Propositions dorientations stratégiques
dans le domaine de la recherche psychiatrique
Comité dInterface Psychiatrie / INSERM
Fédération Française de Psychiatrie
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Les troubles psychiatriques représentent une part notable du budget de lhospitalisation et de la sécurité sociale. Chaque personne est exposée, au cours de sa vie, à être confrontée à un trouble psychiatrique, directement ou dans son entourage immédiat. Les répercussions du psychisme sur lhygiène de vie et, directement ou indirectement, sur le fonctionnement somatique sont importantes. Au niveau professionnel, la santé mentale intervient directement non seulement dans lactivité personnelle mais aussi dans celle du groupe.
La psychiatrie représente ainsi un enjeu essentiel de Santé publique. Dans le même temps, les moyens consacrés à la recherche clinique en psychiatrie restent extrêmement réduits
Sollicitées dans ce sens par lINSERM, les Sociétés scientifiques de psychiatrie ont souhaité se regrouper en 1992 en une structure représentative : la Fédération Française de Psychiatrie, avec comme premier objectif de donner un nouvel essor aux activités de recherche en associant la clinique, la recherche fondamentale et la recherche en santé mentale.
Deux rapports ont été réalisés (Dr JM. Thurin), lun général, lautre structurel sappuyant sur les rapports antérieurs et un état des lieux précis de la recherche psychiatrique en France.
Les recommandations en étaient les suivantes :
1. rénover lorganisation de la profession
2. développer des pôles forts, éventuellement spécialisés (sites), et des structures multidisciplinaires sur thèmes (réseaux).
Il était précisé que les sites devaient devenir le nud dun réseau, participant de façon spécifique et personnalisée à la dynamique de recherche. Il fallait également concevoir la possibilité dun véritable engagement dans la recherche de la psychiatrie libérale et du secteur associatif, ainsi que la création déquipes issues de différents espaces institutionnels et cliniques, et leur collaboration avec les disciplines scientifiques connexes (interdisciplinarité).
3. dégager les moyens nécessaires
4. définir le cadre des recherches
et des priorités de recherche
5. soutenir les projets avec guidage, aide méthodologique, meilleure représentation au sein des commissions
6. réunir, avec une mission dobjectifs à 5 ans, les représentants de la F.F.P., de lI.N.S.E.R.M., du C.N.R.S., de la M.I.R.E et des Ministères concernés.
Quen est-il aujourdhui ?
Globalement les recommandations de 1994 restent très actuelles avec un certain nombre davancées, de stagnations et de nouvelles projections qui peuvent être présentés de façon précise.
1) La Fédération Française de Psychiatrie et le Comité dInterface ont réalisé les missions de décloisonnement, dincitation, danimation, de formation et douverture internationale quils sétait fixées à partir de multiples actions locales et de six grandes actions générales :
2) Les priorités de recherche.
Elles sont actuellement bien définies, à partir notamment de conférences de consensus qui ont fait apparaître des manques considérables de données dans différents domaines :
Dans ces différents domaines, il apparaît clairement nécessaire de développer aussi bien les recherches plus fondamentales, portant sur certains facteurs de risque initiaux (en particulier génétiques) et la physiopathologie expérimentale, que les recherches portant sur les conséquences (vulnérabilité, handicap, dépendance, troubles cognitifs et des relations sociales, ) et sur les modalités dactions thérapeutiques et préventives qui les concernent. Les modèles actuels en psychiatrie impliquent, dans un même processus, différents facteurs, à la fois individuels et environnementaux en interaction, avec, à différentes phases critiques, des mécanismes daggravation ou au contraire dadaptation et même de régulation qui dépendent fortement des moyens mis en uvre à ces périodes. Ainsi, une thérapeutique peut intervenir au niveau des troubles primaires, mais aussi (le plus souvent ?) au niveau de la réduction des troubles secondaires, liés eux-mêmes à des facteurs denvironnement.
Sans négliger limportance de facteurs initiaux neurobiologiques, il est donc indispensable de donner toute leur importance aux travaux qui concernent les trajectoires de la maladie en fonction des circonstances et de lenvironnement de soin qui leur est apporté. A ce titre, il est absolument nécessaire de développer des études longitudinales portant sur des cas uniques aux côtés des études portant sur des populations concernées par un traitement ou une affection à un moment donné.
3) Les appels doffres
Au cours des dernières années, on a pu noter la réduction progressive dappels doffres émanant de lINSERM, à lexception de ceux qui étaient directement thématisés (ex : précarité, dépendance aux substances psychoactives) et/ou orientés selon une approche définie (intégration de différents niveaux dapproches, de la biologie moléculaire à la clinique). Ces appels doffres ont tout à fait leur légitimité mais ne concernent dans la réalité quune proportion infime des psychiatres cliniciens et même des équipes déjà structurées. On a pu voir également disparaître les réseaux de recherche clinique qui avaient donné lieu dans le domaine de lautisme et des interactions précoces, puis des dépendances, à des regroupements et à des travaux importants. Le comité dinterface Psychiatrie / INSERM a vivement critiqué cette suppression de même quelle a demandé, à maintes reprises, que soit repris le principe des contrats nationaux détudes pilotes qui permettaient, avec un très petit budget, à des équipes naissantes dentrer dans la recherche structurée, même sil était hautement regrettable que ces contrats ne fassent pas lobjet dun rapport dévaluation individuelle à leur issue. On peut noter quau cours de la dernière année de leur existence et avec lincitation de la FFP douze de ces contrats concernaient directement la psychiatrie.
Dans le même temps, on a assisté au développement des PHRC, avec une progression des soumissions de projets (80 pour lappel doffres 98) qui montre bien quil existe une attente et une possibilité dinvestissement importantes de la psychiatrie pour la recherche clinique.
Il faut toutefois remarquer que, pour les premiers PHRC, ce sont essentiellement ceux émanant des équipes universitaires qui ont pu atteindre un niveau suffisant pour être retenus. Cette situation appelle deux remarques: la première est laide particulière quil conviendrait dapporter pour la mise au point méthodologique à des équipes non-universitaires ; la seconde est que les patients soignés dans la communauté diffèrent de façon importante de ceux qui sont traités dans les centres de référence non seulement du point de vue des troubles quils présentent mais aussi des modalités de la réponse à certains traitements. Cette partie de la psychiatrie qui concerne près de 25% de la population générale est suivie pour une part importante par la psychiatrie libérale et la médecine de ville qui ne font lobjet actuellement daucun appel doffres de recherche et pour une autre, par le secteur. Lun et lautre devraient bénéficier dun effort particulier de structuration. La recherche concernant particulièrement les modalités de traitement des troubles graves de la personnalité, des dépressions et des symptômes dappel, ainsi que celle qui concerne les troubles chroniques en phase de réhabilitation sociale traités en ambulatoire doivent être ainsi développées et les moyens structurels correspondant aménagés.
4) Chercheurs et unités de recherche
Il est illusoire de vouloir faire une recherche de haut niveau sans quil y ait une articulation forte entre cliniciens et chercheurs. La recherche implique des compétences méthodologiques, une veille de la littérature sur un sujet particulier et du temps. La masse critique des chercheurs qui peuvent associer à des travaux déjà en cours de nouveaux travaux correspondant aux besoins reconnus par les cliniciens et par ceux qui sont chargés de la veille stratégique est naturellement un élément essentiel de la possibilité et du développement de la recherche.
Différents inventaires ont montré quil nexiste actuellement quune dizaine de chercheurs statutaires psychiatres et que ce chiffre atteint une trentaine de personnes si lon y associe les chercheurs de champs connexes, ce qui est évidemment tout à fait insuffisant. Pour mémoire, la psychiatrie regroupe en France 12000 praticiens.
Depuis plusieurs années, il ny a pas eu de candidat aux postes daccueil reçu en psychiatrie. Cette situation peut sexpliquer par différentes raisons parmi lesquelles le nombre très insuffisant de psychiatres dans les commissions, les critères de publication et lâge nécessairement plus élevé des médecins psychiatres candidats à lINSERM, évalués sans référence à cette situation alors quil est capital de promouvoir des chercheurs qui soient en même temps des cliniciens. Sans déroger au principe de lexcellence, il devrait être possible dopérer un recrutement exceptionnel en psychiatrie de façon à pouvoir sélectionner parmi les candidats ceux qui sont les meilleurs et les plus aptes à sinvestir dans la carrière de chercheur. Une autre solution à ce problème capital de recrutement pourrait être de modifier le ratio CR1/CR2 (embauche au niveau CR1).
A un niveau intermédiaire, on ne peut que regretter quactuellement de jeunes psychiatres ayant fait un D.E.A. ne puissent trouver de poste qui leur permettrait dutiliser et de faire bénéficier la psychiatrie des compétences quils ont acquises en recherche. Nous abordons là un autre problème qui est celui du développement de la recherche dans les lieux de soin en général, en dehors des seuls services universitaires. Une solution serait la création de postes temporaires de recherche, y compris de postes " mixtes " permettant la double fonction de chercheur et de clinicien, au delà du statut dhospitalo-universitaire. Ces cliniciens-chercheurs pourraient être de précieux intermédiaires entre les unités et laboratoires et le champ clinique extra-universitaire.
Le nombre des unités de recherche est, on le sait, totalement insuffisant et on ne peut quespérer que tout sera fait pour soutenir celles qui existent, faire aboutir les créations en cours et en favoriser dautres. Il existe maintenant des équipes dont lémergence est reconnue et qui sont capables de devenir des centres compétitifs si les moyens raisonnables leur sont enfin consentis.
Une des façons de favoriser la création de nouvelles unités est de soutenir la structuration en réseau des différentes équipes qui travaillent sur un thème particulier dans le cadre dun modèle général défini. Un texte de propositions a été établi dans ce sens par le Pr JM. Danion, à propos de 3 thèmes de recherche dans le domaine des schizophrénies : psychopathologie-nosographie, neuropsychologie, vulnérabilité. Il est également à noter que 3 projets ont étés retenus dans le cadre lappel doffres daide à la structuration de projets en réseau organisé par les Comités dinterface dont les pôles respectifs sont la génétique, la schizophrénie et le stress.
Une autre façon de susciter la création de nouvelles unités est le développement dune orientation interdisciplinaire, avec demblée une implication internationale. Une étape indispensable est réalisation de colloques scientifiques comme les conférences Ph. Laudat ou ceux qui sont organisés à linitiative des intercommissions et des comités dinterface, où peuvent être abordés les aspects épistémologiques et méthodologiques du développement des recherches dans les champs concernés, et amorcées des collaborations internationales fructueuses.
En conclusion, il est urgent quun plan de rattrapage soit mis sur pied pour la psychiatrie. Les attentes sociales quelle suscite sont aujourdhui non seulement nombreuses, mais impatientes et inquiètes. Il nest que de lire le rapport "Prévention et Soins des Maladies Mentales" présenté par le Conseil Économique et Social le 2 Juillet 1997 au gouvernement, qui relève: "Linvestissement matériel et humain dans la recherche est dérisoire par rapport au poids de la santé mentale dans la société...". Dans cet investissement, la part de lINSERM est également dérisoire : à peine 2 %. Les groupes de recherche qui travaillent dans les rares unités ne serait-ce quen partie orientées sur la psychiatrie sont pour la plupart, squelettiques ; les unités INSERM spécifiquement dédiées à la psychiatrie sont rarissimes (2 sur 275...). Les associations de familles de patients comme lUNAFAM ne saurait se contenter indéfiniment de cet état de fait, sans quil y soit jamais porté remède et que lamorce dun rattrapage volontariste ne soit affiché.
Ceci dautant quil existe maintenant, grâce aux efforts de la profession et de la Fédération Française de Psychiatrie décrits ci-dessus, des équipes dont le niveau est à présent incontestable, y compris au niveau international, malgré leurs faibles moyens. Plus largement, un renouveau dactivité est démontré aussi bien sur le plan des publications que sur celui de la qualité des réponses aux divers appels doffre de lINSERM ou des PHRC. Les compétences existent donc sur lesquelles asseoir la politique de rattrapage dont la psychiatrie a besoin pour que sa recherche soit à la hauteur des attentes sociales très fortes quelle suscite aujourdhui, et quelle suscitera encore plus demain.
Cette politique pourrait avoir quatre axes :
- espace de rencontre et forum de recherche (organisation de colloques, école dété, ...),
- partenaire des institutions et organe de formulation des stratégies de recherche,
- mise à disposition dinfrastructures de recherche et de communication scientifique.
Ces axes se déclinent en politiques concertées au niveau :
Il y a aussi à promouvoir des détachements clinique-laboratoire de recherche (liés à des programmes de recherche contractuels).
Dr Jean-Michel THURIN
Président de la Fédération Française de Psychiatrie
Coordonnateur du Comité dInterface INSERM/Psychiatrie