Colloque de Royaumont
"Pour une approche scientifique de la psychosomatique".

Actes publiés dans le Bulletin de l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique n°1

OUVERTURE DU COLLOQUE : Propos d'un médecin généraliste.

Dr William PESCAROLO*

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, mes chers confrères,

Je suis heureux d'ouvrir ce colloque, consacré à l'approche scientifique de la psychosomatique, qu'organise l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique et qui est placé sous le haut patronage du ministère de la Santé.
Durant les deux journées qui vont suivre , des personnalités représentant divers champs scientifiques vont intervenir et susciter j'espère chez l'ensemble des participants de nombreuses discussions et tables rondes .
Nous espérons que cette confrontation d'idées et d'expériences, ouvrira la possibilité d'une recherche approfondie et féconde, qu'elle permettra une nouvelle approche de la vie chez l'humain.
Dans ce domaine, la médecine praticienne devrait tenir une place particulière et je souhaite que mes confrères y participent pleinement.
Etant donné le nombre d'intervenants, nous avons limité de façon stricte le temps d'intervention et je vais devoir occuper la difficile place du rappel à l'ordre . Je demande aux uns et aux autres de ne pas dépasser ce temps imparti.

Je souhaiterais maintenant, en quelques mots vous expliquer comment un praticien de la vieille école est arrivé petit à petit à la médecine psychosomatique.


Au début, mon exercice était simple : un malade venait avec son symptôme, je pratiquais un examen organique, je faisais mon diagnostic plus ou moins précis et le traitement s'en suivait tout naturellement.
Quand je ne trouvais aucune base organique, je me contentais de penser en moi-mème : "c'est fonctionnel", aucune autre question ne venait dans ma tête.
Par la suite, ce manque m'a géné et s'est même opposé à mon besoin de pouvoir et de savoir .

Ces fameux fonctionnels revenaient sans cesse avec les mêmes plaintes corporelles, ce qui m'a obligé à prolonger la consultation, à multiplier les différents examens malgré leur négativité; il a fallu que j'écoute plus attentivement, plus longuement mes patients, que je cherche quelles étaient leurs difficultés survenues dans leur enfance, dans leur environnement familial et social et même découvrir les raisons affectives qui retentissaient sur leur corps.
Ainsi, comme Monsieur JOURDAIN, je faisais de la psychosomatique sans le savoir jusqu'au jour où je me mis à pénétrer les arcanes de la psychiatrie grâce à mon ami Jean-Michel THURIN. C'est avec lui que nous avons rédigé un fascicule de psychiatrie dialoguée paru sous forme d'articles dans le journal TONUS.
Je me suis aperçu que mes nouvelles connaissances en psychologie et psychiatrie, débouchaient dans ma pratique sur un domaine beaucoup plus vaste que celui des affections psychiques, qu'il pouvait m'être utile dans le domaine du traitement de la pathologie organique.
Cette formation et information doivent être enseignées au généraliste, car ce qui me frappe actuellement, où je suis à la retraite, ayant tout le temps de lire les différents journaux médicaux, c'est de ne trouver que des articles traitant de façon insistante et répétée, d'affections les plus diverses sous une forme purement technologique et organique.
Que ce soient des hospitaliers, des spécialistes, des internistes qui fassent un article sur, par exemple l'hypertension, les artériopathies, les allergies, les troubles génitaux, les infections ( je cite au hasard), ces auteurs évoquent des lésions, des altérations organiques mises en évidence grâce à une batterie de technologies très compliquées, qu'il faut bien sûr connaître, mais l'impact du psychisme est exceptionnellement mis en exergue .
Les jeunes généralistes , très informés de toutes les dernières méthodes techniques ne retrouveront pas, par la suite dans leur formation continue, une orientation psychosomatique si les différents écrits de la presse médicale ne font intervenir dans leur enseignement que l'aspect purement mécaniciste, instrumental, technologique avancé et réactualisé ; sans jamais parler des affects infantiles, sociaux , familiaux et créès par l'environnement.

Je vais maintenant vous lire des extraits de la communication que le Pr Albert JACQUARD avait l'intention de présenter ici lui même, mais ne pouvant être libre ce jour ci, il m'a prié de le faire à sa place . Son texte apporte une base très riche à notre colloque (1).
Deux termes essentiels s'en dégagent qui me paraissent ouvrir le projet d'une psychosomatique cohérente : autostructuration et humanitude.


" Selon les espèces, le petit qui vient de naître est à un stade plus ou moins avancé de sa réalisation ; notre espèce est une de celles où la naissance est particulièrement précoce, ce qui entraine une étonnante malléabilité mais également la perte de l'autonomie nutritionnelle .
Ce qui peut apparaître comme un handicap a été, à long terme la source d'un avantage : la période de cohabitation imposée par cette carence du jeune crée l'opportunité d'une transmission nouvelle, non plus la transmission de recettes biologiques, mais de recettes de comportement .
Encore faut-il que cette occasion soit mise à profit, ce qui nécessite que le jeune soit malléable, qu'il soit disponible, que tout en lui ne soit pas fixé, qu'il ne soit pas, dés sa naissance, fini.
Parmi les mammifères cet état de non finition est surtout manifeste dans une espèce, la nôtre. Ce qui peut être considéré comme une erreur de l'évolution nous oblige en effet à naître bien avant d'être achevés ; quelques mutations ont amené notre espèce à une erreur d'au moins un ordre de grandeur dans le décompte des cellules qui constituent notre système nerveux central ; au lieu d'en arrèter la fabrication, comme le font nos cousins les primates, lorsque leur effectif atteint 5 ou 6 milliards, nous laissons le processus se poursuivre jusqu'à près de 100 milliards ........
Le petit d'homme est ainsi dépourvu à sa naissance de la moindre autonomie . Ce n'est qu'après que le cerveau peu à peu se complète, essentiellement grâce à la mise en place des connexions entre les neurones dont le nombre est de l'ordre du million de milliard, 10 puissance 15 écrivent les mathématiciens .........
Comment sont donc mis en place les réseaux subtils que réalisent les synapses selon la façon dont elles laissent passer l'influx nerveux ? Il semble illusoire de chercher dans l'information portée par le patrimoine génétique plus qu'une réponse très partielle . Quelques structures globales sont sans doute programmées mais nos quelques 100000 gènes ne peuvent fixer le détail d'un ensemble dont le nombre est dix milliards de fois plus grand . Or, c'est ce détail qui correspond à la spécificité de chaque homme, à sa personnalité.
A sa naissance, le bébé humain n'a qu'un potentiel de développement, il n'a guère reçu que des promesses, mais quelles promesses !
Peu à peu ( et ce processus a bien sûr commencé dans le ventre maternel ), des réseaux se créent en fonction de tous les apports extérieurs, de tous les évènements de l'aventure personnelle . Chaque information reçue, chaque choc affectif, chaque échange amical ou conflictuel apporte sa contribution à une construction qui devient de plus en plus complexe.
Et cette complexité permise par le patrimoine génétique, réalisée par l'environnement familial et social, débouche sur une possibilité nouvelle, l'autostructuration .
Il ne s'agit plus de la prolifération des cellules conformément aux instructions des gènes, il ne s'agit plus de la constitution de réseaux d'interconnexions entre ces cellules en fonction des informations venues du monde extérieur ; il s'agit de la progressive construction de l'outil intellectuel par lui même.
Les apports extérieurs transforment, certes, la structure du système nerveux central en fonction de leur contenu, mais leurs effets dépendent de l'état de cette structure ; celle-ci intervient dans sa propre évolution ; elle est donc, pour une part, auto-créatrice .
Ce pouvoir, sur lequel insistent depuis quelques années physiciens, biologistes et logiciens, est le fruit de la complexité où l'être humain représente, de loin, la structure la plus complexe de l'univers connu ; il est donc l'être le plus capable de se prendre en charge, le plus capable de ne pas être seulement un objet fabriqué par ses gènes et son milieu, mais un sujet qui se fabrique lui même. .......
C'est cela un homme, un être doté d'une complexité telle qu'il est capable d'être son propre créateur. Mais comment aboutir à une si merveilleuse capacité ? C'est tout le problème de l'éducation. Notre donné génétique nous permet de devenir un homme, mais il ne nous apprend pas à devenir un homme . Pour orienter le potentiel initial vers la réalisation d'un homme , d'autres hommes sont nécessaires .
L'ensemble des caractéristiques dont, à bon droit, nous sommes si fiers, marcher sur deux jambes ou parler, transformer le monde ou nous interroger sur notre avenir, tout cela n'est pas un cadeau de la nature, mais un cadeau que les hommes se sont fait à eux-mêmes, qu'ils accroissent sans cesse, et qu'ils s'offrent les uns aux autres. ........
Et surtout, ils sont capables de regarder l'avenir . Pour un monde où demain n'existe pas, l'Homme a introduit la volonté de maîtriser ce que sera demain . Pour lui, l'avenir n'est pas une fatalité à subir, mais un projet à réaliser. ........
Quelles que soient la couleur de sa peau ou la forme de son crâne, il peut participer . Il a en effet reçu de la nature ce don fabuleux qui rend dérisoires tous les autres, la capacité de se faire des dons à soi-même . ..
Pour cela, il lui faut sortir de sa condition d'être objet soumis à toutes les contraintes de la nature pour devenir aussi l'être sujet qui soumet la nature et lui-même .Cette sortie de soi-même est l'objectif de l'éducation ; étrangement, le Robert donne comme éthymologie d'"éduquer" le latin "educare", qui signifie selon Gaffiot, "nourrir,avoir soin de" ; en fait, la véritable éthymologie est "educere", qui signifie "tirer hors".......
Oui , il s'agit bien de "conduire hors de ", mais hors de quoi ? Hors de soi-mème . N'est-ce pas cela la conscience ?
Si l'on admet que la finalité humaine est la construction d'une humanitude jamais achevée, l'éducation est de toute évidence la fonction première de toute société . Bien sûr il ne s'agit pas d'une simple technique peu à peu améliorée mais d'un art toujours à la recherche d'autres perspectives ...........
L'utopie est une des formes de l'amour ; on ne peut pas plus vivre sans utopie que sans amour .
Est-il irréaliste de prévoir une terre où chaque homme se saurait en charge de l'humanitude ?


(1) ce texte est publié intégralement en préface à un ouvrage du G.F.E.N .

# William PESCAROLO est décédé le 2 Novembre 1985 au terme d'une vie consacrée à la médecine .


Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin