Olivier Douville, Alain Maruani, Monique Thurin, Jean-Michel Thurin
Sur les interpénétrations entre Sciences et Psychanalyse, je ne peux m'empêcher de penser à l'un des reproches adressés jadis à COPERNIC à propos de ses travaux sur la trajectoire des étoiles: c'était d'avoir mélangé la géométrie et l'astronomie, scandale considérable. Il était patent à l'époque que géométrie et astronomie étaient deux domaines séparés. L'histoire a tranché sur le bien fondé de cette assertion.
Cette séparation, évidente aujourd'hui, est le résultat de schismes issus de hasard et de nécessité. J'en prends pour exemple HELMHOLTZ, dont on a parlé tout à l'heure et qui a eu une influence très grande sur FREUD. HELMHOLTZ était neuro-physiologue et s'intéressait aux phénomènes de la vision (un peu), de l'audition (beaucoup) et de la perception (de manière générale). Par exemple, je crois qu'on peut trouver en filigrane l'histoire du moi pré-attentif dans le concept d'inférence inconsciente de HELMHOLTZ, qui consiste à dire en gros qu'on ne voit bien que ce qu'on s'attend à voir.
Dans la poursuite de ses travaux, Helmholtz s'est trouvé confronté à un mur conceptuel et ne pouvait plus progresser avec les outils dont il disposait en tant que médecin. Pour pouvoir progresser et simplement pour cela, il a acquis les outils de la physique; il se trouve qu'il a continué et fini physicien. Il est curieux, et c'est tout à fait général, que ce qui est posé par des fondateurs comme hypothèse ou conjecture se durcit rapidement en dogme, du seul fait des disciples. A partir de ce schisme accidentel, dû à un manque d'outils et rien de plus, l'idée s'est ancrée dans une tribu que sa discipline était réfractaire à la formalisation (on le lit en 75); le sarcasme réciproque consiste à dire que tout ce qui commence par "psy" ne saurait qu'être étranger aux sciences pures et dures. Je crois que le problème, auquel a pu se confronter FREUD c'est qu'il n'avait pas, et que personne n'avait à son époque les outils conceptuels pour bien formaliser sa théorie.
Aujourd'hui ces outils existent, au moins partiellement, et je crois voir, à une époque où le schisme est bien médiatisé, des rapprochements entre des communautés jusqu'alors séparées. La communauté des physiciens ne se désintéresse pas d'une compréhension globale du phénomène humain. Lesneuro-sciences et les sciences cognitives ont quitté les seuls neurologues, épistémologues ou informaticiens. Le point de départ d'une interrogation générale est le suivant : Si l'on considère les progrès des ordinateurs depuis leur création d'une part et si l'on apprécie la manière dont ils résolvent certains problèmes d'autre part, on obtient des résultats très contrastés. En I948 un ordinateur qui aurait occupé la moitié de cette salle, était moins performant que celui que vous possédez tous. Par contre, des problèmes que l'enfant de 2 ans 1/2 résoud très bien : reconnaître un son, un visage, une odeur, un visage de profil etc... un ordinateur ne le fait guère. Ce n'est pas parce que le matériel est limité mais parce qu'on ne sait pas comment bien formuler ce genre de question. Je vous donne une image à voir est-ce que vous pourrez me dire que pour la comprendre vous partez de ce point là, puis vous allez comme ça, en haut, etc...comment ça se passe ? Est-ce que nous sommes capables de décrire la manière dont on joue aux échecs, on se fraie un chemin?
D'où la conjecture: Si un ordinateur et un cerveau ont des performances tellement différentes c'est que dans leurs architectures respectives il y a des différences fondamentales. C'est de la sorte que les informaticiens se sont intéressés aux neuro-sciences; en posant des questions aux neuro-physiologues et en étudiant les réponses ils ont déduit des modèles, au sens de la théorie des modèles, c'est-à-dire compression d'une énorme quantité d'informations. Il sont arrivés à mettre au point et à faire fonctionner des objets très différents des ordinateurs classiques et qui miment un fonctionnement très stylisé du cerveau. Les principes de base de ces nouvelles machines sont déjà dans l'Esquisse. Un, on a affaire à un réseau d'objets fortement interconnectés. Deux, l'information n'est pas localisée dans un neurone donné mais elle est répartie dans tout le système, dans le jeu des connections. C'est en effet très différent. Un ordinateur range le contenu de sa mémoire dans des boîtes numérotées et on s'adresse aux boites mais pas à leur contenu. Si on demande à l'ordinateur : trouve moi "cheval", il ne sait pas le faire. Il faudra qu'il aille chercher dans toutes les boites jusqu'à trouver cheval. Si cheval est dans la case n° 25 et si la case n° 25 est hors d'usage, c'est fichu. Donc, très faible robustesse vis à vis des pannes. Dans le cerveau on sait très bien, qu'on peut perdre des quantités énormes de neurones... on ne s'en porte pas plus mal. L'information est répartie partout de manière redondante. L'apprentissage se fait par la modification de l'interaction entre tel ou tel neurone. Cette hypothèse de mémorisation par modification de frayage a été reprise en I949 par un neuro-physiologue, Donald Hebb, qui a redécouvert en grande partie certains travaux de FREUD. On l'a mise en oeuvre récemment dans des architectures, appelées pour cette raison neuromimétiques.
Ces objets là peuvent résoudre certains problèmes qui désespèreraient une batterie de super-ordinateurs. Ils sont capables d'apprentissage, de correction d'erreur, de classification montrez leur un regard, ils identifient tout le visage......
... Ce dont nous avons parlé aujourd'hui constitue deux pôles d'un très large spectre, continu sans doute. Evidemment, le statut théorique de la dimension symbolique de ces machines correspond à un vide théorique, celà en dépit du fait qu'il existe dès à présent des tentatives de modèlisations du rêve ou des associations d'idées; il y a des choses qui marchent... Nous essayons au groupe Science d'élucider ce genre d'information. L'idée est que s'il y a similarité de fonctionnement et dans une étape seconde similarité de structure, alors c'est qu'il y a quelque part un substrat profond qu'il faut aller chercher, un tronc à partir duquel on peut espérer décrire certaines des branches sur lesquelles nous sommes les uns et les autres perchés.
Je viens de décrire en exagérant peut-être un peu l'aspect technique la démarche constante de ce que nous faisons dans ce groupe. Notre ambition aujourd'hui n'aura pas été de vous dire ce que contient l'Esquisse mais de vous présenter des outils, des points de départ.
Pour conclure, j'aurais trois questions à vous poser sur ce qui s'est dit aujourd'hui; personne ici ne vous en demandera la réponse. Les voici et faites en ce que bon vous semblera :
- Est-ce que cela vous a intéressé ?
- Est-ce que vous avez eu l'impression d'avoir appris quelque chose ?
- Est-ce que cela vous a donné l'envie d'en savoir plus ?
Dernière mise à jour : lundi 6 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin