Les Professionnels
Le
déploiement de la psychiatrie vers le champ de la santé mentale
se fera avec les professionnels
« Malaise en psychiatrie ! Malaise chez les psychiatres[1] » !
« La crise de la psychiatrie, c’est avant tout la crise des psychiatres ![2] »
« Quelle psychopathologie faut-il pour intégrer la nouvelle donne pharmacologique ? [3]» et nous ajoutons : la nouvelle donne sociale et psychothérapique?
Les principes d’organisation et les formations des professionnels ne correspondent plus aux évolutions sociales, ils sont vieillissants et sclérosés. Les formations initiales et/ou continues n’ont pas supprimé l’isolement des métiers de la santé mentale. La réalité médicale, psychologique et sociale de l’homme, l’évolution des concepts, des techniques, de l’expression des besoins posent avant tout le problème d’une redéfinition des formations, des métiers et des statuts puisqu’il paraît manifeste que les compétences des uns et des autres sont utilisées de manière inadéquate. « Le sujet est-il toujours l’objet de la psychiatrie ? » s’interroge à longueur d’ateliers un récent congrès de psychiatrie !
L’enfermement intégral dans le soin entraîne globalement une ignorance des dispositifs adjacents qui apparaissent trop souvent étrangers, exclus et rejetés comme autres dans ce travail et dans la dignité de ce qui est produit. Ce décloisonnement est aussi une obligation future de la santé mentale. On se heurte surtout à la timidité ou aux limites des professeurs français en ce qui concerne la dimension sociale. Mais un enseignement calqué sur la sociologie serait également incomplet.
Comment ne pas constater que la pensée psychiatrique française est ici en plein recul ? Comment ne pas constater que l’on ne veut plus, que l’on ne sait plus tendre la main aux professionnels des pays francophones (au moins) ? Comment ne pas constater que, sous prétexte que l’on a tant à faire aujourd’hui en France, on se replie dans un hexagonisme frileux, dans l’ignorance des évolutions de nos voisins européens dans ce domaine ? La conséquence est nette, l’enrichissement réciproque dû aux échanges et aux voyages professionnels se tarit.
Le manque de
« pensée psychiatrique » en France, à
commencer par le niveau universitaire, comme tout vide, aspire ce qui vient
d’ailleurs. Cet ailleurs c’est l’Amérique du Nord (USA
et Canada), ailleurs marqué par le business et l’argent,
Amérique qu’on prend comme modèle alors que l’OMS a
remis à sa place et les USA et le Canada. Ce sont toujours les
mêmes qui se replient frileusement, les autres -et dans le monde entier
c’est la même chose- se laissent activement corrompre.
« Il
s’est constitué au fil des années un large domaine
théorico-pratique diversifié, où coexistent et se
superposent, partiellement ou largement, les différents métiers
de la santé mentale [4]».
Aucun des acteurs actuellement sur
le terrain n’est complètement formé, dans les cursus
officiels, pour répondre à la réalité
rappelée ci-dessus, ni les médecins, ni les psychologues, ni les
travailleurs sociaux, ni les infirmiers…
Les maladies et souffrances psychiques font globalement appel à divers types de réponses sanitaires qui peuvent bien entendu se cumuler :
§ des réponses techniques dans le cadre d’une relation individuelle avec la personne souffrante. Ces techniques sont de différents niveaux et l’on peut grossièrement les diviser en trois grandes catégories :
1- réponses utilisant les moyens pharmacologiques ou autres techniques issues des recherches neuro-biologiques ou génétiques, dont la prescription est de la compétence exclusive des médecins ;
2- réponses utilisant les diverses techniques psychothérapiques (d’inspiration psychanalytique ou non) ;
3- réponses associant les deux premières, également de la compétence exclusive des médecins ;
§ des réponses dans le cadre du travail en groupe, réponses faisant référence à diverses théories et modalités techniques en fonction des problèmes à traiter (thérapies familiales, psychodrames, post-traumatismes, comportementalisme…) ;
§ des réponses en direction et avec des intervenants partenaires dans les réseaux (sanitaires, médico-sociaux et sociaux) par des techniques de supervision, de groupes Balint, de formation, de réflexions institutionnelles…et des réponses plus globales par la participation des acteurs de la santé mentale aux instances de réflexion, de décision, d’organisation, de suivi et d’évaluation d’actions de dimension plus large de Santé Publique.
Actuellement tous les professionnels sont de plus en plus formés,
dans les formations initiales comme dans les continues, à une pratique
éloignée de celle qu'ils vivent régulièrement sur
le terrain.
Parfois les formations restent cloisonnées et trop
spécialisées, reprenant en miroir les cloisonnements statutaires
ainsi que les cloisonnements institutionnels.
Les psychiatres sont, à l’heure actuelle, formés de manière inégale et sans doute incomplète .
En pratique publique, un problème majeur saute aux yeux : l’absence de formation à l’animation et la gestion d’équipe pluridisciplinaire. Où le psychiatre a-t-il appris à animer une équipe ? Nulle part ! La psychiatrie publique souffre, sur ce point, d’une double médiocrité :
§ l’absence de formation des psychiatres et donc leur insuffisance dans ce domaine, la notion de soins indirects est négligée, si ce n’est écartée, par les responsables.
§ la même chose en ce qui concerne l’encadrement infirmier du fait des inégalités criantes dans les écoles de cadre,
§ le télescopage catastrophique de ces deux pouvoirs sans connaissance ni volonté de dynamique institutionnelle sur le dos des utilisateurs et des personnels « non-chefs ».
Mais
d’autres manques existent dans la formation initiale : des notions
de base de santé publique, des bases solides dans les trois dimensions
biologique, psychologique et sociale, l’une n’étant pas
privilégiée par rapport aux autres.
Ils
devraient être, par leur formation de base, compétents pour
appliquer les techniques psychothérapiques. Toutefois, les stages
compris dans leur formation de base sont très inégalement
organisés, laissant trop souvent les étudiants seuls pour les
trouver et s’y faire admettre. Cette mauvaise organisation allant de pair
avec une inégalité des contenus et de la validation de ces
stages. Leur formation initiale manque souvent aussi d’une
préparation au travail en équipe et à l’exercice
hospitalier.
Quant
à la formation continue en 1/3 temps, si cette formule est
exceptionnelle et respectable, il serait certainement juste que des
contrôles soient effectués quant à la réalité
des formations suivies.
Les infirmiers DE sont à ce jour, inégalement formés selon les IFSI, sur le plan de la santé mentale.
Ils assurent, en soins à temps plein ou en ambulatoire, un travail spécifique dans le cadre de suivis individuels ou de groupe, basés sur des techniques d'entretiens (accueil, accompagnement vie quotidienne, soutien et suivi à visée thérapeutique et psychothérapique.)
Mais force est de constater que :
§ la réforme des études en 1993 a considérablement diminué le volume horaire de formation en psychiatrie : actuellement 400h pour 4715h de formation
§ le réaménagement en cours des contenus de la formation initiale prévoit de diminuer les stages en psychiatrie (ainsi qu’en médecine et chirurgie)
§ le peu de connaissance et de reconnaissance de leurs pratiques professionnelles
§ l’augmentation significative des demandes faites aux infirmiers, qu'il devient de plus en plus difficile d'assumer avec la qualité requise
§ le manque d'attractivité de plus en plus flagrant de la psychiatrie pour les jeunes infirmiers. En moyenne moins de 1 étudiant sur 30 choisit cette voie à la fin de ses études.
§ la pénurie d'infirmiers constatée dans certains services de psychiatrie, qui s'aggrave de plus en plus, suivant en cela la tendance générale française et européenne.
§ la diminution progressive des « anciens » infirmiers psychiatriques, due aux départs naturels, limitant ainsi le compagnonnage et le tutorat qu'ils pouvaient mettre en place pour résoudre une partie des difficultés constatées
§ les difficultés d’adaptation actuelles en psychiatrie des jeunes infirmiers DE
De fait, de nombreux membres de la profession revendiquent la mise en place d’une spécialisation en santé mentale pour les infirmiers :
§ évoquant une recommandation européenne des 15 et 16 avril 86 qui demandait la promulgation d'une directive européenne visant à la mise en place d'une spécialisation pour les soins infirmiers en psychiatrie ;
§ affirmant que « tous les pays de l'UE qui avaient une spécialisation et l'ont abandonnée le regrettent et tous ceux qui n’en ont pas en souhaitent la mise en place. »
Si
la pénurie commence à toucher les infirmiers elle est, par
contre, chronique en ce qui concerne les travailleurs sociaux. Leur
participation aux actions en santé mentale les a toujours placés,
auprès des usagers, à l’interface entre le travail sanitaire
et le travail social. Ils ont été parmi les acteurs importants
qui ont permis à de très nombreuses personnes exclues dans les
anciens asiles de sortir de ces lieux en récupérant leurs droits.
Ils
sont maintenant dans une phase de diversification de leur corps
professionnel (il n’y a plus
seulement des assistants sociaux mais aussi des éducateurs
spécialisés, des animateurs, des éducateurs techniques,
des aides médico-psychologique, etc) et devant la
nécessité d’une réflexion sur leurs formations, la
redéfinition de leurs objectifs, de leurs rôles respectifs et de
leurs fonctions dans le cadre de l’évolution de la psychiatrie
vers le champ de la santé mentale.
Ils sont une partie
importante de l’avenir de cette évolution de la même
façon qu’ils l’ont été pour le passage de
l’asile vers la psychiatrie de secteur dans les années 70-80.
Toutefois, les travailleurs sociaux sont incomplètement préparés au cours de leur formation initiale à la dimension santé publique de leur exercice professionnel.
Ils sont bien
souvent en première ligne et on sait qu’une part importante de
leur clientèle relève de soins faisant appel à des
médicaments psychotropes et/ou à des techniques
psychothérapiques. Leur formation initiale les prépare très
peu et mal pour ces traitements.
Actuellement, un
étudiant en soins infirmiers a plus d’heures de cours et de stage
en psychiatrie qu’un étudiant en médecine !!!
De ce fait il
n’est pas surprenant que les prescriptions
de psychotropes des généralistes soient souvent
surdimensionnées, et que leur exercice de la psychothérapie soit
peu qualifié.
Aucune formation
spécifique aux enjeux posés par l’organisation des soins
psychiatriques ni à la santé mentale n’existe dans le cursus
de formation des personnels de direction. Cette carence explique en partie la
gestion forcément hospitalo-centriques des établissement de
santé mentale ayant vocation au contraire, à fonctionner en
réseau ouvert sur la cité.
Lorsque l’on regarde l’évolution des
pratiques dans des pays comparables au notre, force est de constater
qu’insensiblement les psychiatres s’orientent majoritairement vers
une spécialisation dans la sphère « médicale »
et dans une fonction d’experts. Ceci est également le cas en
France mais, pour l’instant, dans une moindre mesure. Cette
évolution, qui serait liée au libéralisme et au managed
care, est soutenue par des décideurs. Il convient, selon nous, que le
médecin (et en particulier le psychiatre) reste un soignant, un
thérapeute et un psychothérapeute pour ce qui concerne les
psychiatres. Pour la pratique publique, nous l’avons dit, le psychiatre
doit animer une équipe travaillant dans la proximité des lieux de
vie des patients.
L’influence de
l’industrie pharmaceutique mondialisée, avec la caution
scientifique de quelques psychiatres, universitaires ou non, payés
confortablement par les laboratoires est
problématique et de plus en plus préoccupante.
Pour être bref : les tentations
permanentes auxquelles sont soumis les praticiens, toutes disciplines
confondues (car il n’y a pas de spécificité psychiatrique
dans cette matière), en
transforment quelques-uns et risquent
d'en transformer de nombreux autres, en toute discrétion, en corrompus
passifs.
Les
pouvoirs publics se sont, depuis longtemps, désengagés du
financement de la recherche en santé mentale. Ainsi, aucune unité
INSERM ou CNRS n’est actuellement dédiée à ce
thème. Seules quelques thématique ciblée se retrouvent,
plus ou moins saupoudrées dans diverses unités (ex : le
suicide ou l’Alzheimer).
Ce
désengagement entraîne des conséquences en cascade beaucoup
plus préoccupantes encore. En effet les plus engagés dans ces
travaux de recherche sont obligés de se tourner vers l’industrie
pour les financer. D’où, et c’est dans la nature des choses,
des orientations biaisées dans le sens des intérêts
à court (parfois à moyen terme) des firmes multinationales qui sont
passées maîtres pour l’élaboration de
stratégies commerciales subtiles. Tant dans ce domaine que dans
d’autres, elles sont, actionnaires obligent, à la recherche de
profits à court terme.
Pour
progresser dans cette hiérarchie il faut publier des recherches. Le lien
est donc très étroit et permanent. Qui plus est, ceux qui
dirigent la recherche sont, en France, ceux qui contrôlent
l’enseignement. Ceux qui dirigent l’enseignement influent sur les
grandes orientations de cet enseignement.
Et
c’est ainsi que les psychiatres qui sortent actuellement de
l’Université (tendance accentuée par le numerus clausus)
ont une formation incomplète, en tout cas n’ont pas de formation
sérieuse sur les théories et les pratiques
psychothérapiques (sauf les « brèves »
moins coûteuses pour les assurances) ni sur la santé publique, ni sur les pratiques en
secteur, ni sur l’animation d’équipe, car cela
n’intéresse pas l’industrie pharmaceutique.
Toutefois
il faut noter qu'une réflexion est en cours (au sein du CNUP et de la
FFP) pour revoir le contenu de la formation initiale des futurs psychiatres.
De
même, certaines firmes pharmaceutiques développent des programmes
de soins et insertion et des conseils aux usagers. Quelques-uns de ces
programmes sont ambitieux et les recherches sont financées sans
référence apparente aux produits fabriqués. De plus,
l’industrie pharmaceutique participe fortement à
l’organisation des Enseignements Post-Universitaire. Un parrainage et un
partenariat honnêtes, dans lequel la part publique ne devrait plus
être négligeable sont toujours possibles, mais ils
nécessiteraient un encadrement plus strict visé par des
organismes publics indépendants.
L’ordonnance
instituant la multitude des statuts de praticiens travaillant dans la fonction
publique hospitalière ne correspond plus aux besoins de notre temps et
peut même être considérée comme un frein important
pour l’évolution du système.
La
situation sur ce plan n’est pas l’apanage de la psychiatrie et y
remédier doit être considéré comme une urgence
nationale.
Nous
l’avons déjà souligné : les
inégalités de répartition sont flagrantes (cf.
Première partie de ce rapport : « La démographie
médicale »).
Pour
la psychiatrie il faut, se rappelant que la France est le 2ème
pays au monde en nombre de psychiatres par habitant (actuellement près
de 13 000 psychiatres en France), le paradoxe est frappant.
Une
norme ancienne (avant que les missions de la psychiatrie publique
sectorisée ne connaissent l’inflation de ces dernières
années) définissait les besoins, en psychiatrie
générale, à environ 1 psychiatre pour 10.000 habitants, soit 6000. Si l’on ajoute les psychiatres
s’occupant particulièrement des enfants et adolescents, on obtient
un effectif d’environ 8.000 praticiens pour la psychiatrie publique. Nous
sommes actuellement bien en dessous de l’effectif global des psychiatres
en France mais cela manifeste le déficit en psychiatres publics
qui ne sont qu’un peu moins de 5.000 et dont la raréfaction est
prévisible si rien ne change.
En
effet, chaque année ne sont formés que 176 nouveaux psychiatres,
ce qui ne permet pas le renouvellement des effectifs globaux existants. Ces
jeunes psychiatres restent, pendant leur formation, essentiellement dans les
services universitaires et se dirigent très majoritairement, à la
fin de leurs études, vers la pratique
« libérale », s’installant le plus souvent
à proximité des universités, dans les zones fortement urbanisées.
Le
déficit démographique touche, au niveau européen, et ce de
façon de plus en plus importante, les infirmiers. Certains pays
européens ont d’ores et déjà programmé des
« importations » massives d’infirmiers venant soit
d’Espagne, soit de Pologne, soit encore d’Asie, pour combler
rapidement ces déficits prévisibles.
[1] Dr Thierry Trémine, Rhizome n° 3
[2] Dr M. Marsili, Dijon, juin 2001.
[3] La question est posée par Alain Ehrenberg, dans « La fatigue d’être soi », Odile Jacob, 1999
[4] Dr S. Kannas, Mission Nationale d’Appui à la Santé Mentale
suite
Dernière mise à jour : jeudi 6 septembre 2001 17:11:34 Dr Jean-Michel Thurin |