Article: Comprendre pour guérir
Article: Apport des nouvelles molécules
Article: Psychoses schizophréniques : les Données de l'Imagerie Cérébrale
Siège national à Paris : 12 Villa Compoint 75017 Tel: 01 42 63 03 03
Président : Henri Lachaussée
Vice-Présidents:
Jean Canneva (vie des Sections )
Jacques Devise (représentation auprès des Intitulions)
Bertrand Escaig (relations avec la Recherche)
par Henri Lachaussée
Chers lecteurs, Chères lectrices,
Le Comité de rédaction de la revue prend en compte les suggestions que vous, lecteurs, lui présentez. C'est ainsi que nous nous efforçons dans les limites de nos moyens financiers, d'en améliorer la forme par l'utilisation de couleurs, d'une typographie facilement lisible et d'une mise en page mieux étudiée. Quant au contenu, nous devons tenter de satisfaire la demande d'informations pratiques, utiles aux familles, pour les aider à mieux résoudre les multiples problèmes auxquelles elles sont confrontées. Nous devons, également, publier des articles traitant des politiques en Santé Mentale.
En premier lieu, la recherche tant dans le domaine de la santé que dans celui de l'amélioration de la qualité de vie doit faire l'objet d'une attention particulière. C'est ainsi que le dossier de ce numéro 2 de 1997 est consacré à la Recherche.
Nous nous donnons pour objectif de publier dans chaque numéro une information concernant la Recherche.Au plan interne, un groupe de travail se met en place autour de Monsieur Bertrand ESCAIG, administrateur, Président délégué de la section Départementale du Nord avec la participation de personnalités extérieures pour proposer au Conseil d'Administration la politique à suivre par l'UNAFAM vis à vis de la Recherche.
"Comprendre pour guérir".
Les directions de la recherche contemporaine
dans le domaine des schizophrénies
Dr Jean Naudin
Dr Murielle Maurel-Raymondet
Pr. Jean-Michel Azorin
Service Hospitalo-Universitaire de Psychiatrie
CHU Sainte-Marguerite 275 Av. de Ste-Marguerite 13009 Marseille
Des chercheurs ont créé à Marseille : l'Association pour la Recherche et le Traitement des Schizophrènies (a.r.t.s.).
L'UNAFAM/ESPOIR-PROVENCE entretient sur place des relations étroites avec cette Association. C'est à ce titre que le Président délégué de la section des Bouches du Rhône, peut faire bénéficier notre Revue, d'articles du Docteur Jean NAUDIN, du Docteur Murielle Maurel-Raymondet et du Professeur Jean-Michel AZORIN.
En matière de schizophrénie, un coup d'oeil rétrospectif sur les cinquante dernières années doit apprendre au médecin, au scientifique, au psychopathologue, l'humilité et la modestie. Tant d'hypothèses ont été formulées, affirmées comme des vérités absolues, puis jetées aux orties. Citons-en quelques unes parmi les plus célèbres dans les années soixante : chez les partisans de la psychiatrie biologique, la tâche rose dans les urines dépistant la schizophrénie comme on dépiste le diabète ou la grossesse (théorie du pink spot); chez les partisans des causes psychologiques, la mère schizophrénogène, bouc émissaire facile et si souvent conforme à la description attendue (théorie du double lien); chez les partisans des causes génétiques, le gène de la schizophrénie (théorie du gène unique). Toutes ces hypothèses avaient un point commun, et un seul: elles étaient exclusives. Le biologiste ne croyait qu'au pink spot, le psychopathologue ne croyait qu'au double lien, le généticien ne croyait qu'au gène unique. Dans le fond, il est possible de dire que chacune de ces hypothèses, à défaut de preuve empirique solide, témoignait bien plus des croyances personnelles du thérapeute ou du chercheur que de la science elle-même. Quand elle ne produit rien de tangible, la science reste indissociable du mythe et de l'idéologie. Toutefois, dans les années soixante-dix/quatre-vingt, un pas de plus semble avoir été fait. On croit alors pouvoir tirer la leçon de l'efficacité des premiers médicaments neuroleptiques. On émet l'hypothèse que, l'efficacité des neuroleptiques s'expliquant au niveau cérébral par le blocage de l'action de la dopamine - un neuromédiateur - la schizophrénie est causée par un excès de dopamine1. Cette hypothèse, dite dopaminergique, va dominer la scène pendant près d'une vingtaine d'années. Elle est aujourd'hui, comme les autres, battue en brèche, quoique non encore abandonnée par tous. D'une part, elle repose sur une forme de lapalissade, voire un syllogisme : les neuroleptiques agissent sur la dopamine et sur la psychose, tout traitement efficace agit sur une cause, donc la dopamine est la cause de la schizophrénie. Les chercheurs ne peuvent pas se contenter longtemps de raisonnements de ce type. D'autre part, la génétique classique ne confirme pas les attentes : les gênes codant les récepteurs à la dopamine dans le cerveau ne sont pas mis en cause dans la schizophrénie (études de linkage). Alors, où en sommes-nous ? Les chercheurs dans le domaine des neurosciences et de la psychiatrie ont cru pouvoir annoncer bravement pour les années quatre-vingt-dix la décade du cerveau . Beaucoup d'entre nous sont convaincus que la schizophrénie est une maladie du cerveau mais n'ont pu apporter de preuve véritablement tangible : la conviction n'est pas en soi un argument scientifique. Est-ce donc à dire que nous voilà aussi démunis de notre temps que du temps de Kraepelin2 et de Bleuler3 ? Certes pas : des échecs précédents et des déceptions actuelles, deux leçons ont été tirées qui ont considérablement modifié le visage de la recherche en matière de schizophrénie et laissent entrevoir un avenir tel que la recherche puisse apparaître moins glorieuse certes, mais plus profitable au patient :
1/ n'en déplaise aux idéologues, on ne recherche plus de cause unique aux maladies comme la schizophrénie - c'est le sens évident de la conférence de consensus de 1994, la schizophrénie est une maladie faite de causes multiples agissant en interaction, c'est une maladie polyfactorielle ;
2/ n'en déplaise aux sceptiques, on retrouve quelques pistes fiables pour élaborer avec une plus grande rigueur épistémologique un nouveau concept, celui de vulnérabilité - un homme est plus ou moins vulnérable à un trouble du fait des différentes interactions possibles des facteurs de vulnérabilité et des facteurs biographiques, il peut être atteint à différents degrés, à des âges différents de la vie; dans sa famille même on peut parfois retrouver des troubles comparables sur le plan de la nature essentielle du trouble mais différents par le degré de l'atteinte (spectre de la schizophrénie) -. Les chercheurs de toute provenance doivent donc unir leurs efforts dans l'interdisciplinarité.
Un rapide panorama des tendances actuelles de la recherche montre que l'intervention de certains facteurs ne peut plus être exclue pour des raisons simplement idéologiques. Aucun de ces facteurs, toutefois, ne suffit à lui seul pour expliquer l'éclosion de la maladie. Tous n'ont pas non plus le même degré de certitude. La mise à jour de certains de ces facteurs ouvre des perspectives très concrètes qui sont brièvement discutées ici au fur et à mesure :
1/ Les gènes : L'examen courant permettant d'étudier les chromosomes, le caryotype est normal. Les progrès de la génétique moléculaire ont cependant révélé la fréquence relative de variations minimes au niveau moléculaire, notamment en ce qui concerne les chromosomes 22 et 6. La signification, indiscutable, de ces anomalies n'est pas celle d'une tare mais celle plutôt d'une susceptibilité accrue à certaines atypies morphologiques et à certaines maladies, dont la schizophrénie et les troubles mineurs appartenant à son spectre. L'anomalie au niveau moléculaire peut donc très bien ne jamais s'exprimer cliniquement, ou s'exprimer par un tout autre syndrome que la schizophrénie, non nécessairement psychiatrique. La question de la possibilité d'un conseil génétique ne se pose pas car elle doit (DELTA)être considérablement tempérée par ses implications éthiques, notamment quant aux conséquences de la révélation d'une anomalie dont la signification est aussi souvent mal comprise que mal expliquée.
2/ Les neuromédiateurs et les nouveaux neuroleptiques (Clozapine, Risperidone)4: D'autres médiateurs que la dopamine sont impliqués dans la dysrégulation de la neuromédiation/neuromodulation cérébrales et dans la correction de cette dysrégulation par de nouvelles molécules neuroleptiques. Ces nouvelles molécules dites atypiques ont moins d'effets secondaires que les molécules de la génération précédente (pas de syndrome parkinsonien) et sont par conséquent bien mieux tolérées tout en étant très efficaces sur les symptômes de la maladie. Leur usage comporte cependant quelques risques qui, malgré leur rareté, font préférer leur prescription en deuxième intention (schizophrénies dites résistantes) et sous surveillance médicale stricte.
3/ Les virus et l'hypothèse neurodéveloppementale: Le "schizovirus" n'existe pas. Toutefois l'hypothèse d'une influence virale a été remise à la mode par les épidémiologues. Ceux-ci ont constaté une recrudescence saisonnière des naissances de futurs schizophrènes. Une infection virale au cours du deuxième trimestre de la grossesse de la mère du futur schizophrène est accusée de provoquer une anomalie du développement cérébral, voire la production ultérieure d'auto-anticorps anti-cerveau. Cette hypothèse, dite hypothèse virale, reste très discutée car entièrement fondée sur des évidences statistiques et de peu d'intérêt clinique pratique. Une hypothèse de même type s'intéresse aujourd'hui à l'influence des facteurs périnataux, et plus particulièrement des complications obstétricales. Ces hypothèses cherchent un peu de consistance dans l'amalgame théorique avec les travaux neuroanatomiques.
4/ Les données de l'anatomie et de la radiologie: Il y a en effet une certaine congruence des données de l'imagerie (IRM ou Imagerie par Résonance Magnétique), révélant fréquemment une légère dilatation ventriculaire, et des études microscopiques post-mortem en faveur de microlésions cérébrales localisées. Il ne faut pas déduire du seul intérêt scientifique de ces techniques neuroanatomiques et radiologiques de pointe qu'elles puissent déboucher actuellement sur une méthode de diagnostic (la dilatation ventriculaire, souvent douteuse, n'a aucune spécificité), ou même sur une plus grande compréhension de la maladie. Quant aux techniques qui permettent d'observer le cerveau en train de fonctionner (PETScan, SPECT), quoique très prometteuses quant à l'exploration de la physiopathologie du trouble, elle n'ont pas apporté pour l'instant les réponses que l'on était en droit d'attendre d'elles, compte tenu de leurs difficultés d'exploitation. L'ensemble de ces découvertes renforce nettement en tout cas la tendance aujourd'hui générale d'impliquer dans le dysfonctionnement cérébral propre à la schizophrénie le système limbique5, et le corps calleux6.
5/ La psychologie: La psychologie classique n'a pas été d'un grand secours. Les tests quantitatifs de l'intelligence, sont bien évidemment parfaitement normaux. Les tests projectifs complètent la batterie classique de l'examen psychologique courant. La recherche porte en fait essentiellement sur les test neuropsychologiques, les uns à la recherche d'un déficit global, les autres - ce sont les plus prometteurs - à la recherche d'un déficit spécifique. Ces dernières études sont également de nature qualitative et portent volontiers sur l'analyse de cas singuliers. On insiste depuis peu sur les liens de la schizophrénie et de l'autisme infantile, en particulier quant aux difficultés pour les patients à élaborer une théorie de l'esprit, autrement dit un ensemble de principes qui permettent de comprendre et d'anticiper le comportement d'autrui, et par là-même de se comprendre soi-même. Quant à la recherche dite phénoménologique, elle porte également sur des cas singuliers et se préoccupe essentiellement de la compréhension de la personne atteinte de schizophrénie, et non plus de l'évaluation quantitative de son trouble.
6/ Le stress : L'influence des facteurs de stress et des événements vitaux a été étudiée, surtout dans les années quatre-vingt. Si le rôle déclenchant de certains événements vitaux est hors de doute, on ne peut attribuer à l'influence de stress répétés le rôle d'un facteur causal majeur dans la schizophrénie. Le stress, en tant que facteur causal majeur apparaît plutôt à l'origine de maladies mentales aiguës ou de névroses chroniques.
7/ La famille et l'histoire personnelle: Si l'on s'accorde pour abandonner la théorie déjà citée de la "mère de schizophrène", on ne peut éliminer tout à fait les facteurs familiaux, ne serait-ce qu'en raison des complications extrêmes qu'engendre la vie commune avec un patient schizophrène. La lutte contre la chronicité de la maladie passe souvent par une plus grande compréhension des interactions familiales, et un soutien averti. Il faut particulièrement tenir compte de l'émotion exprimée, parfois excessive, parfois au contraire trop neutralisée, et de l'histoire familiale. La famille constitue une assise symbolique sur laquelle tout individu se repose pour comprendre le monde: les failles dans l'histoire familiale ne peuvent donc pas être sans conséquence sur la vie de l'individu. Il ne s'agit plus ici de facteurs causaux, mais de facteurs d'interprétation du monde et de soi, facteurs qui rendent compte biographiquement de certaines des particularités du monde de chaque patient.
8/ La psychanalyse : La cure-type de psychanalyse est classiquement contre-indiquée chez les patients schizophrènes. Toutefois, la psychanalyse a inspiré depuis les années cinquante en France de nombreuses tentatives de traitement des schizophrènes par la parole ou par l'analyse des institutions symboliques dans lesquelles tout groupe et tout individu se trouve engagé (psychothérapie institutionnelle). Beaucoup de psychiatres occidentaux considèrent aujourd'hui cette forme de traitement obsolète. Pourtant, la psychanalyse, à condition de ne pas en faire un dogme ni une panacée, ni non plus une grille systématique d'interprétation, apporte des éléments essentiels à la compréhension biographique des schizophrènes, et parfois à leur stabilisation, hors de la chronicité. A la suite de Lacan, certains thérapeutes proposent même une forme de cure psychanalytique très proche de la cure-type. Plus généralement, la psychanalyse permet au thérapeute d'accepter l'idée qu'il ne peut pas tout comprendre, elle lui assure aussi la distance nécessaire à un engagement institutionnel.
9/ La société et la culture : L'ethnopsychiatrie a montré que la schizophrénie était un fait universel : aucune société ou culture n'échappe à la psychose. L'influence des facteurs culturels porte essentiellement sur la chronicité. Les représentations de la maladie mentale propres à une culture donnée jouent avant tout sur les possibilités de resocialisation de la personne. Des facteurs de type économique ne sont alors pas non plus à exclure, les sociétés industrialisées étant peut-être moins propices au développement des contacts sociaux, les périodes de récession ne facilitant pas non plus la réinsertion par le travail. Il est évident que le sociologue a son mot à dire dans les programmes de recherche multidisciplinaires portant sur l'évolution de la maladie schizophrénique.
Ce très rapide panorama nous montre qu'à l'évidence le point de convergence de toutes les recherches, qu'elles soient subjectives ou objectives, est la personne du schizophrène et non pas simplement sa maladie. C'est pourquoi l'avenir est sans aucun doute à la participation active des patients eux-mêmes dans l'établissement des programmes de recherche et leur développement. Les recherches ne peuvent se faire sans la participation éclairée des sujets qu'elles concernent au premier chef. C'est aussi pourquoi les lois récentes sur l'éthique de la recherche, et le questionnement ainsi introduit font partie intégrante de l'évolution de la recherche en elle-même.
Pour plus de renseignements, un ouvrage à la porte de tous, clair et très bien documenté:
Nicola Georgieff 7(1995) La schizophrénie. Collection Dominos, chez Flammarion.
1 molécule chimique qui assure la transmission de l'information entre les cellules nerveuses2 auteur ayant décrit pour la première fois la schizophrénie sous le nom de démence précoce
3
auteur ayant donné son nom à la schizophrénie-4 Clozapine commercialisée sous le nom de Leponex - Risperidone commercialisée sous le nom de Risperdal.-5 notamment les régions cérébrales dénommées hippocampe et amygdale-6 zone du cerveau qui assure la communication entre les deux hémisphères.-7 Pr département de psychiatrie Université Mc Gill MONTREAL,Médecin chef DIM laboratoire associé Université Paris V et centre collaborateur OMS du CHS La Verrière.
Professeur Cyrille KOUPERNIK
Depuis quelques années, des neuroleptiques d'un nouveau type sont apparus. D'autres ayant fait récemment parler d'eux, nous avons interrogé le Pr Cyrille Koupernik, psychiatre, pour lui demander ce qu'il fallait en penser et quel était leur intérêt.
Professeur Koupernik, on parle beaucoup de nouvelles formes de neuroleptiques que l'on dit "atypiques". Pouvez-vous nous donner leurs caractéristiques ?
Les actions des neuroleptiques ont été mises en évidence en France dans les années 50 par Laborit d'une part et l'équipe Delay, Deniker et Harl d'autre part. Il faut bien se souvenir qu'il s'agissait d'une véritable révolution car avant cela, c'était le vide absolu. Nous ne connaissions aucun traitement satisfaisant pour les schizophrénies. Au delà de leur efficacité, on s'est vite aperçu que les neuroleptiques classiques engendraient des effets secondaires indésirables, les effets extrapyramidaux.
L'avantage des neuroleptiques atypiques que nous connaissons aujourd'hui (amisulpride, clozapine, rispéridone, loxapine, zotépine...) est qu'ils ne génèrent pas ce genre d'effets.
Quels sont ces symptômes extrapyramidaux ?
Les symptômes extrapyramidaux précoces apparaissent dans les premières semaines du début du traitement par neuroleptiques classiques. Il s'agit essentiellement des dyskinésies aiguës (spasmes ou contractions involontaires des muscles de la face, du cou ou du tronc. Ils sont à la fois douloureux et spectaculaires), de l'akathisie (sensation de malaise intérieur qui provoque l'envie incessante de bouger, de se balancer...), du parkinsonisme (engendrant tremblements et rigidité).
D'autres effets se manifestent plus tard, au plus tôt trois mois après le début du traitement. Ils sont heureusement plus rares. Je dis heureusement, car on a pu observer qu'ils pouvaient être irréversibles. Il s'agit des dyskinésies tardives, caractérisées par des mouvements hyperkinétiques involontaires et répétitifs qui touchent surtout la bouche et la langue, parfois le tronc et les membres. Dans tous ces cas, l'importance des symptômes est liée à l'importance des doses de neuroleptiques. D'où l'indispensable recherche de la " dose minimale ".. Cette dose est bien entendu différente selon chaque sujet.
Ces effets extrapyramidaux n'incitent-ils pas à s'interroger sur ces traitements par neuroleptiques ?
Bien entendu. En tant que psychiatre, nous nous sommes souvent demandé si nous avions le droit d'exposer les patients à ces phénomènes extrapyramidaux. Nous hésitons parfois à leur proposer des traitements qui ont des conséquences aussi lourdes. D'autant que cela ne les encourage pas à poursuivre ledit traitement. De même, la famille voit souvent d'un mauvais oeil ces médicaments qui "handicapent" le patient. Beaucoup de familles ont incité leur proche à abandonner les traitements pour ces raisons. ça n'est pas une bonne solution car parfois, l'issue peut être terrible : rechutes, tentatives de suicide... On doit donc s'efforcer de trouver la dose utile : efficace pour juguler la maladie tout en limitant ces effets indésirables.
Peut-on comparer l'action des neuroleptiques classiques et celle des neuroleptiques atypiques ?
Les cliniciens ont pour habitude de classer les symptômes de la schizophrénie en deux catégories. Les symptômes positifs (ou productifs) constituent tout ce que la maladie " ajoute " : délire, hallucinations, agitation. Les symptômes négatifs (ou déficitaires) désignent ce que la maladie " enlève " au malade : repli sur soi, absence de contact, autisme...
Nous savons aujourd'hui que les neuroleptiques classiques, tels que nous les connaissons, agissent essentiellement sur les symptômes positifs. Ils n'ont que peu d'action sur les symptômes négatifs, qu'ils tendraient même à aggraver.
Les neuroleptiques atypiques, pour ce que nous en connaissons aujourd'hui, présentent le double intérêt d'agir sur les symptômes et d'entraîner de moindres effets extrapyramidaux, comme nous l'avons vu.
Leur action sur les symptômes positifs est certaine mais ils présentent en plus l'intérêt d'améliorer de façon notable les symptômes négatifs. Outre le fait d'agir sur la dopamine - dont l'action dans la schizophrénie a été démontrée depuis longtemps - les neuroleptiques atypiques agissent sur un autre neuromédiateur : la sérotonine, qui a un rôle d'inhibiteur vis à vis de la dopamine. En même temps, ces neuroleptiques ont une action moins importante sur le relais nigro-strié, générateur des troubles extrapyramidaux, et une action plus puissante que les neuroleptiques classiques sur les récepteurs du lobe limbique et du cortex frontal, qui sont des zones d'intégration des phénomènes psychiques. On a tendance à penser que cette polarité explique leur action sur les formes négatives de la schizophrénie.
Peut-on dès lors prédire la "fin" des neuroleptiques classiques ?
Je ne le pense pas ! Tout d'abord parce que les neuroleptiques atypiques doivent encore faire leurs preuves. Nous avons un certain recul, mais pas encore suffisant, pour évaluer leur effets - car ils en ont tout de même. On sait très bien que la clozapine, par exemple, peut entraîner des agranulocytose qui font courir au patient un risque sur le plan hématologique. Quant aux autres, il faut avoir le recul nécessaire... Les neuroleptiques classiques seront encore utilisés quelque temps, notamment je pense sous la forme de neuroleptique-retard. Il faut avoir le souci de rechercher en ce qui les concerne la plus juste dose. Des recherches très importantes sont menées sur les neuroleptiques atypiques, dont le principal espoir réside dans le fait qu'ils amélioreront de façon incontestable la qualité de vie des malades.
Propos recueillis par Laurence SCHLESSER
Psychoses schizophréniques : les Données de l'Imagerie Cérébrale |
1 - VOIR ET MESURER LES RECEPTEURS DES NEUROMEDIATEURS
L'imagerie cérébrale permet maintenant de voir où les neuroleptiques agissent et peut contribuer à en optimiser les règles de prescription.
Jean Luc Martinot (*)
Jean Luc Martinot a publié en Octobre 1996 une revue des données de l'Imagerie Cérébrale dans le journal Médecine Thérapeutique, vol. 2, n° 8, 1996. Nous en donnons ici un premier extrait, légèrement modifié pour s'adapter à notre Revue ; un autre suivra dans le prochain numéro.
L'apparition de l'imagerie cérébrale fonctionnelle au cours des années 80 a ouvert la voie à de nouvelles descriptions neurofonctionnelles des activités psychiques. Elle permet aujourd'hui d'étudier directement comment les maladies mentales les plus graves, comme les schizophrénies, s'incarnent dans des modifications du fonctionnement cérébral.
Trois types d'informations sur le cerveau sont accessibles :
- les modifications de l'anatomie cérébrale, traces possibles d'anomalies survenues au cours du développement cérébral post-natal, dont la maturation ne s'achève qu'à la fin de l'adolescence,
- la cartographie de l'activité des différentes régions cérébrales au cours des activités mentales (et celle de leur organisation en réseaux) normales et pathologiques,
- enfin, l'étude des systèmes de neurotransmission dans le cerveau vivant, permettant celle du comportement de médicaments psychotropes (neuroleptiques par exemple) dans les tissus cérébraux afin de mieux connaître leur point d'impact en situation thérapeutique réelle.
L'exploration in vivo par Tomographie par Emission de Positons, des récepteurs cérébraux au cours des psychoses schizophréniques, recherche les facteurs biologiques modulant certains symptômes psychotiques
C'est ce nouveau champ d'application de l'imagerie cérébrale fonctionnelle, l'exploration directe, in vivo, des systèmes de neurotransmission cérébraux, que nous abordons dans cet article. Ces études ont débuté il y a une dizaine d'années grâce à une technique particulière, la tomographie par émission de positons (TEP).
La TEP est une technique qui image la répartition d'un "marqueur" (1) dans le cerveau (Fig 1). Ce marqueur, après avoir été injecté au patient par voie intraveineuse, soit est dissous dans le sang, et il cartographie alors le débit sanguin dont l'intensité signale l'activité locale des neurones, soit, comme ici pour l'étude des systèmes de neurotransmission, est incorporé à une molécule (ou "ligand") qui va venir se fixer sélectivement dans les endroits désirés.
On sait par ailleurs, depuis une trentaine d'années, que les neurones dans notre cerveau communiquent entre eux par voie chimique. Le contact entre deux neurones est discontinu : le signal électrique (influx nerveux) venant de l'un d'eux, se communique à l'autre par libération d'une substance chimique, le "neuromédiateur", à travers l'espace intermédiaire (ou synapse) ; ce neuromédiateur une fois émis par l'un des neurones, est "reconnu" sélectivement par l'autre au moyen de molécules spécialisées (comme une clé dans une "serrure") appelées "récepteurs" (2).
La dopamine est l'un des principaux neuromédiateurs impliqués dans les troubles schizophréniques. Les neuroleptiques agissent en bloquant les récepteurs de la dopamine. En utilisant un neuroleptique "marqué" (au brome) on peut alors imager et quantifier certains de ces récepteurs, les récepteurs dopaminergiques "D2", sur lesquels ligand et marqueur vont venir se fixer par affinité chimique. On a pu ainsi démontrer récemment (3) chez un groupe de jeunes schizophrènes non sous neuroleptiques, que densité des récepteurs D2 et capacités d'expressivité, tant au niveau de l'expression motrice des émotions que du discours, sont liées ; plus cette densité est faible dans la région explorée -ici les noyaux gris centraux-, plus ces capacités sont diminuées (symptômes d'émoussement affectif, de réduction du discours et des mouvements spontanés). Ceci est à rapprocher du lien trouvé par d'autres chercheurs entre ces mêmes symptômes et la diminution d'activité du cortex préfrontal dorsolatéral, une région cérébrale reliée de façon préférentielle aux voies dopaminergiques sous-corticales.
Ces études montrent ainsi quelque chose de très important : elles montrent pour la première fois directement, que certaines régions du cortex frontal ainsi que les voies dopaminergiques (dans les noyaux gris centraux) interviennent dans la modulation de tels symptômes, souvent qualifiés de "négatifs", voire de "déficitaires", bien qu'ils constituent en fait l'exagération ou la particulière persistance de phénomènes qui peuvent exister chez les sujets "normaux". La recherche des concomitants cérébraux de ces symptômes en est donc à ses débuts.
La Tomographie par Emission de Positons,
une voie de recherche pour l'optimisation du traitement pharmacologique
des psychoses, en évitant des effets secondaires indésirables
L'évaluation in vivo du comportement des médicaments psychotropes dans le système nerveux central est un autre domaine d'application des techniques d'imagerie fonctionnelle.
Classiquement, la caractérisation des propriétés d'un médicament psychotrope à l'égard du système nerveux central se fait chez l'animal de laboratoire. Après quoi, on passe directement à son administration chez l'homme, sans pouvoir vérifier alors si certaines des propriétés du produit sont bien les mêmes chez le patient (interaction avec les systèmes de neurotransmission cérébraux), et dans les mêmes proportions. Les techniques d'imagerie fonctionnelle sont susceptibles d'apporter des informations sur la répartition intra-cérébrale de psychotropes en situation thérapeutique réelle. Ces informations peuvent être utiles, par exemple dans la détermination des doses saturant certains systèmes de neurotransmission, ou, de façon complémentaire, pour apprécier au mieux les variations inter-individuelles. En France, l'étude des relations entre les traitements neuroleptiques et les récepteurs dopaminergiques D2 a été entreprise chez des patients, grâce à une collaboration entre plusieurs services de psychiatrie (Bicêtre, A. Chennevier, La Salpétrière, SHU Saint-Anne).
Les récepteurs dopaminergiques D2 ont été considérés comme le site de l'effet antipsychotique des neuroleptiques, surtout après la mise en évidence d'une corrélation entre l'affinité in vitro des neuroleptiques pour ces récepteurs et leur pouvoir antipsychotique : l'efficacité antipsychotique est liée au blocage (c'est-à-dire l'occupation) de ces récepteurs.
Une série de mesures en tomographie à positions a contribué non seulement à caractériser la relation existante entre la dose de neuroleptique administrée aux patients et l'occupation des récepteurs D2, mais aussi à décrire la cinétique de cette occupation :
-Après arrêt du traitement neuroleptique chronique, l'arrêt du blocage de ces récepteurs se produit environ en quinze jours.
-Chez des patients traités par neuroleptique "retard", l'occupation des récepteurs des noyaux gris centraux a été stable d'une injection à la suivante. Le pourcentage d'occupation associé à une prévention des rechutes psychotiques a varié de 50 à 80 % en fonction des sujets.
-Une relation a été établie entre la dose orale et l'occupation des récepteurs D2 des noyaux gris centraux.
Ces travaux ont des implications sur la logique de prescription des neuroleptiques. Les caractéristiques de la relation entre la dose de neuroleptique administrée et l'occupation des récepteurs D2 montrent que, à faible dose, de petites variations de posologie induisent d'importantes variations de l'occupation des récepteurs. Le prescripteur devrait donc modifier les doses administrées en procédant par petits paliers. En revanche, ceci n'est plus le cas pour des doses fortes, antiproductives, où des variations de posologie importantes induisent de moindres variations du blocage des récepteurs D2.
Récemment, une relation significative entre l'occupation des récepteurs D2 et l'effet antipsychotique à l'halopéridol a été observée chez des patients par une équipe de Stockholm. La relation entre l'occupation de ces récepteurs et l'effet thérapeutique de neuroleptiques a également été étudiée en France. L'effet thérapeutique "désinhibiteur" sur les symptômes schizophréniques négatifs primaires a été démontré pour un neuroleptique chez des schizophrènes en début d'évolution, au cours d'un protocole d'essai en double aveugle. Les résultats montrent que cet effet (amélioration des scores totaux des symptômes négatifs, et notamment du manque de volonté, des troubles attentionnels et de l'énergie motrice) d'une part, et l'effet antiproductif étudié en ouvert (diminution des idées délirantes, des hallucinations et de l'agitation) d'autre part, correspondent à des niveaux différents de blocage des récepteurs D2 par certains neuroleptiques, notamment les benzamides. Ainsi, lors de la prescription d'un neuroleptique comme l'amisulpride, des effets désinhibiteurs sont observés alors que le blocage des récepteurs D2 est inférieur à 25 %, correspondant à une posologie quotidienne variant entre 50 et 100 milligrammes par jour, suggérant que les récepteurs D2 des noyaux gris centraux ne sont pas le principal médiateur de l'effet désinhibiteur.
Par ailleurs, lorsqu'un effet antiproductif est nécessaire, des doses importantes sont prescrites, correspondant à un blocage de 70 à 80 % des récepteurs D2 en moyenne. Ces travaux montrent que leur blocage optimal lors d'un traitement d'attaque est atteint pour des doses de ce neuroleptique variant entre 630 et 910 milligrammes par jour. Il a été aussi observé avec plusieurs neuroleptiques que les effets indésirables étaient plus fréquents lorsque le blocage de ces récepteurs atteignait ou dépassait 85 %. Ce taux correspond pour ce neuroleptique à une dose journalière de 1100 milligrammes : le risque d'effets indésirables parkinsoniens induit par ce neuroleptique est plus important autour de cette dose (fig 2).
Ces travaux contribuent donc à optimiser les règles de prescription du traitement pharmacologique des schizophrènes.
Conclusion
Il convient de souligner la moisson d'informations acquises au cours des dix dernières années sur la structure et le fonctionnement cérébral au cours de troubles psychiatriques. En particulier, l'incarnation cérébrale de nombreux symptômes psychotiques ne semble plus faire de doute. Celle-ci n'est pas synonyme de lésions organiques comme en neurologie, mais traduit plutôt la mise en évidence par les techniques d'imagerie fonctionnelle de modifications de l'activité de certaines régions du cerveau, modifications sous-tendues par des variations des systèmes chimiques de neurotransmission éventuellement accessibles aux thérapeutiques.
Dans le domaine de la neurotransmission, plusieurs voies de recherche sont ouvertes. Plusieurs équipes recherchent et valident des ligands spécifiques des sous-types de récepteurs dopaminergiques récemment mis en évidence (D1, D2, D3 et D4) dans le but d'études pharmacologiques in vivo. Ces ligands pourraient être disponibles à l'avenir non seulement pour la TEP, mais également en "tomoscintigraphie", une technique par traceurs radioactifs plus simple, autorisant la mesure de la biodisponibilité cérébrale des neuroleptiques dans les hôpitaux disposant d'un service de médecine nucléaire.
Actuellement réservée au domaine de la recherche et aux patients inclus dans des protocoles d'étude, l'imagerie cérébrale fonctionnelle n'est pas disponible pour déterminer de façon systématique la meilleure dose d'un neuroleptique pour tout patient. En définitive, l'adaptation des doses doit être appréciée cliniquement et individuellement par le médecin du patient. Mais il est clair que les techniques d'imagerie cérébrale ont la potentialité d'enrichir nos connaissances sur la pharmacologie intracérébrale des psychotropes, et notamment des neuroleptiques, en situation thérapeutique réelle. Elles peuvent contribuer à une meilleure connaissance des régions cérébrales impliquées dans l'effet antipsychotique. Elles apportent également des connaissances utiles pour optimiser les règles du traitement pharmacologique des schizophrènes. Ceci est important quand on sait que cette affection est le plus souvent chronique, et que plus d'un million de personnes sont ainsi concernées en Europe.
(*) J.L. Martinot est psychiatre attaché aux hôpitaux Bicêtre et A. Chenevier, et chargé de Recherche dans l'unité INSERM U.334, Service Hospitalier Frédéric-Joliot, SHF J-CEA, Inserm U-334, 4 place du Général Leclerc, 91406 ORSAY.
(1) Un marqueur est un atome radioactif qui peut être localisé lorsqu'il se désintègre. Dans le cas présent, on utilise des atomes se désintégrant en émettant un "positon" (l'équivalent positif d'un électron). Ce dernier, quelques millimètres plus loin, va rencontrer un électron des atomes environnants et disparaître avec lui en émettant simultanément deux photons y en sens opposés dont l'impact sur les détecteurs va permettre de localiser cette rencontre : on ne connaît donc la position de l'atome marqueur qu'à quelques millimètres près seulement. En pratique on utilise comme marqueurs l'oxygène 15 ou le fluor 18 par exemple, incorporés à des molécules biologiques (eau, sucre, médicaments, acides aminés, ...).
(2) Voir par exemple l'article de JP Changeux à notre Congrès de Toulouse, publié dans notre Revue "Un autre Regard", n°1 et 2, 13.
(3) En 1994, dans l'unité INSERM 334 d'Orsay
Légendes des FIgures
Figure 1 :
Tomographe par émission de positons.
Figure 2 :
Les techniques d'imagerie cérébrale fonctionnelle apportent des connaissances sur les médicaments psychotropes en permettant d'évaluer en situation réelle, les doses maximales saturant certains systèmes neuromodulateurs, et d'apprécier les variations interindividuelles. Elles permettent aussi d'étudier la répartition régionale et la durée de la présence de certains médicaments dans le cerveau. Ici, un ligand de haute affinité pour les neurorécepteurs dopaminergiques D2, le lisuride marqué au brome 76, permet de visualiser ces récepteurs au niveau des noyaux striés (noyaux gris centraux). Ces récepteurs sont l'un des sites d'action essentiels des médicaments neuroleptiques utilisés dans le traitement des psychoses. A gauche, radioligand lié aux récepteurs D2 striataux est visible en rouge et noir. A droite est représentée la relation entre l'occupation des récepteurs D2 striataux et la dose quotidienne d'amisulpride, un neuroleptique. Les flèches indiquent l'intervalle d'occupation pour un effet antipsychotique optimal, et la dose du médicament (environ 1100 mg/J) pour laquelle le risque d'effets indésirables est plus important (cliché : Groupe Psychiatrie, SHFJ-CEA, INSERM U 334, Orsay).
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