinique

1. Quatre références théoriques sont ici repérables :
- Modèle nosographique : catégoriel ou dimensionnel, il est particulièrement compatible avec le modèle de recherche biomédical organiciste; il implique une action thérapeutique construite sur la logique diagnostic-traitement ; il n'est pas absent en psychiatrie mais ne représente qu'une partie des pratiques existante y compris dans les domaines les plus médicalisés de la spécialité; il paraît en tous cas dominant dans les développements les plus récentes d'une volonté de faire science, notamment ceux relevant des approches cognitives où la critériologie est plus volontiers dimensionnelle
- Modèle phénoménologique : où entre également en compte le vécu du patient, c'est à dire l'interaction entre le sujet et son environnement tel que le sujet l'expérimente en lui-même.
- Modèle psychanalytique : qui, partageant avec le modèle précédent l'intérêt porté à l'intériorité y ajoute des éléments majeurs comme la notion de division subjective, de conflictualité interne ou d'appareil psychique ( V Souffir)
- Modèle systémique : où l'accent est porté sur les interactions de communication entre les sujets de la relation.( J Ferrandi)


2. Trois types d'approche :
- Approche objectivante ou quantitative: elle est particulièrement compatible avec le référentiel nosographique puisqu'il s'agit de classer un trouble en fonction de critères prédéterminés ; elle est cependant utilisable avec d'autres référentiels.
- Approche perceptive: qui est particulièrement mobilisée dans les approches phénoménologiques
- Approche compréhensive : ou il s'agit surtout de donner sens aux symptômes ou à l'expérience vécue en fonction des références théoriques adoptées ; elle est particulièrement mobilisée dans les modèles systémiques ou psychanalytiques.

3. Deux types de transmission des données cliniques :
- Transmission "critèriologique": particulièrement adaptée aux approches objectivantes mais utilisables également par d'autres approches
- Transmission "narrative" : souvent le seul recours pour transmettre ce qui relève du subjectif


4. Trois modèles thérapeutiques :
- Traitement par suppression : la disparition du symptôme est la principale visée du traitement ; ce modèle est particulièrement compatible avec la référence biomédicale et le modèle nosographique et avec les pratiques cognitivo comportementales
- Traitement par substitution: où il s'agit de remplacer un fonctionnement par un autre; il est compatible avec les différents référentiels et modèles proposés
- Traitement par suppléance: où le traitement s'appuie, transitoirement ou non, sur la fonction supplétive des dispositifs soignants avec l'idée de permettre au patient de récupérer secondairement les fonctions psychiques auxquelles il est ainsi suppléé par les thérapeutes ou les équipes soignantes ; il est compatible avec toutes les références ou modèles; il peut en effet rendre compte de pratiques qui vont de la psychothérapie institutionnelle à la réhabilitation psychosociale en passant par les psychothérapies d'étayage qui constituent une bonne part de la "psychothérapie des psychiatres"(Kipman).

IV/ Modèles intégratifs

Dans la psychiatrie française, la volonté de prendre en compte la multiplicité des points de vue et des modèles a pris le pas sur les tendances à l'hégémonie d'une théorie sur toutes les autres ; malgré la forte pression du modèle biomédical devenu économiquement dominant, malgré les contraintes évaluatives qui imposent de privilégier le dénombrable sur toute autre considération, la psychiatrie française se caractérise, nous l'avons dit, par la place qu'y garde le débat théorique et la possibilité même de penser certains phénomènes subjectifs devenus négligeables pour une bonne partie de la psychiatrie internationale.
Ainsi coexiste en France, en fonction des logiques méthodologiques adoptées, plusieurs grands méta modèles d'intégration des données issues de points de vue hétérogènes.
A la logique dualiste correspond un meta modèle complémentariste ( Devereux) où les différentes approches doivent être obligatoirement considérées mais non simultanément.
A la logique uniciste correspond un méta modèle unificateur qui suppose l'organisation des savoirs autour d'une théorie unifiante du rapport corps-esprit
Si l'un et l'autre de ces méta modèles est en théorie susceptible de rendre compte de la complexité du champ psychiatrique, il est clair que seul le second dispose actuellement d'une reconnaissance académique en médecine ce qui est sans doute déterminant dans le fait qu'il est en passe de devenir dominant dans les services universitaires. Ceci n'est bien sur pas neutre pour le proche avenir de la spécialité et de ses pratiques.

Suivant l'un ou l'autre de ces méta modèles différentes constructions intégratives ont en tous cas étés proposés ; elles peuvent être regroupées en trois grandes formules :

a) l'objet commun : terme proposé par Widlocher pour évoquer ceux de ces objets de recherche qui sont susceptibles d'être commun à des dynamiques de recherches référées à des théories a priori hétérogènes ; cette formule est particulièrement applicable dans le rapport entre approche cognitif et psychanalyse

b) le modèle de la vulnérabilité : où la vulnérabilité peut conduire à la pathologie comme forme d'adaptation puis a la stabilisation sous forme de la chronicisation, des évènements, biologiques ou non, intervenant pour passer d'un stade à un autre ; développé récemment en référence à la biologie et plus particulièrement à la génétique ce modèle est connu depuis longtemps en psychopathologie, ce même modèle permettant de parler de vulnérabilité psychopathologique en prenant en compte également lesévénements psychiques et environnementaux.

c) Le modèle de la crise : qui insiste particulièrement sur les modalités de passage entre un état et un autre sur le modèle événement-crise-défense.

Notons que chacune de ces formules reste compatible avec la possibilité de considérer le sens individuel que peuvent prendre ces différentes séquences pour le sujet qui les vit, ceci tenant compte de son histoire personnelle et de ses problématiques individuelles. Chacune de ces formules est donc également compatible avec la contrainte de complexité liée au fait psychique dont Zarifian nous dit qu'elle ne peut être prise en compte que si l'on le considère selon les trois niveaux qu'il engage: la machine, le fonctionnement ou la performance, et le sens individuel.

Propositions


1) La FFP considère qu'il est essentiel de valoriser la
diversité des modèles de référence en psychiatrie (pour la recherche
comme pour la pratique). Elle considère que cette diversité est une des
forces spécifiques de la psychiatrie française, en France et dans le monde.

2) La FFP considère que, dans le respect de cette diversité, il est
également nécessaire de développer des recherches standardisées en
psychiatrie.

3) Afin de permettre la prise en compte des deux conditions ci dessus, la
FFP considère qu'il est nécessaire de mettre en place les moyens d'une juste
valorisation académiques des recherches et publications qui, sans répondre
aux canons de la science biomédicale classique, n'en représente pas moins
des apports fondamentaux pour la compréhension et le traitement des troubles
mentaux. La FFP estime qu'en l'absence d'évolution sur ce point,
la psychiatrie est condamnée à négliger l'une ou l'autre des 2 premières
conditions énoncées ci dessus avec l'effet inévitable de réduire l'importance ou l'
influence pratique des recherches en psychiatrie.

4) La FFP considère qu'il est donc nécessaire de mettre en place des
méthodes d'évaluation susceptibles de valider les travaux qui sans répondre
aux méthodes biomédicales classiques n'en constituent pas moins des apports
essentiels dans notre discipline.
Elle estime que cette démarche est un préalable indispensable si l'on a le double souci d'éviter :
- de réserver la validation aux approches statistiques et/ ou biomédicaux qui ne sont qu'un des points de vue utiles à la psychiatrie pratique et /ou à la recherche en psychiatrie
- ou de s'en tenir au refus systématique de toute recherche standardisée au nom de l'incompatibilité qu'on leur supposerait avec la prise en compte de la dimension subjective dont la prise en compte est essentielle en psychiatrie.


Rapport rédigé par M Botbol. Il s'appuie sur les travaux et la discussion générale du groupe de travail composé également de : J Ferrandi, B Garnier, N Garret, S Gauthier, G Lewkowicz, SD Kipman, J Louys, V Souffir, T Tremine, JM Thurin.


Dernière mise à jour : jeudi 22 avril 2004
Dr Jean-Michel Thurin







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