Colloque de Royaumont

"Pour une approche scientifique de la psychosomatique".

Actes publiés dans le Bulletin de l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique n°1


TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES ET DEPRESSION DES JEUNES ENFANTS

DR J.C. LE BLAY et A. PLOUZENNEC

Les quelques lignes qui vont suivre sont le fruit d'un travail pluridisciplinaire que nous effectuons dans un Centre d'Action Médico-Sociale Précoce depuis quelques années.

Ces Centres de soins, succédant aux lois d'orientation de 1975 concernant les personnes "handicapées" sont amenés à soigner de jeunes enfants (de O à 6 ans) et leur famille en difficultés somatiques, sensorielles, ou psychiques plus ou moins lourdes.
Dans ce travail, cette réflexion, cette recherche permanente, les aberrations, les exceptions (on pourrait dire les lapsus) du fonctionnement physique ou psychique, nous ont amené rapidement à élargir le cadre des dépressions d'enfants.
L'analogie a été souvent faite avec les différentes maladies métaboliques qui nous permettent de comprendre telle ou telle fonction biologique.
Nous remercions donc les membres de "l'ECOLE LACANIENNE DE PSYCHOSOMATIQUE", et en particulier J.M. THURIN, de nous avoir permis de relater ici cette expérience.

Pour ne pas alourdir la réflexion, nous passerons sous silence le vaste sujet de la vie foetale (avortements, foetopathies) ainsi que certaines morts subites inexpliquées du nourrisson, qualifiées parfois de "suicidaires".

HISTORIQUEMENT


C'est SPITZ, décrivant les enfants en situation de marasme (dans les années 5O) qui attira l'attention du monde pédiatrique.
Depuis, nous avons appris à reconnaitre la dépression des jeunes enfants, des bébés, derrière le masque de la carence, de la faiblesse, de la maladie.


LES SYMPTOMES


Aucun de ces troubles n'étant à lui seul spécifique, c'est par leur groupement et le contexte de leur survenue qu'ils attirent l'attention. Ceci nous amenera à envisager leur repérage précoce et leur prévention.

De quels moyens dispose un très jeune enfant pour attirer notre attention ?
- Il peut s'agir de troubles respiratoires : (asthme, bronchite, infection O.R.L. répétées, avec une fréquence particulière des otites SEREUSES).
- Il peut s'agir de troubles digestifs : (anorexie, douleurs abdominales, diarrhées trainantes, constipation, infections gastro-intestinales sévères ou récidivantes, intolérance aux divers constituants du lait).
- Il peut s'agir de troubles de l'assimilation : (rachitisme, anémie ferriprive, hypotrophie staturopondérale). Nous ferons une courte mention des nanismes psychogènes par arrêt de sécrétion d'hormone de croissance, ce trouble disparaissant par des mesures appropriées.
- Il peut s'agir de troubles cutanés : (dermatose infectieuses ou eczéma).
- Il peut s'agir de trouble psychiques : avec retard des acquisitions mentales et motrices. Ce dernier aspect étant bien connu, nous ne nous étendrons pas. Bien entendu, cette liste n'est pas exhaustive.

Qu'est-ce qui nous amènera à faire LE DIAGNOSTIC ?

C'est d'abord l'histoire de cet enfant, de sa famille, de sa naissance et des péripéties du chemin qui les a conduits jusqu'à nous.
Il y a aussi presque toujours des séparations précoces, des hospitalisations, des violences faites à l'enfant.

Tout ceci sur un fond de rationalisation, voire de négation de la souffrance de l'enfant.
"S'il est ainsi, c'est parce qu'il est prématuré, il a été réanimé, il est jumeau, il a ou est ceci, cela..."

En fait, au cours des consultations et entretiens, nous oublierons parfois les symptômes du corps et proposerons une autre lecture de l'histoire de cet enfant dont seul, parfois, le regard continue de vivre.

Pour illustrer notre propos, voici quelques situations que nous avons rencontrées.

ENFANT ALPHA


Fillette de 6 mois, jumelle, ancienne prématurée, réanimée à la naissance, ayant eu une détresse respiratoire, une hépatite transfusionnelle, un rachitisme et une hospitalisation de trois mois. Elle nous arrive pour un arrêt de croissance, une anorexie avec une famille en grande détresse. (guérison)

ENFANT BETA


Garçon de un an, pseudo-débile, ne se tenant pas assis, hypotrophique, eczémateux, sujet à de multiples infections respiratoires, digestives et cutanées. (guérison). De nombreux troubles du comportement persisteront.

ENFANT GAMMA


Fillette de 2 ans 1/2, hospitalisée après la naissance dans des conditions dramatiques pour détresse respiratoire, cardiopathie congénitale et confusion hospitalière. L'apparition de troubles digestifs sévères et inexpliqués conduiront l'enfant à une nutrition parentérale pendant six mois. Elle vient à nous pour un retard psycho-moteur et l'absence d'apprentissages. (en cours de soins).

ENFANT DELTA


Garçon de 2 ans 1/2, trisomique, amené pour stagnation staturo-pondérale et arrêt des acquisitions psychomotrices. L'inflexion faite par nous sur une modification du cadre de vie, de la composition familiale et d'une naissance amenant la disparition des troubles récents.

ENFANT EPSILON


Garçon de 18 mois, issu d'une famille pathologique : diagnostic de foetopathie alcoolique porté à la naissance avec cardiopathie associée, multiples hospitalisations et maladies répétées. L'enfant vient à nous pour une débilité, un retard des acquisitions, une dysmorphie.
La prise en considération de la médiocrité de la nourrice "choisie" par les parents, et son changement, amenant un revirement spectaculaire de l'état de l'enfant.


COMMENT ABORDONS NOUS CETTE SITUATION?


Bien sûr, il y a à effectuer ou à continuer les soins classiques (le corps souffrant).
Habituellement, ces enfants n'en sont pas privés. Nous serons même parfois amenés à les discuter, les restreindre, en particulier en ce qui concerne la répétition ou la durée des hospitalisations. Il n'y a là rien de très original.
Il y a surtout à accueillir et à écouter cet enfant et sa famille. Selon la situation de l'entourage (fragile, confus, marginal), le travail se fera individuellement ou en couple thérapeutique.
Nous réexpliquerons longuement à l'enfant ce qui s'est passé, a été dit, ou fait : "tu as entendu ce que tes parents ont dit de toi, de ta vie" ; cette phrase ayant presque valeur d'interprétation.
Nous y consacrerons pas mal de temps : il faudra tout reprendre, tout démonter, tout entendre.
A la longue, l'enfant et sa famille sortiront de la maladie, de la salle de travail dans le cas d'accouchements difficiles, de l'Hopital, de la Pouponnière où leur imaginaire les avait enfermés. C'est un travail qui est parfois de l'ordre du deuil.

L'énergie sera alors replacée dans le quotidien de l'ici et maintenant :
. Comment vivre avec telle ou telle anomalie ?
. Comment cheminer ensemble, trouver un second souffle, un mode de garde, une école, etc ;
. Comment reprendre les incidents qui ne manqueront pas de surgir ;
. Comment enfin nous nous séparerons un jour.

Ce n'est que dans un temps ultérieur que des aides en orthophonie, psychomotricité, ou autre, seront proposées.

Un point restera souvent dans l'ombre :
La problématique antérieure du couple et/ou des parents.
Eventuellement, un lieu de parole et d'écoute extérieur leur sera proposé.


LA REVERSIBILITE de ces situations fait tout l'intérêt d'un abord précoce :
Certaines équipes proposeront d'accompagner, dès la naissance, certaines familles fragiles ou désemparées.
D'autres équipes s'intégreront dans les équipes de terrain, de maternité, ou d'hospitalisation.
Faute de vigilance, c'est au bout de plusieurs mois ou années que la situation dépressive, figée, enkystée, nous sera proposée.


QUE PROPOSONS-NOUS ALORS ?

De sensibiliser les Professionnels de la petite enfance à ce problème ; c'est le but de ces quelques lignes, ainsi que de la projection de certaines vidéo-cassettes : "LE BEBE EST UNE PERSONNE - BONJOUR LA VIE - HISTOIRE D'UN TRANSFERT" (nous contacter pour plus amples renseignements).
D'amener les équipes de maternité, hopital, crêche, garderie, à bien reconnaître la carence, l'hospitalisme et à l'éviter.
Une de nos collaboratrices, Psychologue-analyste, se chargeant particulièrement de ce travail institutionnel.

De remettre en cause les modalités de certains "soins" des jeunes enfants :
. Limiter, commenter, expliquer les séparations précoces de l'enfant d'avec ses parents ;
. Repérer les parents sidérés par l'état de leur enfant "malade" ou différent ;
. Les réintroduire, le mieux serait de les laisser auprès de lui, dans ses soins et dans sa vie quotidienne.
. Les accompagner enfin, s'ils le désirent, après ces premières difficultés



Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin