Colloque de Royaumont

"Pour une approche scientifique de la psychosomatique".

Actes publiés dans le Bulletin de l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique n°1


EMOTION ET SYMBOLISATION

Françoise ORIOL - Psychanalyste

Emotion évoque étymologiquement une idée de mouvement. On la définit communément comme un état de conscience complexe, généralement brusque et momentané accompagné de troubles physiologiques.
Au nom de la raison souveraine, celle qui distingue radicalement l'homme de la bête ainsi que le soulignait DESCARTES, un certain nombre d'auteurs caractérisent l'émotion de façon négative. On parlera ainsi "d'incapacité intellectuelle", ou "régression brutale vers des conduites inférieures", de "causes de désordre" ect...
Mais comment ne pas également reconnaitre que sans l'émotion et tout ce qui l'entoure, l'homme serait loin d'être ce qu'il ne cesse de devenir. HEGEL n 'a t-il pas raison de s'écrier que "rien de grand dans le monde ne s'est fait sans passion" et NIETZSCHE de célébrer le "Dionysiaque", inspiré par le dieu de la vigne et de la fête.
En ce qui concerne maintenant le symbole, un premier débat se présente quant à sa définition même . HEGEL, encore lui ! insiste sur le fait qu'il y a une communauté de contenu entre le symbole et la chose symbolisée. Ce qui exclut absolument que ce lien soit arbitraire. Par exemple, si le renard peut être pris comme le symbole de la ruse, c'est parce que le renard réel est naturellement rusé. De ce point de vue, ce serait donc par une extension abusive que l'on emploierait dans certains cas, le mot symbole là où il serait plus conforme de parler de signe. Par exemple, on devrait donc plutôt parler de signe que de symbole mathématique.
Cela dit, ce qui nous parait le plus important en ce qui concerne le symbole, c'est la détermination du nombre d'individus qui reconnaissent un symbole comme tel. Ainsi, les badauds qui passent devant le Palais de Justice et qui voient la balance représentée sur son fronton, savent à peu près tous qu'il s'agit là du symbole de la justice et comprennent à peu près tous pourquoi. Cependant, l'épicier pourra y ajouter une connotation relative à sa profession et telle où telle personne pourra revêtir cette image d'une symbolique propre à son histoire individuelle. Chaque jour, dans son langage, ses gestes où ses rêves, qu'il s'en aperçoive ou non, qu'il s'en souvienne ou non, chacun de nous utilise les symboles.
En s'éloignant de la signification conventionnelle, l'image symbolique fraie la voie à l'interprétation subjective. Elle est de plus en plus chargée d'affectivité et de dynamisme. Mais alors, elle s'éloigne de plus en plus du ciel serein de la raison, " chose du monde la mieux partagée", comme le dit DESCARTES pour nous plonger dans les orages subjectifs du vécu émotionnel, au fond de son coeur dont PASCAL nous rappelle qu'il "a ses raisons que la raison ignore";
"Ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre", telle est la célèbre formule de SPINOSA dont TROSKY avait fait sa devise. Le même SPINOSA nous déclare "qu'une passion cesse d'être une passion sitôt que nous nous en faisons une idée claire et distincte". Cet idéal de la raison, ces discours qui n'utilisent que les symboles les plus froidement universels, ont certes de quoi nous séduire à bien des égards, mais FREUD n'aurait-il pas raison de dire que la rationalité serait une rationalisation, dans le sens particulier qu'il donne à ce terme ? Autrement dit, celui qui cultive les nécessaires exigences de l'universelle raison sublimerait symboliquement d'autres exigences toutes aussi nécessaires, mais celles-là, résolument personnelles. Et si la raison ignore les raisons du coeur, c'est qu'elle n'est jamais sûre d'avoir le dernier mot, mais que le coeur lui a toujours eu le premier.
En revanche, lorsque FREUD écrit les "Etudes sur l'hystérie" , L'interprètation des rêves", "Inhibition, symptômes et angoisse", pour ne citer que ces titres, ne pouvons nous pas y voir la preuve que la raison s'est finalement décidée à écouter le coeur ?
FREUD, médecin et physiologiste, c'est à dire scientifique de formation nous relate que si la psychanalyse a pu voir le jour telle que nous la connaissons c'est parce qu'une de ces patientes a elle-même revendiqué un jour de pouvoir associer librement sans être interrompue, c'est-à-dire de pouvoir exprimer sa symbolique personnelle.
Nous savons ainsi que l'hystérique symbolise dans son corps et le névrosé dans son comportement, ce qu'ils ne parviennent ni à exprimer dans le langage, ni à satisfaire dans la vie. La guérison de ces cas consisterait, selon FREUD à ramener "la misère au malheur banal". "Ce malheur banal" dont nous parle FREUD, est-il alors réalité du moment, réalité de la société telle qu'elle se présente et qui ne permet à l'affectivité de se vivre que dans les limites tolérables par l'ordre social. Car bien entendu, s'il y a des névroses, c'est qu'il y a conflit entre les exigences pulsionnelles des individus et les normes conventionnelles nécessaires à la survie du groupe. On pourrait facilement penser et certains ne s'en sont pas privés, qu'en supprimant toutes contraintes sociales, on mettrait ainsi un terme à toute névrose.
Mais FREUD, nous fait remarquer qu'il est toujours légitime de contester tel ou tel contenu législatif, au nom de la recherche, du progrès social, mais qu'il faut se garder comme de la peste de la tentation de supprimer toute législation, toute contrainte, car dans ce cas c'est l'homme lui-même qui se perdrait. En effet, le passage de la nature à la culture impose à l'homme certains renoncements afin de disposer de l'énergie nécessaire à la sublimation. C'est-à-dire la possibilité de constituer les grands idéaux et les grandes valeurs qui font la grandeur et la dignité de l'homme. Le renoncement à la satisfaction de l'instinct libère alors l'énergie quit tend à s'investir vers des buts élevés dans l'ordre esthétique, intellectuel, religieux.
NIETZCHE l'avait déjà fait remarquer : "La nature et le degré de la sexualité d'un être trouve leur voie jusque dans les réalisations supérieures de son esprit".
En somme, les multiples créations auxquels l'homme accorde légitimement tant de valeur, ne seraient rien d'autre que les avatars de ses émois libidinaux. Tous ces émois libidinaux ne vont pas toujours s'exprimer symboliquement dans les grandes créations de l'homme, car tout individu n'est pas nécessairement en situation de le pouvoir. Nous avons déjà vu qu'une autre possibilité était offerte par l'hystérie ou la névrose. Qu'en est-il maintenant de l'homme "normal" ? FREUD ne nous a t-il pas expliqué que perversions, névroses, et normalité sont autant de réponses différentes à un même problème, celui du conflit entre les appetits libidinaux et les exigences de la société ? Autrement dit, il y a toujours un refoulement dont on s'accommode plus ou moins bien.
Nous savons que FREUD définit le rêve comme la manifestation de désirs refoulés, mais ces désirs ne sont le plus souvent, réalisés que sous une forme acceptable par la vigilance du SURMOI, c'est-à-dire une forme symbolique .
Pour en revenir à la problématique dont nous parlions au début de notre exposé, nous ferons remarquer que les symboles grâce auquels le contenu manifeste nous dissimule le contenu latent sont bien souvent d'une portée peut être pas universelle, mais en tout cas très générale. Ainsi par exemple le serpent est un symbole phallique et l'excrément symbolise l'argent.
FREUD nous a également expliqué " l'analyse ne marche" qu'à condition de descendre dans les plus petits détails, autrement dit ce n'est pas tant la portée générale des symboles qui sera réellement pertinente, mais surtout l'investissement personnel du sujet même s'il est impertinent. Le rêve donc, est un bal masqué.
Le masque en effet a une double fonction : il cache et il montre. Mais que cache t-il et que montre t-il ? Nous pourrions répondre, à première vue que nous voyons ce qui est représenté sur le masque et que le vrai visage nous est dissimulé. Mais les choses ne sont peut-être pas si simples ? Ce que nous appelons le vrai visage n'est peut être bien, au fond qu'un masque : le masque que la société nous impose d'arborer. Notre vrai visage serait en réalité caché au fond de nous et le morceau de carton que nous mettons sur notre figure montrerait ce vrai visage et cacherait le visage de l'uniforme social. C'est pourquoi le choix d'un masque n'est jamais innocent, car d'une façon ou d'une autre , il révèle toujours quelque chose de nos affects très profonds.
De même, le secteur de la création artistique, littéraire, théatrale, cinématographique, utilise les images et les paroles dans le but de créer de l'émotion, émotion dont la fonction libératrice avait déjà été analysée par ARISTOTE qui la caractérise comme "purification". Et chacun sait, bien entendu, que dans la langue grecque "purification" se dit CATHARSIS.


Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin