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Michel Laxenaire et Guy Darcourt
C’est un médecin anglais, Daniel Hack Tuke, qui créa, en 1872, le terme “ psycho-thérapeutique ” (ou plutôt qui l’aurait emprunté aux pères de l’église qui désignaient ainsi l’aide morale dispensée aux croyants) mais c’est un médecin français, Hippolyte Bernheim, chef de file de l’école hypnologique de Nancy, qui utilisa le premier le terme de “ psychothérapie ”, toujours en usage aujourd’hui. Se basant sur sa pratique de l’hypnose, Bernheim pensait que l’action bénéfique de la psychothérapie reposait sur la suggestion et c’est en contestant cette opinion que S. Freud inventa la psychanalyse.
A l’époque de sa découverte, la psychothérapie avait un sens très large et se définissait, écrit J. Carroy (1), “ comme ce qui relève de l’influence de l’esprit sur le corps dans la pratique médicale ”. Elle a aujourd’hui un sens plus restreint et la définition la plus couramment admise à l’heure actuelle se contente d’affirmer que la psychothérapie est seulement “ l’aide qu’un psychisme peut apporter à un autre psychisme ”. Cette affirmation implique le recours à des moyens pour y parvenir et des buts pour en fixer les limites. Les moyens de la psychothérapie sont extrêmement diversifiés et vont de l’utilisation de la parole comme unique vecteur de la guérison jusqu’à l’adjonction de techniques diverses, comme la médiation corporelle, la musique, l’art, le dessin, l’expression théâtrale par exemple. La liste n’est pas limitative. Quant aux prescriptions médicamenteuses, elles permettent parfois un accès à des psychothérapies spécifiques, notamment chez des sujets psychotiques, qui seraient incapables d’y accéder autrement. Elles peuvent aussi constituer l’essentiel du traitement mais, même dans ces cas, une bonne relation psychothérapique de base avec le patient s’avère indispensable.
De façon générale, quelles que soient les techniques psychothérapiques envisagées, toutes gardent en commun l’utilisation, à des fins thérapeutiques, de la relation interpersonnelle. Ce point étant admis, la grande variété des techniques psychothérapiques démontre à l’évidence qu’il n’y a pas une mais des psychothérapies et que chacune d’elles comporte des indications particulières. Quant aux buts recherchés, ils concernent essentiellement la disparition des symptômes et de la souffrance qu’ils entraînent ainsi que, de façon plus générale, l’amélioration de la santé mentale au sens large.
Avant de dire ce que signifie aujourd’hui la psychothérapie et de faire des propositions sur sa fonction dans la psychiatrie de l’avenir, il apparaît nécessaire de faire un court rappel sur son passé, en d’autres termes de se livrer à un état des lieux. La date de la fin de la deuxième guerre a été choisie a dessein parce que la psychiatrie a pris, à cette époque, un tour radicalement nouveau sur le plan thérapeutique et que la psychothérapie a joué dans cette évolution un rôle considérable.
Un tournant non moins important a été pris un peu plus tard, lorsque, à la suite de la parution du premier livre blanc, en 1967 et de mouvements divers notamment ceux de 1968, la psychiatrie s’est séparée de la neurologie. L’autonomie de la psychiatrie, qui en a résulté, a permis d’aborder la maladie mentale sous un angle moins dépendant de l’idée d’une causalité organique, c’est à dire plus psychologique et, par conséquent, plus accessible à une démarche psychothérapique .
Cette démarche peut être synthétisée de la manière suivante : dans un premier temps, la psychothérapie a été directement liée à l’essor de la psychanalyse, qui, dans notre pays, n’a réellement pénétré l’espace psychiatrique qu’à partir des années cinquante mais a représenté, jusqu’aux années quatre vingt environ, la base conceptuelle pratiquement unique de toutes les variétés de psychothérapie. Ce phénomène, qui n’est pas exclusivement français (il s’est produit également aux USA et en Amérique latine) a fait que toutes les techniques psychothérapiques, nées pourtant de contextes conceptuels différents, ont été récupérées par la psychanalyse en arrivant en France. Les thérapies de groupe, le psychodrame, la relaxation, les thérapies familiales en sont, entre autres, de bons exemples. Ce phénomène a permis de taxer cette époque “ d’impérialisme psychanalytique ”.
Dans un second temps, cet “ impérialisme ” a été progressivement repoussé par de nouvelles méthodes psychothérapiques, qui, s’appuyant cette fois sur des conceptions psychopathologiques autonomes, sont venues relayer la psychanalyse ou la remplacer en s’opposant à elle. Ces nouvelles méthodes, toujours en vigueur aujourd’hui, relèvent de quatre courants principaux, les courants humaniste, systémique, comportementaliste et cognitiviste et, tout récemment, éclectique et intégrationniste. C’est pourquoi, afin de tenir compte de ces changements et de cette évolution, nous décrirons d’abord les “ psychothérapies d’inspiration psychanalytique ” (PIP), c’est à dire les psychothérapies qui se réclament ouvertement des concepts psychanalytiques dans leur fonctionnement puis nous résumerons les théories sur lesquelles s’appuient chacun des quatre courants mentionnés, qui ont chacun leur poids et leur spécificité propres.
La psychothérapie d’inspiration psychanalytique est une forme dérivée de la psychanalyse. Dans sa forme la plus commune, elle se pratique en face à face, selon un rythme de séances différent de celui de la psychanalyse stricto sensu (en moyenne une séance par semaine au lieu de trois), n’exclut ni les interventions, ni le soutien et tolère l’adjonction de méthodes complémentaires, notamment médicamenteuses. (En règle générale, en ce qui concerne ces prescriptions, il est préférable, quand elles s’avèrent nécessaires, qu’elles soient assumées par une autre personne que le psychothérapeute). Quant à l’élucidation et à la compréhension de ce qui se passe dans son déroulement, cette psychothérapie se réfère aux concepts de la psychanalyse, en particulier aux notions d’inconscient, de transfert et d’interprétation dans le transfert.
Il n’est pas inutile de rappeler, en effet, que la psychanalyse stricto sensu est une technique d’investigation de l’inconscient par l’instauration, entre le thérapeute et son patient, d’une relation d’un genre très particulier, la relation transférentielle. La règle fondamentale, qui préside au déroulement des séances, est celle dite “ des associations libres ”, c’est à dire d’une parole qui s’exprime avec le moins possible de censure. Dans son travail d’interprétation, le psychanalyste se réfère à une conception psychodynamique de la personnalité, selon laquelle les symptômes sont considérés comme des solutions de compromis entre des représentations mentales antagonistes. Les conflits inconscients, à l’origine de ces représentations, se situant entre une pulsion sexuelle à la limite du biologique et des instances répressives issues du surmoi. C’est à partir de ces conflits que s’élaborent des scénarios répétitifs, inaccessibles à la conscience ordinaire, et modelés sur des schémas relationnels infantiles. Le processus de changement attendu de la cure repose sur la reconstruction de faits inconscients permettant de donner accès à des représentations jusque là réprimées, déniées ou inaccessibles. Le transfert et le contre transfert sont les moyens sur lesquels repose la dynamique du traitement.
Au fil des années, et compte tenu des besoins de plus en plus grands en matière de psychothérapie, aussi bien dans le secteur public que privé, le modèle de la cure type s’est diversifié et assoupli et a donné naissance a la psychothérapie d’inspiration psychanalytique que nous venons de décrire. Celle-ci s’est ensuite développée dans différents domaines qui ont permis d’élaborer des modèles originaux. Plus simple et plus maniable, elle a été progressivement largement utilisée en pratique publique ou privée. Au cours des années, de nombreux auteurs, parmi lesquels on peut citer P.B.Schneider (2) pour les états névrotiques et P.C. Racamier (3) pour la psychothérapie des psychoses, se sont appliqués à élaborer les règles et les conditions de cette psychothérapie. Sa souplesse d’utilisation a permis de la moduler selon des buts et des situations les plus diverses. Pour ne citer qu’un seul exemple, les psychothérapies brèves, qui fixent un but précis à la thérapie et une durée limitée à son déroulement, peuvent aussi être comptées parmi les thérapies d’inspiration psychanalytique. Elles se réfèrent, en effet, aux concepts psychanalytiques pour rendre compte de ce qui se produit dans le processus de la cure et expliquer les effets bénéfiques que celui-ci est susceptible d’engendrer.
Une liste exhaustive des thérapies non psychanalytiques nées pendant ces trente dernières années serait impossible à établir. Il y en a, en effet, plusieurs centaines. Elles se définissent tantôt par les interlocuteurs auxquels elles s’adressent : groupe, famille, couple, institution, tantôt par le procédé préférentiel qu’elles utilisent : art-thérapie, musicothérapie, ergothérapie, tantôt par l’utilisation d’une médiation corporelle : relaxation, yoga, voire “ enveloppement humide thérapeutique ”, par exemple. Mais le critère de classification le plus pertinent reste la théorie psychologique à laquelle le thérapeute se réfère et les modèles conceptuels qu’il utilise pour comprendre la dynamique psychique de son action psychothérapique. C’est en fonction de ce type de choix théorique qu’il peut élaborer ses interventions et modéliser le type de relation qu’il désire avoir avec son patient. On peut renvoyer ici à ce qui est dit dans le chapitre concernant les sciences de l’esprit.
Dans cet ordre d’idée, on pourrait citer un très grand nombre de techniques qui tiennent ainsi à garder leur spécificité théorique, même si celle-ci est plus souvent alléguée que démontrée. Parmi beaucoup d’autres citons l’hypnose, la Gestalt-thérapie, la Bioénergie, l’Analyse transactionnelle, le Cri primal, mais la liste est pratiquement illimitée. Remarquons cependant que l’apport théorique de ces techniques a eu, en France, relativement peu d’influence sur les pratiques psychothérapiques des psychiatres, c’est pourquoi nous nous contenterons de rappeler les seuls fondements théoriques des quatre courants principaux que nous avons cités.
La psychothérapie humaniste, comme la psychanalyse, se centre sur la personne (client centered psychotherapy) et cherche également à promouvoir l’autonomie de celle-ci mais elle a l’ambition de le faire en dehors de toute théorisation préalable, ce qui aboutit néanmoins à la construction d’une nouvelle théorie. Elle préconise une relation d’aide basée sur une compréhension réciproque et sur l’empathie du thérapeute pour son patient.
C’est un psychologue américain, Carl Rogers, qui a défini le premier les concepts de la psychothérapie humaniste et précisé sa technique. En dehors de l’empathie, celle-ci se fonde sur la notion de “ congruence ”, c’est à dire sur la coïncidence intuitive des sentiments du thérapeute avec ceux du patient. La congruence s’exprime par la re-formulation des affects tels que le psychothérapeute les ressent, c’est à dire avec un certain décalage qui permet de valider positivement les sentiments négatifs éprouvés par le patient.
La psychothérapie humaniste se pratique aussi en groupe. Elle insiste alors sur les aspects bénéfiques de la rencontre et sur les espaces de liberté que celle-ci permet d’ouvrir. Les psychothérapies humanistes s’adressent surtout à des individus qui cherchent à épanouir leur personnalité, à se dégager des dépendances aliénantes et à s’ouvrir à de nouveaux espaces de liberté. Elles se combinent parfois à la psychothérapie d’inspiration psychanalytique à partir des notions “ d’empathie, d’intersubjectivité et de narration ” (J Hochmann (4).
Il repose sur des conceptions théoriques tout à fait différentes. Elaborée à partir des années cinquante à Palo Alto par un psychologue américain, Gregory Bateson, la thérapie systémique est basée sur une théorie de la communication originale ( cf le chapitre sur les sciences de l’esprit). Le patient y est considéré comme un des éléments du réseau de communications qui le relie à son groupe social et familial La pathologie peut entrer en résonance avec l’environnement, ce qui amplifie ou atténue le processus psychopathologique.
La modélisation systémique s’intéresse donc en priorité aux interactions familiales et au contexte social dans lesquels se trouve impliqué le patient plutôt qu’aux causes subjectives de ses troubles. Identifier les dysfonctionnements familiaux permettrait ainsi d’en corriger les effets négatifs et de favoriser les ressorts créatifs du patient et de ses proches. Le changement est attendu de la création de nouveaux contextes et de l’élaboration de procédures compatibles avec les troubles mentaux détectés.
Il s’inspire de l’application de la psychologie expérimentale au champ de la clinique pour comprendre, évaluer et traiter les troubles mentaux et ceux du comportement (Rivière (5). Il applique les données de l’apprentissage répondant, opérant, social et cognitif et éclaire la clinique quotidienne par les résultats de la recherche expérimentale clinique.
Ce courant se réfère à une théorie de l’esprit qui se rattache aux sciences de la cognition, dont le but ultime serait de parvenir à déterminer les conditions d’émergence des troubles mentaux à partir de processus neuro-physiologiques et neuro-psychologiques. Le cognitivisme considère les troubles des conduites et des comportements, de même que les symptômes d’allure névrotique, comme relevant de dysfonctionnements dans les programmes d’apprentissage. Son but est d’objectiver les processus à l’œuvre dans l’activité mentale et d’en traiter les perturbations selon des procédures codifiables et reproductibles
Il se base sur la constatation de la multiplicité des techniques, le manque de cohérence et la pauvreté de certaines théorisations, le dogmatisme, l'ostracisme de nombreuses écoles divisées et opposées en écoles rivales. Il propose d'introduire plus de rigueur dans ce domaine, sur la base d'études scientifiques. Ces études ont montré, par exemple, que toutes les théories et les techniques sans exception mettent en jeu, dans des proportions et avec des accents différents, les mêmes facteurs dits pour cette raison "communs ", tels que l'alliance thérapeutique, la motivation du patient, celle du thérapeute, le désir de changement, la régulation des affects, l'articulation entre affects et cognitions etc.. Ces facteurs communs rendent compte de 30% des résultats thérapeutiques observés, alors que les facteurs proprement spécifiques n'en expliquent que 15%. Ne privilégiant a priori aucune théorie, ce courant considère qu'il faut arriver à mieux décrire les indications des différentes techniques et ne pas refuser leurs associations, si elles permettent d'être plus efficace. Cette théorie des facteurs communs a d'importantes répercussions sur ce que l'on peut concevoir comme mode de formation ( 6,7 ).
Ces références théoriques ne sont pas réservées aux psychothérapies individuelles, elles sont aussi utilisées pour les psychothérapies réalisées dans d’autres cadres : psychothérapies institutionnelles, de groupe, familiales ou de couple. Dans ces contextes, les thérapeutes peuvent aussi s’aider des apports des théories psychosociales ou sociologiques (8).
Après avoir décrit les formes de psychothérapie qui se sont différenciées depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, il convient maintenant de passer en revue les domaines où elles sont susceptibles d’être utilisées.
Les missions du psychiatre se sont beaucoup diversifiées ces dernières années. Pendant tout le XIXème siècle, le but des psychiatres était de définir et de classer les maladies mentales selon le schéma médical du principe de causalité : des symptômes, aussi précis et bien décrits que possible, seraient expliqués un jour par une cause repérable et identifiable sur le plan somatique. C’est ainsi que furent successivement différenciées des “ maladies mentales ” telles que la paralysie générale (qui a servi de modèle), la schizophrénie, les délires chroniques, la psychose maniaco-dépressive, les démences, la confusion mentale etc.... Ces affections dites “ psychotiques ” forment aujourd’hui encore l’essentiel de ce qu’on appelle “ la psychiatrie lourde ”. Elle reste, aujourd’hui encore, du ressort exclusif et incontesté du psychiatre. Leur prise en charge psychothérapique a connu, ces dernières années, un essor dû au développement des nouvelles théories et techniques que nous venons d’évoquer.
Le chapitre des troubles névrotiques a été, lui, surtout précisé et approfondi par la psychanalyse depuis le XIXème siècle. Freud a ainsi proposé pour la névrose d’angoisse, les névroses obsessionnelle, hystérique, phobique, hypocondriaque des modèles théoriques cohérents permettant de comprendre leur psychogénèse et les modalités de leur abréaction par la cure psychanalytique. Il pensait que ces “ névroses ” (le terme est controversé aujourd’hui) constituaient de bonnes indications pour le traitement psychanalytique. Actuellement, les nouvelles psychothérapies les prennent aussi pour cibles mais en les interprétant selon des modèles différents, ce qui aboutit, en fait, à un élargissement du champ des possibilités psychothérapiques. Il est apparu aussi que la chimiothérapie n’était pas incompatible avec les psychothérapies et qu’il y avait, au contraire, des possibilités de potentialisation réciproque.
A côté de ses missions traditionnelles dans le champ des psychoses, des névroses et des troubles du comportement, le psychiatre est sollicité pour des demandes de soins par des sujets qui ne présentent pas de trouble majeur mais qui ressentent une souffrance psychique et éprouvent le besoin de résoudre une crise existentielle ou relationnelle. Il est aussi sollicité – et cette fois la demande émane plus de la société que des individus - dans des domaines tout à fait nouveaux, encore méconnus ou à peine entrevus il y a seulement quelques années : la gestion des catastrophes, la prise en charge des délinquants, des agresseurs sexuels et de leurs victimes, la prévention du suicide, l’exclusion, le traitement des addictions, la psychiatrie de liaison, la supervision d’équipes ou d’institutions pour leur permettre de mieux assurer leur missions de soins. Toutes ces situations nécessitent des prises en charge psychothérapiques nouvelles.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement la maladie en cause qui rend nécessaire la démarche psychothérapique. C’est aussi l’ensemble du contexte socio-familial. Le patient parfois n’exprime aucune demande. Celle-ci peut émaner de la famille ou de la société et le psychiatre doit aider l’entourage à soutenir le malade et à le conduire à accepter les soins.
L’Association Française des Psychiatres d’Exercice privé a lancé en 2001 un débat sur ce sujet dont la synthèse a été réalisée par J-J. Laboutière (9). Ce débat fait apparaître que le psychiatre se définit comme : “ un médecin qui soutient et articule constamment dans sa pratique deux approches cliniques différentes mais compatibles : une lecture médicale des symptômes... et, simultanément, une lecture intra et intersubjective de ces symptômes dans le cadre d’une relation thérapeutique. ” Ces deux approches sont complémentaires et tout aussi importantes l’une que l’autre. Lehembre (10) avait réalisé en 1994, chez les psychiatres libéraux membres du Syndicat des Psychiatres Français, une enquête qui donnait une idée de leur pratique. Son dépouillement nous apprenait que 90 % des confrères s'auto-définissaient comme psychothérapeutes dans une pratique qui associait la prescription de médicaments et la psychothérapie, 63 % se référaient à la psychanalyse, 50 % déclaraient avoir une activité proprement psychanalytique avec une durée d'entretien de trente à quarante-cinq minutes une fois par semaine ou plus, 14 % se référaient à la relaxation, 15 % se réclamaient tantôt du cognitivo-comportementalisme, tantôt de la thérapie familiale, tantôt de l'hypnose et tantôt de plusieurs de ces méthodes et 27% ne définissaient d'aucune façon leur référence théorique en matière de psychothérapie. Les nouvelles générations d’internes en psychiatrie ont des orientations un peu différentes de celles de leurs aînés. Ils sont moins attirés par la psychanalyse et plus par les courants plus récents, en premier lieu le cognitivisme, mais ils privilégient toujours la psychothérapie dans leurs prises en charge, particulièrement en articulation avec la chimiothérapie.
Le terme psychothérapie évoque en premier lieu les traitements au long cours réalisés par des entretiens sans prescription médicamenteuse au cours de séances dont la durée et la fréquence sont codifiées. Or l’action psychothérapique ne se limite pas à cette pratique et elle est inhérente à tout acte psychiatrique.
Une attitude psychothérapique est nécessaire dans toutes les activités d’un psychiatre. Au cours d’une consultation, celui-ci fonctionne selon un double registre, à la fois objectif et subjectif. Il cherche à repérer des symptômes pour établir un diagnostic, ce qui est une démarche de type médical et, en même temps, il analyse la relation qui vient de s’établir entre le patient et lui, le “ transfert ” et son propre “ contre-transfert ” (certains préférant à ces termes d’origine psychanalytique ceux d’attitudes et de contre-attitudes ou celui d’alliance thérapeutique), il s’intéresse aux motivations de son patient, à sa situation dans son milieu socio-familial, aux fantasmes qu’il a concernant ses troubles, à ses éventuelles gratifications secondaires. De même lorsqu’il prescrit une thérapeutique biologique, il tient compte à la fois des données pharmacologiques et de la dynamique affective que mobilise cette prescription.
Dans les consultations de suivi, les deux composantes, médicale et psychothérapique, existent toujours et se complètent sans s’opposer. Leurs proportions, toutefois, varient selon les cas. Quelquefois c’est la dimension médicale qui est prépondérante, par exemple pour le suivi d’un traitement par le lithium ou l’ajustement de la posologie d’un antidépresseur pour une dépression endogène mais, même dans ces cas, la dimension psychodynamique est présente. De plus les cas typiques, dans lesquels la chimiothérapie est prédominante, sont rares. Le plus souvent les médicaments ne jouent qu’un rôle d’appoint. Chez le bipolaire le mieux équilibré par le lithium le régime de vie et la situation relationnelle avec son environnement jouent un rôle déterminant. Les dépressions purement endogènes sont rares sinon exceptionnelles, les facteurs liés à la structure de la personnalité, au contexte social et aux événements sont souvent prédominants et toujours à inventorier et à prendre psychologiquement en charge. D’ailleurs la majorité des consultants ne présentent pas une pathologie typique mais un ensemble de troubles de la personnalité. Aussi ne peut-il pas y avoir d’acte psychiatrique qui ne s’inscrive dans une démarche psychothérapique. Le choix de la méthode repose à la fois sur l’orientation du psychothérapeute et sur des indications psychopathologiques.
Il faut mettre à part la pratique psychanalytique au sens strict car, dans son cas, on ne peut plus parler d’un “ double registre ”. La neutralité de l’analyste et le paiement direct des honoraires par l’analysant créent une situation différente de la relation médicale classique. Notre propos n’est pas de traiter cette question. Nous l’évoquons seulement pour préciser deux notions, d’abord que si tout acte psychiatrique a une dimension psychothérapique, on ne peut pas dire, à l’inverse que tout acte psychothérapique a une dimension médicale (même si l’une et l’autre ont une dimension soignante au sens large) et ensuite que ces situations différentes entraînent des pratiques un peu différentes même si elles ont les mêmes références théoriques. cf l’ouvrage de Guyotat, 1978, sur “ les Psychothérapies médicales ” (11).
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La place de la formation initiale et de la formation post-universitaire à cette pratique psychothérapique est parfois l’objet de controverses. Très souvent les praticiens indiquent qu’ils sont psychothérapeutes et qu’ils se sont formés plus par une démarche personnelle que dans le cadre de leur cursus universitaire, ce qui pourrait être interprété comme une insuffisance de cette formation initiale.
Le Collège National Universitaire de Psychiatrie (CNUP) qui regroupe l’ensemble de enseignants de psychiatrie de l’adulte et de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent a souvent débattu des méthodes pédagogiques. Elles associent l’acquisition de connaissances et l’expérience clinique. Un bilan récent (12) analyse les limites des possibilités de la formation dans le cadre universitaire ; elle dépend autant de l’investissement de l’étudiant que de l’enseignement qui lui est apporté ; on peut ainsi distinguer trois niveaux, un niveau de base que doit atteindre chaque futur psychiatre, un niveau optionnel qui dépend de ce que choisit l’étudiant parmi les formations qui lui sont proposées et un niveau personnel qui résulte des démarches qu’entreprend l’étudiant en dehors de la filière universitaire. Dans notre profession, comme d’ailleurs à peu près dans toutes les autres, la formation initiale donne les bases nécessaires pour commencer à pratiquer mais le maintien d’une compétence adaptée à l’évolution des connaissances et de la société nécessite une formation permanente. Et cette nécessité n’est pas propre à la compétence en psychothérapie, elle vaut autant pour les connaissances pharmacologiques, génétiques, épidémiologiques ou autres. Le praticien continue à acquérir des connaissances qui vont au-delà du bagage qu’il possédait lorsqu’il a été autorisé à exercer. Le meilleur enseignement est celui qui apprend à l’étudiant à apprendre, la meilleure formation est celle qui lui donne le goût de se perfectionner. De plus la formation à la psychothérapie passe par une évolution personnelle que chacun réalise à son rythme et selon sa structure psychique. Elle ne peut être codifiée selon des programmes communs à tous comme la transmission de connaissances. Le rôle de la formation initiale est de sensibiliser le futur psychiatre à cette dimension de la pratique qui implique engagement personnel et souci de contrôler la qualité de sa démarche en la confrontant à celle de ses pairs.
Cette double compétence, médicale et psychothérapique, caractérise bien l’aptitude professionnelle des psychiatres français. Il y a bien des différences de niveau de compétence car la démarche personnelle de chacun est plus ou moins aboutie mais l’important est ce fait que cette double compétence est générale. Ceci dit, on ne peut que souhaiter que la formation à la psychothérapie soit encore renforcée. Les nouvelles missions de la psychiatrie en font une nécessité.
La FFP et le CNUP ont constitué en 2000 une commission (13) qui a fait le point sur la situation de l’exercice de la psychothérapie par les psychiatres en France et a formulé les recommandations suivantes :
1-Un développement et une harmonisation de la formation à la psychothérapie au plan national, en organisant et en facilitant l’accès à tous ses constituants.
2-La promotion par l’UEMS de critères de compétence et de formation au niveau européen.
3-Le développement de relations organisées entre l’université et les instituts de formation reconnus par la profession (FFP et commissions régionales).
4-Le renforcement du rôle des superviseurs dans la formation pratique.
5-La pérennisation de la commission FFP-CNUP afin de garantir la compétence des futurs psychiatres et la qualité du service rendu aux patients.
On voit que les points 1, 3 et 4 préconisent des méthodes de formation et les points 2 et 5 des évaluations. Pour la formation, le conseil est de généraliser les méthodes pédagogiques qui ont fait leur preuve et la commission a tenu à mettre l’accent sur les supervisions et les relations entre l’université et les instituts de formation.
Il faut se demander aussi quelle sorte de psychothérapie le psychiatre doit pratiquer. Le rapide tableau qui a été donné des différentes formes de psychothérapies montre leur diversité. Comment choisir ? Il faut, semble-t-il, distinguer deux niveaux : celui d’une psychothérapie de base exercée par tous les psychiatres dans l’exercice quotidien de leur profession et celui de psychothérapies spécifiques s’adressant à des indications précises.
On pourrait la situer dans le prolongement de la relation thérapeutique, sans toutefois la confondre avec elle. Les médecins somaticiens ont découvert, en effet, qu’une bonne relation psychologique avec leurs patients était indispensable s’ils voulaient se considérer comme plus que des techniciens du symptôme. M. Balint avait défini cette relation comme “ la prescription du médecin par lui-même ”. Aujourd’hui, les médecins disposent de médicaments très efficaces mais ils sont conscients que des facteurs psychologiques bien maîtrisés augmentent nettement cette efficacité.
A fortiori lorsqu’il s’agit de troubles purement psychologiques. La psychothérapie de base pourrait être définie comme “ une relation thérapeutique adaptée au champ psychiatrique ”. Le trouble mental, en effet, n’est pas réductible à une maladie somatique même s’il entretient avec le corps des liens encore mystérieux. Il demande à être compris au niveau psychologique. Or la psychothérapie est la seule méthode apte à relever ce défi. Pour y parvenir, elle demande à être codifiée, généralisée, plus encore qu’elle ne l’est aujourd’hui, et surtout enseignée. Elle doit s’appuyer sur l’enseignement d’un support théorique diversifié comportant des notions de psychologie affective, cognitive, psychodynamique, sociale, comportementale, ainsi que sur des indications relevant d’autres théories et de leurs articulations entre elles. Chacune des méthodes dont nous avons parlé peut être utilisée. Son choix donnera une orientation à la formation, ainsi du point de vue psychanalytique peut être privilégiée la sensibilisation à la dynamique de la relation médecin malade, au transfert et au contre-transfert, alors que d’autres points de vue privilégieront d’autres choses. Par conséquent tous les psychiatres ne seront pas formés selon le même “ moule ” et cela ne peut être que favorable. La diversité dans ce domaine est une richesse.
C’est évidemment un point fondamental mais il sera traité ailleurs. Pour montrer la complexité de la question, on pourrait dire à la fois que cette formation ne peut être codifiée et qu’elle doit être renforcée. Soulignons cependant quelques éléments qui caractérisent les cursus les plus satisfaisants et qui devraient faire l’objet d’un consensus et être adoptés dans les universités où ils ne le sont pas encore: Cette formation doit être acquise pendant le cursus universitaire. Au cours de quatre années d’internat, le psychiatre en formation reçoit un enseignement par séminaires. Ces séminaires accordent une place importante à l’étude des différents concepts qui viennent d’être rappelés succinctement, aux indications des psychothérapies, à la façon de les prescrire et à la préparation du patient pour qu’il puisse entreprendre un tel traitement. Le temps de l’internat doit permettre aux futurs psychiatres de se familiariser avec ces techniques par des exercices divers comme des jeux de rôle et par la prise en charge de patients à titre personnel. Il est indispensable d’instituer, pour toute formation à la psychothérapie, un système de contrôle ou de supervision sous forme de groupes de régulation ou de contrôles individuels.
Reste le problème des formations plus spécifiques. Il est évident qu’aucune de ces formations ne peut être imposée aux futurs praticiens car elles relèvent d’une inclination et d’un choix personnels. Il serait toutefois souhaitable que chaque psychiatre puisse se former à l’une d’entre elles. Le problème est que dans ce cas, l’université ne peut se charger de telles formations. Elles ne peuvent être entreprises qu’au sein d’organismes privés avec, il faut en convenir, un coût financier non négligeable.
On voit que la responsabilité de ces formations relève à la fois de l’université et de la profession et que les méthodes ne peuvent être codifiées une fois pour toutes et être appliquées de la même façon partout et pour tous. L’essentiel est que la réflexion sur l’évolution des pratiques et sur les problèmes qui surgissent soit permanente. La commission FFP-CNUP sur la psychothérapie (13) est une instance qui remplit les conditions nécessaires à cette réflexion et elle peut d’ailleurs s’ouvrir à des échanges avec d’autres instances professionnelles et avec des instituts de formation. Nous proposons qu’elle soit permanente et qu’elle se fixe pour mission d’être un observatoire de la place de la psychothérapie dans la pratique psychiatrique et un lieu d’élaboration d’idées et d’orientations.
1- Carroy J.
L’invention du mot de psychothérapie et ses enjeux
in : Les psychothérapies et leurs histoires. L’Harmattan, Paris, 2000 :11-30
2-Schneider P.B.
Propédeutique d’une psychothérapie
Payot, Paris, 1976
3-Racamier P.C.
La psychanalyse sans divan
Payot, Paris, 1973)
4- Hochmann J.
Intersubjectivité, empathie et narration dans le processus psychothérapique
in : Qu’est ce qui guérit dans les psychothérapies ?
PUF, Paris, 2001 : 11-34
5- Rivière B.
L’évaluation en thérapie comportementale et cognitive.
Annales Médico-psychologiques 2000 ; 158 : 500-503
6- Chambon O. et Marie-Cardine M.
Les Bases de la Psychothérapie,
DUNOD, Paris, 1999
7- Norcross J.C. et Goldfried M.R. (dir.)
Psychothérapie Intégrative (Trad.F. Bernier et J.G. Offroy)
Desclée de Brouwer, Paris,1998
8- Miermont J.
Psychothérapies contemporaines
L’Harmattan, Paris, 2000
9- Laboutière J-J.
La psychothérapie du Psychiatre.
Bulletin d’Information des Psychiatres Privés n° 29 mars 2001 : 3-7
10- Lehembre O.
Psychiatres libéraux : qui sommes-nous ? Que faisons-nous ?
La Lettre de la Psychiatrie Française n° 39 ; 1994 : 13-20
11- Guyotat J.
Psychothérapies médicales.
Coll. Médecine et psychothérapie, Masson Paris 1978 (2 tome)
12- Darcourt G.
La formation des psychiatres à la psychothérapie en France.
Annales Médico-Psychologiques 2000, 158, n°6 : 498-500
13- Commission FFP-CNUP
Exercice de la psychothérapie par les psychiatres : compétences requises, formation, évaluation.
Pour la Recherche n°26, sept 2000 :7-8
La loi du 4 mars 2002 et le décret n° 2002-637 du 29 avril 2002 font obligation pour les professionnels de santé de tenir un dossier pour chacun de leurs patients et donne droit à ceux-ci d’avoir accès à ce dossier. Les psychothérapeutes seront-ils dans l’obligation de prendre des notes pour chaque séance et de les communiquer si on les leur demande ?
Nous rappellerons ci-après les “ proposition ” votées lors des journées du Livre Blanc et dont il a été tenu compte pour la rédaction définitive du rapport :
1-Toute pratique psychiatrique a une dimension psychothérapique. La prise en charge d’un patient par le psychiatre implique un double point de vue : médical (l’établissement d’un diagnostic) et psychologique de façon à instaurer une bonne relation thérapeutique, à évaluer les niveaux et le stade de fonctionnement psychique du patient et ses modes de relation intersubjective. Il n’y a pas de psychiatre non psychothérapeute.
2-La formation du psychiatre à la psychothérapie repose sur l’expérience clinique, la participation à des groupes de supervision et à des stages de longue durée. L’enseignement doit se faire à deux niveaux : les séminaires au cours du DES à l’université, destinés à tous les étudiants et l’enseignement à des psychothérapies spécifiques codifiées selon les modèles auxquels le psychiatre en formation a choisi d’adhérer. Le premier niveau concerne la psychothérapie de base, non négociable, le second la psychothérapie spécialisée choisie par le psychiatre (facultative mais hautement recommandée).
3-La psychothérapie de base s’acquiert à l’université sous forme de stages cliniques avec supervisions et groupes de contrôle, couplés avec des séminaires d’enseignement. La psychothérapie spécifique s’acquiert dans des Instituts appropriés offrant toutes les garanties éthiques et techniques de formation scientifique.
4-La spécificité de la psychothérapie du psychiatre (médicalité du cadre, bi-thérapie, diversité de la demande) rend nécessaire la prise en charge par la profession de la formation psychothérapique du futur psychiatre, en complément des formations proposées par l’université et les différents Instituts. Ce qui pourrait se faire par des supervisions exercées par des spécialistes extérieurs aux différents cadres de formation.
Rapport rédigé par G.DARCOURT et M.LAXENAIRE
avec une contributions spécifiques de A. BESSE, L. LABRUNE, O. LEHEMBRE, M. MARIE-CARDINE,Dric.MARTIN,J.MIERMONT,B.RIVIERE .
Il s’appuie sur les travaux et la discussion générale du groupe de travail composé également de M. ESCANDE, B. GOLSE, J.J. LABOUTIERE, M. PATRIS, J.M. THURIN, A VAISSERMANN.
Dernière mise à jour : lundi 13 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin
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