Tous les ans, l'Association for Convulsive Therapy se réunit en marge du congrès annuel de l'American Psychiatric Association. Les thèmes abordés sont nombreux et variés. Cette année, le thème central concernait l'ECT ambulatoire, dont nous reparlerons dans un prochain numéro.
Les autres thèmes abordés concernaient les éléments de prédiction et de prévention des rechutes après ECT. La récidive après sismothérapie est habituelle, dans les troubles dépressifs et en l'absence de traitement antidépresseur. En cas de résistance à un traitement par imipraminique, le pronostic à long terme apparaît plus mauvais qu'en cas d'échec à un traitement par inhibiteur de la recapture de la sérotonine. Dès lors, la question de la prescription d'une autre classe pharmacologique que celle qui s'était montrée inefficace avant ECT reste posée. Chez les personnes âgées, la résistance semble moindre et les résultats thérapeutiques meilleurs. La moindre proportion des troubles de la personnalité et de recours à des substances psychoactives pourrait expliquer ce meilleur pronostic.
Deux ou trois chocs par semaine ? Telle est l'éternelle question que posait une équipe israélienne. Pour cela, ils ont administré, après tirage au sort, à des patients dépressifs soit trois ECT par semaine, soit deux ECT et un ECT-placebo. Résultat : en terme d'efficacité, il n'existe pas de différence statistiquement significative entre les deux méthodes, par contre la "tri-thérapie" serait plus rapidement efficace mais au prix d'effets secondaires cognitifs plus importants.
L'intensité de la crise EEG est-elle en rapport avec l'énergie fournie ? Pour répondre à cette question, une équipe américaine a comparé les tracés EEG de 11 patients soumis à des chocs unilatéraux selon trois intensités : faible (au niveau du seuil épileptogène), moyenne ou forte. Conclusion : la crise induite par une énergie moyenne apparaît plus importante que celle provoquée par une énergie faible, mais est comparable à celle déclenchée par une énergie forte. Comme quoi, la modération est toujours préférable...
Les bêtabloquants modifient-ils la morphologie de la crise EEG ? Les bêtabloquants permettent un meilleur contrôle de la tachycardie et des variations tensionnelles provoquées par une crise d'épilepsie. Cependant, ils entraînent un risque non négligeable d'arrêt cardiaque et réduiraient l'effet thérapeutique de l'ECT. C'est ce que confirme la prise d'esmolol avant sismothérapie. La durée de la crise motrice est diminuée de même que l'amplitude de la crise EEG. La durée de la crise EEG n'est, elle, pas modifiée. Conclusion : bêtabloquants et ECT, pas bon ménage...
Index THYMATRON® qu'est-ce que ça vaut ? Les fabricants d'appareils à ECT multiplient les paramètres à interpréter, tentant d'en faire des éléments de contrôle essentiel. L'étude rapportée par une équipe américaine compare les résultats fournis par une analyse manuelle du tracé EEG et celle fourni par l'ordinateur de Thymatron® DGx. L'évaluation de la durée de la crise est semblable par les deux méthodes, mais l'analyse de la morphologie du tracé présente des différences. Reste la question principale (qui n'est pas posée), à quoi servent ces indices ?
Effet anticonvulsivant des chocs infraliminaires ? La méthode de la titration qui permet de définir le seuil épileptogène d'un patient, impose la réalisation d'un certain nombre de chocs à des niveaux de stimulation inférieurs au seuil. Ces stimulations pourraient avoir un effet anticonvulsivant, si l'on en croit l'étude présentée par une équipe new-yorkaise qui montre que, sur des souris, deux chocs subconvulsifs augmentent le seuil épileptogène des animaux et réduisent la durée de la crise. Mais nous ne sommes pas des souris !
De l'effet du café sur les souris. La même équipe a également testé l'effet de la caféine sur ces pauvres animaux. La caféine est fréquemment utilisée en clinique pour faciliter la survenue des crises et en allonger la durée. Chez la souris, la prise de caféine augmente la durée de la crise, mais a un effet complexe et paradoxal sur le seuil épileptogène. En effet, initialement, il n'y a pas de modification du seuil, mais 60 secondes après les chocs, le seuil n'est augmenté que de 165 % dans le groupe caféine, contre + 365 % dans le groupe contrôle. Il n'y aurait donc pas de lien entre durée de la crise et seuil épileptogène suggèrent ces auteurs. Sommes-nous des souris ?
Les benzodiazépines diminuent-elles l'efficacité des ECT ? Depuis les recommandations de l'American Psychiatric Association en 1990, l'utilisation des benzodiazépines est déconseillée en raison de leurs propriétés anticonvulsivantes. Pourtant, ces indications reposent sur des hypothèses et il existe peu d'études ayant vérifié ces propositions. Le travail d'une équipe californienne va même dans le sens inverse. A partir d'une population de 185 patients âgés ayant subi des ECT sous benzodiazépines, les auteurs ne retrouvent aucune différence statistiquement significative en terme de durée unitaire, de durée totale ou de durée moyenne de crise par rapport aux résultats sans benzodiazépines. Bien que l'étude soit rétrospective et non contrôlée en terme de diagnostic et de sévérité, elle tempère fortement les indications de l'APA.
Quel anesthésique choisir ? Parmi les facteurs influençant la survenue d'une crise sous ECT, le choix de l'anesthésique occupe une place centrale. Plutôt que d'associer d'autres produits en cas de résistance (caféine, oxygène, théophylline...), ne pourrait-on pas simplement changer l'anesthésique ? C'est en substance ce que propose un travail qui a comparé l'effet de trois préparations : propofol, propofol puis etomidate, propofol puis propofol + caféine. Résultats : le changement d'anesthésique (groupe B) s'avère plus efficace sur la durée des crises que l'ajout de caféine (groupe C). Mais les crises les plus longues se retrouvent dans le groupe non modifié... Cherchez l'erreur.
delbrouc@micronet.fr
Abstracts of seventh annual meeting of the Association for Convulsive Therapy.
Même les revues les plus scientifiques ont leurs gags. C'est ce que nous prouve la très sérieuse revue "Cognitions and Emotion". Deux distingués chercheurs de l'université de San Diego se sont lancés dans une étude expérimentale qui s'appuie sur une idée énoncée par Darwin qui suggérait que l'humour et le chatouillis pouvaient avoir en commun des composantes émotionnelles profondes. En effet, il notait que les réponses physiques aussi bien à l'humour qu'au chatouillis incluaient le rire, des activités motrices convulsives et la piloérection. Darwin, qui vivait à l'époque victorienne, et souffrait de trouble panique et d'agoraphobie, avait sans doute un penchant refoulé pour la poilade. Selon lui, le stimulus humoristique doit être léger, aussi léger que le toucher destiné à chatouiller ; la surprise est nécessaire pour rendre efficace aussi bien la plaisanterie que le chatouillis.
Avec un sérieux imperturbable, C. Harris et N. Christenfeld ont monté une expérimentation sur 72 étudiants qui explorent les relations entre rire et chatouille. Les sujets étaient chatouillés avant et après avoir regardé des bandes vidéos de comédie et des bandes vidéos contrôles. Les sujets qui riaient le plus à la comédie, riaient aussi le plus lors de la chatouille. Cependant, il n'est pas de preuve expérimentale que le rire induit par la comédie accroisse par la suite le rire aux chatouillis, ni que le rire consécutif aux chatouillis accroisse le rire à la comédie. Les auteurs suggèrent que l'humour et le chatouillis partagent un seuil final qui permet le déclenchement de réponses comportementales communes : le sourire et le rire.
On attend évidemment une réplication de cette étude comparant des sujets dépressifs, des sujets normaux et des sujets hypomaniaques. Peut être une nouvelle forme de thérapie est en train de naître. En tous cas, quoi de plus utile que d'explorer les émotions humaines positives ?
cottraux@univ-lyon1.fr
Harris C. et coll : Humour, Tickle, and the Darwin-Hecker hypothesis, Cognition and Emotion 1997, 11, 1 : 103-110.
L'origine des principales pathologies psychiatriques reste largement méconnue, même si les hypothèses organiques semblent aujourd'hui avoir les faveurs des chercheurs. La découverte récente de la responsabilité d'une bactérie dans la survenue et la récidive de certains ulcères duodénaux a renforcé les études sur les relations que l'individu peut entretenir avec son environnement.
Les hypothèses neurodéveloppementales de la schizophrénie, qui font jouer un rôle important à des infections survenant durant la gestation, vont également dans ce sens.
En matière de dépression, le débat s'est ouvert récemment et reste encore largement animé en ce qui concerne le virus de Borna.
Son histoire commence il y a environ un siècle, dans une région d'Allemagne. A cette époque on individualise une forme particulière d'encéphalopathie mortelle qui touche principalement les chevaux. Plus tard, un virus à RNA sera identifié comme l'agent pathogène de la maladie et nommé Borna virus. Ce virus a un neurotropisme particulier et infecte principalement les neurones et les astrocytes du système limbique. La transmission expérimentale de l'infection, en laboratoire, a permis d'obtenir des formes atténuées de la maladie, qui se caractérise alors par des troubles du comportement des animaux atteints à type d'agitation ou de prostration, de somnolences et de troubles cognitifs.
L'intérêt porté à cette infection chez l'homme remonte au début des années 90. A cette époque, une équipe berlinoise (1) publie une étude portant sur 70 patients psychiatriques. Devant les « ressemblances » entre les symptômes présentés par les animaux de laboratoire et certaines pathologies psychiatriques, ces auteurs ont recherché la présence d'antigènes spécifiques du Borna virus ou d'un virus Borna-like. Alors que la positivité est de 2 à 4 % dans la population générale, elle est de 20 % sur l'ensemble de cette population psychiatrique et de 30 % pour les patients atteints de troubles dépressifs majeurs. A la même époque, une équipe américaine (2) aboutit à des résultats comparables en comparant la séropositivité de 138 patients psychiatriques par rapport à 117 sujets contrôles.
En 1995, Bode et coll. enfoncent un peu plus le clou en publiant une étude portant sur une population de 139 patients (3). Chez six sujets, les auteurs retrouvent non seulement une séropositivé antigénique, mais également du matériel génétique viral. Pour deux patients souffrants de troubles dépressifs, l'activité virale est même proportionnelle à la symptomatologie clinique.
Troisième acte à ce jour : la publication récente d'un travail américain (4). Ces chercheurs ont procédé à l'analyse post-mortem de 600 sujets. Cinq présentaient une sclérose des régions hippocampiques. Chez quatre de ces cinq sujets, ils ont retrouvé des marqueurs antigéniques et du matériel viral correspondant à une infection à Borna virus. Ces quatre patients présentaient également une histoire de trouble de l'humeur.
Si l'ensemble de ces résultats est pour le moins troublant, les questions apparaissent plus nombreuses que les réponses. Si la possibilité d'une infection humaine par le Borna virus semble logique, sa plus grande prévalence dans la population psychiatrique n'est pas univoque. En effet, au XIXème siècle, plusieurs auteurs avaient remarqué une plus grande fréquence des maladies infectieuses chez les patients psychiatriques. Cette surinfection s'est révélée plus tard n'être qu'un artefact lié aux conditions d'hospitalisation. Par ailleurs, le faible nombre de sujets dans les études publiées doit inciter à la plus grande prudence, même si l'on est séduit par cette hypothèse. Les théories de Bode et coll. ne sont que des hypothèses qui sont largement critiquées par d'autres équipes, notamment celle de Joanna M. Pyper.
Si l'atteinte du système limbique par le virus constitue un modèle intéressant pour expliquer certains tableaux psychiatriques, il n'a, à ce jour, jamais été retrouvé de marqueurs viraux au niveau du liquide céphalo-rachidien des patients. Par ailleurs, la spécificité de l'infection pour les troubles de l'humeur est loin d'être totale. Enfin, la maladie apparaît différente selon les espèces animales infectées : mortelle pour les rats, elle semble peu affecter cliniquement certaines races de primates.
La réalisation d'autres travaux s'impose donc avant de pouvoir conclure scientifiquement dans un sens ou dans un autre.
On peut cependant se permettre de rêver à un vaccin antidépressif ou à un traitement anti-infectieux qui réduirait l'évolution des dépressions à 48 heures, sans risques de récidives. Mais arrêtons-nous là car la science c'est tout, sauf du rêve. A moins que...
(1) Bode L., Ferszt R., Czech G.
Borna disease virus infection and affective disorders in man.
Arch. Virol. Suppl. 1993, 7 : 159-167
(2) Fu Z. F., Amsterdam J. D., Kao M., Shankar V., Koprowski H., Dietzschold B.
Detection of Borna disease virus reactive antibodies from patients with affective disorders by western immunoblot technique.
J. Affect. Disorders 1993, 27 : 61-68
(3) Bode L., Zimmermann W., Ferszt R., Steinbach F., Ludwig H.
Borna disease virus genome transcribed and expressed in psychiatric patients.
Nat. Med. 1995, 1 : 232-236
(4) De La Torre J. C., Gonzalez-Dunia D., Cubitt B., Mallory M., Mueller-Lantzsch N., Grässer F. A., Hansen L. A., Masliah E.
Detection of Borna disease virus antigen and RNA in human autopsy brain samples from neuropsychiatric patients.
Jusque dans les années 1950, la dépression était considérée comme une éventualité rare en Afrique. Pour expliquer cette assertion, des thèses incongrues, profondément imprégnées de l'idéologie colonialiste, étaient avancées. Les choses ont changé par la suite, et des travaux tant psychiatriques que psychanalytiques et anthropologiques ont permis de mettre en évidence une prévalence non négligeable pour la dépression en Afrique.
Une étude récente s'est attachée à rechercher l'incidence de la dépression au Zimbabwe, chez les femmes en milieu urbain. Cette étude met en évidence une prévalence importante, puisque 30,8 % des patientes ont présenté un trouble dépressif ou anxieux dans l'année précédant l'interview. A titre de comparaison, en utilisant une méthodologie similaire, on trouve des chiffres deux fois moindre à Londres. Ces chiffres élevés s'expliquent certainement par le schéma original de l'étude qui a su concilier les exigences d'une enquête épidémiologique avec celles que nécessite la prise en compte des facteurs culturels.
On sait en effet grâce aux travaux de l'anthropologie et de l'ethnopsychiatrie que la souffrance psychique peut s'exprimer de manière culturellement codée, ce qui pose le problème de la définition des cas : quels patients inclure dans une étude épidémiologique sur la dépression si la symptomatologie présentée se révèle éminemment variable selon le contexte culturel ?
Les auteurs ont ici choisi d'utiliser pour la détection des symptômes psychiatriques communs le Shona Screen for Mental Disorders (SSMD), instrument conçu localement, et recherchant à la fois des symptômes « classiques » de dépression et des expressions idiomatiques utilisées pour exprimer la souffrance psychique, comme par exemple « Je pense trop » ou « Je sens des choses qui bougent dans mon corps ». Ces entretiens étaient conduits par des femmes autochtones (infirmières ou travailleuses sociales), dans la langue maternelle des patients. La deuxième phase consistait en une passation du Present State Examination (PSE), traduit en langue locale et adapté pour certains items.
En dehors des chiffres, les auteurs rapportent les termes utilisés localement pour exprimer la détresse, les théories étiologiques avancées par les patients (faisant appel à des facteurs « surnaturels » dans 24 % des cas), l'itinéraire thérapeutique suivi par les patients (guérisseurs, médecine « occidentale »). Cet article montre ainsi comment les données issues de l'anthropologie peuvent, lorsqu'on les articule avec la recherche épidémiologique, modifier radicalement les perspectives. Une question importante se pose alors : envisager un instrument épidémiologique « universel » a-t-il un sens ?
Les auteurs préparent une série de publications autour de cette étude dans le but de préciser notamment l'influence des événements de vie et l'existence de facteurs de vulnérabilité.
tbaubet@compuserve.com
Abas M.A., Broadhead J.C.
Depression and anxiety among women in an urban setting in Zimbabwe. Psychological Medecine, 1997, 27 : 59-71.
Wing J.K., Cooper J.E., Sartorius N.
Measurement and classification of psychiatric symptoms.
La thérapie rationnelle émotive est une forme particulière de thérapie cognitive qui a montré son efficacité dans la dépression dans plusieurs études contrôlées. Une étude pilote a été conduite chez 20 patients déprimés unipolaires qui présentaient de hauts niveaux de dysfonctions cognitives évaluées par des mesures telles que l'Échelle d'Attitudes Dysfonctionnelles et le Questionnaire du Biais Cognitif. Il présentaient en moyenne une échelle de Hamilton à 26 et une échelle de Beck à 36. Ils ont été traités soit par la lofépramine (dibenzazepine) qui est un anti-dépresseur imipraminique disponible en Angleterre, soit par l'association de lofépramine et de thérapie rationnelle-émotive. Les cas inclus dans cette étude étaient considérés comme des cas typiques de patients nettement déprimés et la dose de thérapie était de 30 séances, celle de lofépramine de 280 mg par jour. Les sujets étaient attribués au hasard à chacun des deux groupes. La thérapie était une combinaison des principes de thérapie cognitive proposée par Ellis et par Beck. Les résultats sont intéressants mais ne sont rapportés qu'à la fin de la période thérapeutique : il faut donc les considérer comme très préliminaires. A ce point, le groupe qui reçu le traitement combiné a obtenu plus de répondeurs que le groupe ayant eu uniquement le traitement pharmacologique.
De même, le traitement combiné a obtenu de plus grands changements aussi bien dans le domaine de la dépression que dans celui de l'ajustement social. Le taux de perdus de vue était assez bas puisque de 5 %. Les auteurs ne présentent pas de suivi mais il annoncent que cette étude précède une étude contrôlée de plus grande envergure. Affaire donc à suivre. Le point fort de ce travail est qu'il inclut des patients plus sévèrement déprimés que la plupart des études comparant la thérapie cognitive aux médicaments.
Macaskill N.D. et coll : Rational-emotive therapy plus pharmacotherapy versus pharmacotherapy alone in the treatment of high cognitive dysfunction depression, Cognitive Therapy and Research 1996, 20, 6 : 575-592
La déhydroépiandrostérone (DHEA) fait partie de ces hormones dont les taux sanguins diminuent avec l'âge, dont on ne sait pas très bien à quoi elles servent, et auxquelles on attribue toutes sortes de vertus miraculeuses, ignorance oblige. La DHEA est un stéroïde surrénalien, le plus abondant des stéroïde circulants, c'est le précurseur des strogènes et de la testostérone. On découvre depuis quelques années qu'elle a un rôle physiologique propre, avec en particulier de nombreuses actions dans le cerveau. A partir d'essais cliniques, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont jamais très exigeants sur le plan méthodologique, on a trouvé qu'elle avait un grand intérêt potentiel dans les troubles de la mémoire, la sénescence, la maladie d'Alzheimer, la sclérose en plaques, le lupus érythémateux, la schizophrénie, les troubles de la personnalité, l'immaturité constitutionnelle (sic !), etc. Sans parler de sa réputation d'aphrodisiaque, qui en fait aujourd'hui une des hormones les plus vendues sous le manteau. On oublie généralement de dire qu'elle est probablement cancérigène. Et on voit régulièrement passer à la télévision quantité de beaux parleurs qui ont l'air de s'étonner de ne pas avoir encore reçu le prix Nobel pour avoir fait toutes ces grandes découvertes méthodologiquement nulles. Alors pourquoi pas la dépression ?
C'est ce à quoi se sont attelés Wolkowitz et coll, avec une méthodologie identique à celle des essais précédemment évoqués, c'est-à-dire un essai en ouvert utilisant quelques échelles bien sélectionnées pour servir la cause. Les auteurs traitent par la DHEA six patients, dont l'âge moyen n'est pas précisé (on sait seulement que le plus jeune a 51 ans, donc on ne risque pas beaucoup à parier qu'il s'agit d'un groupe de personnes âgées), dont les cortisolémies sont normales (ce qui n'est pas très habituel chez les personnes âgées déprimées), dont les HDRS sont en moyenne à 24 (mais on sait bien que dans un essai en ouvert, surtout chez des personnes âgées, les cotateurs sont toujours susceptibles d'interpréter en toute bonne foi les symptômes dans le sens qui les arrange), et il est évident que ce qui intéresse les auteurs ce n'est pas tant la dépression que les troubles de la mémoire, qu'ils analysent d'une façon beaucoup plus approfondie que les autres symptômes. Or les troubles de la mémoire, même s'ils sont parfois décrits chez les déprimés, ne sont pas du tout des caractéristiques majeures de la dépression. Si bien qu'il faut être clair : les auteurs intitulent leur article « traitement de la dépression par la DHEA », alors qu'il ne s'agit que d'une étude en ouvert (la nième) des effets de la DHEA sur les troubles de la mémoire des personnes âgées. Donc les résultats confirment que la DHEA améliore les items cognitifs de la dépression et certains troubles de la mémoire. Ce qui n'a rien d'étonnant, s'il est vrai, comme cela a été montré par d'autres études, que le DHEA fait partie de ces molécules qui sont appelées des « cognitive enhancers » (stimulants cognitifs). Quant à dire que la DHEA a des effets antidépresseurs, il est impossible d'en être convaincu par cette étude. Il est très possible que beaucoup de personnes âgées souffrent d'un manque de DHEA, et que cela ait des répercussions sur leur fonctionnement cognitif. On sait que beaucoup d'hormones ont des taux circulants qui diminuent chez les personnes âgées, et ce ne serait pas la première fois que l'on observe qu'un supplément hormonal a un effet bénéfique chez elles. Mais il faudrait expliquer aux auteurs que la dépression, c'est bien autre chose. Il est d'ailleurs amusant de noter que les antidépresseurs diminuent les taux circulants de DHEA (Tollefson et coll 1990), un élément probablement suffisamment important pour contredire les hypothèses des auteurs, mais qui n'a pas l'air de les troubler le moins du monde, tant ils ont l'esprit ailleurs.
Tollefson GD et coll.
24 hour urinary dehydroepiandrosterone sulfate in unipolar depression treated with cognitive and/or pharmacotherapy. Ann Clin Psychiatry 1990 ; 2 : 39-45
Les critères d'efficacité thérapeutique de l'électroconvulsivothérapie (ECT) sont nombreux et de mieux en mieux documentés. Parmi ceux-ci, le seuil épileptogène occupe une place particulière. Il détermine en effet la qualité et la durée de la crise, dont on sait qu'elle doit être comprise entre 25 et 180 secondes.
Le choix de la quantité initiale d'énergie à fournir, lors du premier choc, est actuellement l'objet d'une controverse importante aux États-Unis. Celle-ci a débuté après la publication d'une étude de Harold Sackeim en 1987 qui démontrait que des chocs unilatéraux effectués avec une intensité liminaire (au niveau du seuil épileptogène) n'étaient pas thérapeutiques, alors que ceux réalisés avec des niveaux d'énergie supraliminaires (2,5 fois le seuil) retrouvaient une efficacité certaine. Cette efficacité relative au seuil semble être une caractéristique spécifique des chocs unilatéraux, la distinction liminaire/supraliminaire n'apportant rien en cas de chocs bilatéraux.
Cette controverse fait l'objet de plusieurs articles dans un récent numéro de Convulsive Therapy. Deux écoles s'y opposent, l'une, dirigée par Harold Sackeim qui préconise la détermination « scientifique » du seuil épileptogène par la « titration », l'autre menée par Richard Abrams qui plaide pour une approche plus empirique. Max Fink et Richard Weiner défendent quant à eux des positions intermédiaires.
L'argumentation principale de Harold Sackeim provient de la grande variabilité individuelle du seuil épileptogène. Celui-ci varierait de 1 à 40 selon l'auteur, mais seulement de 1 à 4 selon la plupart des autres études... Par ailleurs, l'âge et le sexe constituent également des variables essentielles dans la détermination du seuil épileptogène. Dans ces conditions, proposer un seuil de départ valable pour tous lui apparaît comme une aberration.
De plus, la quantité d'énergie réellement fournie est, en grande partie, inconnue. En effet, les appareils modernes (MECTA® et THYMATRON®) fournissent des données sur l'énergie administrée, mais pas sur celle effectivement parvenue au cerveau, celle-ci dépendant largement des résistances cutanées, et dans une moindre mesure, crâniennes.
Il propose donc l'évaluation du seuil à partir d'une succession de chocs initiaux, l'intensité étant augmentée par paliers de 50 %. C'est également ce que propose Mark Beale (pour appareils TYMATRON®) :
Patients < 50 ans : 5, 10, 20, 40, 80 %
Patients > 50 ans : 10, 20, 40, 80, 100 %
Ces chocs successifs permettent de définir un seuil individuel et de proposer un traitement personnalisé, donc mieux adapté au patient avec un minimum d'effets secondaires. Par contre, ils imposent des chocs itératifs, lors de la première séance, avec parfois l'obligation d'une réinduction anesthésique qui n'est pas sans conséquences.
La méthode proposée par Richard Abrams consiste à administrer une quantité d'énergie (exprimée en pourcentage de l'énergie totale disponible par la machine) égale à l'âge du patient. Cette stratégie empirique a le mérite de la simplicité et de prendre en compte l'un des facteurs de variation du seuil épileptogène. Mais là encore, les critiques sont nombreuses. Pour Harold Sackeim, l'âge n'explique que 10 % de la variabilité du seuil épileptogène, et dans ces conditions, la méthode de l'âge lui apparaît très imprécise. Par ailleurs, dans une étude publiée en 1995, Enns et Karvelas montraient qu'avec cette attitude, les patients âgés recevaient souvent des quantités d'énergie surévaluées (jusqu'à > 1 000 % par rapport au seuil défini par titration et > 350 % en moyenne). Quand on sait que l'intensité des effets secondaires cognitifs est corrélée avec la quantité d'énergie fournie, on ne peut qu'être troublé. C'est la raison pour laquelle, d'autres auteurs, dont Max Fink et Richard Weiner proposent une méthode « demi-âge » qui consiste à administrer une énergie initiale égale à la moitié de l'âge du patient. Dans ces conditions, les auteurs obtiendraient une quantité d'énergie comprise entre 0,9 et 1,2 fois celle obtenue par titration. Cependant, cette stratégie s'avère inadaptée pour les patients présentant des seuils largement supérieurs à la moyenne, comme le fait remarquer malicieusement Harold Sackeim.
Qu'en est-il de cette querelle, vu de notre clocher, dans un pays où le remplacement du parc des appareils à ECT n'est pas encore réalisé, où l'anesthésie générale n'est pas une généralité, où l'enregistrement EEG de la crise reste marginal et où les chocs unilatéraux sont inexistants ? La question peut avoir quelque chose de surréaliste !
Elle l'est également en partie outre-Atlantique. Car derrière cette opposition s'en cache une autre qui met face à face les deux principaux fabricants américains d'appareils à ECT : Somatics, Inc (THYMATRON®) et Mecta Corporation (MECTA®). Or le premier reçoit la caution scientifique de... Richard Abrams et le second le soutien éclairé de... Harold Sackeim ! On ne peut certes pas mettre en doute l'intégrité intellectuelle de ces deux psychiatres dont la réputation internationale en matière d'ECT n'est plus à faire, mais la ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé n'est peut-être pas fortuite.
Finalement, ne faut-il pas mieux avant tout, comme le recommande Max Fink, faire appel au sens commun ?
Fink Max.
Energy dosing in ECT : Threshold stimulation or formula ?
Convulsive therapy 1997, 13 : 4-6
Weiner Richard D.
Stimulus dosing with ECT : To titrate or not to titrate That is the question.
Convulsive therapy 1997, 13 : 7-9
Sackeim Harold A.
Comments to the « half-age » method of stimulus dosing.
Convulsive therapy 1997, 13 : 37-40
Petrides Georgios, Fink Max.
Clinical common sense versus theoretical correctness.
L'étude « DEPRES » dont nous avons tous plus ou moins entendu parler, est une vaste enquête en population générale, unique en son genre de part sa dimension européenne impliquant dans une recherche et des protocoles d'évaluation communs la France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Allemagne et le Royaume-Uni. « DEPRES » se déroule en deux phases, la première ayant comme objectifs l'estimation de la prévalence des troubles dépressifs en population générale et l'évaluation de l'impact individuel et social de cette pathologie.
Parmi les 78 463 sujets européens évalués par le MINI (Mini-International Neuropsychiatric Interview), outil d'évaluation diagnostique validé dans les langues européennes et aux qualités métrologiques comparables à celles du CIDI, 13 359 soit 17 % de l'échantillon d'étude sont considérés comme dépressifs au sens large du terme sur 6 mois. Plus précisément, 6,9 % souffrent d'états dépressifs majeurs, 1,8 % d'états dépressifs non caractérisés, et 8,3 % de symptômes dépressifs autres. En France, parmi les 14 517 personnes incluses dans l'étude dont 7 162 hommes, 9,1 % présentent un état dépressif majeur (5,9 % chez les hommes, 12,2 % chez les femmes), 1,7 % un état dépressif non caractérisé (1,8 % chez les femmes, 1,5 % chez les hommes), et 11,6 % des symptômes dépressifs (7,7 % chez les hommes et 15,4 % chez les femmes). La prévalence des troubles dépressifs sur 6 mois est tout à fait variable en fonction des pays, s'avère être plus faible en Allemagne (3,8 %), et plus élevée en France (9,1 %) et au Royaume-Uni (9,9 %). Par contre, les femmes sont globalement plus dépressives dans tous les pays, avec un sex-ratio de 2/1 en France, aux Pays-Bas et en Espagne.
L'étude des soins reçus est riche d'enseignement. Quarante-quatre pour cent de l'ensemble des sujets déprimés ne reçoivent aucun traitement pour leur dépression, et la grande majorité d'entre eux (6 %) n'a pas consulté de spécialiste. Les patients recherchent d'autant plus les soins que leur symptomatologie est intense, et le médecin consulté en priorité demeure le médecin généraliste. La nature de l'offre de soins influe nécessairement sur l'accès aux soins. C'est manifestement en France et aux Pays-Bas que les sujets consultent le plus facilement (60 % des patients) ; seuls 40 % ont consulté en Allemagne et en Grande-Bretagne. Seuls 9 % des déprimés ont consulté un psychiatre (de 4,4 % en Grande-Bretagne à 12 % en Espagne).
Plus des 2/3 des déprimés et 59 % des personnes souffrant d'un état dépressif majeur ne reçoivent aucun traitement. En France, 39 % des déprimés et 50 % des sujets avec un état dépressif majeur ont un traitement. Mais le traitement donné, souvent un anxiolytique, reflète plus la nature des plaintes fonctionnelles des sujets (insomnie, anxiété) que la reconnaissance d'un état dépressif. En effet, seuls 25 % des déprimés reçoivent un traitement antidépresseur.
Cette étude est donc intéressante à plus d'un titre. Exemple des collaborations européennes futures, elle met en évidence une prévalence des troubles dépressifs légèrement plus élevé que dans l'étude américaine NCS (National Comorbidity Survey) et démontre également l'impact des réseaux de soins et des politiques de santé dans la prise en charge des déprimés. Il est cependant dangereux de prendre certains résultats au pied de la lettre, notamment en ce qui concerne la nature des prescriptions médicamenteuses. En effet, tous les symptômes dépressifs ne justifient pas l'instauration d'un traitement antidépresseur, et d'autres techniques de prise en charge, en particulier les techniques cognitivo-comportementales, s'avèrent fort utiles. A cette réserve près, il est vrai qu'une attention particulière doit être porté aux troubles dépressifs et à leur reconnaissance précoce, à la fois dans un but curatif immédiat, mais également pour prévenir la chronicisation et la survenue de conduites suicidaires.
Attendons donc avec une certaine impatience et une grande curiosité les résultats de la deuxième partie de « DEPRES », qui a pour objectif d'évaluer de quelle façon la dépression affecte la qualité de vie et le fonctionnement quotidien des individus, ainsi que les attentes des sujets vis-à-vis du système de soins.
Lépine JP, Gastpar J, Mendlewicz J, Tylee A. Depression in the community : the first pan-European study DEPRES (Depression Research in European Society). Int Clin Psychopharmacol 1997, 12, 19-29.
Le titre de cet article pouvait laisser supposer que nous allions enfin comprendre, certes par le biais d'une étude finlandaise, les raisons de la surmortalité par suicide dans nos campagnes, et plus particulièrement dans les riants bocages bretons et normands.
De quoi s'agit-il ?
Parmi les 1397 décès par suicide répertoriés sur un an (de 1987 à 1988), un échantillon randomisé de 229 sujets a été plus particulièrement analysé sur le plan psychiatrique par la technique dorénavant classique de l'autopsie psychologique. Ont pu être évalués les diagnostics selon les critères DSM III R, les événements de vie et les interactions sociales, ainsi que le type de soins reçus, plus particulièrement dans le domaine des troubles thymiques. Le caractère urbain ou rural du suicide était fonction de la taille de la commune dans laquelle le sujet avait vécu au moins pendant les trois derniers mois de sa vie, les sans domicile fixe étant exclus de l'étude.
Cent quarante trois suicidés (soit 63 %) étaient issus d'un milieu urbain, et 85 (37 %) du milieu rural. La prévalence des troubles dépressifs était comparable dans les deux groupes. Par contre, les sujets ayant vécu en milieu urbain souffraient significativement plus de troubles de personnalité du cluster B (personnalité antisociale, borderline, histrionique, narcissique) (36 % vs 19 %), d'abus de substances toxiques (48 % vs 34 %) et de comorbidité psychiatrique (66 % vs 42 %) y compris après ajustement sur l'âge et le sexe. Les problèmes somatiques étaient par contre plus fréquents chez les sujets ayant vécu en milieu rural. La pendaison et l'utilisation d'armes à feu comme moyens autolytiques étaient plus fréquents en milieu rural, mais sans différence significative. En ce qui concerne les événements de vie, les urbains vivaient plus souvent seuls, et ont subi plus de séparations dans le trimestre ayant précédé le décès que les ruraux. Bref, le rat des champs finlandais n'apparaissait pas plus déprimé que le rat des villes, qui, par contre, présentait significativement plus de troubles de personnalité.
Que penser et que déduire de ces résultats ? Tout d'abord, que la France n'est en rien comparable à la Finlande, ni en terme de climat ni dans le domaine de la suicidologie. Une étude similaire en France pourrait sans doute retrouver les mêmes tendances en ce qui concerne les troubles de personnalité ou les conduites addictives, mais peut-être pas pour les troubles dépressifs. Il n'existe pas en Finlande de surmortalité par suicide en milieu rural depuis 1976, ceci étant expliqué par les auteurs comme une des conséquences d'une urbanisation active. Et c'est là que les petits Français sont déroutés par cette tentative d'explication sociologique. Car c'était dans la France de tradition rurale de Durkheim que les suicides en milieu urbain étaient plus fréquents qu'en milieu rural, la surmortalité rurale par suicide étant apparue avec l'industrialisation, l'urbanisation et l'exode rurale.
L'évidence s'impose. Une étude de ce type en France, impliquant l'ensemble des régions, serait grandement utile et pourrait permettre de mettre en lumière des fort probables particularités sociales et régionales qui compléteraient heureusement la dimension psychopathologique dans la compréhension du phénomène suicidaire.
Isometsä E, Heikkinen M, Henriksson M, Marttunen M, Aro H, Lönnqvist J. Differences between urban and rural suicides. Acta Psychiatr Scand 1997, 95, 297-305.