Colloque de Royaumont
"Pour une approche scientifique de la psychosomatique".

Actes publiés dans le Bulletin de l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique n°1

ESSAI DE SEMIOLOGIE PSYCHO-SOMATO-SOCIALE

Dr Jacques AFCHAIN


La médecine générale se veut une médecine globale capable d'appréhender dans sa totalité l'individu par ses composantes somatiques, psychiques et aussi sociales. Le médecin généraliste est le premier intervenant auquel chacun a, ou, devrait avoir recours quand une altération dans son état de santé se fait sentir ; il est alors le premier à pouvoir analyser le symptôme ressenti. Néanmoins, le symptôme peut très bien ne pas être ressenti mais être pourtant présent au moment de l'examen, parfois fortuit d'un individu ; la révélation d'une anomalie fait alors investir le symptôme par le corps et c'est le médecin qui donne alors par la reconnaissance du symptôme dans le cadre d'un syndrome son statut de malade. Quelquefois, ce symptôme, bien qu'existant, n'est pas suffisamment évocateur pour conclure à une maladie. C'est alors le médecin qui a tout pouvoir pour faire investir par l'individu son symptôme ou non.

Où le médecin devient l'initiateur du symptôme...

Je donne l'exemple de la découverte d'un souffle systolique anorganique chez le jeune enfant. Aucun symptôme n'est ressenti ; l'auscultation soigneuse permet à coup sûr d'affirmer le caractère anorganique du souffle. Si l'existence du souffle, sans conséquence, n'est pas signifié, il n'existe alors pas pour le jeune enfant, ni pour sa famille, ni pour son milieu social en l'occurence scolaire. C'est aussi prendre le risque que l'enfant soit examiné par un autre médecin et révélé. Dans ce cas, le doute apparaîtra ; le médiateur qu'est alors le médecin sera interrogé et pourra devenir suspect, la confiance entamée ; le signe physique auscultatoire, bien qu'asymptomatique commence alors à prendre corps. L'intégrité physique est entamée parce que l'existence d'une anomalie supposée a modifié l'image du corps symboliquement touché. Dans ce cas, le recours au spécialiste est le plus souvent indispensable pour faire reconnaître l'anorganicité mais une faille a été creusée dans l'esprit et qui est du registre de l'émotion.

La personnalité propre de l'individu va alors intervenir et la révélation n'aura pas la même signification selon schématiquement deux instances où concourent les facteurs de constance et les facteurs de variation :

- les facteurs de constance sont : le sexe, l'âge, le capital génétique, et la personalité à un moment d'évolution donné.

- les facteurs de variation sont sous l'influence du groupe familial et social (dont le médecin fait partie intégrante) et vont donner vie à un symptôme qui prend alors son essor dans l'espace temps.

On peut remarquer que les facteurs de constance sont immuables dans le temps alors que les facteurs de variation sont évolutifs ou non et dépendent du discours qui entoure le symptôme, devenu symptôme à travers le langage employé à son propos autour de lui par l'individu lui même et par l'entourage social (famille et environnement, médecin compris, vécu comme détenteur du savoir). Plusieurs mécanismes évolutifs vont alors pouvoir naître :

- si par rappport à l'état d'équilibre antérieur existe un état émotionnel patent, il va se créer un phénomène de rupture avec illusion de passage de l'état de sain à l'état pathologique. La tentation de rapporter d'autres symptômes annexes au souffle est grande ; si l'enfant se sent essouflé, a des palpitations, est fatigué, il pourra penser que "son souffle" est en cause ; la famille en posant la question de pouvoir ou non faire tous les sports renforcera le bien-fondé de l'inquiétude du sujet ; le milieu scolaire, enseignant, même s'il ne modifie pas son attitude pratique envers lui, agira de même. Le médecin doit rassurer et expliquer ; son langage doit être suffisamment cohérent pour être crédible, casser cette rupture et rétablir l'équilibre entre les "aller et venir" ou oscille le sujet.

- si un fond névrotique existe, la constatation de cette anomalie auscultatoire apportera toutes les raisons d'une somatisation vraie et d'une fixation que viendront renforcer les difficultés de bien-être du sujet dans sa personnalité et dans ses rapports avec son milieu familial et social.

- si des constatations identiques ont pu être faites chez les ascendants ou collatéraux, le symptôme sera alors vécu comme un état constitutionnel. Le caractère familial du souffle anorganique est fréquent et le mode d'intégration de cette particularité chez les parents, son caractère persistant ou non à l'âge adulte, influeront certainement sur le vécu de l'enfant et son avenir.

J'ai volontairement pris pour exemple une particularité telle que le souffle systollique anorganique pour montrer qu'une variante anatomique, en dehors de tout caractère pathologique évident, peut-être à l'origine d'un bouleversement dans l'économie psychique du sujet et conditionner de manières différentes, selon les facteurs de constance ou les facteurs de variation, la façon dont va réagir un individu à la révélation d'une variance par rapport à une généralité établie en règle. Or, je pense que le médecin généraliste qui se pose en psychosomaticien a un rôle capital à jouer. Il l'a dans l'exemple simpliste que j'ai donné mais encore plus quand il s'agit d'un symptôme pathologique vrai.

Le premier entretien est sans doute essentiel et ne doit négliger aucune donnée. C'est lui qui va conditionner l'évolution dans les allers et retours constants et les fluctuations psychiques que l'individu va effectuer dans l'idée qu'il se fait de ses symptômes et de sa maladie. C'est l'ensemble de la personnalité qui est touchée par un symptôme sous l'influence du contenu et de la forme de l'élevage de l'individu biologique avec ses caractéristiques génétiques et de culture résultant de la personnalité antérieure et de sa situation actuelle pour se projeter dans le futur. Différents facteurs sont à découvrir pour apprécier le retentissement du symptôme ou de la maladie :

- l'émotion qui entoure le symptôme doit être appréciée ; elle peut l'être par intuition mais aussi à travers les mots employés dont la charge symbolique est plus ou moins intense.

- des éléments névrotiques peuvent être retrouvés à travers l'existence d'un manque, d'un besoin, d'un désir, trois expressions d'une même sensation, la conscience d'un manque entrainant le besoin de le combler et le désir ou non d'y parvenir.

- les associations d'idées suscitées par la prise de conscience d'un symptôme sont révélatrices elles aussi de l'émotion ou de tendances névrotiques, de même que certains troubles mnésiques.

- l'anamnèse enfin, replacée dans le contexte familial, héréditaire, social et culturel est un élément essentiel.

Le médecin généraliste va donc pouvoir à partir de ces éléments resituer par le langage qu'il va renvoyer au patient le symptôme ressenti ou révélé. Il ne s'agit pas, à mon sens, d'un processus de reconstruction ou d'annulation magique mais d'une remise à disposition entre les mains du sujet d'un symptôme éclairé d'un jour nouveau par le langage du médecin à travers des mots accessibles à son mode de pensée et à sa culture, où le charisme propre du praticien intervient non par magie ou par scientisme mais par construction élaborée de l'ensemble de ces composantes qui définissent un art médical . Tout l'art consiste à ne pas retransmettre au sujet un symptôme expliqué dans un à priori frustrant pour lui mais dans un "fondu enchainé" qui annulera le vécu dans le temps évolutif par l'investissement libre du symptôme à partir de l'échange verbal entre patient et thérapeute, dans son corps et son psychisme, selon un mode libératoire qui le délivrera de toute dépendance.

0ù le patient et le médecin sont indifféremment les initiateurs du symptôme...

Je prends pour autre exemple "une extrasystole". Avant tout, elle peut-être ressentie ou non par le sujet. Non ressentie, elle n'existe pas pour le sujet mais elle est bien perçue par le médecin à l'auscultation. Signalée au patient, quelquefois elle est alors présente mais tolérée si le médecin explique qu'il s'agit d'une contraction prématurée bénigne du coeur sans signification pathologique. Mais si cette extrasystole se répète trop souvent, touche à la fois le patient et le médecin : ni l'un, ni l'autre ne sont plus aussi certains de leur bénignité. S'agit-il d'extrasystoles auriculaires en règle sans gravité ou d'extrasystoles ventriculaires qui peuvent annoncer des troubles du rythme plus graves ?
Ce doute charge d'émotion le symptôme, et du dialogue entre patient et médecin dépend alors la façon de l'intégrer. Un symptôme sans charge émotive perd sa fonction référentielle ; chargé d'un noyau émotif, le symptôme suscite le langage, puis va être intégré par le patient et va s'amplifier au sein de la cellule familiale voire de l'entourage social de l'individu.


Où le patient est l'initiateur du symptôme...

Pour garder une certaine unité à mon propos, je prendrai pour exemple l'angine de poitrine, l'angor d'effort vrai, et je vais l'étudier selon la méthode proposée.

Trois formes cliniques se dégagent :

1. L'angor survient inopinément, apparait en tant qu'état tensionnel pathologique où les facteurs de variation sont en cause de manière prépondérante.

2. L'angor apparait comme l'aboutissement de perturbations des facteurs de constance de l'individu sous la forme d'une névrose somatisée.

3. L'angor véritable maladie familiale, survient sur un terrain héréditaire où la somatisation est au premier plan.

- Dans l'Angor-état tensionnel pathologique, le tableau clinique est dominé par des surcharges, dépenses nerveuses, stimulations permanentes par le milieu social qu'instaure une compétition constante ; affectivement, le sujet se dégage des inhibitions parentales par à coups ; sur le plan de la structure mentale, on note une labilité émotionnelle mais pas de caractère névrotique ; sur le plan thérapeutique, l'efficacité des traitements médicamenteux est bonne, le patient est surtout sensible à l'atténuation des douleurs et n'est pas contre d'éventuelles investigations voire des interventions chirurgicales.

- Dans l'Angor-névrose somatisé,
le tableau clinique est plus confus et l'instabilité des résultats obtenus par les soins médicaux domine ; socialement le sujet se désadapte aux exigences du travail ; affectivement, il cherche à vivre en dépendance sans assumer les situations émotionnelles ; sa structure mentale est jalonnée de paroxysmes anxieux où la douleur le frappe d'impuissance ; sur le plan thérapeutique, les décisions, en particulier chirurgicales, sont à peser fortement et un traitement psychothérapeutique peut s'avérer utile.

- Dans l'Angor-état-constitutionnel, le tableau clinique est dominé par la prédisposition génétique où les facteurs de variation jouent comme révélateurs.
Socialement et affectivement, l'individu est plutôt stable et sur le plan de la structure mentale, la pathologie est vécue comme un héritage paternel ou maternel inévitable admis ou au contraire dont il faut se débarasser.

En conclusion, à l'aide de ces trois exemples de degré variable dans la gravité, je pense pouvoir dégager une autre manière d'aborder l'ensemble de la pathologie rencontrée en Médecine Générale, en essayant de ne pas omettre l'une ou l'autre des composantes essentielles de l'individu en tenant compte des facteurs de constance et des facteurs de variation qui s'expriment à travers le langage des patients et leurs évolutions.

Une tentative de classification par souci de clarté est possible à travers trois états essentiels :

1. Etat tensionnel pathologique

2. Etat de névrose somatisée

3. Etat constitutionnel.

A travers les constations cliniques et les structures sociales affectives et mentales de l'individu, le sujet est alors perçu dans sa globalité. Sans ignorer que toute classification à l'intérieur d'un cadre trop rigide est réductrice, l'attitude à tenir vis à vis du sujet et avec lui, pourra varier et permettra de le considérer dans sa différence.

Le symptôme ressenti ou révélé met en jeu les deux protagonistes essentiels que sont le médecin et le patient. Le médecin, médiateur transférentiel privilégié, affirme, par des échanges existants à travers les entretiens, le statut du patient dont les symptômes s'animent à travers une histoire qui devient mémoire et s'exprime par un langage.
Les symptômes, parfois organisés en maladie, s'interprètent alors comme l'expression d'un authentique conflit. Le langage et l'écoute vigilante de l'individu souffrant doivent lui réapproprier ses propres symptômes dans leur complexité mouvante en les considérant dans leur différence.


Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin