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Rêves analysés selon la grille (o )

Analyse première du texte et signification du rêve

 

Le texte lui-même contient généralement les bases de l'interprétation du rêve et ce phénomène a tendance à s'accentuer au fur et à mesure de l'augmentation des rêves précédemment analysés.

Nous avons été frappés par le paradoxe suivant : par rapport au texte isolé du rêve, plusieurs niveaux de contextes ont été introduits avec des informations souvent importantes concernant l'histoire, le contexte récent, des souvenirs oubliés qui ont été réactualisés par le rêve. Nous avons eu le sentiment que chaque apport renouvelait la lecture du rêve. Et pourtant, la lecture des commentaires à distance, souvent très riches et documentés, qui conduisent à une cotation 4 ou 5 de l'item "conceptualisation 6" (: reprise conceptualisée du rêve par la rêveuse) et la symbolisation finale de l'équipe sont finalement très proches de la première interprétation dans plus de la moitié des rêves.

Détails et opacités

La multiplication des détails et des opacités n'a finalement qu'un rôle secondaire si l'on considère le but général du rêve et son résultat.

Par exemple, si l'on prend les trois premiers rêves, le but initialement projeté (retour à Paris, voyage d'agrément au sud de la France, visite d'une exposition) échoue. Cependant, les "détails" posent le problème. Par exemple, dans le rêve de l'exposition "Vuibert" vient symboliser la publication scientifique dont on garde les livres (c'est en tout cas ce qu'a fait la rêveuse) tandis que les infirmiers viennent connoter le risque de la folie, de l'internement et de la perte de la dignité, risque qui fait partie du mythe familial à partir de la destinée d'un membre de la famille. Ainsi, le thème de l'ambition, de l'ascension sociale et de la chute est-il posé non seulement par des symboles généraux (l'escalier que l'on monte au Grand-Palais et la perte des matières) mais renforcé par des symboles personnels qui font partie de l'histoire de la personne.

Dans le rêve 12, "il neigeait" vient renforcer la référence à l'angoisse et au sentiment d'impuissance qu'elle éprouve par rapport à l'autre (ici le camion très imposant par rapport à sa petite voiture) et dont elle peut encore moins prévoir les agissements possibles (dérapage) alors qu'elle a elle-même du mal à contrôler son véhicule. Ainsi, ce "il neigeait" vient renforcer le risque de perte de contrôle de part et d'autre dans une scène où l'on retrouve un des thèmes récurrents de la rêveuse : le faible et le fort. Ce thème revient dans la deuxième scène du rêve, avec l'histoire du ver qui résiste à la toute puissance du vinaigre, recette pourtant éprouvée (de sa mère) pour se débarrasser de la vermine et pour la ranimer, elle, quand étant enfant elle faisait des malaises. Dans la troisième scène de ce rêve, les deux protagonistes se côtoient en apparente bonne intelligence autour d'un objet commun : la plante.

Dans le rêve n°4, il est question d'une cuvette curieuse : toute petite, elle n'est reliée à aucun système d'évacuation et, en dessous, il y a un tiroir, ne communiquant pas avec la cuvette. Là aussi, ce qui marque une certaine précarité des conditions de vie mais qui n'est pas un véritable obstacle, renvoie à deux souvenirs précis : la fosse d'aisance que la soeur (qui est dans le rêve) refusait de faire vidanger par souci d'économie et l'évier de la cuisine familiale que son père a refusé toute sa vie de raccorder à un écoulement. Le rêve se termine sur l'idée que l'on peut passer sur beaucoup de choses pour se soulager mais pas sur celle d'une exposition devant l'autre où l'on perd sa dignité (il fait donc écho à la crainte exposée dans le rêve précédent)

Le ver, qui vient sans doute représenter les matières qu'elle n'a pu retenir est associé à tout un ensemble de scènes et de représentations du corps directement associées à l'histoire familiale (on retrouve d'ailleurs le ver dans un autre rêve analysé (le12).

Déplacements spatiaux : mondes et temps

Sur les 15 rêves analysés, 10 mettent en scène un déplacement soit du sujet d'un endroit à un autre, soit d'un milieu par rapport à un autre (rêve 10).

Ces déplacements n'ont pas une signification univoque mais marquent le passage d'un monde à l'autre : monde de l'espace personnel et du calme au monde de la promiscuite, du tumulte et de la violence (1, 10), monde "arriéré" et du travail par rapport au monde de la bronzette et de la sexualité (2) ou à un monde supposé évolué (1, 11), monde de la culture et monde des satisfactions corporelles (3 et 7), monde de la toute puissance agressive et monde du répit ou de l'harmonie. D'autre part, dans trois rêves au moins (1, 7, 8) la réalité de l'enfance est directement représentée avec la fonction de repérage dans le temps qu'elle occupait (les jours de marché, les fêtes). Le sujet évolue donc d'un de ces espaces fortement connotés à un autre en montant, en avançant mais aussi en descendant et en allant en marche arrière. La décision de la direction finalement prise et de l'analyse qui la précède est intéressante car elle pose au sein du rêve même la question d'une réflexion et d'un choix qui y seraient représentés.

Positionnement binaire des éléments

Qu'il s'agisse des personnages ou des lieux, leurs qualificatifs sont très tranchés et nous introduisent dans un monde d'oppositions binaires : 1° et 2° classe, Grand Palais - toilettes, "Carlton" - bistrot minable, racaille - ?, eau claire bordée de fleurs - seau en plastique, petit - gros (poisson), aspect vieux, sale et sombre - apparence des vaisseaux spatiaux, ver - personne, calme - tumulte

Commentaires rapproché et à distance du rêve

Nous n'avons malheureusement que 8 commentaires juste après le rêve car beaucoup ont eu lieu pendant des vacances et tous n'ont pu être repris au retour de la rêveuse. Il apparaît bien cependant leur pauvreté par rapport au commentaire tardif. Deux hypothèses peuvent être proposées : un effet de fascination par les images et l'affect du rêve qui bloque la pensée associative et organisante, le fait que le rêve soit une sorte de pensée intuitive qui précède une pensée élaborée.

Dans 6 de ces commentaires apparaît une référence au contexte récent mais dans un seul des rêves il est question d'événements intervenus en proximité immédiate avec le rêve. Dans ce rêve (n°12), il est d'ailleurs question d'événements qui se produiront le lendemain (courses, conduire la voiture au garage)

Distance par rapport au rêve et conceptualisation

Nous avons essayé de quantifier cette distance à partir de trois critères : capacité associative, relation à l'affect et aux actions du rêveur (en y étant pris ou en pouvant les expliciter), capacité de conceptualisation (expérience directe ou capacité de reprise par le rêveur des éléments de son rêve et interprétation). Chaque cotation a fait l'objet d'un chiffrage par chaque membre du groupe et c'est la moyenne qui a été retenue.

L'évolution est très importante

- la moyenne de "capacité associative" passe de 1,7 au moment du rêve à 4,1 au moment du commentaire tardif

- la moyenne de la conceptualisation passe de 0,7 à 4,3

- la moyenne de la distance affective et par rapport aux actions passe de 2,4 à 3,9.

Cette dernière variation est cependant discutable car un rêve peut n'être accompagné apparemment d'aucun affect alors que la scène qu'il décrit est tout à fait tragique et impliquante pour la rêveuse. Il en est ainsi des rêves 6 et 13 qui traitent respectivement de l'impossibilité de création et du suicide de la rêveuse de façon tout à fait descriptive, "opératoire", que nous avons cotée 4. Dans ce cas, une diminution de la distance serait, au moins transitoirement, un signe d'amélioration.

Quelques remarques à partir des mots-clés, thèmes et problématique générale dégagés à la fin de la première étape d'analyse des rêves.

- la notion de déplacement spatial

On constate que 10 rêves analysés contiennent la notion de déplacement de façon suffisamment importante pour qu’elle apparaisse dans les mots-clés, les thèmes ou la problématique générale.

Au niveau des mots-clés, ils concernent l’utilisation par la rêveuse de lexèmes se rapportant :

- à des moyens : voiture, bus, train, avion. Nous les avons répertoriés dans 6 rêves ;

- à des espaces : escalier, rue, trottoir, labyrinthe, chemin, passage. Nous les avons répertoriés dans 6 rêves ;

- à des actions : quitter, revenir, se faufiler. Nous les avons répertoriés dans 2 rêves.

Au niveau des thèmes, c’est la mise en avant d’une condensation d’éléments formant un ensemble comme : un retour de vacances, un voyage, une ascension, une recherche de toilettes, une recherche de sortie, une randonnée à pied. Nous les avons trouvés dans les 10 mêmes rêves, un des thèmes connotant un déplacement.

Au niveau de la problématique générale, c’est ce qui a pu nous apparaître comme point central du rêve avec, par exemple : arriver - ne pas arriver , régresser - avancer, rencontrer un obstacle et le contourner, avancer ou reculer.

Nous n’avons retenu une connotation de déplacement que dans 5 rêves.

Dans les 5 autres rêves où nous avions dégagé des mots-clés et thèmes se rapportant au déplacement, la problématique générale se situe au niveau de "la place", de "l'espace personnel", d’un "conflit entre aspiration intellectuelle et sociale".

5 des rêves ne sont donc pas concernés par la notion de déplacement spatial mais posent la situation sociale de la personne et de son espace. Comment se distinguent t-ils par rapport aux autres ?

- on peut retrouver finalement l’inverse du déplacement spatial dans 4 de ces rêves : l’immobilité

Dans le rêve n° 9, les mots-clés sont relatifs à une insulte : crier, traiter (celui qui l’insulte), racaille ; le thème est l’agression verbale ; la problématique : "subir une insulte", être abandonné (dans le commentaire)

Dans le rêve n° 10, les mots-clés sont relatifs à un espace décrit par la rêveuse ; le thème est sa relation à cet espace ; la problématique générale est son immobilité face au possible tumulte ;

Dans le rêve 13, les mots-clés sont relatifs à l’environnement au moment de son suicide ; le thème est le suicide ; la problématique générale est "être extérieur au monde" ;

Dans le rêve 14, les mots-clés sont relatifs à une scène fascinante ; le thème est "regarder cette scène" ; la problématique générale est la fascination par la scène.

Dans le quinzième rêve, la notion de déplacement spatial est absente (rêve n°6). Mais il est tout de même question d’espace : cultiver un parterre avec comme problématique générale une limitation de cet espace et l' empêchement de la création.

On peut donc situer deux grands registres : le sujet actif dans sa vie et ses orientations et le sujet saisi, spectateur ou fasciné par l'événement.

- Les personnages

Ils se retrouvent au niveau des mots-clés. Quatre personnages sont directement impliqués dans la problématique (ver, inspectrice, analyste, bonne femme), trois le sont indirectement (époux, soeur 1, soeur 2).

Certains personnages ne sont pas idenfiés, d’autres le sont.

Les personnages non identifiés se retrouvent dans trois rêves. Un personnage a un rôle social : contrôleur ; un autre personnage est cité à partir de son état : femme enceinte ; le dernier personnage est vague et nommé de façon péjorative : une bonne femme.

Les personnages identifiés se retrouvent dans quatre rêves. Dans 2 rêves il s’agit de son mari, dans un rêve, un personnage de son enfance, le dernier personnage appartient au monde de son travail.

Dans 8 rêves nous ne trouvons pas de personnages inscrits dans les mots-clés. On les retrouve dans la grille "personnages" de la grille.

- Dans 3 de ces 8 rêves, nous ne trouvons aucun personnage excepté la rêveuse (rêves 6, 7 et 11). On peut remarquer que 2 de ces 3 rêves sont relatifs à un entre-deux : "monde" pour le rêve 7 ; "lieu" pour le rêve 11. Le rêve 6 la retient dans un monde difficile où elle est empêchée, malgré ses efforts d’arriver à ses fins : cultiver des plants de fleurs.

- Dans 4 de ces 8 rêves, les personnages existent mais sont en arrière-plan par rapport au déroulement de l’action.

- Dans le dernier de ces 8 rêves (rêve 10), nous avons noté dans la grille de base et dans les mots-clés "eau", "serpent", "fleuve", "surface" comme personnages figurés.

Nous allons reprendre ci-après les différents personnages non compris comme mots-clés dans chacun des 15 rêves analysés.

rêve

personnage identifié

pers. identifié par rôle social

personnages non identifiés

1

 

la caissière

les gens sur la banquette

2

 

aviateur - le compagnon de M.-A.

plein d’enfants - une jeune femme - quelqu’un

3

mari

flics - infirmiers

on

4

 

collègues

spectateurs supposés

5

 

un jeune (collègue)

acteurs de la rumeur

personne (tt le monde)

6

     

7

     

8

   

2 autres

9

 

psychanalyste

 

10

     

11

     

12

   

personnages présents implicitement devant lesquels la rêveuse "explique"

13

   

les gens - on - un homme

14

mari

 

on

15

mari

chauffeur du camion

 

 

On s’aperçoit que par trois fois, nous n’avons pas noté comme mot-clé "mari" (rêves 3, 14 et 15) alors qu’il a été repris comme mot-clé dans les rêves 1 et 8. On peut noter d’ailleurs qu’il est nommé par son prénom et non par "mari" comme dans les autres rêves. Nous allons voir les différents rôles de ce personnage :

Dans le rêve 1, il est supposé accompagner la rêveuse durant toutes les actions, ce qui est repérable par le "nous" utilisé dans le récit jusqu’au moment où il n’y a plus de place dans le train pour eux et qu’elle décide d’aller demander au contrôleur. Elle dit à P. "d’attendre là sans bouger".

Dans le rêve 3, Il est supposé accompagner la rêveuse à une exposition jusqu’au moment où ils sont séparés et qu’elle doit se débrouiller seule. Son "mari" ne réapparaît qu’à la dernière ligne du récit avec "l’intention" de l’accompagner.

Dans le rêve 8, il est supposé accompagner la rêveuse dès le début du récit où les actions sont effectuées sans que l’on discerne lesquels des personnages les font : (3 : elle et 2 autres dont implicitement son mari). Certaines des actions sont faites par tous, d’autres par un seul personnage mais ce n’est pas la rêveuse.

Au dernier paragraphe, on trouve Pierre nommé "qui conduit " la voiture et bien qu’il commence par une marche arrière qui inquiète la rêveuse, il repart en marche avant (à la dernière ligne du récit). La rêveuse se trouve dans une place où l’espace est large.

Dans le rêve 14, il est supposé accompagner la rêveuse dans une promenade en forêt "on était arrivés" puis il disparaît de la scène. On le retrouve à la dernière ligne du récit comme "sauveur" mais simplement pour la réveiller de son cauchemar.

Dans le rêve 15, il "conduit la voiture" dès le début du rêve. C’est lui qui prend les choses en main durant tout le rêve où il doit se sortir d’un chassé-croisé avec un camion. La rêveuse peut faire autre chose (aller sur la banquette arrière, lire un rapport…).

On assiste ainsi à une modification du rôle de ce personnage qui passe d'une position passive et dépendante à une position active. Cette transformation n'est évidemment pas incluse dans le mot -clé ; celui-ci est par contre bien utile pour faire apparaître l'évolution.

- Espaces et lieux

Quatre rêves n’ont pas de référence à des espaces ou lieux, répertoriée dans les mots-clés, thèmes et problématique générale.

Les autres rêves ont une référence soit à un lieu, soit à un espace qui se distribue de la façon suivante :

- lieux de l’enfance : H.

- lieux de voyage : Nice

- espaces : place, trottoir, gare, marécage, escalier, rue, toilettes, parterre, marché, labyrinthe, chemin, rivière, fleuve, surface, forêt, passage, file.

Ce qui frappe à la lecture de ce tableau, c’est la quantité d’espaces différents mais récurrents dans l’ensemble des rêves.

Les rêves où l’espace n’est pas répertorié sont celui où elle se suicide (rêve 13), celui où elle subit une insulte (rêve 9), celui où elle est exposée au risque de jugement ; celui où elle veut détruire la vermine et un des vers résiste (rêve 12). L'espace est donc alors avant tout celui de la relation, le cadre "géographique" dans lequel cette action se déroule étant flou. Réciproquement, cette constatation peut être d'un grand intérêt pratique pour l'abord du rêve.

Participation du rêveur

Il est actif dans 12 rêves, passif dans 10 et spectateur dans 8. Cela montre qu'une double position peut être adoptée successivement dans un rêve. Par exemple, dans le rêve du suicide, la rêveuse se tire une balle dans la tête (actif) puis elle devient spectatrice du monde.

 

Les affects

Concernant les affects, on peut constater qu’ils ne sont pas exprimés dans 6 rêves sur 15. Pourtant, dans chacun d’eux, des éléments amènent à en détecter implicitement.

Nous avons retrouvé des affects implicites dans 14 rêves. De façon plus détaillée :

- l’angoisse est retrouvée dans 8 rêves sur 15. Elle se manifeste par la description de l’action : "je pense que l’on va s’enfoncer" ; par l’atmosphère de la scène : "le soir, il fait nuit…"

- l’envie est retrouvée dans un seul rêve. Elle s'exprime par rapport à ce que possède sa soeur (les billets).

- la déception est retrouvée dans 2 rêves, l’un par rapport à ce qu’elle attendait d’une ville paradisiaque ; l’autre par rapport à l’aboutissement d’un but envisagé.

- le soulagement est retrouvé dans 3 rêves : dans l’un il apparaît à la réalisation d'un but, dans l’autre lorsque une issue est trouvée, dans le dernier lorsqu'une action inquiétante est rétablie dans le bon sens.

- la honte est retrouvée dans 3 rêves : dans l’un, elle est exprimée par rapport à un état qu’il ne faut pas montrer, dans le second devant une action infaisable devant autrui, dans le dernier, au moment d'une insulte.

- la satisfaction est retrouvée dans 1 rêve : une personne qu’elle admire lui sourit.

- l’aisance, le dégoût, l’extase et la décontraction sont retrouvés dans un seul rêve.

 

Finalement, on s’aperçoit qu’un grand nombre d’affects différents sont impliqués dans les différents rêves, même s’ils ne sont pas nommés.

Par ailleurs, nous avons relevé dans 9 rêves une absence anormale d’affects par rapport à la scène décrite. Ils sont liés soit à la description proprement dite comme dans le rêve 1 où P. est "tout petit, seul dans une grande salle" ; soit à un détail mis en valeur comme dans le rêve 3 "robe blanche" ; soit par la représentation que chacun peut avoir d’une scène "être dans un labyrinthe" ou encore "se suicider".

Entre les affects implicites et ceux anormalement absents on peut repérer une différence fondamentale : dans les premiers, c’est la rêveuse qui nous amène par l’organisation de son récit à les percevoir tandis que dans les seconds, elle est retranchée par rapport à l’affect (elle décrit tout simplement une scène) et c’est cela qui nous étonne et nous incite à les entrevoir. Nous utilisons le verbe entrevoir car nous ne savons pas de quel affect il s’agit dans bien des rêves.

Les conflits

- conflit simple

Selon la définition que nous avons donnée de ce type de conflit, nous l'avons retrouvé dans 6 rêves sur 15 selon les modalités suivantes :

- rentrer - ne pas rentrer de vacances (R 1)

- s'émanciper (en suivant l'exemple de sa soeur transgressante par rapport aux valeurs familiales - ne pas le faire (R 2)

- se contrôler - se laisser aller (du point de vue d'un besoin corporel impérieux) (R 4)

- revoir quelqu'un que l'on aime bien - être inspectée, avec le désagrément que cela comporte (R 5)

- privilégier la satisfaction esthétique - privilégier le nécessaire (culture de fleurs - culture de pommes de terre) (R 6)

- se procurer des denrées merveilleuses - ne pas le faire (R 7)

- conflit psychique central

Nous l'avons rencontré dans 11 rêves sur 15

- entrer dans le monde ordinaire dit socialisé ou non (R 1)

- être dans le monde "brillant, moderne, évolué et émancipé" - rester sur son terrain (R 2)

- viser une ascension culturelle et sociale - rester attachée aux valeurs de son enfance (R 3)

- se contrôler - se laisser aller (R 4)

- viser une ascension culturelle et sociale - rester attachée aux valeurs de son enfance (R 7)

- rester à l'écart dans la nature - entrer dans le monde humain "socialisé" (R 8)

- s'attacher et vouloir se faire reconnaître de quelqu'un - risquer son mépris et son abandon (R 9)

- participer au monde de "l'humanité" et être entraînée dans son mouvement - rester au calme (R 10)

- être dans le monde "brillant, moderne, évolué et émancipé" - rester sur son terrain (R 11)

- vivre - se suicider

- être fasciné par la force (et la puissance) d'une personne - mépriser cette personne

- vouloir se faire reconnaître - risquer la critique et le mépris (R 9)

- conflit existentiel central

On le retrouve dans 7 rêves sur 14 :

- avoir une place, être reconnue - être ignorée, méprisée (R 1)

- avoir un espace personnel, conserver sa dignité - perdre sa qualité d'être humain (R 4)

- être reconnu à sa juste valeur - risquer de tout perdre et d'être annulée socialement (R 5)

- créer - ne pas avoir d'espace et de terrain pour le faire (R 6)

- lutter (détruire), défendre sa place, se maintenir - être détruite (R 12)

- se faire reconnaitre (y compris dans sa souffrance) - être ignorée (y compris dans la destruction par autrui) (R 13)

- lutter (détruire), défendre sa place, se maintenir - (être détruite) -> faire marche arrière et s'occuper d'autre chose (R 15)

Dans certains rêves, c'est la réalité elle-même qui entre en conflit avec les aspirations profondes de la rêveuse

 

Complexes

Nous avons relevé les complexes suivants :

- infériorité (R 1)

- infériorité ? (R 2)

- ascension sociale (R 3)

- affirmation de soi. anal (R 4)

- infériorité et affirmation de soi (R 5)

- impuissance (R 6)

- ascension sociale (R 6)

- le gros et le petit (R 8)

- le fort et le faible. Dépendance,abandon (R 9)

- impuissance (R 12)

- fascination et haine (miroir ?) (14)

- impuissance (-> autre puissance) (R 15)

Il y a donc une convergence autour d'une aspiration à l'affirmation de soi vécue souvent dans l'échec, l'impuissance et la confrontation.

 

Rêve de "névrosé" et des autres

 

Une des propositions classiques et importantes à propos du rêve est qu'il existe une relation entre "structure" psychopathologique et façon de rêver. Le rêve ne serait pas construit de la même manière chez le névrosé que chez le cas limite, le psychotique ou le psychosomatique. Encore faut-il définir ce que serait le rêve type d'une de ces catégories au moins.

Dans les 15 rêves, il y en a un seul qui nous semble répondre aux critères du "rêve de névrosé". Il y a un conflit entre un désir : celui de revoir une personne admirée et qui a donné à la rêveuse des signes d'amitié et le prix à payer pour cela : le risque que l'occasion soit une inspection par cette même personne. La rêveuse prend le risque. Dans la deuxième partie du rêve (qui a lieu la nuit suivante), l'inspectrice vient effectivement, va sans doute inspecter quelqu'un d’autre et lui adresse un sourire. On peut donc dire que son désir se réalise, triplement d'ailleurs, car ce sourire se fait en public et que le risque d'inspection concerne "un jeune", ce qui la place bien au sein de ses collègues alors qu'elle craignait l'humiliation publique d'un échec.

Ce qui en ferait un rêve de névrosé, c'est que la réalisation du désir a lieu, que celui-ci se rapporte à une relation d'objet avec une personne identifiée, relation déjà élaborée et symbolique car forgée sur la reconnaissance mutuelle et le partage de valeurs communes. C'est aussi la résolution de la difficulté attenante. L'ensemble est présenté de façon assez légère et ce qui aurait pu orienter le rêve du côté du narcissisme crucial (ce qui était le cas dans la réalité) n'est pas véritablement actualisé. Le rêve a donc reconstruit la réalité sous ses meilleurs auspices.

Dans la plupart des autres rêves, la réalité est présentée de façon beaucoup plus pessimiste - ou réaliste - et la tendance est plutôt au désespoir, à la crainte, au repli ou à la recherche d'une direction. Les conflits sont d'un autre ordre d'importance et envahissent tout le rêve.

 

Représentation et réalisation du désir manifeste

 

Nous avons signalé précédemment la nécessaire distinction entre but et désir. Cette distinction est nécessaire si l'on veut essayer de décrire ce que contient le rêve, étape préliminaire aux hypothèses sur sa fonction.

Dans le rêve n°1, le script fait bien apparaître les nombreuses initiatives que prend la rêveuse et les solutions qu'elle trouve au fur et à mesure que des obstacles jalonnent sa route pourtant initialement parfaitement tracée. On pourrait donc en déduire qu'elle a vraiment envie de prendre son train et qu'il y a là représentation d'un désir. En fait, ses actions sont au service d'un but plus général (de plus haut niveau pour reprendre la terminologie de S & A) que nous n'apprenons que par le contexte du rêve. Quand au désir que l'atteinte de ce but viserait, il n'est jamais évoqué. Dans ce cas, nous ne pourrons pas dire que le rêve contient la représentation d'un désir. Par contre, paradoxalement, il pourrait accomplir un désir : celui de ne pas rentrer et de rester à l'écart d'un monde avec lequel elle ne se sent pas en affinité, en toute bonne conscience compte tenu des efforts déployés. Encore une fois, l'hypothèse de ce désir provient de la connaissance du contexte (y compris celui des autres rêves, puisqu'il y est présenté plusieurs fois).

Dans le rêve n°2, le but est clairement annoncé : une excursion avec sa soeur à Nice. Mais ici aussi nous ne savons rien du désir (partager avec elle un séjour agréable ou bien bénéficier de son avance du côté de l'émancipation pour satisfaire un désir sexuel). Le but est finalement atteint mais le désir ne s'accomplit pas, que l'on se situe dans une perspective ou dans une autre. Par contre, on en a une représentation dans la brève évocation de sa soeur avec son compagnon, et d'une femme seule à côté.

Au total nous avons compté 9 rêves avec représentation du désir auxquels il faut en ajouter 3 pour lesquels la réponse serait indécise.

Nous avons compté 8 rêves d'accomplissement d'un désir, dont 3 avec interrogation (le 1, le 4 et le 8). Outre le premier, nous avons retenu :

- le rêve n° 4 pour lequel il s'agit plutôt de la satisfaction d'un besoin naturel, dissimulée dans la scène du ver de terre. Cela apparaît assez bien dans le script avec l'irruption de la scène du ver de terre dont on se demande ce qu'il vient faire là alors que dans la scène suivante, le but "recherche de toilettes", réapparaît et redevient prioritaire une fois que le but de crise a accompli sa fonction. On peut en déduire que l'obstacle insurmontable qui rend impossible la satisfaction naturelle (la présence de sa soeur et le caractère ouvert du local) est aidé par le fait que le problème initial est déjà résolu. Le désir en cause serait la libération d'un contôle corporel et la sorte de "pied de nez" qu'elle fait en orientant l'attention vers autre chose.

- nous avons déjà décrit le rêve 5

- le rêve n° 8 est un rêve de parcours avec la fréquentation d'un lieu paradisiaque et le retour, après un détour en marche arrière vers les lieux de l'enfance. Le désir se touve peut-être dans le compromis accepté par la rêveuse entre ces trois espaces au sein desquels elle se déplace avec son mari, à pied et en voiture (ce qui est pour elle un symbole important de liberté).

- le rêve 10, en trois phases calme, événement (mouvement)-inquiétude, calme-sérénité est un rêve narcissique, d'état, où la rêveuse n'intervient pas. Elle bénéficie ou subit les variations du milieu.

- le rêve n°12 semble indiquer paradoxalement que la provocation du ver de terre toujours là malgré les moyens employés a une forte résonance avec ce que fut sa vie - et le sens de sa vie - durant son enfance à l'instar du canard du sketch de R. Lamoureux qu'elle cite dans son commentaire. A cet égard, il maintient l'accomplissement d'un désir qui a contrebalancé celui de mort.

- le rêve n°13 est l'accomplissement du désir et de l'acte du suicide (elle pourrait se rêver morte sans que l'acte soit figuré)

- le rêve n°15 accomplit le désir de se moquer des rapports de force et des critiques.

Souvenirs

La relation du rêve à un ou des souvenirs a été retrouvée dans 14 rêves sur 15. Dans 12 directement liés à la première enfance. 2 font référence au contexte récent. 2 font référence à des souvenirs anciens et récents.

- R 1 : train - souvenir de voyages durant l'enfance -> déplacement, alimenté par une croyance et qui ne mène à rien ; gare sans quai -> pays arriéré, sous-développé comme celui de son enfance ; promiscuité et sentiment de déclassement

- R 2 : Nice : à l'opposé symbolique de son pays d'enfance. Sommet du dépaysement ; souvenir personnel de voyage de noces dans le midi, avec passage difficile par Nice ; sa voisine va à Nice en vacances et redoute de prendre l'avion pendant 350 jours par an.

- R 3 : Vuibert, cabine et cuvette, sa soeur A.

- R 4 : relation intéressée puis dégoûtée aux vers de terre ; mauvaise blague du frère ; blessure et varices de la mère

- R 5 : scène récente qui s'est réellement déroulée

- R 6 : jardin de l'enfance et serre du père ; tentative de plantation avortée

- R 7 : marché de la ville de son enfance avec description

- R 8 : manèges des fêtes de son enfance "la ducasse" installés sur les mêmes places que celles du marché, déplacé pour l'occasion

- R 9 : scène qui s'est déroulée réellement avec son père

- R 10 : fascination et crainte durant l'enfance devant les images de St J.-B.

- R 11 : voyage en bus à partir de ou vers la ville de son enfance

- R 12 : souvenirs directs de sa mère éliminant la vermine et réanimant sa fille ; contexte actuel blocage dans parking

- R 13 : désir réitéré de suicide dont la menace permanente, de la part de ses soeurs, faisait partie de la vie familiale

- R 15 : souvenirs récents dans le milieu professionnel de porte d'entrée bloquée par un autre véhicule et de critiques malveillantes

Nous avions pensé initialement que les souvenirs que nous trouverions dans les rêves seraient associés à des traumatismes. Tout dépend évidemment de ce que l'on considère comme un traumatisme. Par exemple, le voyage en bus évoque chez elle une très grande angoisse parce qu'il produit une perte de ses repères d'espace et de temps (elle ne voit rien, ne sait pas où elle est, ni quand elle arrivera). La rencontre d'un camion qui la bloque produit un sentiment de risque et néantisation potentielle. Par contre, dans au moins deux rêves, le souvenir a un statut de repérage et d'étayage positif . Cela conduit à réexaminer l'hypothèse initiale et à envisager que les souvenirs, traumatiques ou non, mais prégnants puissent intervenir comme des méta-représentations de la relation à la réalité dans ses différentes composantes (ambiance, cycles, dépaysement, relation à l'autre, projet).

Dans ce cadre, l'abréaction traumatique et la réparation constituante seraient des cas particuliers intervenant comme une amélioration partielle, une mise à jour du système de repérage et de son "confort". Nous trouvons dans les 15 rêves un rêve d'abréaction et de pré-réparation "Vous me traitez de racaille", et un rêve de reconstruction, celui de "Mme David".

 

Crainte

 

L'expression d'une crainte apparaît dans 12 rêves sur 15. Elle concerne :

- R 1 : ne pas arriver à mener à bien ses actions ; être déclassée, traitée comme du bétail, déportée, accomplir des actions et des efforts pour rien, tout devoir assumer

- R 2 : faire un voyage sans billet et qui conduit à une situation scabreuse, de ne pas retrouver son chemin

- R 3 : être ramenée dans les bas-fonds, subir la déchéance comme les malades mentaux

- R 4 : être vue, exposée, moquée ; horreur du ver

- R 5 : être inspectée ; { perdre l'estime de la personne aimée} { être déchue vis-à-vis de ses collègues}

- R 7 : être enfermée, de ne pas trouver d'issue, de tomber, de perdre son accrochage à la réalité physique

- R 8 : faire marche arrière et se trouver dans un chemin sans issue

- R 9 : être abandonnée (et méprisée)

- R 10 : être entraînée dans un fleuve tumultueux

- R 11 : être perdue

- R 12 : être bloquée dans ses mouvements (en voiture)

- R 14 : de la folie des autres (qui la fascine)

Toutes ces craintes concernent l'être de la personne, dans ses différentes composantes avec le risque d'une perte de soi, de ses repères et finalement de la réalité qu'elle a pu acquérir.

- A noter que dans R 6, la rêveuse se conforme à toutes les règles d'espace et de priorité des plantations, alors que dans la réalité l'arrachage des pousses de lilas qu'elle avait essayé de replanter avait représenté pour elle une réel traumatisme.

 

Narcissisme

Le narcissisme, selon le double axe que nous nous sommes proposé d'adopter : problématique narcissique - repérage narcissique se retrouve dans 14 rêves sur 15

 

Plans d'actions

Nous avons retrouvé un plan d'actions dans 10 rêves sur 15.

Suivant la définition qu'en donnent S & A, nous entendons par plan d'action l'information générale qui concerne la façon dont les acteurs atteignent leurs buts, l'ensemble des choix dont ils disposent pour atteindre un but. C'est une suite d'actions projetées pour réaliser un but.

R 1 : arriver à prendre le train

R 2 : accomplir un voyage (prendre des billets, se rendre à l'aéroport, retrouver son chemin, rentrer)

R 3 : (se diriger vers une salle) ; faire face à un incident : le masquer momentanément, chercher une solution définitive (toilettes)

R 4 : chercher des toilettes et faire face à un incident

R 5 : donner une enveloppe pour faire venir l'inspectrice

R 6 : cultiver un petit parterre et préparer le terrain

R 7 : chercher une issue puis à obtenir des objets

R 8 : (sortir d'une position bloquée en se faisant conduire) ; se débarrasser des vers

R 13 : se tirer une balle dans la tête pour se suicider et en observer les effets

R 15 : sortir d'une position bloquée en reculant, en se faisant conduire et en faisant autre chose

Le fait qu'il y ait une logique interne de même ordre que l'on retrouve dans différents rêves, que des situations se soient posées de façon analogue selon les commentaires, va plutôt dans le sens d'une construction préalable par un "organisateur d'actions" ou celui d'une organisation par une "syntaxe attractrice" antérieure plutôt que dans celui d'un auto enchaînement aveugle des actions, par contiguité.

 

 

 

 

Résumé des niveaux d’analyse

 

- 1° niveau : éléments objectifs trouvés dans le texte (18 items)

scénario, actions, enchaînements et issues, personnages, temps, lieu(x), affects et sensations, désirs exprimés, valorisation d’éléments, opacités, termes récurrents, ambigus, position subjective (actif, passif, spectateur), souvenirs évoqués, distance

organisation générale du rêve

interprétation langagière (reformulation et présentation d’une signification basale)

mots-clés, thèmes, problématique générale (appuyée sur l’enchaînement des actions, notamment les choix, les conflits, les obstacles rencontrés par le personnage central)

- 2° niveau : introduction du contexte immédiat au rêve et de l’histoire

vie actuelle

commentaire sur le rêve

événements de la cure

"formes" issues d’autres rêves

histoire du patient

3° niveau : exploration des finalités et fonctionnalités du rêve

cohésion de souvenirs récents : ceux-ci devraient être retrouvés et apparaître significatifs

présentation d’une pensée "neutre"

présentation d’un désir

présentation d’un conflit existentiel central

achèvement de tâche, abréaction, élaboration de souvenir, construction de la réalité du moi

4° niveau : Introduction du commentaire actuel

donne de nouveaux éléments

permet de mesurer l’évolution par rapport au contenu du rêve

distance par rapport aux événements et à la problématique (le sujet peut porter un regard sur ses actions, peut associer)

méta-conceptualisation (interprétation du rêve et de la problématique qu’il pose, par rêveur)

 


Dernière mise à jour : 6/09/05

Dr Jean-Michel Thurin