Dr Jean-Michel THURIN
Le colloque qui s'est déroulé hier et aujourd'hui nous montre que le dialogue que nous avons voulu instaurer entre diverses disciplines autour de la question cruciale de la vie chez l'humain et de ses avatars n'aura pas été stérile, qu'il correspondait à un besoin .
A partir de notre sujet, la psychosomatique, nous avons rencontré la diversité des approches, la spécificité des méthodes mais également des points , des moments où les questions se rejoignent, où chaque matière peut constituer un espace de réflexion pour l'autre.
Rappellons que nous avons en effet entendu les interventions de psychanalystes, de médecins , de physiciens, de mathématiciens de linguistes, de philosophes . Toutes ces interventions n'ont pas réalisé une immense cacophonie mais bien au contraire un discours où se sont exprimés des traits logiques, des travaux convergents.
Un champ de recherche immense nous est donc offert et nous sommes sans doute dans une époque particulière pour la science . Certaines choses se mettent en place mais ici, la science est en avance sur l'idéologie et on peut s'attendre à quelques contre-coups.
Je crois également que durant ce colloque est clairement apparu que la psychanalyse ce n'est pas "fini" ou "dépassé" comme le proclament certains mais qu'elle peut au contraire tenir la place de science pilote qui crée dans d'autres sciences, pour reprendre les termes de plusieurs participants "une ouverture extraordinaire ", qu'ils appartiennent au champ des sciences "dures " comme le physicien A. MARUANI, ou des sciences "jeunes" comme la linguiste A. Van der STRATEN .
Le fait par ailleurs qu'un Membre de l'Académie des Sciences, qui a reçu pour ses travaux la médaille FIELD, soit venu nous exposer comment l'outil mathématique peut contribuer à mieux cerner l'impact des formes sur le psychisme d'un sujet humain ( il n'a pas abordé aujourd'hui la question de ses catastrophes), en est une éminente confirmation.
Je crois qu'il faudrait reprendre toutes les interventions, tant chacune a été importante, mais cela nous entrainerait très tard et nous sommes tous un peu épuisés après ces journées d'une densité extrème.
Je vais donc me limiter à souligner quelques points qui m'ont paru parmi les plus significatifs.
J'ai ainsi noté que le Pr VILDE, infectiologue dans un service hospitalier parisien se heurte au cadre conceptuel classique de sa dicipline qui inscrirait l'équivalence infection - agent infectieux . Il pressent qu'il y a a autre chose, a remarqué certaines liaisons entre le déclenchement des infections et l'histoire des malades : peut-être existe t'il d'autres possibilités, il désire en savoir plus . En même temps, il y a sans doute un risque dans cette attente : réserver au psychisme "la part de Dieu", alors que , ce qui me semble à démontrer et à étudier, c'est l'extraordinaire intrication des facteurs psycho-somato-sociaux dans le rapport qu'entretien l'humain avec l'autre ; cet autre qui peut prendre la forme d'une poussière, d'un virus ou d'une personne.
Une autre intervention m'a particulièrement frappé, c'est celle de C. PRENERON car elle apportait une objectivation matérelle quantifiable de ce que nous , psychanalystes, nous appréhendons comme une parole extérieure à la personne, une parole de suppléance, une parole vide pour reprendre l'expression de LACAN . Mais cette intervention montrait également les limites d'une approche technique, mème très élaborée qui ne prendrait pas en compte le sens, l'inconscient, le désir d'être reconnu dans son questionnement qui détermine l'axe du discours.
On a retrouvé cette mème difficulté à partir de l'exposé passionnant du physicien de la communication JP. ADOUL et de son échange avec le philosophe A. ORIOL.
Mais il me semble qu'il faudrait également se garder d'une certaine défiance qui conduirait, par respect pour le complexe, à se garder de l'utilisation de modèles plus simples , de shémas , car il est bien entendu que le modèle n'est pas la chose .
Ce colloque a donc montré quelles perspectives peut ouvrir une approche pluri-disciplinaire où chacun , strict dans ses méthodes et ses buts peut apporter à l'autre, une nouvelle dimension, un nouvel éclairage mais aussi une certaine simplicité. Et nous avons pu constater qu'à partir de ce dialogue diversifié s'élaborait un langage commun dont nous savons qu'il conditionne la constitution d'une science.
Il apparait que les recherches actuelles , dans des domaines très divers trouvent leur convergence dans le vivant et dans l'humain . Le terme de psychosomatique, pour mauvais qu'il soit constitue un point d'ancrage.
J'ai noté certains mots clefs qui sont revenus continuellement, ainsi celui de stagnation, de figé , de blocage, d'arrêt, de sidération et de circularité pour décrire l'état de départ des malades .
Il est apparu également que cette notion de perte et de manque, de séparation précoce, si souvent exprimée, constitue bien un des points fondamentaux qui détermine la survenue de troubles physiques.
On a beaucoup utilisé également les termes de système, d'échange, de dialectique, de conflit et de contradiction, et naturellement de langage et de communication, pour décrire le vivant .
Beaucoup ont insisté sur l'importance qu'il y avait à recréer des ouvertures pour les patients et les pièges continuels que constituaient les habitudes, les codages et les rationalisations, les diagnostics trop "évidents" ou le raisonnement figé.
Ainsi se constituait peu à peu une autre représentation de la vie chez l'homme qui nous interrogeait sur le rôle de l'échange, de la communication, du mouvement, sur la façon dont mémoire interne (sous la forme par exemple du programme génétique et plus généralement de la répétition), mémoire externe (la culture, le langage, les outils) venaient, dans leur entrecroisement et leur intrication dans différents plans, dessiner des structures, des ordres, qui détermineraient à leur tour des lois, ou tout au moins des logiques. La question de la fonction de la parole, de son action thérapeutique, nous revenait alors toute autre.
L' intervention de M. THURIN sur le déroulement d'un entretien médical, nous a apporté une objectivation très claire de la difficulté du médecin à répondre à la souffrance autre qu'organique . Il y a sans doute des bifurcations fondamentales qui se jouent dans des réponses ou des questions apparemment banales. La question est de savoir si la consultation n'est pas fondamentalement une tentative de traduction et de réorganisation de l'inconnu ; tentative en quelque sorte fonctionnelle, déclenchée par une source organique, dépassant largement le cadre de la séméiologie classique ; tentative qui, si elle était reconnue, donnerait à l'acte médical une autre dimension.
Cette demande reste individuelle, la relation médecin-malade constituant un éco-système, un espace-temps particulier ; dans cette hypothèse, l'art du praticien consisterait, dès l'engagement de la relation, à repérer, à partir des signifiants du malade cet espace-temps, le rapport en jeu, et à engager son ouverture à partir des bifurcations qu'offre le langage.
L'intervention de V. BRUILLON nous a montré comment, à partir d'une situation fermée, bloquée, pouvant s'énoncer comme un paradoxe, certaines paroles du thérapeute, la garantie que le cabinet constitue bien un lieu sûr d'accueil de la souffrance et de la parole du patient, peuvent permettre qu'un travail s'engage, où la cure de la dépression précède la disparition de la symptômatologie somatique .
Nous sommes donc engagés dans un travail de recherche et je voudrais souligner le piège que représenterait, pour le thérapeute, l'attente de trouver dans les "oeuvres", fussent elles lacaniennes la réponse à toutes ses difficultés, en particulier dans l'approche du corps. Sur ce point particulier, L. de la ROBERTIE, nous a présenté un LACAN qui tout au long de sa vie a cherché, a remodelé et précisé sa théorie, s'est inspiré des avancées des sciences pour mieux cerner ce qu'est l'inconscient et ce qui se déroule au juste, dans une psychanalyse. C'est bien dans cette optique que travaille l'Ecole Lacanienne de Psychosomatique, école lacanienne et non lacaniste.
Je remercie vivement le Ministère de la Santé Publique d'avoir bien voulu patronner ces journées et montrer ainsi l'intérêt qu'il portait à notre approche .
Pour l'Ecole, ce premier colloque nous parait ouvrir de nouvelles perspectives de travail sur le vivant et sur la maladie .
Divers groupes vont s'y atteler et proposeront à la rentrée des séminaires, des formations théoriques et cliniques .
Vous retrouverez l'essentiel de ces journées dans les actes du colloque, à la rentrée.
Nous retournons au travail et vous donnons rendez vous dans deux ou trois ans.
Dernière mise à jour : dimanche 5 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin