20.12.04. COMMUNIQUE DE PRESSE du SPF et de l'AFP
La psychiatrie en question

Le Syndicat des Psychiatres Français (SPF), seul organisme à représenter toutes les pratiques de la discipline, et l'Association Française de Psychiatrie (AFP) ont pris connaissance avec horreur des faits intervenus à l'hôpital de PAU. Ils dénoncent avec force une nouvelle fois la diminution programmée des moyens dévolus à la psychiatrie dans toutes ses composantes qu'elles soient hospitalières, médico-sociales et libérales, tant en terme de moyens de soins qu'en personnel médical et infirmier, socio- éducatif et d'accompagnement. Cette évolution ne peut aboutir qu'à une détérioration désastreuse de la qualité des prises en charge médicale et à une mise en danger des patients, des personnels soignants et de la population. Les soins psychiatriques demandent des moyens incontournables, du temps, de la disponibilité et des personnels qualifiés et motivés.

Le drame survenu à l’hôpital de Pau prend place dans une tragique série. Le Syndicat des Psychiatres Français (SPF) partage l’émotion et la préoccupation des personnels et de leurs familles. Il n’est pas de notre compétence de nous prononcer sur l’origine exacte de ce drame mais nous estimons devoir rappeler combien la psychiatrie est en souffrance. Par ce communiqué, nous entendons porter à la connaissance de la population ce que nous essayons de faire comprendre aux politiques depuis près de 20 ans. L’arrêt de la fermeture des lits ne suffit bien évidemment pas. Bien des structures alternatives manquent encore, mais c’est surtout en accordant les ratios de personnel indispensable que l’on retrouvera des soins de qualité.

La psychiatrie est aujourd’hui en grande difficulté : alors que la demande de soins explose, l’offre se rétrécit et la qualité des prestations est gravement compromise. Tout un chacun peut, de nos jours, constater que l’environnement social ne favorise guère le bien-être tandis que, depuis quelques années, la crainte d’aller consulter un psychiatre s’est nettement atténuée. Or, il est devenu tout à fait courant de se heurter à des listes d’attente allant de plusieurs semaines à quelques mois pour une consultation en cabinet libéral ou en C.M.P.[1] et de quelques mois à un an pour un rendez-vous en C.M.P.P.[2]

Les perspectives démographiques sont catastrophiques : le numerus clausus a causé des ravages et il faut s’attendre à une diminution de plus de 40 % du nombre des psychiatres dans les dix ans à venir. Déjà de nombreux postes ne sont plus pourvus aussi bien dans le secteur public que dans le secteur médico-social associatif. En effet, les démissions et les départs à la retraite ne sont pas remplacés et des établissements entiers, notamment pour adultes, tournent sans médecin.

En outre, le blocage des salaires dans le secteur salarié associatif et des honoraires en libéral, s’acharnant sur celle des disciplines médicales qui est la plus mal rétribuée, décourage les vocations. La désorganisation de l’hôpital public par la pénurie de personnel, notamment infirmier, à quoi s’ajoute la quadrature du cercle due aux 35 heures, fait le reste.

La désorganisation de l’hôpital public est notamment due aux graves problèmes démographiques rencontrés tant dans le domaine médical (avec des centaines de postes vacants et certains secteurs sans psychiatres ou presque) que paramédical (et nous rappelons ici la disparition de la formation d’infirmier de secteur psychiatrique). Il s’agit là d’une situation prévisible sur laquelle nous avions tenté d’attirer l’attention des ministres successifs depuis 20 ans. A ceci, il faut encore ajouter l’enlisement de l’hôpital public dans des procédures administratives de plus en plus fastidieuses. Il est d’ailleurs étrange de voir les services de tutelle multiplier les enquêtes de qualité et autres actes d’accréditation qui s’intéressent bien plus à la forme qu’au fond.

Concernant les psychiatres libéraux, le tableau est tout aussi péjoratif, tant sur le plan démographique que qualitatif, la discipline se situant au dernier rang des revenus de l’ensemble des médecins français. Outre la baisse inéluctable du nombre des praticiens dans l’avenir, des délais d’attente pour un premier rendez-vous souvent supérieurs à 3 mois, des prises en charge spécialisées pour des patients déprimés qui peuvent souvent attendre 9 ans par rapport à l’apparition des premiers symptômes, le projet de la nouvelle convention avec l’Assurance Maladie, dont les psychiatres attendaient beaucoup, vient institutionnaliser, par la marginalisation de la discipline, l’absence de considération du temps d’écoute nécessaire à une prise en charge de qualité (acte moyen de 30 minutes) alors même que l’Assurance Maladie prétend faire de la diminution du volume de prescription des psychotropes une de ses priorités.

Comme dans les autres secteurs, les psychiatres libéraux n’ont pas pu faire entendre, encore récemment, aux gestionnaires la nécessaire rémunération, pour une pratique de qualité, de la disponibilité des praticiens.

Comme si cela ne suffisait pas, la pression administrative pour tout mesurer, évaluer, réduire, s’accroît au point de prendre de plus en plus de temps sur le travail des soignants et les empêcher ainsi de penser dans une discipline où rien n’est mécanique ni catégorisable. Des normes venues d’outre-Atlantique, purement symptomatiques et ignorantes des ressorts de l’humain, remplacent la compréhension du sujet souffrant par une chimiothérapie envahissante, prônée même chez l’enfant, et achèvent d’imposer aux psychiatres des pratiques qu’ils ne cautionnent pas.

Enfin, pour couronner le tout et arguant du fait que la profession elle-même a réclamé, dès 1970, la fermeture progressive des asiles et le remplacement de la psychiatrie concentrationnaire d’exclusion par des unités de proximité dans la cité, à la disposition de tous (politique de secteur), l’Administration a fermé en dix ans plus de 55 000 lits d’hospitalisation, sans remplacement équivalent par des services appropriés, si bien que de très nombreux malades sans prise en charge errent dans la rue, les gares, sont jetés en prison et que l’on est obligé de "faire une place" à l’aide d’une H.D.T.[3] pour les hospitalisations d’urgence.

On peut donc légitimement se demander avec inquiétude par qui et où sera demain prise en charge la souffrance psychique, alors même que la France disposait il y a encore peu de temps d’une structure de soins polymorphe jalousée par l’ensemble des démocraties avancées.

[1] Consultation Médico-Psychologique de Secteur.

[2] Consultation Médico-Psycho-Pédagogique associative.

[3] Hospitalisation à la Demande d’un Tiers.



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Dernière mise à jour : mardi 21 décembre 2004
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