A travers l'Esquisse ...

Première approche du modèle freudien du psychisme

Olivier Douville, Alain Maruani, Monique Thurin, Jean-Michel Thurin

DISCUSSION, animée par Olivier DOUVILLE

Alain MARUANI : Quelque chose ne me paraît pas immédiatement intelligible à propos du cas n°1 de reconnaissance de l'objet. Est-ce que tu as vraiment dit : rien n'a changé ? Il ne s'est rien passé ou quelque chose de cet ordre là?

Jean-Michel THURIN : Oui. FREUD dit qu'il n'y a pas de profit biologique. J'ai pensé que le profit biologique correspondait pour Freud à une création, celle de structures de recherche d'identité qui, étant elle-mêmes mémorisées, constitueront des "raccourcis" pour les expériences ultérieures, comme dans le cas face-profil.

Alain MARUANI : C'est là que je persiste à ne pas comprendre; je pense au contraire que quelque chose, d'une manière ou d'une autre, a changé: la quantité d'information. Je sais maintenant qu'un objet externe est identique à un objet interne. Le système a procédé à une reconnaissance de forme. Je ne comprend pas ce qui fait dire à FREUD que cette quantité d'information ne se manifeste pas matériellement; si rien ne s'est passé, alors je n'ai aucun moyen de savoir que ma quantité d'information a augmenté.
Il y aurait un mécanisme, une situation et une seule qui échapperait à sa signature biologique.

Jean-Michel THURIN : Ce que veut dire FREUD, c'est que cette signature a déjà eu lieu; les circuits de reconnaissance sont déjà créés et appartiennent à la mémoire

GRUMBACH : Comme manifestation physiologique, s'agit-il de nouvelles connexions ou cela inclut-il le fait qu'il y a eu renforcement, augmentation de la largeur du chemin, du frayage ?

Jean-Michel THURIN : En fait, c'est de cela qu'il s'agit. Au départ, cela voudrait dire que le chemin a été ouvert et élargi entre les autres. Par contre, une identité réalisée ne fait pas intervenir de modifications de structure lorsque la situation de comparaison se reproduit.

Alain MARUANI : C'est d'ailleurs le sens exact du mot frayage. Le renforcement d'une conduction par répétition.

Olivier DOUVILLE : Finalement, il s'agit de comprendre comment l'appareil psychique s'entend, organise cette architecture en fonction de l'auto-conservation. Par ailleurs, avec le complexe d'autrui, une ouverture est posée dans ce premier exposé puisque il serait possible d'entendre qu'un nourrisson qui serait purement et simplement livré à ses pulsions d'auto-conservation pourrait en mourir. Nous rencontrons là une ouverture déjà annoncée dans ce débat suite au premier exposé. Du reste, quelles lectures peut-on faire de l'Esquisse? S' agit-il d'une lecture finaliste en terme d'adaptation ou d'un autre regard plus ouvert sur la dimension de la reconnaissance/méconaissance dans le complexe d'autrui? Cela amène à repenser les liaisons entre langage, mémoire et corps. Je me demandais si, parfois, dans ton exposé il ne se produisait pas un balancement entre le terme de signal et celui de signifiant .

Jean-Michel THURIN : Voici quelle est pour moi la différence entre signal et signifiant. Le signifiant appartient à la structure et est donc succeptible de s'intégrer à un ensemble alors que le signal est quelque chose à la fois d'élémentaire et d'univalent.
C'est-à-dire qu'il y a l'emetteur de signal, son récepteur et quelque chose de l'ordre d'un code oui-non entre les deux. Par rapport à cette définition, l'indice de réalité qu'envoie le système w est un signal. Quand les deux images l'image perceptive et l'image de la mémoire sont identiques, cette identité se traduit se traduit par un signal. Là c'est quelque chose qui n'a rien à voir avec un signifiant. Par contre, la voix, le regard sont des signifiants dans la mesure où ils se rattachent à une structure d'ensemble .
Reprenons les dessins de tout à l'heure, les complexes de mémoire. En première approche, c'est déjà un complexe de signifiants, d'un certain type de signifiants qui sont des traces mnémoniques mais dont la combinatoire constituent déjà quelque chose qui peut s'intégrer à une forme et être reconnu comme tel.

Olivier DOUVILLE : La dimension génétique d'un réperage de l'inscription de la trace s'accompagne chez Freud de tout un déploiement de la logique de l'après-coup qui fonde la signifiance.

Jean-Michel THURIN : Génétique au sens de quelque chose qui a été acquis au cours de l'expérience de la vie. Mais ces traces, je pense qu'on peut les ranger parmi les signifiants.
Dans un deuxième temps, il va y avoir un deuxième type d'organisation signifiante qui va restructurer tout cela. Mais au départ, on a des traces perceptives ou sensitives.

Alain MARUANI : Un point commun entre signifiant et signal, c'est que l'un et l'autre sont des objets structurés. Le signal il a une structure "simple"; je veux dire: formalisable, au moins en principe. On est dans le domaine du qualitatif. Au moment où tu disais cela, j'étais en train de penser que si la personne qui a mis un jour sur le marché le mot signifiant avait employé le mot signal, toute cette glose n'aurait peut-être pas eu lieu.

Jean-Michel THURIN : Un signifiant peut fonctionner exactement comme un signal. Prenons comme exemple le regard. On peut considérer, à partir de ce que je viens de dire, que c'est un signifiant qui appartient à une forme globale. Ce même signifiant regard peut fonctionner comme signal d'une activité sexuelle . Plus largement, dans le règne animal vous avez un élément qui fonctionne comme signal, qui met en route tout un cycle instinctuel, c'est un signifiant mais cela fonctionne comme signal. C'est le signal du début d'une chaîne biologique.
Par contre, normalement ce signifiant est rapporté à tout un ensemble de signifiants et ne va pas déclencher une réaction automatique. C'est ce qui spécifie l'humain. Mais dans certaines relations psychosomatiques, la personne passe devant telle chose et cela déclenche une réaction au niveau de son corps, sans que cet élément puisse être à aucun moment rapporté à un ensemble structuré. Il y aurait en quelque sorte extraction d'un signifiant de son complexe, ce qui aurait pour conséquence de le faire fonctionner comme un signal.

Alain MARUANI - C'est-à-dire que cette structuration n'existe pas dans l'absolu mais que c'est le récepteur, l'observateur, que sais-je... qui attribue cette qualité.


Dernière mise à jour : lundi 6 octobre 2003
Dr Jean-Michel Thurin