Dimensions psychiques et sociales dans l'étiologie des pathologies chroniques contemporaines

par Isabelle BILLIARD
chargée de mission à la MIRE


La Mission Interministérielle Recherche Expérimentation (M.I.R.E.) a pour vocation d'élaborer et de proposer une politique de recherche, de la mettre en œuvre et d'en valoriser les résultats dans les domaines de compétence des structures ministérielles en charge du travail et des affaires sociales.

A cette fin, l’action de la M.I.R.E. consiste à évaluer les besoins de recherche liés à la définition et à la mise en œuvre des politiques en matière de travail et d'emploi, d'action sociale, de protection sociale et de santé. Dans cette perspective, elle construit des programmes associant les grands établissements publics (CNRS, INSERM, INED), les universités, et les acteurs politico-administratifs, ainsi que les partenaires sociaux.

La M.I. R. E. favorise, chaque fois que cela est possible les actions associant plusieurs organismes ou plusieurs disciplines, de manière à susciter de nouvelles approches et à replacer les problèmes sociaux et de santé dans leur contexte économique et culturel. Elle cherche à faire connaître les pratiques sociales novatrices ainsi que les expériences étrangères les plus avancées ; la M.I.R.E. est aujourd'hui riche de nombreuses recherches dont ont pu bénéficier l'administration, le monde de la recherche et les praticiens.

La M.I.R.E. attache une importance tout particulière à la mise en valeur des recherches qu'elle finance et a entrepris une politique innovante de transfert des connaissances vers les pouvoirs publics et la société civile.

PREFACE

Le texte qui suit voudrait s'inscrire dans la continuité d'un mouvement de réflexion dont le premier coup d'envoi a été donné, en France, par le colloque l'UNITE DE L'HOMME, qui s'est tenu à Royaumont, en 1972. Le très haut niveau des intervenants et la qualité des débats ont fait des actes de cette rencontre une somme remarquable de l'état des connaissances et des interrogations que posent actuellement les relations complexes et incertaines entre l'homme biologique et l'homme social.

Mais peut-être était-il trop tôt. Il semble en effet que la communauté scientifique française soit restée, pour un temps encore, attachée à défendre des positions plus conformes à ses traditions intellectuelles et institutionnelles. Les tenants des différentes disciplines impliqués dans cette expérience novatrice ont donc poursuivi leurs efforts dans un relatif isolement, et les propositions de renouvellement des modes d'approche traditionnels, comme des rapports entre disciplines, n'ont pas connu les développements que l'on pouvait alors espérer.

L'accélération des découvertes auxquelles on assiste actuellement, en particulier dans le sillage des sciences biologiques, promet sans doute un nouvel avenir à ce courant de recherche. La nécessité de dialogue entre les différents champs de savoir semble en effet à l'ordre du jour si l'on en juge par l'éclosion récente d'ouvrages, articles et débats émanant des milieux scientifiques, ou de leur pourtour.

Prenant acte de cette évolution favorable du contexte, la MIRE souhaite vivement contribuer, à la mesure de ses moyens, au renouveau des tentatives d'échange et de réflexion sur ce thème. Et, d'une certaine façon, il est possible qu'elle ait vocation à le faire.

Non qu'elle s'accorde une quelconque compétence qui lui conférerait un pouvoir spécifique sur des questions aussi complexes face aux grands organismes de recherche que sont l'INSERM ou le CNRS. Il est clair que ce genre d'action ne peut se faire sans le concours actif d'un certain nombre de leurs responsables scientifiques. Mais la performance des travaux de ces organismes tient pour partie à une spécialisation très poussée de leurs différents laboratoires, qui se prête peu à la mise en œuvre de programmes interdisciplipiaires.

En outre, placée auprès du Ministère de la Santé, la MIRE s’est vue confier plusieurs programmes de recherche concernant la santé et la santé meniale, où les approches socio-économiques et psycho-sociales de certaines affections sont délà présentes. L’animation de ces programmes, et les occasions de rencontres entre chercheurs qu'elle suscite, permettent de prendre la mesure des interrogations multiples et renouvelées que posent les rapports entre dimensions sociales et psychiques, dimensions psychiques et organiques.

La relative indétermination de son inscription scientifique, en même temps que ses dispositions institutionnelles à provoquer la confrontation de travaux d'origine différente semblent ainsi placer la MIRE dans une position qui s'accorde sans doute plus facilement au caractère transversal de la démarche envisagée.

Le texte présenté ici n'a d'autre statut que celui d'un document de travail, C'est une réflexion préliminaire attachée surtout à souligner l'importance des difficultés d'ordre épistémologique, conceptuel et méthodologique que peut poser la mise en perspective de questions relevant de territoires disciplinaires jusqu'à présent peu enclins à communiquer. Sa formulation exploratoire ne manquera sans doute pas d'éveiller la critique du point de vue des uns et des autres.

En diffusant ce document, la MIRE vise avant tout à amorcer un processus d'audition auprès des différents spécialistes concernés afin d'apprécier leur intérêt pour ces questions, de recueillir leurs avis et suggestions, et de voir avec eux comment il serait possible, dans un premier temps et avec une enveloppe modeste, d'encourager des opérations conjointes sur les questions qui leur paraissent les plus pertinentes, et définir les formules de travail les mieux adaptées.

Lucien BRAMS, Responsable de la MIRE.

RESUME

Les pathologies chroniques contemporaines représentent une part croissante des dépenses de santé, sans que l'on sache dire si ces maladies augmentent réellement en valeur absolue, ou si leur poids actuel ne fait que refléter la régression des autres formes de morbidité, et le développement des connaissances médicales et de l'offre de soins. La connaissance de prédispositions génétiques permet désormais d'expliquer leur risque d'occurence avec l'âge, mais on insiste également sur les effets pathogènes du mode de vie et des facteurs environnemenfaux contemporains. Parailleurs, lorsque l'on étudie les formes d'apparition et d'évolution de ces pathologies du point de vue de l'histoire et de l'économie du malade, on est amené à penser que, dans bien des cas, la déclaration de ces maladies, et leurs poussées évolutives, correspondent à des configurations subjectives problématiques ou conflictuelles plus ou moins identifiées, débordant les capacités d'intégration psychique du sujet.

Partant de ce constat, on peut se demander si certains de ces étais pathogènes ne sont pas favorisés par un contexte socio-culturel où l'individu doit s'adapter à des logiques d'identification sociale incertaines, en même temps que la stabilité de son organisation et de son identité psychiques serait rendue plus aléatoire du fait des modifications sociales pesant sur les premières phases de la socialisation et les conditions primaires du développement psychique.

Si tel était le cas, les pathologies chroniques contemporaines répondraient à des combinaisons étiologiques spécifiques où la part de la somatisation d'états psychiques prendrait une place accrue, selon un continuum où peuvent alterner troubles psychiques, troubles fonctionnels et pathologies organiques.

Quel que soit le degré de validation de telles hypothèses, on ne pourra prétendre à une meilleure compréhension de l'étiologie multifactorielle de ces maladies qu'en assurant un travail de confrontation et de mise en perspective réciproque entre les nouveaux acquis des sciences du vivant, en particulier les neuro-sciences et la neuro-immunologie, et ceux des sciences de l'homme, en particulier la psychanalyse et les théories psychosomatiques.

DIMENSIONS PSYCHIQUES ET SOCIALES DANS L'ETIOLOGIE DES PATHOLOGIES CHRONIQUES CONTEMPORAINES

La part croissante des pathologies chroniques dans les statistiques médicales est généralement expliquée par l'allongement de la durée moyenne d'existence, la récession des maladies infectieuses, et les conditions de la vie moderne (rythmes et tensions propres à la vie urbaine, conditions de travail, environnement nocif, habitudes alimentaires, consommation d'alcool et de tabac ... ) On insiste aussi de plus en plus sur l'existence de sensibilités génétiques.

Ces maladies chroniques (hypertension artérielle, insuffisance respiratoire, ulcères, rectocolites hémorragiques, polyarthrite rumathismale, diabète dépendant, affections cutanées et allergies, asthme, cancers, sclérose en plaques ... ) sont de mieux en mieux circonscrites sur le plan physiologique et biologique, et assorties de tout un arsenal de moyens thérapeutiques, curatifs ou palliatifs, qui entravent ou ralentissent leur évolution et rendent leur existence plus supportable, mais entraînent une dépendance du malade, et des coûts sociaux considérables.

Or, il semblerait que la déclaration de certaines des ces maladies, de même que leur mode d'évolution, relèvent pour partie de l'expression somatique d'états psychiques et relationnels dont la variabilité dépendrait autant des pathologies incriminées que des patients.

Certaines paraissent se manifester brutalement, à la suite d'un évènement, ou parce que les conditions précédant leur apparition sont passées inaperçues aux yeux des médecins ou du malade lui-même (absence de symptômes, troubles bénins, dépression masquée, suractivité ... ). Mais il semble aussi que des manifestations d'états anxieux, asthéniques ou dépressifs, ou l'existence de troubles fonctionnels, peuvent être considérés comme signes de prédisposition à d'éventuelles maladies organiques, sans que l'on puisse prévoir lesquelles.

L’étiologie de ces pathologies semblerait donc déterminée par l’inter-relation d’un ensemble de facteurs : les uns d’origine génétique, les autres relevant de schémas existentiels où conditionsde vie objectives et données événementielles sont loulours à rapporter à l'histoire et aux particularités de la subjectivité du sujet poup lequel elles font ou ne parviennent pas à faire sens.

I - L'ELARGISSEMENT ACTUEL DES NIVEAUX EXPLICATIFS

Certaines disciplines tentent d'explorer plus spécifiquement la part de ces facteurs existentiels sociaux et psychiques, mais elles travaillent encore de façon très cloisonnée.

Depuis une quinzaine d'années, l'épidémiologie sociale analytique étudie l'état de santé différentiel de divers groupes de population en fonction de critères objectifs : tantôt à propos d'une pathologie particulière, tantôt en étudiant une variable isolée (chômage, migration, niveau de vie, secteur de production, accès aux soins, offre médicale ... ), ou encore par le biais d'enquêtes combinant certaines données descriptives du mode de vie. Des travaux plus micro-sociologiques tentent de reconstruire des dynamiques d'existence à partir des événements de vie, et constituent une tentative pour appréhender des “cursus pathologiques".

Mais en l'état actuel, ces travaux n'offrent pas d'analyse de la distribution sociale des pathologies chroniques.

En outre, en règle générale, ces analyses ne s'intéressent guère aux évolutions sociales globales qui définissent les caractères problématiques des situations rencontrées, ni à l'évolution des données contextuelles à partir desquelles les événements de vie prennent sens et sont réinterprétés.

Enfin, du fait des méthodes d'enquête adoptées, elles ignorent le sujet qui est entièrement rabattu sur l'individu social défini par les caractéristiques objectives de son histoire et de ses conditions d'existence.

De leur côté, les travaux cliniques des courants psychanalytiques ont ouvert des voies nouvelles dans la compréhension des conditions d'apparition et des modes d'évolution des pathologies chroniques. L'originalité de la démarche tient à la mise en relation systématique des troubles organiques avec des situations conflictuelles et des modes d’organisation et de fonctionnement psychiques. Il ne s'agit plus de définir des profils de malades, mais d'avoir accès à des processus de somatisation rapportés à l'histoire de la construction primitive et identitaire du sujet, en même temps qu'aux impasses psychiques résultant de certaines situations subjectives.

L’histoire du sujet est donc déterminante. Mais ces théories ne font que très allusivement référence à la dimension sociale de ces situations problématiques, ainsi qu'aux conditions socio-culturelles qui pèsent sur les formes de conditionnement de l'enfant, et leur évolution. Le sujet considéré serait socialement a-temporel.

Ces nouvelles approches constituent évidemment un élargissement considérable de la conception traditionnelle et strictement médicale de la maladie, en particulier en redonnant droit de cité au sujet malade, et en soulignant l'impact des conditions sociales d'existence sur l'état de santé individuel.

Mais ces travaux ne permettent pas de mesurer le poids réel des pathologies chroniques dans la période contemporaine, ni de voir si la combinaison des facteurs qui concourent à l'étiologie de ces maladies ne s'est pas peu à peu modifiée. Ces difficultés relèvent de différents obstacles externes et internes aux disciplines concernées:

- d'une part, l'insuffisance des données sur de longues périodes, soit parce qu'elles n'existent pas, soit parce qu'elles correspondent à des contextes qui rendent toute comparaison hasardeuse;

- d'autre part, la position implicitement adoptée pas ces disciplines qui semblent poser comme invariants, et la société, et les pathologies;

- mais aussi le silence de l'histoire sociale face à ces questions. C'est pourtant par la prise en compte simultanée de données historiques, biographiques et sociologiques que s'opèrent souvent des mises en relation entre champs disciplinaires. Cette démarche a donné des résultats particulièrement féconds dans d'autres domaines.

Enfin, dans tous les cas, ces travaux se heurtent à une difficulté autrement conséquente : la coupure existant entre observations et interprétations des faits pathologiques d'une part, et la matérialité des faits organiques, de l'autre. Cette sorte d'extériorité des sciences de l'homme a vraisemblablement contribué aux réticences du milieu scientifique médical à l'égard de ces disciplines. Il est vrai aussi que les approches compréhensives de la maladie n'avaient pas la tâche facile face à une logique médicale qui accordait pendant longtemps une place prioritaire aux “agents" et à la localisation du mal. Le déplacement du regard médical consécutif aux progrès des sciences biologiques semble un atout favorable à de nouvelles prises de contact entre les deux champs scientifiques. Au vu des différents mouvements qui se dessinent actuellement, il semble en effet que les sciences du vivant commencent à retrouver leurs droits dans des systèmes explicatifs qui prennent en compte la plasticité particulière des processus biologiques en même temps que leurs modes de réponse à la vie relationnelle.

II – LES DIFFÉRENTS NIVEAUX D’INTÉGRATION ET LEURS ÉVOLUTIONS : HYPOTHESES ET LIMITES

La mise en lumière de certaines dimensions spécifiques des pathologies chroniques contemporaines semble donc occultée par différents facteurs : d'une part, la position traditionnelle de la médecine qui étudie les maladies comme ensemble de signes et de dysfonctionnements indépenment des conditions sociales dans lesquelles elles apparaissent ; d’autre part, le cloisonnement existant entre les différentes disciplines qui tentent d'expliquer ces pathologies d'un point de vue organique, psychique, épidémiologico-social. De ce fait, ces pathologies subissent une sorte de naturalisation sociale et leur étiologie se résume à l'effet conjugué de sensibilités génétiques et de facteurs environnementaux, sans qu'on les resitue autrement dans l'histoire sociale des maladies.

Ce qu'on appelle couramment 'les pathologies contemporaines", et qui semble bien implicitement faire référence à un certain état des sociétés occidentales, ne serait, de ce point de vue, qu'un simple effet d'optique facilement corrigé par les données d'épidémiologie sociale accumulées depuis d'un siècle. Autrement dit, le poids de ces pathologies n'aurait qu'un caractère relatif, mais leur visibilité serait d'autant plus grande qu'elles se développent dans des sociétés où la durée de vie s'accroît, où les maladies infectieuses ont été pratiquement jugulées (jusqu'à l'apparition du SIDA) et où les atteintes directes à l'intégrité physique des individus (carences alimentaires, sur-efforts physiques, cadences, accidents du travail, maladies professionnelles ... ) concernent une part décroissante de la population.

Pourtant, les recherches cliniques permettant d'élucider les conditions d'apparition de ces pathologies tendent à montrer que:

- l’apparition de ces pathologies (auxquelles les sujets peuvent par ailleurs être prédisposés par des particularités génétiques, ou par leur mode de vie), de même que leurs poussées évolutives, se manifesteraient préférentielle quand certaines situations critiques ne peuvent plus être assumées mentalement, ni réinterprétées dans un autre registre. Les étapes de transition de la vie physiologique, psychologique et sociale, et les événements de la vie seraient souvent à l'origine de telles situations, mais des faits apparemment anodins peuvent avoir les mêmes effets déclenchants ;

- ces situations prédisposeraient d'autant plus à des formes de somatisation qu'elles constituent une contradiction subjective et qu'elles réactivent des aspects non résolus de la structuration relationnelle et identitaire du sujet.

Partant de ces propositions, on peut se demander si certaines transformations du contexte social ne contribuent pas à augmenter le degré d'occurrence de ces pathologies :

- d’une part, parce que les rapports sociaux et relationnels dans lesquels ces faits prennent place relèvent eux-mêmes de systèmes de codification et de valeurs plus ou moins contradictoires, rendant les rôles sociaux moins identifiables et les repères plus incertains.

- d'autre part, parce que les modalités de structuration de l'économie individuelle semblent s'être modifiées au cours des dernières générations et ne plus assurer les mêmes capacités de maîtrise subjective de la réalité que par le passé.

La difficulté à réaménager psychiquement ces situations se traduirait, entre autres choses, par de plus nombreuses manifestations d'asthénie, d'anxiété, de troubles fonctionnels et dépressifs témoignant d'états de mal-être et de fragilisation individuels.

Si ces hypothèses se trouvaient confirmées, il ne serait plus exact de dire que les pathologies chroniques contemporaines (dont certaines touchent des sujets de plus en plus jeunes) ne correspondent qu'à l'expression et au diagnostic de pathologies virtuelles qui ont toujours existé, mais que l'on ne savait pas identifier ou qui étaient masquées par d'autres facteurs de mortalité ou de morbidité. Il semblerait, au contraire, que ces pathologies connaissent aujourd'hui un régime particulier d'existence justifiant qu'on leur accorde une quasi-spécificité.

Pousser plus avant les propositions précédentes suppose que l'on étudie les infléchissemenfs possibles des différents niveaux de réalité qui rendent compte à la fois de l'intégration de l'individuel et du social, du psychique et du somatique, et de leurs interrelations.

Face à ces questions, le postulat de l'unité de l'homme semble un raccourci stimulant. Cependant, il n'existe pas de théorie ou de savoir, non réducteurs, qui permettent de rendre compte simultanément de la multitude de déséquilibres et ajustements permanents propres à l'organisation de chaque niveau, et du passage d'un niveau à un autre. On ne dispose que de théories locales, généralement instituées en disciplines à partir du degré d'autonomie propre à chaque niveau. Toutefois, il arrive aussi que certaines fractures de l'objet observé se soldent par des recombinaisons disciplinaires (la cybernétique et la biologie face à l'auto-organisation du vivant, par exemple ... ).

En outre, la tâche est encore compliquée par la volonté d'étudier non seulement des états, mais des changements d'états faisant appel à d'autres données: mémoire, histoire, culture, c'est-à-dire accordant au temps un rôle privilégié. Temps long de l'histoire sociale, temporalités économiques et rapports sociaux, temps générationnel des rapports parents-enfants, temps des rythmes individuels et de l'histoire individuelle, temporalités biologiques, participant simultanément à l'intégrité du sujet bio-psychique et social, et à ses désorganisations.

Compte tenu des limites théoriques et des obstacles méthodologiques auxquels ces articulations de questions ne peuvent manquer de se heurter, on ne peut avancer qu'en travaillant simultanément sur plusieurs fronts séparés, tout en incitant les différentes disciplines à dialoguer les unes avec les autres, en particulier en attirant l'attention sur les questions qui se posent à la limite de leur champ d'observation, sur ces zones frontières où elles ne peuvent progresser qu'au prix d'une confrontation et d'une mise en perspective réciproques de leurs démarches et de leurs savoirs.

Dans le cas présent, cela signifie de reconsidérer les acquis actuels des théories de la subjectivité dans leurs rapports avec l'histoire sociale et la sociologie d'une part, et avec les sciences biologiques et les neurosciences d'autre part, en privilégiant trois axes de réflexion avec lesquels ces théories s'articulent:

- l'expérience individuelle confrontée à des changements spécifiques du contexte social;

- l'évolution de la structuration de l'économie psychique et du destin de la subjectivité à travers les étapes de la socialisation;

- l'état des rapports entre théories de la subjectivité et sciences du vivant, et les passages possibles entre les deux systèmes d'énoncés.

III - MUTATION DES RAPPORTS SOCIAUX ET CAPACITES D'AJUSTEMENT INDIVIDUELLES :
UN CHAMP DE RECHERCHES SPECIFIQUE

La dernière phase de la société industrielle, c'est-à-dire grosso modo des années trente aux années quatre-vingt, représente une époque de mieux en mieux protégée sur le plan sanitaire. Mais elle correspond aussi à une période de forte mutation des modes de production et d'insertion sociale, et au déclin des dispositifs relationnels et systèmes signifiants qui assuraient auparavant la cohérence et le sens des pratiques sociales. La transformation des modes de vie, le caractère incertain des repères identitaires et la nécessité d'improviser des formules adaptatives ont entraÎné une transformation et une remise en cause des schémas existentiels antérieurs, et engendré des conditions de fragilisation individuelle particulières.

L'existence des individus qui ont aujourd'hui entre 30 et 60 ans a été largement immergée dans cette période de mutation. Les différentes étapes et événements de leur vie y ont pris sens (ou échoué à faire sens) dans des conditions matérielles nouvelles, à partir de référents mouvants plus ou moins contradictoires avec ceux qui leur avaient été transmis par les générations précédentes.

L'analyse de ces mutations est un champ déjà largement balisé par les travaux de recherches économiques et sociologiques. Les représentations et réponses individuelles à certains aspects ponctuels de ces transformations ont aussi fait l'objet de nombreuses études sectorielles orientées par des politiques de planification technique ou sociale (rapport au logement, aux transports, à l'organisation du travail, aux formes de consommation, aux loisirs; mobilité sociale et géographique, budgets/temps des individus, des ménages ... ). Certaines études cliniques réalisées dans le cadre de ces travaux laissent entrevoir sous quelles conditions certaines de ces situations, ou leur logique cumulative, se traduisent par des conduites et expressions d'échec et de repli. Mais l'accent est généralement in un aspect particulier de l'existence du sujet, plutôt que centré sur lui.

Parmi ces facteurs de fragilisation, certains mériteraient sans doute une plus grande attention du fait de leur impact possible sur les organisations de contradictions subjectives pouvant favoriser des processus de somatisation.

Il s'agit d'abord de tout ce qui entrave la continuité des rythmes naturels et la construction mentale d'un espace de relations, c'est-à-dire la réorganisation globale des espaces/temps sociaux: leur fragmentation, en même temps que leur différenciation purement fonctionnelle (rythmes alternants, horaires, cadences, morcellement des temps privés et familiaux multiplication d'activités clivées dans des espaces où les présences définies par des fonctions et non par des identités sociales/individu consommateur, client, usager ... ). Cette planification de l'espace et du temps social a été largement déterminée par la rationalisation de la production industrielle et un modèle de travail parcellaire exigeant de la part de l'exécutant le respect de normes contraignantes et une désappropriation quotidienne de sa propre subjectivité, les tensions et conflits en résultant trouvant partiellement une issue dans de fortes traditions communautaires, une identité collective affirmée, et des formes de créations et de revendications spécifiques.

Il s'agit ensuite du remaniement des ensembles de significations qui sous-tendaient jusqu'à présent la construction des identités et désignations sociales. Le développement d'activités et de fonctions nouvelles, ne correspondant plus à aucun des savoir-faire établis (tertiaire, secteur administratif, technico-commercial), sollicite des capacités techniques et adaptatives qui ne s'inscrivent dans aucune tradition professionnelle ou corporatiste.

Dans les nouveaux groupes sociaux ainsi constitués, certains individus ont affaire à une stricte division et codification des tâches et des statuts sans réel projet de carrière. Ils se trouvent confrontés à une sorte de contradiction entre la dévalorisation du travail d'un côté, et de l'autre, la nécessité de préserver l'intégrité d'une image de soi garantie par la valeur morale que leur éducation traditionnelle attachait au travail.

Pour d'autres, insérés dans des secteurs ou positions plus compétitifs, la personnalisation du statut et la valorisation de la réussite individuelle peuvent présenter d'autres formes de contradiction: l'assimilation de l'image de soi aux projets offerts par l'entreprise, et finalement l'identification conformiste à un “profil" professionnel. Dans un cas comme dans l'autre, il y aurait conflit entre le sujet réel de la subjectivité, et le sujet social, sans que ce conflit trouve pour autant voie à la conscience ou à l'expression, et ce d'autant plus qu'il ménage par ailleurs certains bénéfices secondaires non négligeables (niveau de salaire et mode de vie, droits sociaux, ascension sociale, moindre pénibilité physique ... ). Il est possible que les normes comportementales mises en ceuvre pour assurer l'adaptation à ces situations entraînent, dans certains cas, des coûts individuels considérables, même lorsque les sujets concernés semblent adopter des attitudes conformes à ce que l'on est en droit d'attendre d'eux.

Il s'agit, encore, des effets possibles de la lente dislocation des liens sociaux traditionnels. L'affaiblissement des systèmes de positions assurés par les groupes primaires, la diversité des rôles sociaux, la nécessité de concilier des appartenances multiples obligent à vivre des identités plurielles dont les différentes polarités entretiennent des relations plus ou moins conflictuelles, et cela dans un contexte où le déclin progressif des supports de médiation traditionnels (famille élargie, rapports de confidentialité, cercles, syndicats, églises, partis ... ) ne permet plus de pourvoir aux formes d'échanges ou d'expressions symboliques qui assuraient la distanciation des conflits et la régulation des tensions individuelles ou collectives.

Toutefois, l'analyse de ces différentes transformations contextuelles ne permet pas, à elle seule, de définir des situations pathogènes. Elles ne le sont que pour certains individus, et sous certaines conditions. Ce qui ferait l'originalité et la difficulté de cet axe de réflexion serait précisément de saisir les modes d'effectuation de ces particularités contextuelles dans des dynamiques individuelles données. On peut supposer qu'elles n'ont pas d'effet direct, mais des effets de modification "à longue distance" sur des trajectoires personnelles plus ou moins bien assumées. L'intériorisation de ces logiques sociales à travers l'expérience personnelle de sujets mal stabilisés socialement, ou en position psychique critique, contribuerait alors à alourdir ou à faire basculer la charge, plutôt qu'à offrir de nouvelles opportunités d'action.

Pour avancer dans ce débat, il faut donc l'ouvrir à d'autres catégories d'individus et chercher à comprendre pourquoi, face à des situations contraignantes apparemment identiques, certains deviennent plus vulnérables alors que d'autres réinterprètent ces données de contexte à leur avantage et intègrent cette réalité pour continuer à se projeter dans l'avenir.

Pourquoi et sous quelles conditions, des situations éprouvantes ou incertaines donnent-elles lieu à différents types de réponses plus ou moins en prise sur cette réalité: mobilisations et transformations collectives; innovation ou changement actif de sa situation existentielle, familiale, professionnelle; fantasmatisations projectives (réactions névrotiques); négation de la réalité (formations psychotiques); réactions déviantes et marginalisation sociale; impasses de la subjectivité et somatisations fonctionnelles ou organiques ?

Cette capacité de la personnalité actuelle à répondre aux situations problématiques dépend, bien sûr, de l'histoire du sujet et de la façon dont il aura progressivement inventé son propre soi à travers la crise d'adolescence et la vie adulte. Cette histoire prend racine dans la structuration de l'identité psychique, l'identification aux images parentales et l'intériorisation des positions sociales, mais elle ne s'y réduit pas. Par contre, l'impossibilité à jouer avec la réalité et le cumul d'expériences traumatiques peuvent se solder par un recours à cette subjectivité originaire et l'enfi ment durable ou momentané dans la répétition de positions intersut ves caractéristiques de la prime enfance du sujet.

La dialectique entre formation sociale et formation individ entre identité psychique et personnalité sociale ne semble donc saisi~ qu'à travers la reconstruction d'histoires personnelles. C'est en ce ser l'on ne peut faire l'économie du sujet, ni repartir d'autres sources que qu'il peut livrer. Ce qui suppose sans doute une démarche d'analyse que approfondie, reconstituant dans chaque cas les contraintes et cc aux différents âges de la vie, ainsi que les marges d'initiative possible chaque conjoncture, mais dont les résultats, uniques, ne seron formalisables.

Bien que l'on attende de ce champ de recherche la confirmati, certains aspects importants des hypothèses proposées, il semble pei liste d'imaginer le traiter en tant que tel dans le cadre d'un programm( spécifiquement axé sur une forme particulière d'expression sympto que: les pathologies organiques chroniques.

Au mieux peut-on espérer trouver trace de ces questions à travers d'autres types d'approches cliniques nécessaires à la mise en ceuvre de ce programme. On peut également, dans un premier temps, suivre de près les travaux en cours et à venir concernant les modalités de désorganisations/réorganisations existentielles de certains groupes spécifiques, et les logiques d'emprise ou de déprise subjective de la réalité que cela suggère rapatriés, différents groupes d'immigrés, veufs, chômeurs ... ).

IV – TROIS AXES PRIORITAIRES


Les propositions précédentes devraient contribuer à confirmer ou à infirmer le caractère particulièrement fragilisant des mutations sociales, identitaires et communicationnelles auxquelles les sujets sociaux ont dû s'ajuster au cours des 50 dernières années.

La seconde hypothèse proposée consiste à voir si certaines situations ne seraient pas d'autant plus difficiles à maîtriser que les identités individuelles sont elles-mêmes moins assurées, ou que la subjectivité est plus intrinsèquement contrôlée, cette conjonction pouvant ainsi favoriser, sous certaines conditions, des processus de somatisation.

Ceci implique de s'interroger sur:

- les énoncés des théories de la subjectivité qui permettent de rendre compte de l'intégration du psychique et du somatique, et de sa symptomatologie;

- l'évolution des formes de structuration de l'économie psychique, et l'éventualité de leur plus grande vulnérabilité aux processus de somatisation;

- l'état des rapports entre théories de la subjectivité et sciences du vivant, et les conditions actuelles de leur validation réciproque.

C'est donc autour de ces questions que l'on envisage, dans un premier temps, de concentrer les questionnements.

1 - Les théories de la subjectivité face à l'intégration du psychique et du somatique

Les rapports entre l'âme et le corps, et leur dualité, ont marqué toute la philosophie occidentale, et donné lieu à des sommes spéculatives dont certaines ont eu une influence sans égale sur la pensée moderne.

La naissance des sciences positives correspond à une première rupture. En substituant à la notion d’âme le concept de psychisme, les sciences naissantes cherchent à débarrasser la subjectivité de ses implications métaphysiques. La psychologie, instituée en science de l'observation et de l'interprétation des conduites, doit à la médecine certaines de ses méthodes et catégories constitutives: l'investigation clinique d'une part, le couple opératoire “normal/pathologique" de l'autre. La classification qui en découle repose sur l'analyse de traits de personnalité et de comportements dont certains seront utilisés plus tard pour tenter de définir une "psychogénèse" des maladies organiques. Mais ces approches n'abordent pas le fonctionnement de l'appareil psychique.

Par contre, les travaux plus tardifs de la psychologie génétique constituent un apport considérable à l'appréhension des rapports inséparables du psychique et de l'organique. D'une part, ils offrent une explication décisive de l'organisation psychique comme ensemble de propriétés émergentes de l’organisation biologique; d'autre part, en soulignant le principe d'indifférenciation du psychique et de l'organique dans les premières phases de la vie individuelle, ils proposent des arguments de validation à l’analyse des mécanismes de régression somatique.

Les apports de la psychanalyse constituent une seconde

- en déplaçant l'investigation du psychisme vers les affects et représentations inconscientes;

- en unifiant, par la théorie des pulsions, toutes les formes d'investissements, désinvestissements, déplacements d'énergie psychique autour de la libido;

- en substituant aux typologies pathologiques une analyse de l'organisation économique et dynamique des faits signifiants dans leur actualisation symptomatique et psychonévrotique.

Parmi ces symptômes, on sait la place centrale qu'a occupé la conversion hystérique. C'est là que s'enracine la première conceptualisation des mécanismes d'expression somatique de faits psychiques. Mais on sait aussi que la conversion hystérique est un cas très particulier de somatisation, puisque le symptôme ne correspond à aucune lésion organi( qu'il n'est que l'équivalent symbolique et dynamique d'un contenu re En outre, dans ce cas de figure, les termes du conflit inconscient impli l'existence d'instances psychiques largement constituées et struch c'est-à-dire correspondant au stade- de l'organisation œdipienne, et ciables à ce titre de la définition des psycho-névroses.

Par contre, la théorie freudienne ne permet pas de rendre compte des troubles ou pathologies organiques réelles. La question n'a été qu'effleurée qu’avec la théorie de la névrose actuelle dont Freud pense qu'elle ne relèvent pas de la psychanalyse puisque les symptômes n'y sont pas l'expression signification inconsciente à élucider, mais une simple inadéquation immédiate des décharges pulsionnelles.

Après Freud, un certain nombre de ses disciples, puis de courants psychanalytiques, se sont intéressés aux mécanismes et processus psychiques spécifiquement impliqués dans les manifestations fonctionnelles et lésionnelles organiques non réversibles qui ne peuvent être rapportées à l'hystérie de conversion ni aux formations névrotiques. Ces courants, qui participent tous du champ de la théorie psychanalytique, s’en différencient cependant à la fois parce qu'ils proposent différentes interprétations de réalités laissées dans l'ombre par la théorie freudienne, et parce qu'ils se sont développés dans des contextes culturels différents. Privilégiant tantôt des mécanismes, tantôt des processus, tantôt des interprétations, ils représentent néanmoins un ensemble d'acquis que l'on peut considérer comme énoncés de base d'une discipline en vole de constitution.

Le courant americain, très attaché à l’efficacité thérapeutique et au modèle de la clinique médicale, a produit une "médecine psycho-somatique" qui porte la trace des nosographies traditionnelles. A des typologies de conflits et des types de personnalité correspondent des réponses spécifiques du système végétatif, sans que ces figures soient rapportées à des formes particulières d'organisation mentale ni à la dynamique des conflits.

L'école allemande, d'obédience psychanalytique, emprunte beaucoup à la phénoménologie. "L’être malade" est un mode de rapport au monde révèlant le sens intime d'une expérience vécue. En soulignant que le corps habite toujours un espace où il prend position, ce courant met l'accent sur la dimension intersubjective et relationnelle de la maladie. De même, le corps phénoménal, support des dérèglements des rythmes biologiques, s'inscrit-il dans un rapport au temps vécu qui suppose des relations dialectiques avec le corps réel. Ces théories rendent compte de la réalité subjective de la maladie, mais non de la maladie. Elles restent descriptives dans la mesure où elles n'expliquent pas les opérations mentales qui, par excès ou par défaut, structurent la pathologie.

Enfin, les théories physiologistes (la conception cortico-viscérale, la théorie d'adaptation au stress de Selye) privilégient les modes de régulation des organes et fonctions internes en réponse aux stimuli et contraintes externes, mais ne s'intéressent pas à leur élaboration subjective en termes d'affects, de représentations ou de réactivation de conflits intrapsychiques.

La spécificité de l'école française concerne ses apports à l'étude de l'organisation des fonctions psychiques, et à leurs désorganisations en relation avec la dynamique des conflits dans les processus de somatisation.

Défendant le point de vue uniciste selon lequel réactions psychiques et réactions organiques relèvent d'un seul et même processus, elle développe une théorie des manifestations somatiques comme expressions spécifiques de la structure de la personnalité, ce qui l'amène à s'intéresser au premier chef à l'organisation des fonctions mentales et au fonctionnement des capacités projectives et imaginaires.

Partant des acquis de la psychanalyse, elle cherche à comprendre le destin des fonctions mentales les plus élaborées chaque fois que celles-ci ne suffisent plus à assumer une situation subjective problématique.

L'individu peut tenter de résoudre le conflit par des productions projectives et fantasmatiques, c'est-à-dire des formes de défenses et de régression psycho-névrotiques. Mais si les affects et conflits débordent les capacités de réponse d'un psychisme imparfaitement structuré, ou s'ils se traduisent par des situations d'impasse, les fonctions imaginaires deviennent elles-mêmes inopérantes parce que momentanément ou durablement réprimées. L’inscription du conflit se manifeste directement au niveau du corps réel et des fonctions organiques (et non plus symboliquement, sans lésion organique, comme cela se passe dans les processus de conversion hystérique). Ces réactions constitueraient donc des formes de régression vers des fixations correspondant à différents stades de précocité de l' intégration des fonctions du psychique et du somatique, c'est-à-dire vers des niveaux d'organisation où fonctions organiques, fonctions sensorielles et fonctions psychiques ne sont pas encore nettement différenciées, et où les marquages et frayages qui constituent la programmation primitive de l’organisation psycho-somatique sont d'autant mieux engrammés qu'ils plus anciens. Ces processus de régression réactiveraient par conséquent des faits de mémoire organico-sensoriels et affectifs, et des réponses somatiques primitives, tels qu'ils se sont constitués à travers les aléas de la relation mère-enfant, déterminant à leur tour les caractéristiques de l'organisation psychique, et finalement les conditions de la structuration du Moi.

Autrement dit, le processus de somatisation serait un mode de réponse d'autant plus probable que l'organisation psychique et la structuration du sujet sont, ou sont restées, imparfaitement achevées, et que le conflit n'est pas mentalisé, ou percu comme sans issue.

Cette alternative systématique à certaines exigences contradictoires peut s'exprimer dès l'enfance, ou n'apparaître que plus tardivement à l’occasion d'affects ou de situations fragilisantes marquant la vie adulte.

Outre leur caractère explicatif, ces approches cliniques et théoriques apportent un éclairage particulier aux régimes d'apparition et d'évolution des pathologies correspondantes. D'une part, parce que les pathologies alternent souvent avec des formes de réactions névrotiques, voire psychotiques, selon le degré de refoulement imposé par le type de conflit auquel le sujet doit faire face; d'autre part, parce que ces manifestations somatiques se présentent, dans bien des cas, comme une alternance de symptômes sans liens apparents, certains symptômes servant de protection contre des désorganisations organiques graves. Des affections bénignes, des troubles fonctionnels, des états anxieux ou dépressifs représenteraient alors les initiaux ou intercalaires laissant présager des possibilités de sornatisation vitales.

Ces signes avant-coureurs peuvent alerter le médecin. Mais le refoulement organisé de la subjectivité se traduit aussi par des modifications caractérielles et des formules de sur-adaptation qui donnent peu de prise à l'observation médicale traditionnelle.

Enfin, ces pathologies, une fois déclarées, ne suivent pas une évolution linéaire, mais s'aggravent, régressent, se stabilisent par poussées et combinaisons d'autres symptômes, suivant la dynamique des situations relationnelles qui redistribue à la fois l'activation des symptômes et leur organisation.

En l'état actuel de leur développement, ces théories pourraient donner lieu à un certain nombre de considérations sur le plan des techniques thérapeutiques, mais elles posent aussi d'autres questions du point de vue clinique et biologique, comme du point de vue social et culturel.

- sur le plan médical-thérapeutique.

L'étude de la prise en charge thérapeutique des pathologies chroniques à forte composante psychosomatique passe par l'analyse du regard médical, c'est-à-dire les méthodes diagnostiques, les moyens thérapeutiques et les pratiques relationnelles mises en ceuvre par les différents segments du corps médical.

La médecine technico -hospitalière, comme la médecine de ville, sont actuellement traversées de contre-courants et d'interrogations où se mêlent, parfois de façon très contrastée, les apports de la psychanalyse ou de l'analyse transférentielle, et des questions ouvertes posées par les avancées fulgurantes de la biologie et de la technologie médicale.

Le regard clinique traditionnel, comme principe de distanciation du malade et de la maladie, subit toutes sortes de distorsions qui infléchissent les données transférentielles, leurs effets, et leur observation. De nombreux travaux ont été réalisés qui permettent de mieux saisir l'économie de la maladie dans le cadre du traitement et de la relation avec le médecins. Il faudrait sans doute élargir ces travaux et observer ces différents mouvements à une échelle plus large pour voir dans quelle mesure il existe une tendance à l'ajustement des pratiques thérapeutiques aux particularités de ces pathologies, ou au contraire une tendance systématique au recours aux innovations technologiques et chimio-biologiques.

La multiplication des rapports avec les médecins se traduit par des situations de transfert contradictoires qui ne font qu'accroÎtre les symptômes et les réponses médicales de plus en plus sophistiquées. L'ignorance de ces questions expliquerait en partie certaines logiques d'escalade médicale et de surmédicalisation. Mais il semble aussi qu'un certain nombre de services hospitaliers s'adjoignent le concours, interne ou externe, de psychothérapeutes -psychanalystes avec lesquels ils font un travail "à la marge". Il serait intéressant de savoir dans quels types de services, et comment s'opère la complémentarité ou la division des interventions. Les mêmes questions se posent également pour la médecine de ville.

- sur le plan clinique et biologique.
Les recherches actuelles de la clinique analytique tendent à montrer que certains modes de structuration et de fonctionnement des instances psychiques prédisposent à des degrés divers d'atteinte des fonctions organiques, sans que l'on puisse prédire a priori sous quelle figure pathologique spécifique.

Par ailleurs, les progrès de la recherche biologique prouvent que certaines pathologies chroniques sont induites par des par des dérèglements particuliers du système immunitaire, mais dont les causes restent encore mal connues.

Or, si l'apparition de ces différents types de dérèglements semble bien correspondre à certaines configurations de dynamique psychique, on n'est cependant pas en mesure actuellement de comprendre pourquoi on a affaire à une maladie plutôt qu'à une autre (une allergie cutanée, plutôt qu'une allergie respiratoire), ni de rendre compte de la totalité des mécanismes psycho-organiques qui déterminent ces changements d'état.

Ces affections et pathologies seraient donc à la fois:

- aléatoires, puisque l'on ne peut prévoir à quel niveau organique va s’opérer la bifurcation, ni quelle va en être l'expression spécifiée,

- et partiellement déterminées par l'organisation psychique et l'histoire du sujet.

Face à cette part d'incertitude, inhérente à la complexité du vivant, le biologiste et le psychanalyste-pychosomaticien n'ont ni la même position, ni les mêmes méthodes d'investigation. Ils semblent donc condamnés à emprunter des voles différentes pour saisir au plus près les limites de cette part d'aléa, et tenter d'expliquer, par exemple, pourquoi une femme développera une sclérose en plaques plutôt qu'un cancer du côlon, un cancer du côlon plutôt qu'un cancer de l'utérus.

L'analyse seconde d'ensembles d'observations cliniques issues de la clinique analytique n'existe pas (ou dans des conditions incertaines). En effet, elle ne semble pas pertinente dans le cadre d'une discipline entièrement fondée sur une démarche interprétative. Elle fait cependant ment défaut pour confirmer certaines hypothèses, comme pour confronter ses résultats avec ceux d'autres disciplines.

Ainsi, l'analyse d'un grand nombre de cas de patients chez qui alternent symptômes fonctionnels, affections organiques réversibles, et pathologies chroniques, permettrait peut-être de dégager des schémas de sensibilité dont la comparaison et la mise en rapport systématiques pour déboucher sur des structurations singulières de pathologies spécifiées.

De leur côté, les biologistes disposent désormais des outils scientifiques et techniques qui permettent de connaître de façon de plus en plus précise les caractéristiques génétiques d'un individu.

Là aussi l'aléatoire a une place importante puisqu'il est établi que les réponses immunitaires à certains antigènes varient d'un individu à l'autre. Mais on sait également depuis peu que la présence de certains antigènes d'histocompatibilité favorise l'expression organique clé pathologies associées sans liens apparents (ex: arthrite rhumatoïde/psoriasis/rectocolite hémorragique/iritis ... )
L'aléa événementiel serait d'abord aléa structurel.

Des croisements expérimentaux des deux types d'observations systématiques seraient peut-être l'occasion de redéfinir de nouvelles méthodes d'analyse de résultats, en même temps que d'échanges et de confrontations à verser au dossier des rapports possibles entre les deux champs scientifiques (cf. 3).

- sur le plan sociologique et culturel.

Les travaux théoriques qui tentent de rendre compte des modes d'intégration du psychique et du somatique, et de leurs désorganisations, soulignent bien que les processus de somatisation supposent une impossible maîtrise de la réalité par l'activité mentale et fantasmatique du fait d'une fragilité de l'organisation psychique ou du refoulement de la subjectivité, et le recours à des formes de réponses correspondant aux stades primitifs des rapports entre l'organique et l'affectif- sensoriel, c'est-à-dire antérieurs à la phase identitaire œdipienne, à l'acquisition du langage, et à l'autonomie psychomotrice.

Dans cette démarche, l'histoire de la structuration du sujet psychique est évidemment déterminante. Mais elle laisse dans l'ombre l'étude des facteurs sociaux et culturels qui contribuent à modifier l'organisation des stades ultimes du développement psychique (phase œdipienne) comme celle des phases relationnelles primaires qui conditionnent l'avenir de la subjectivité et de l'identité psychique.

Or, l'impact des transformations sociales et culturelles sur la qualité des relations psycho-sensorielles et affectives primaires, la structuration, et finalement l'identité psychique du sujet, semble une donnée importante à prendre en compte pour confirmer ou infirmer l'hypothèse d'une prédisposition accrue aux processus de somatisation. Cette absence de mise en perspective historique et sociale constitue une limite de ces démarches. Elle incite à consacrer une place substantielle à ces questions restées en suspens.

2 - L’évolution des formes de structuration de l'économie psychique et du destin de la subjectivité individuelle à travers les premières étapes de la socialisation

Le constat d'une évolution globale dans l'organisation des structures identitaires et des systèmes de défense psycho névrotiques semble confirmé par la pratique psychanalytique. De fait, les psychanalystes reconnaissent volontiers que les troubles qu'ils rencontrent aujourd'hui n'ont souvent qu'un lointain rapport avec les psycho-névroses de l'époque freudienne. Les nouvelles figures nosologiques (névroses de caractère, névroses narcissiques, border-lines ...)
se caractériseraient par une plus grande fréquence des mécanismes régressifs, l'importance de l'imago maternelle face au père œdipien, une forte agressivité fantasmatique, des résistances moins mobilisables, une large composante narcissique...

Et l'on peut se demander si l'identité sexuelle psychologique et sociale à partir de laquelle se construit la personnalité n'est pas rendue plus aléatoire, en particulier parce que l'identification à des images parentales nettement différenciées serait devenue plus problématique. Concernant cette phase du développement, on pourrait faire une double hypothèse : d'une part, l'évolution des rôles sociaux et des rapports entre les sexes favoriserait un flou identitaire dû à la relativisation de l'image du père et au poids accru de la figure maternelle ; d'autre part, la fragilité œdipienne qui en découle rendrait les sujets plus vulnérables aux fantasmes archaïques de la toute puissance maternelle.

Si l'on s'intéresse particulièrement aux phases antérieures du développement, on peut aussi faire l'hypothèse que ce renforcement de l'image d'une toute puissance maternelle est elle-même favorisée par des données objectives relevant de conditionnements sociaux.

L'activation du rôle maternel et l'aménagement social du champ relationnel mère-enfant constituent en effet des facteurs tout à fait déterminants pour la thématique proposée ici, puisqu'ils ont imprimé les tout premiers marquages de la structure individuelle que sont les modes de projection du corps dans l'espace relationnel et les fonctions somatiques primaires (réactions sensorielles, décharges musculaires, rythmes ... ). Ils engagent le rapport dedans/dehors, autre/soi, objet/sujet, introjection/ projection, rétention/ séparation, c'est-à-dire des dispositions auxquelles il est fait recours contre les pertes objectales qui sont à l'origine des processus de somatisation. Ils définissent la gestion psychosomatique des premiers affects, l'économie des composants du Moi, et finalement le devenir de la subjectivité et des organisations mentales ultérieures.

La qualité des réponses somatiques primaires est en partie conditionnée par des données génétiques, mais leur mise en forme est essentiellement tributaire de la relation mère-enfanf et, par conséquent, largement emprunte des caractéristiques de la personnalité de la mère, des contraintes sociales qu'elle doit assumer, et des schémas éducationnels dont elle est le vecteur.

Or, il semble que les transformations sociales qu'ont connues les sociétés occidentales au cours du dernier demi-siècle, et caractérisées par des logiques d'ascension sociale et les modèles de conformité correspondants, le travail des femmes et l'évolution des rôles sociaux, la redistribution des espaces-temps liés à l'urbanisation et au travail salarié, aient contribué à infléchir les cadres traditionnels de la relation mère-enfant.

Un certain nombre de femmes ont dû poser leur identité à partir de rôles éclatés et plus ou moins conflictuels (épouse-mère-femme-travailleuse salariée). Elles ont été amenées à multiplier, non sans culpabilité, les temps de séparation souvent compensés par un surinvestissement de l'enfant dans des fratries de plus en plus réduites. Enfin, le fractionnement et la rigidité des temps sociaux et des normes imposées aux rythmes et demandes relationnelles de l'enfant, les solutions adoptées pour temporiser ses exigences et limiter ses décharges pulsionnelles ont sans doute contribué à modifier les rythmes élémentaires et les conditions qui favorisent la continuité entre la réalité et l'activité imaginaire.

Cette plus grande difficulté à maîtriser les mécanismes de distanciation, combinée à une plus forte intériorisation des normes sociales véhiculées par les pratiques et discours des parents, a pu aussi limiter les capacités à jouer avec les normes sociales. L'appauvrissement des rituels et comportements symboliques ainsi que le contrôle éducationnel (familial et scolaire) des expressions subjectives et imaginaires au profit de comportements rationnels et de normes adaptatives auraient aussi un rôle dans le renforcement de pratiques conformistes où l'adhésion aux principes familiaux et aux règles du fonctionnement social tient lieu de subjectivité. Les formations caractérielles qui en résultent prédisposeraient à rendre impensables certains évènements ultérieurs, ouvrant ainsi la vole à de possibles réponses somatiques.

L'évolution du rapport entre les sexes et celle des rôles sociaux, l'extension du travail féminin, le contrôle de la procréation et le statut de l'enfant, la situation de la femme, les conditions matérielles et normes éducationnelles, la privatisation de la vie sociale, les images de l'autorité, les formes d'adhésion aux normes de la réussite sociale constituent sans doute un ensemble de données privilégiées à prendre en compte pour tenter une mise en perspective historique des conditions particulières de la structuration de l'économie psychique et de l'identité individuelle au cours de la dernière phase de la société industrielle, c'est-à-dire depuis l'entre-deux-guerres.

3 - Théories de la subjectivité et sciences du vivant

Un des points épineux concernant l'impact de données psychiques dans l'apparition et les régimes d'évolution des pathologies chroniques est celui de la pertinence simultanée de deux types d'énoncés en voie de constitution et leur validation réciproque dans le discours de l'autre: les théories psychanalytiques-psychosomatiques, d'une part ; les neuro-sciences et les sciences biologiques, en particulier la neuro-endocrinologie et l’immunologie, de l'autre.

Ces deux branches de la connaissance de l'humain, longtemps séparées par leur
appartenance à des continents scientifiques hétérogènes, sont de plus en plus confrontées
à la nécessité de restaurer explicitement leur articulation, et de dépasser le débat sur l'objectivité des faits scientifiques en reconnaissant que la complexité et l'incertitude sont constitutives de l'objet observé quelque soit le niveau auquel on l'observe.

Au cours des dernières années, les disciplines relevant de ces deux champs - surtout dans les sciences du vivant - ont opéré de nombreuses percées et déplacé d'anciennes limites qui rendent leur rencontre de plus en plus attendue. De nouveaux ensembles de questions pertinentes semblent possibles. Reste à les délimiter et à les construire.

Jusqu'à présent, chacune des disciplines concernées a surtout progressé à partir des positions centralistes qui l'ont constituée, fusionnant parfois partiellement avec une discipline contiguë, mais sans préjuger pour autant des questionnements "à la limite".

Les courants psychanalytiques ont cessé de s'intéresser au corps comme substrat, et à l'enracinement physiologique du rêve et des pulsions, après L'ESQUISSE D'UNE PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE (1895), sur laquelle Freud lui-même n'était jamais revenu. Face à la difficulté de penser le vie psychique à la fois comme fait physiologique et comme sphère autonome irréductible à la physio-biologie, les écoles et débats se sont tournés de plus en plus vers les agencements structurels de l'inconscient et les effets de sens produits par l'intersubjectivité, aux dépens de la matérialité des symptômes.

De leur côté, les théories psychosomatiques ont progressé discrètement sur cette scène fiévreusement occupée par d'autres courants. Elles connaissent aujourd'hui un réel essor du fait même du vide légué par la théorie freudienne relativement aux “névroses d'organes" et aux processus de somatisation dès qu'ils débordent l'explication classique des mécanismes de conversion hystérique. Or, la plus grande fréquence d'alternance entre symptômes névrotiques et affections organiques pose aux psychanalystes de réels problèmes. Selon les écoles, les théories psychosomaticiennes mettent l'accent sur des logiques évolutives : les mécanismes de régression en réponse à un conflit ou une perte objectale se faisant des stades les plus évolués de l'organisation psychique correspondant aux fixations psycho-névrotiques, vers les niveaux d'intégration et de fixation du psychique et du somatique les moins différenciés. Cette approche met en évidence des lignes de fixation contre-évolutives et des voies de déplacement des charges psychiques à travers les réseaux de faits de mémoire psychiques et somatiques. D'autres travaux théoriques et cliniques mettent l'accent sur le rôle déterminant du fonctionnement de l'imaginaire et des capacités projectives (les processus que sont le rêve et ses équivalents diurnes; les modalités de projection du corps dans l'espace). Cette approche, plus topologique, souligne les rapports de continuité/discontinuité entre le fondement psycho-biologique du rêve et les autres mécanismes de défense et de régulation de l'organisme.

Mais ces travaux théoriques s'arrêtent généralement aux limites des explications ontogénétiques et bio-physiologiques qui permettent de rendre compte de ces mécanismes de dysfonctionnement organique.

De l'autre côté, la biologie a progressé à grands pas.

La biologie cellulaire, ouverte aux théories de l'information et à la cybernétique, a largement contribué à la naissance d'un nouveau paradigme scientifique : l'organisation du vivant comme système autonome de relations hypercomplexes et de connexions fonctionnelles entre niveaux d'intégration. Mais les principes d'organisation par le bruit, la part de l’ambiguïté, la définition de “seuils de bifurcation" et de changements d'états sont toujours rapportés à l'organisation et à la complexification des réponses de l'organisme, et non aux mécanismes de désorganisation ou aux états de crise.

Les neuro-sciences ont poussé à leurs limites la compréhension des mécanismes physico-chimiques qui régissent l'activité sensorielle et cérébrale sans pouvoir expliquer la fonction imaginante ni la production d'effets signifiants.

L'immunologie découvre chaque jour de nouveaux aspects des interactions entre système nerveux, système endocrinien et système de défense de l'organisme, ainsi que des chaînes d'effets produits par les combinaisons particulières des composants biochimiques.

La compréhension des données génétiques et programmatiques du système immunitaire permet dorénavant d'appréhender son rôle décisif, à la fois dans les mécanismes de défense, comme dans ceux de la génération et de la régulation de l'identité et de l'intégrité du système organique.

L'ensemble de ces connaissances a conduit à considérer la part de dérèglements immunitaires (hypersensibilité, déficits immunitaires, maladies auto-immunes) dans nombre de pathologies chroniques jusqu'à présent attribuées à d'autres facteurs, ou partiellement inexpliquées (diabète, sclérose en plaques, thyroïdites, polyarthrite rhumatoïde, rhumatisme articulaire aigu, rectocolites hémorragiques ... ). Dans ce vaste champ d'observation, les rapports de l'organisme avec l'environnement, et avec ses propres composants, sont tout à fait décisifs. Mais la part des dimensions relationnelles individuelles dans l'élaboration des comportements et réponses immunitaires est généralement ramenée à leur traduction en termes pertinents avec le fonctionnement du système, c'est-à-dire à la production et à la connaissance d'antigènes ou de constituants antigénétiques.

Toutefois la branche récente de la psycho-neuro-immunomodulation s'intéresse spécifiquement à cet ensemble de phénomènes où la médiation d'hormones et de corticoïdes modulent l'activité du système immunitaire en réponse à un état relationnel, et sans doute aussi à sa représentation et à sa mémoire, et participent à la très grande variabilité des états du fonctionnement du système comme à la variance individuelle des perturbations pathologiques associées à des états émotionnels. Mais l'observation scientifique reste démunie devant ces spécificités personnelles, autant parce que ces perturbations relèvent (en l'état des connaissances) de modifications aléatoires que parce que ces disciplines ne disposent pas des méthodes d'analyse qui permettent de rapporter ces pathologies à l'histoire somatique et à l'économie psychique du sujet.

Cette conception du système immunitaire comme 'intégrateur somatique", dont les réponses aux signaux dérivés de la vie relationnelle seraient les signes physiques décrits par la médecine psychosomatique, incite évidemment à souhaiter de nouveaux rapprochements entre les deux disciplines.

Le projet n'est pas d'encourager la constitution d'un discours unitaire englobant l'ensemble des processus -ce genre d'exploit se solde généralement par l'asservissement d'une discipline à l'autre-, ni d'imaginer que l'on peut passer par transition continue des mécanismes de régulation cellulaire à ceux qui régissent l'économie psychique.

Le souhait serait plutôt d'encourager les débuts d'initiatives visant à voir ce qui se passe aux limites de recouvrement des disciplines, et de regarder si certaines propositions nouvellement acquises ne correspondent pas à certaines constructions en voie d'élaboration dans le champ voisin, Autrement dit : existe-t-il des fragments de ces savoirs plus ou moins constitués et inachevés qui confirment désormais la pertinence d'une réalité psychosomatique à partir d'un certain nombre d'hypothèses et de faits d'observations communs aux différents points de vue ?

Cette démarche “à la limite" entre champs de connaissance ayant leurs propres présupposés, concepts et méthodes d'observations spécifiques est rendue d'autant plus délicate que les deux ensembles utilisent un certain nombre de terminologies communes dont l'usage est tantôt conceptuel, tantôt métaphorique, de telle sorte qu'on est souvent tenté d'établir des passages là où il y a d'abord glissement de sens. Mais il est possible que, dans certains cas, de tels passages existent aussi réellement. C'est là l'enjeu.

Des échanges et travaux récents ont déjà mis en scène quelques uns de ces 'concepts nomades", (cf. Monod, Serres, Atlan, Castoriadis, Gachelin ... ) : inconscient biologique/inconscient psychique; soi immunitaire / soi identitaire, présentation-représentation moléculaire/affects -représentations psychiques; langage, mémoire informationnels/langage, mémoire naturels; dépression immunologique/dépression psychique... Mais on voit vite comment les débats autour de ces notions-appâts risquent de s'épuiser sur eux-mêmes si on ne les resitue pas dans leur schéma de fonctionnement.

Les recherches concernant les logiques de programmation, de structuration et de différenciation progressives du système immunologique et neuro-psychique qui participent à l'organisation psychosomatique représentent à l'heure actuelle les voies les plus constructives. De ce point de vue, les propositions les plus achevées des sciences cognitives et de la neuro-immunologie, comme celles des théories psychosomatiques semblent maintenant reposer sur un certain nombre de principes communs et de présupposés voisins.

* celui d'un corps complet, relationnel, autonome, inscrit dans la durée,

- ce qui implique de prendre en compte l'histoire et la mémoire de ces relations (mémoire neurologique, immunologique et psychique), ainsi que les modes de programmation et de fonctionnement de cette mémoire.

* constitué d'un ensemble hiérarchisé de niveaux d'intégration dont le passage d'un niveau à l'autre est assuré à la fois par des liaisons de contiguïté et de connexions fonctionnelles ;

- dont chaque niveau tend à maintenir ou à rétablir à chaque instant son intégrité et son état d'équilibre ;

et où, à chaque niveau, fonctions cognitives et fonctions opérationnelles sont indissociables et définies par des systèmes de relations qui assurent à la fois la clôture et l'intégrité du système ;

* pour lesquels l'incapacité à réguler des sources de perturbations (par excès ou par défaut), internes ou externes, par de nouveaux comportements se traduit par une déliaison des continuités habituellement assurées avec les autres niveaux, et, par conséquent, une altération durable ou momentanée des relations de contiguïté ou de fonctionnalité entre niveaux.

* enfin, la constitution progressive des niveaux correspondant au système immunologique, nerveux et psychique est le résultat d'une programmation spécifique à chaque individu. Cette programmation obéit au principe de couplage structurel selon lequel système de relations entre composants et faits de mémoire s'autodéterminent, certaines traces restant d'autant plus vivaces et mobilisables qu'elles ont marqué les premières étapes de cette structuration.

Ces travaux récents éclairent d'un autre jour ce que les théories psychosomatiques observent en termes d'inter et intra-subjectivité, de déplacements, de redistribution et de liaison de l'énergie psychique, et ce que les biologistes étudient en termes de répartition de substances et de connectivité humorale-cellulaire.

Ils constituent une possibilité de pont entre le discours des biologistes qui estiment que tout état d'intégrité du système immunitaire est modulé par les substances diverses sécrétées par l'organisme en réponse à une relation, comme sans doute à sa représentation et à sa mémoire, et celui des psychosomaticiens qui estiment que le corps est à lui-même son propre schéma de représentation, organisant l'espace relationnel et l'appréhension du réel à partir de structures qui demeurent intactes dans l'inconscient et assurent à la fois le principe de conservation et son dépassement.

Partant de ces formulations, où apparaissent de nouvelles proximités, on peut envisager de reposer la question de certaines notions ou relations fondamentales: mémoire, frayage, traces mnésiques ; relations structurelles et organisations fonctionnelles ; substrat organique des notions de plaisir et de déplaisir ; processus psychiques primaires et régulations immunologiques ; structures et destins de la subjectivité, et logiques organiques de métabolisation énergétique.

DES MODALITÉS DE TRAVAIL SPÉCIFIQUES


Cet ensemble d'hypothèses et de propositions ne se substitue évidemment pas aux multiples travaux qui permettent de mieux comprendre l'efficience des prédispositions génétiques dans l'étiologie de ces pathologies, ou les effets à terme de certains facteurs objectifs dont la nocivité semble établie.

Il s'agit, au contraire, de resituer l'ensemble de ces connaissances dans une perspective plus large où les pathologies considérées sont toujours à rapporter à un sujet singulièrement constitué, inscrit dans une durée, historiquement situé, c'est-à-dire considéré comme unité autonome dont les marges de jeu sont délimitées par les interactions complexes entre les données invariantes qui le déterminent en tant qu'être vivant, et la variabilité des dimensions relationnelles et socio-culturelles qui le définissent en tant que sujet. Un tel détour suppose de reconnaître les multiples obstacles théoriques et méthodologiques auxquels se heurte chacune des disciplines intéressées dans les tentatives de dépassement de son point de vue singulier. Il ne sera possible qu'en acceptant de renoncer pour un temps à la formulation de réponses sectorielles immédiates.

Une part de la tâche consistera sans doute à définir des problématiques concernant de possibles mises en perspective d'approches différentes sur des questions préalablement spécifiées: par exemple, l'impact des facteurs sociaux sur la transformation du champ relationnel mère-enfant et la structure œdipienne depuis le début du siècle ; la pertinence et l'opérationnalité des notions d'affect, de représentation, de mémoire, dans les différents champs de savoir; le statut du langage et le statut de l'imaginaire dans les sciences cognitives et dans les théories psychanalytiques -psychosomatiques...

Un autre objectif peut être la définition d'instruments méthodologiques nécessaires à la vérification de certaines hypothèses: par exemple, quant aux possibilités et aux conditions d'utilisation et de comparaison de données sur de longues périodes, ou des périodes différentes (peut-on mettre en rapport "'spleen“ et “dépression"', spleen/tuberculose et dépression/cancer ? De quel point de vue et sous quelles conditions ?) ; quant à l'utilisation conjointe de données de type différent (statistiques, médicales, historiques, sociologiques, biographies, cliniques ... ); ou quant aux conditions d'analyse seconde d'ensembles d'observations issues de la clinique analytique, et leur comparaison avec des ensembles d'observations issues des sciences biologiques et médicales...

Il ne s'agit donc pas d'engager de nouvelles recherches ou enquêtes lourdes destinées à faire progresser certains aspects des connaissances, mais plutôt de revenir sur ce que l'on sait déjà pour le questionner autrement, à travers des langages tiers. Cette capacité de recul et de déplacement des savoirs vers leur périphérie devrait favoriser la mise en lumière d'autres niveaux de compréhension des processus observés.

C'est dans cet esprit de décentrement et de confrontation qu'est proposée cette première ébauche de réflexion.

En mobilisant les réactions et suggestions de tous ceux qui occupent des positions de "guetteurs" aux avant-postes de leur champ disciplinaire, la MIRE compte mettre en ceuvre un programme pluri-annuel de recherches et d'échanges sur ce thème. Les premières orientations devraient être annoncées dans les mois qui viennent.

Isabelle BILLIARD.

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PRINCIPAUX OUVRAGES DE REFERENCE *

EPIDEMIOLOGIE

GOLBERG. M., “Cet obscur objet de l'épidémiologie", SCIENCES SOCIALES ET SANTE, n-1, déc. 1982 (p. 55-99 + biblio.).

Cet article pose la question de la pertinence du modèle dominant de l'épidémiologie - modèle statistique à variables indépendantes- pour étudier l'impact des facteurs socio-économiques sur les problèmes de santé. L'auteur souligne la difficulté à rendre compte des interrelations entre facteurs, ainsi que les risques d'utilisation naïve des variables socio-économiques. Il propose d'autres méthodes de travail reposant sur la confrontation d'approches monodisciplinaires et destinées à valider des micro-causalités spécifiques.

GRMEK. M.D., LES MALADIES A L'AUBE DE LA CIVILISATION OCCIDENTALE, Payot, 1983.

Une histoire des maladies et réalités biologiques et pathologiques décrites par les plus anciens discours sur la morbidité dans la Méditerranée orientale. Ce livre propose de nouvelles méthodes d'investigation médico-historique conjuguant analyse linguistique, paléo-pathologie et certaines acquisitions récentes de la génétique et de l'immunologie. L'auteur y développe le concept de 'pathocénose', c'est-à-dire la distribution des maladies qui dominent dans une situation historique concrète compte tenu de l'interdépendance complexe de toutes les maladies présentes dans une population, ainsi que leur évolution diachronique.

RENAUD. M., “De l'épidémiologie sociale à la sociologie de la prévention: 15 ans de recherche sur l'étiologie sociale de la maladie“, REVUE D'EPIDEMIOLOGIE ET DE SANTE PUBLIQUE, 1987, vol.35., (p.3-17 + biblio.).

Un bilan des principales étapes de ce champ de recherche concernant les facteurs psychologiques et sociaux à l'origine des maladies chroniques, en particulier dans le contexte nord-américain. Il développe de façon critique les tentatives de reconceptualisation, qui, dans les années 70, on donné de nouveaux développements aux travaux sur le stress, les “types de personnalité“ et le 'support social".

*Les brèves présentations qui suivent signalent surtout les développements de l'ouvrage en rapport avec le texte précédent, et ne prétendent pas à une synthèse exhaustive de son contenu.

ATLAN. H., ENTRE LE CRISTAL ET LA FUMEE: ESSAI SUR L'ORGANISATION DU VIVANT, Seuil 1979.

A la lumière des théories de l'information, de l'observation des systèmes dynamiques et de l'étude de l'organisation cellulaire, H. Altan essaie de voir sous quelles conditions on peut appliquer la logique des propriétés émergentes des systèmes complexes à d'autres systèmes d'interactions humaines: psychiques, sociales. Ces développements débouchent sur un certain nombre d'hypothèses concernant la place respective des processus conscients et inconscients dans notre système cognitif auto- organisateur, ainsi que sur la nature du temps de ces processus et ses relations avec le temps physique.

Egalement: A TORT OU A RAISON - INTERCRITIQUE DE LA SCIENCE ET DU MYTHE, Seuil 1986.

Il existe plusieurs rationalités, différentes façons légitimes “d'avoir raison" pour rendre compte des données de nos sens:sciences physiques, science du vivant, science de l'homme, mais aussi traditions mystiques ou mythiques. Dans un premier temps, il est rendu compte des différents niveaux d'intégration de l'organisme humain, ainsi que des difficultés théoriques et méthodologiques auxquelles se heurtent les différents savoirs et disciplines constituées pour décrire l'articulation entre niveaux sans tomber dans le piège du réductionnisme "fort". A l'inverse, on voit comment la découverte de nouvelles techniques d'observation et de nouveaux outils d'analyse donnant accès à certaines de ces articulations conduit au développement d'un nouveau champ de questionnements. Ces analyses ouvrent la voie à un autre type d'interrogation: celui de la relativité de la connaissance objective et des modes d'interprétation de la réalité à travers les différents paradigmes scientifiques.

CASTORIADIS. C., CARREFOURS DU LABYRINTHE, Seuil, 1978.

Interrogation philosophique et critique des tentations objectivistes camouflées derrière la "scientificité": ainsi des sciences exactes comme des sciences humaines, de la psychanalyse comme de la rationnalité technique. En analysant la crise de la science moderne, l'auteur montre comment l'incertitude et l'indécidabilité sont logées au cœur même des sciences dites "exactes". La crise est finalement l'état permanent de la science. Proposition qui porte en elle la question de l'histoire de la science quant à ses activités et quant à son objet.

Egalement: DOMAINES DE L'HOMME, Chap. 'Portée ontologique de l'histoire de la science", Seuil, 1981.

D'une part, toute connaissance est une co-production où l'on ne peut vraiment séparer ce qui 'vient" du sujet et ce qui 'vient" de l'objet. D'autre part, on ne passe pas de Newton à Einstein par transition continue. Tout changement d'axiome au niveau de la théorie correspond à une fracture au niveau de l'objet.

Egalement: "L'état du sujet aujourd'hui", TOPIQUE, n° 38, nov.1986. (p. 7-39)

Le sujet est une étrange totalité qu'on ne peut saisir par un concept englobant. Ensemble de niveaux, de 'pour-soi": vivant, psychique, social, dont chacun présente des spécificités décisives. Unité d'un corps et d'une histoire singulière, unité plus ou moins solide que fabrique la société, unité en mouvement, toujours visée plutt qu'établie.

MORIN. E., LE PARADIGME PERDU: LA NATURE HUMAINE, Seuil, 1973.


Cet ouvrage est indissociable du Colloque sur l'UNITE DE L'HOMME, tenu à Royaumont, en 1972, et qui lui a donné naissance (L'UNITE DE L'HOMME, actes du Colloque, sous la direction d'E. Morin et M. Piatelli-Palmarini, Seuil, 1974). S'appuyant sur les développements récents de la cybernétique, des théories de l'information et de la biologie moléculaire, d'une part, et sur celle de l'écologie et de l'éthologie, d'autre part, l'auteur offre au public français une approche écosystémique de ce nouveau paradigme scientifique que constituent les sciences du vivant. En retraçant l'histoire du développement de l'homme et de l'organisation sociale dans leurs rapports avec leur environnement, Morin présente un certain nombre de concepts-clés de ces nouvelles sciences: ordre/désordre, autonomieidépendance, système ouvert, interrelations, récursivité, hypercomplexité, seuil d'intégration... Cette première esquisse sera largement développée et formalisée dans la trilogie que constitue LA METHODE, plus particulièrement dans LA NATURE DE LA NATURE, Seuil, 1977 et LA VIE DE LA VIE, Seuil, 1980.


PRIGOGINE. 1. et STENGERS. I., LA NOUVELLE ALLIANCE, Gallimard, 1979.


La science classique, dont la physique newtonienne reste le modèle, a aujourd'hui atteint ses propres limites. En même temps, dans les pièces disjointes des théories de l'homme et de l'univers se dessine la possibilité d'une nouvelle cohérence. La réintroduction du temps dans les sciences du monde physico-chimique, et l'étude des situations de non-équilibre permanent, débouchent sur les notions de structures dissipatives, de changements d'états, de seuils de bifurcation, de surdéterminations du système, de corrélations à longue distance, où la définition d'un état dynamique instantané est toujours référé au passé qui l'a produit. Ainsi, les sciences physiques auraient aujourd'hui les moyens de reconnaître la validité des problèmes qui occupent les spécialistes des sciences humaines et des sciences du vivant.

SERRES. M., 'Le point de vue de la bio-physiquë, CRITIQUE, numéro spécial 'La psychanalyse vue du dehors", no 346, mars 1976.


Cette synthèse philosophique expose les données "des retrouvailles attendues' entre les avancées des théories de l'information et de la cybernétique appliquées à la compréhension du vivant, d'une part, et les grandes intuitions freudiennes, d'autre part. Reprenant le principe des niveaux d'intégration et la question ouverte de ce qui se passe d'un niveau à un autre, Serres émet un certain nombre d'hypothèses à l'adresse de la psychanalyse, concernant le statut de l'inconscient dans les rapports entre différents niveaux, l'enracinement de la fonction symbolique dans l'ambiguité de l'information, la place du langage dans l'ultime passage vers "la dernière de ces boîtes noires que constitue l'inconscient classique". Inscrite dans le temps irréversible l'organisation du vivant, douée de mémoire, fonctionnerait comme 'un échangeur de temps".

VARELA F. , AUTONOMIE ET CONNAZISSANCE : ESSAI SUR LE VIVANT, SEUIL, 1989.

Travail critique de dépassement des théories de l'information dont sont encore largement tributaires la biologie et les sciences cognitives. En définissant les concepts d'autonomie, de clôture opérationnelle et de couplage structurel appliqués au réseau immunitaire et au système nerveux, l'auteur démontre en quoi tout système vivant autonome vise d'abord à préserver sa propre intégrité. Dès lors, les processus cognitifs ne sont pas la description ou la représentation de quelque chose d'extérieur; au contraire, la connaissance émerge de l'intérieur du système à travers la multiplicité des processus récursifs et auto-référenciés qui assurent à chaque instant son identité. Bousculant les positions positivistes classiques, cette thèse postule que l'on ne peut distinguer à l'intérieur du réseau de relations qui définit la structure du système ce qui relève de l'organisation de ses composants, et ce qui relève de l'enchaînement des réponses aux perturbations internes ou externes.

SCIENCES DU VIVANT

DANCHIN. A., 'Signes immuns. Un concept central: la fermeture', PROSPECTIVE ET SANTE, numéro spécial 'Immunologie, nouvelle frontière", no 42, 1987 (p.15-19).

L'organisation du système immunitaire a pour finalité essentielle la surveillance de l'identité individuelle plutôt que le rejet de corps étrangers. Cette mesure de l'homéostasie individuelle repose sur un effet de fermeture du réseau. Ce réseau n'est pas constitué à la naissance de l'individu par un grand nombre de gènes, mais par la capacité des êtres vivants de pouvoir, à partir de quelques règles génétiques, réaliser au cours du temps l'expression d'un programme spécifique à chaque individu.

CHANGEUX, J.P., L'HOMME NEURONAL, Fayard, 1983.

L'état des connaissances actuelles sur la structure du cerveau humain, ses composants et son fonctionnement. Les particularitéss des localisations mises à contribution et les règles de connectivité et de coopérativité entre ensembles de neurones permettent de rendre compte des comportement réflexes comme des perceptions, images mémorisées, associations d'idées et émotions. Ce travail est doublé d'une histoire du développement cérébral, à travers l'évolution des espèces, d'une part, à travers la phylogénèse et l'ontogénèse humaines, d'au[Te part. Un point de vue déterministe des conduites de l'homme décrites en termes d'activités neuronales.

GACHELIN A., "Vie relationnelle et immunité", CORPS ET HISTOIRE, lVe' Rencontres Psychanalytiques d'AIX-EN-PROVENCE, 1985, Les Belles Lettres, 1986 (p. 45-97).

Une zone de recherche où les deux discours, biologique et psychanalytique, sont amenés à se rencontrer. A condition, toutefois, d'être au clair sur les présupposés
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propres à chaque champ de savoir: quant à la position de l'observateur, quant aux dénis au prix desquels la science s'autorise à parler 'vrai', enfin quant aux dificultés de vocabulaire et à la tentation d'isomorphismes d'un champ à l'autre. Ceci posé, il semble en effet que les découvertes de l'immunomodulation, c'est-à-dire la modulaLion de l'activité du système immunitaire par des neuropeptides et des corticoïdes, permettent de penser que le système immunitaire est sensible à des signaux qui seraient l'expression somatique de la vie relationnelle, et cela selon des montages de réactions spécifiquement individuels; de la même façon, la découverte d'une mémoire du système immunitaire - mémoire à long terme du non-soi - expliquerait qu'il existe des manifestations somatiques représentatives de certain aspects de l'histoire antérieure du sujet. Au centre des débats, les notions d'"affect", de 'représentation", de "mémoire'...

OUVRAGES COLLECTIFS

LE CERVEAU HORMONAL, Le Rocher, 1986. LA RECHERCHE EN NEUROBIOLOGIE, Le Seuil, 1988.


SCIENCES HUMAINES

ELIAS N., LA DYNAMIQUE DE L'OCCIDENT, Calmann-Lévy, 1975.


Tout au long de l'histoire occidentale, les tensions constamment renouvelées entre groupes concurrents, et la multiplicité des contacts sociaux, ont peu à peu contraint les individus au refoulement des pulsions et à la rationalisation des manifestations intempestives de la vie psychique et sociale. Cet ouvrage constitue une contribution de l'histoire sociale à l'étude des liens possibles entre structures sociales et structures psychiques, où l'auteur plaide pour une psychologie sociale de l'histoire étudiant les interrelations entre l'évolution de la structure des relations sociales et les transformations structurelles de l'économie psychique.

MARTY P., LES MOUVEMENTS INDIVIDUELS DE VIE ET DE MORT: ESSAI D'ECONOMIE PSYCHOSOMATIQUE, Payot, 1976.


La psychosomatique doit être considérée comme une science fondamentale dont la 'médecine psycho-somatique" ne représente qu'un des aspects. Partant des acquis de la théorie freudienne, elle dépasse la tradition dualiste des relations psyché-soma et développe une vision uniciste rapportée aux phases archaïques de l'histoire individuelle où fonctions organiques, fonctions sensori-motrices et fonctions psychiques ne sont pas encore nettement différenciées. L'auteur propose une approche différentielle des désorganisations et réorganisations fonctionnelles comme autant de mouvements évolutifs et contre-évolutifs mettant en jeu les lignes de régression et de fixations primaires qui définissent l'organisation économique et l'évolution psychosomatique de chaque individu.

Egalement : L’ORDRE PSYCHOSOMATIQUE, Payot, 1980.

Ce second volet de la démarche théorique étudie de façon détaillée les processus de régression accompagnant les formes de désorganisations partielles ou globales dans leur rapport avec les formes d'irrégularité du fonctionnement mental et des relations objectales telles qu'elles se présentent en particulier dans les névroses de caractères et les névroses de comportement. La “dépression essentielle", qui représente une des principales désorganisations pathogènes, fait l'objet d'une analyse particulière, ainsi que la 'vie opératoire" qui l'accompagne généralement et qui serait caractérisée par une carence de l'activité fantasmatique.

MENDEL G., LA PSYCHANALYSE REVISITEE, La Découverte, 1988.


Les présupposés de la théorie freudienne concernant la sexualité organique infantile et l'hérédité des caractères psychiques acquis sont devenus irrecevables au vu des découvertes de la biologie et de la neuro -physiologie. Loin de désavouer la démarche de Freud, l'auteur propose au contraire d'opérer certaines reconstructions aussi fécondes que nécessaires. D'une part, repenser la notion de pulsion sexuelle en termes de pulsion de plaisir. D'autre part, substituer à l'hérédité psychique une conception de la mémoire acquise en accord avec les connaissances actuelles relatives à "la programmation" du cerveau humain, le psychisme individuel se développant à l'articulation du cerveau organique et de la culture familiale et sociale. Ceci implique de nouer de nouveaux liens avec la biologie, en particulier pour ce qui est des phénomènes de plaisir et de mémoire; avec l'histoire de la sociologie, afin d'étudier à la fois les variabilités culturelles et les transformations sociales qui tTavaillent chaque étape critique de l'ontogénèse individuelle, et finalement l'identité psychique et ses rapports avec l'identité sociale. Les psychanalystes s'en trouveraient sans doute mieux armés devant le constat qu'ils font d'une inadéquation progressive de la nosologie freudienne aux caractéristiques psychiques de leurs patients.

SAMI-ALI, PENSER LE SOMATIQUE, IMAGINAIRE ET PATHOLOGIE, Dunod, 1987.


Une théorie compréhensive de la pychosomatique se doit de répartir des questions restées en suspens dans la théorie freudienne, en particulier quant au statut du corps et à celui de la projection. Or, le fonctionnement de l'imaginaire, tel qu'il se manifeste dans l'activité du rêve et ses équivalents fantasmatiques, ainsi que la double appartenance du corps au réel et à l'imaginaire représentent deux aspects fondamentaux de la réalité psychosomatique (cf. L'ESPACE IMAGINAIRE, Gallimard, 1974; CORPS REEL, CORPS IMAGINAIRE, Dunod, 1977). Posant qu'il existe une unité du fonctionnement psychosomatique permettant d'appréhender la diversité et l'alternance de symptômes psychiques et somatiques sans liens apparents, l'auteur propose un modèle théorique des processus de somatisation qui rend compte, d'une part, des corrélations négatives ou positives entre fonction imaginaire et formes de somatisation, d'autre part, du caractère déterminant de la structure logique des conflits selon qu'ils contiennent une contradiction ou autorisent d'autres issues, enfin, des différents niveaux d'atteinte organique selon que le corps est porté ou non par l'imaginaire.

SENNETT, R., LES TYRANNIES DE L'INTIMITE, Seuil, 1979.


Ce travail d'histoire sociale a pour thèse centrale la disparition de 'l'homme public' et des jeux d'expression ritualisés qui permettaient tradihonnellement de préserver l'intégrité des sentiments les plus intimes. Dans la société actuelle, au contraire, les gens seraient devenus des 'acteurs privés de leur art', parce que les situations sociales ne sont plus considérées que comme des miroirs du moi. Les adultes sont donc conduits à agir de façon narcissique pour être en accord avec les normes sociales. L'apprentissage de la distance et du jeu, opéré dans l'enfance, est supplanté ultérieu-rement par l'activation culturelle d'un principe d'énergie psychique opposé qui limite les pouvoirs expressifs des adultes et les engloutit dans des problèmes d'autoadaptation.

VALABREGA J.P., LES THEORIES PSYCHOSOMATIQUES, PUF, 1954.


Un des premiers ouvrages français sur l'état de la question. L'auteur resitue la psychosomatique dans ses rapports avec la médecine, la psychologie et la psychanalyse. Il montre ensuite les écueils auxquels se heurtent les 'schémas spécifiques' calqués sur les nosographies médicales, et le recours progressif à une étiologie multifactodelle et différentielle. Enfin, il consacre une large place à la critique du dualisme psyché-soma et aux débats concernant l'extension de la conversion à d'autres manifestations somatiques que l'hystérie. Il montre en même temps la prégnance du dualisme dans des pratiques psycho-somatiques encore mal dégagées de l'exercice médical traditionnel.

OUVRAGES COLLECTIFS

- HISTOIRE DE LA VIE PRIVEE (sous la direction de Ph. Ariès et G. Duby), 'De la révolution à la grande guerre", t. IV, Seuil, 1987.



Dernière mise à jour : mercredi 8 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin