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B I O L O G I E J A L O N S

DÉPRESSION À LA NOUVELLE-ORLÉANS

(COMPTE RENDU DU CONGRÈS ANNUEL DE LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE DES NEUROSCIENCES, 20-25 OCTOBRE 1997)

Renaud de Beaurepaire
 
Le 27ème congrès américain de la Society for Neuroscience s'est tenu en octobre dernier à La Nouvelle Orléans avec une affluence encore plus importante cette année que les années précédentes (environ 14 300 communications, et près de 30 000 personnes présentes). Comme toujours, beaucoup de communications concernaient la psychiatrie et les psychotropes. Nous rendons compte ici de celles qui avaient trait à la dépression. Elles étaient trop nombreuses pour les rapporter toutes en une seule fois. Nous avons traité dans une première partie du mode d'action des antidépresseurs. Dans cette deuxième partie, nous traiterons du mode d'action des thymostabilisateurs et des électrochocs, ainsi que des modèles animaux de dépression, et des études d'imagerie cérébrale.
 
 

DEUXIÈME PARTIE :

THYMOSTABILISATEURS, ÉLECTROCHOCS, IMAGERIE CÉRÉBRALE

MODE D'ACTION DES THYMOSTABILISATEURS

Les recherches sur le mode d'action du lithium et des thymostabilisateurs sont toujours très actives. Derrière, il y a la compréhension du mécanisme biologique de la régulation de l'humeur, un enjeu de taille, et il y a aussi le développement de nouveaux thymostabilisateurs, autre enjeu non négligeable.

Thymostabilisateurs et inositol

Même si elle est toujours sujette à de nombreuses discussions, la théorie de la déplétion en inositol est la théorie la plus largement acceptée pour expliquer l'effet thérapeutique du lithium. Selon cette théorie, le lithium bloquerait le cycle des phosphatidyl-inositol, ce qui aurait pour effet de diminuer l'accumulation de calcium dans la cellule ; cette diminution de calcium affaiblirait l'excitabilité cellulaire, l'effet du lithium étant finalement de réduire l'excitabilité cellulaire, c'est-à-dire la transmission neuronale, dans certaines structures clés du cerveau, clés parce qu'anormalement excitées, ou excitables, au cours des variations pathologiques de l'humeur.
Bebchuk et Manji ont cherché à vérifier cette hypothèse in vivo, chez des maniaco-dépressifs. Il est en effet possible d'apprécier la teneur cérébrale en myo-inositol en utilisant la spectroscopie par résonance magnétique. Ils ont recherché, par cette technique, la concentration en myo-inositol dans les cortex frontal et occipital de patients bipolaires avant traitement, puis environ une semaine, et ensuite un mois, après le début du traitement. Ils ont observé que le myo-inositol est significativement et durablement diminué par le lithium dans le cortex frontal des patients, et pas dans leur cortex occipital. Ces résultats (qui sont différents de ceux que l'on observe chez l'animal, où la teneur en inositol ne change pas dans le cortex frontal, mais seulement dans l'hypothalamus, après lithium) demandent à être corrélés à l'amélioration clinique, ce que les auteurs se sont proposés de faire.
Une autre équipe de chercheurs, Gomez et coll, ont utilisé une méthode très originale pour tester la sensibilité au lithium chez les malades bipolaires ; sachant que le cycle de l'inositol est le second messager des neurones olfactifs, ils ont prélevé des neurones olfactifs (biopsie très facile à faire dans la cavité nasale) chez des bipolaires et des contrôles, et ont testé l'effet du lithium sur la sensibilité de ces neurones à différents principes odorants. Les neurones prélevés chez des sujets sains se sont révélés insensibles au lithium, alors que la réponse aux odorants a été sensibilisée par le lithium dans 50 % des neurones des bipolaires. Étant donné les liens entre le cycle des inositols et la production de calcium, les auteurs ont conclu que le lithium agit bien en modifiant la teneur en calcium intracellulaire ; ils pensent aussi que les neurones olfactifs, facilement accessibles, constituent un matériel technique unique pour étudier les bases biologiques des troubles de l'humeur.
Une autre façon originale d'approcher le rôle de la déplétion en inositol pour expliquer le mode d'action du lithium, a été la découverte que le L-fucose, qui est un inhibiteur du recaptage de l'inositol, est capable de potentialiser l'effet du lithium. Cette voie de recherche a été utilisée par Einat et coll qui ont montré que le
L-fucose potentialise l'effet du lithium sur un modèle d'épilepsie. Ces résultats ne sont obtenus qu'avec une injection intracérébrale d'une très forte dose de fucose, mais pas en chronique, ni avec des doses plus faibles. Même partiels, ces résultats apportent un nouvel argument à la théorie de la déplétion en inositol.
Selon d'autres expériences, les liens entre lithium et inositol sont plus complexes que le voudrait la simple théorie de la déplétion en inositol. Talpalar et coll ont étudié, in vitro, l'excitabilité de différentes populations de neurones hippocampiques, et l'effet du lithium, ou de l'inositol, ou des deux, sur ces excitabilités. Il est apparu que le lithium a des effets très différents d'un neurone à l'autre, et d'une population neuronale à l'autre, excitateurs dans certains cas, inhibiteurs dans d'autres, alors que l'inositol (même en présence de lithium) a des effets inhibiteurs de l'excitabilité dans tous les cas. Pour les auteurs, ces résultats montrent que la théorie de la simple déplétion en inositol est plus complexe qu'il n'y parait, l'effet du lithium dépendant probablement d'autres facteurs que de son effet sur l'inositol. En fait, la théorie de la déplétion en inositol est surtout en mesure d'expliquer l'effet antimaniaque du lithium, alors que l'inositol aurait un effet plutôt antidépresseur. D'où l'idée des auteurs que le lithium a plutôt un effet dépressogène (Talpalar fait partie du groupe de Belmaker, qui défend depuis longtemps cette idée). Les propriétés potentiellement antidépressives de l'inositol ont été étudiées par Kofman et coll (qui ont rappelé que l'inositol a été proposé dans le traitement de la dépression, des TOC et des attaques de panique) ; ils ont ajouté du myo-inositol à l'alimentation habituelle de rats, ce qui a eu pour effet d'augmenter significativement leur activité locomotrice, sans modifier leur comportement à des tests prédictifs d'une activité, tels que le test de Porsolt ; les effets qualifiés d'antidépresseurs de l'inositol pourraient donc être seulement liés à ses propriétés psychostimulantes.
 

Thymostabilisateurs et neuroplasticité

Une des conséquences du blocage du cycle des inositols par le lithium est que l'inositol monophosphate inutilisé s'accumule dans les neurones, de même que son métabolite, le DAG (diacyl-glycérol), et l'activité de la PKC (protéine kinase C, enzyme de dégradation du DAG) va être très modifiée. Pour beaucoup d'auteurs, l'effet du lithium tient beaucoup à cette modification d'activité de la PKC. Il semble assez bien établi aujourd'hui qu'un traitement chronique par le lithium, en modulant l'activité de la PKC, modifie très spécifiquement l'activité transcriptionnelle ou post-translationnelle de certains gènes cibles. Certains de ces gènes codent pour des protéines qui interviennent dans la plasticité neuronale. Plusieurs auteurs ont ainsi recherché si les effets du lithium sur la PKC auraient pour conséquence des modifications de la plasticité cérébrale. Osada et coll ont montré qu'un traitement chronique par le lithium produit une translocation de la PKC cytosolique vers la membrane, et une augmentation de la phosphorylation de la protéine GAP-43. Cette protéine est un substrat de la PKC, et l'augmentation de sa phosphorylation témoignerait d'une augmentation d'activité de la PKC (ce sur quoi, il faut le dire, tous les auteurs ne s'accordent pas) ; mais l'important est d'avoir montré que le lithium active la protéine GAP-43 qui est un facteur neurotrophique essentiel dans le développement et la plasticité des neurones du cortex (de très nombreuses communications du congrès étaient consacrées aux propriétés neurotrophiques de cette protéine).
Un autre substrat de la PKC est la protéine MARCKS (myristoylated alanin-rich C kinase substrate), protéine qui a des propriétés neurotrophiques et à laquelle se sont intéressés certains chercheurs ces dernières années (voir Dépression N° 7). Watterson et coll ont étudié in vitro les effets de l'acide valproique sur l'expression des protéines GAP-43 et MARCKS sur des cellules immortelles d'hippocampe. L'acide valproique diminue l'expression de la protéine MARCKS et augmente celle de GAP-43, des effets situés au niveau de la membrane des neurones et accompagnés par des changements morphologiques de ces neurones (augmentation de la longueur et du nombre des prolongements neuritiques, avec diminution de la vitesse de croissance neuronale).
Il est donc clair que le valproate a des effets neurotrophiques, et ces effets semblent proches de ceux du lithium. Deux chercheurs de la même équipe, Watson et Lenox, ont montré que le lithium diminue la teneur en protéine MARCKS dans ces mêmes cultures de cellules hippocampiques immortalisées ; ils ont aussi montré que dans ces cellules, le lithium produit une accumulation de DAG/CMP-PA, et que cette accumulation est bloquée par l'apport d'inositol ou d'un antagoniste cholinergique. Cette intervention de l'acétylcholine conduit les auteurs à penser que l'action du lithium ne se fait que dans certaines régions critiques du cerveau, et lorsque sont activés les récepteurs liés au cycle des l'inositol dans ces régions ; le lithium agirait alors en modifiant l'expression de la protéine MARCKS, ce qui produirait des changements neuroplastiques tels que la circuiterie synaptique se trouverait modifiée.
De leur côté, Chen et Manji ont étudié les effets du lithium et du valproate sur la voie qui passe par le PKC et la modulation de l'activité des facteurs de transcription, tels que ceux de l'AP-1 ; ils ont observé que le valproate exerce des effets modulateurs de
l'AP-1 en présence d'un inhibiteur de la PKC, ce qui démontre que le valproate agit par un mécanisme indépendant de la PKC. Les auteurs ont alors étudié les effets du lithium et du valproate sur un autre modulateur de l'AP-1, une enzyme appelée GSK-3 (glycogène synthétase kinase 3, une protéine qui, outre son rôle dans la phosphorylation des facteurs de transcription, agit sur la plasticité neuronale en favorisant les contacts entre les neurones par l'intermédiaire de molécules appelées cadhérines) ; ils ont montré que le lithium et le valproate ont en commun d'inhiber la GSK-3. Hope et Perry ont aussi mis en évidence, par une technique différente, un effet inhibiteur du lithium sur la GSK-3.
En conclusion, la théorie initiale qui voulait que les thymostabilisateurs agissent en modifiant l'excitabilité neuronale (en diminuant le calcium) tend aujourd'hui à être remplacée par une théorie qui voudrait que l'action de ces molécules passe par des modifications plastiques des réseaux neuronaux. Toutefois, concernant plus spécifiquement les effets du lithium et du valproate sur l'AP-1, tous les auteurs ne s'accordent pas sur le mode d'action de ces deux molécules. Ainsi, Asghari et coll ont observé que si le lithium et le valproate augmentent bien le binding de l'AP-1 en aigu, le valproate est le seul à l'augmenter en chronique ; l'effet du valproate en chronique est aussi différent de celui du lithium pour ce qui est de l'induction de c-fos et celui des FRAs (fos-related antigens). Ces résultats montrent donc que le valproate a un effet sur les propriétés inductrices de la PKC, mais peut-être par un mécanisme différent de celui du lithium. Des chercheurs de l'équipe de Manji, Yuan et coll, ont retrouvé des similarités d'effets dans l'action du lithium et du valproate sur les facteurs de transcription de l'AP-1. Ils ont montré que quand existe une mutation de l'AP-1, les deux molécules perdent leur capacité commune d'augmenter l'expression d'un gène reporter (produit par l'AP-1). Ils ont aussi montré que le lithium et le valproate augmentent l'expression du gène de la tyrosine hydroxylase, et celui de la prodynorphine. Les auteurs ont proposé que les thymostabilisateurs agissent en coordonnant l'expression de différents ensembles de gènes, parmi lesquels celui de l'AP-1 aurait un rôle critique.
D'autres cibles des thymostabilisateurs ont aussi été proposées pour expliquer leurs propriétés plastiques. Deux communications de l'équipe de Manji ont proposé de nouvelles voies à explorer. Ikonomov et coll ont étudié les effets du lithium sur deux gènes très impliqués dans la différenciation neuronale, les gènes de la gépyrine, et de l'ETO. Ils ont observé que 5 semaines de traitement par le lithium diminuent l'expression du gène de la géphyrine, et augmentent celui de l'ETO, dans le cortex frontal du rat. Manji et coll ont aussi isolé un fragment d'ADN dont l'expression est très augmentée par le lithium dans le cortex. Ils ont identifié ce gène comme homologue à celui d'un facteur de transcription connu chez la souris, le PEBP2 (polyomavirus enhancer binding protein 2), qui a un rôle essentiel dans le développement neuronal et l'apoptose ; l'expression de ce gène est aussi augmentée in vitro par le valproate.
A côté de ces mécanismes qui passent pas les seconds messagers et les gènes, les thymostabilisateurs ont d'autres effets sur la plasticité cérébrale. Terry et coll ont montré que le valproate modifie l'expression de la protéine NCAM, qui est une molécule de la différenciation cellulaire active durant le développement du système nerveux. L'expression de la NCAM est très diminuée par le valproate dans le tube neural embryonnaire, ce qui retarde la différenciation neuroblastique. On peut se demander si ce type d'effet, tout comme certains effets sur la plasticité neuronale décrits précédemment, ont un rapport avec les propriétés thymostabilisatrices de ces molécules, ou s'ils ne seraient pas plutôt en rapport avec les effets tératogènes connus du lithium et du valproate. D'un autre côté, le lithium et la valproate paraissent avoir de réelles propriétés neuroprotectrices sur certains modèles. Par exemple, Nonaka et coll ont étudié les effets neuroprotecteurs du lithium contre la toxicité du glutamate sur des cellules de cervelet de rats nouveau-nés. Il est apparu que le lithium, donné de façon chronique (et pas en aigu), protège les neurones contre la toxicité du glutamate. Cet effet protecteur est indépendant de la présence d'inositol, ce qui oblige à rechercher un mécanisme d'action autre que celui qui est habituellement reconnu au lithium. Le lithium ne modifie pas le nombre de récepteurs au glutamate. En revanche, il diminue la teneur en calcium des neurones en réponse à une stimulation par le glutamate. Les auteurs proposent donc que le lithium a des effets neuroprotecteurs en bloquant les flux calciques NMDA-dépendants (mais on verra plus loin qu'ils ne retrouvent pas ces effets anticalciques en chronique). Cet effet antagoniste du glutamate pourrait donc expliquer les effets thymostabilisateurs du lithium (mais rappelons que dans un travail précédent, les mêmes auteurs avaient montré qu'une autre molécule thymostabilisatrice, la carbamazépine, aggrave la toxicité du glutamate sur ce modèle).
Plusieurs communications faisaient état d'interactions entre le lithium et la protéine tau, protéine synthétisée en excès dans la maladie d'Alzheimer, et dont l'accumulation est à l'origine des filaments hélicoïdaux caractéristiques de la maladie (on pense que l'hyperphosphorylation de tau diminue l'affinité de cette protéine pour les microtubules, inhibant ainsi leur assemblage). Un des agents de la phosphorylation de tau est une enzyme que l'on a citée précédemment, la GSK-3. A partir de ces données, et avec la notion que le lithium diminue l'activité de la GSK-3, il était intéressant de rechercher si le lithium réduit la phosphorylation de tau. C'est ce qu'ont montré plusieurs auteurs (Davis et coll ; Hong et Lee). Hong et Lee ont aussi montré que l'insuline et l'IGF-1 ont le même effet. Ces molécules favorisent aussi l'assemblage des microtubules. S'il est vrai qu'un défaut d'assemblage des microtubules est une des caractéristiques de la maladie d'Alzheimer, le lithium devrait avoir des effets protecteurs contre cette maladie (alors qu'on pense généralement le contraire). Lucas et coll ont montré que le lithium, en favorisant l'assemblage des microtubules, produit des extensions neuronales dans des neurones du cervelet en culture. Selon les auteurs, cet effet est lié aux propriétés inhibitrices du lithium sur la protéine GSK-3, ainsi que sur la capacité du lithium à mimer les effets d'un groupe de facteurs qui ont des propriétés neurotrophiques, les facteurs WNT.
 

Autres effets des thymostabilisateurs

A côté du cycle des inositol, il existe un autre système majeur de seconds messagers cytoplasmiques, c'est celui qui passe par l'AMP cyclique. Le lithium et d'autres thymostabilisateurs paraissent aussi agir sur ce système, même si l'action du lithium sur l'AMPc est généralement considérée comme moins importante que celle sur le cycle des inositols. Mori et coll ont étudié les effets du lithium sur la PKA (AMPc-dependant protein kinase A) dans diverses régions du cerveau ; ils ont trouvé qu'un traitement chronique par le lithium augmente très significativement l'AMPc dans le cortex frontal et l'hippocampe, avec des effets différents sur les différentes sous-unités de la PKA. Les auteurs pensent donc que la voie de l'AMPc est impliquée de façon importante dans le mode d'action du lithium.
Plusieurs travaux étaient consacrés aux effets des thymostabilisateurs sur le calcium intracellulaire. Kagaya et coll ont comparé les effets du lithium à ceux de la clomipramine sur la teneur cellulaire en calcium ; les deux psychotropes sont capables d'atténuer l'augmentation du calcium intracellulaire après diverses stimulations, mais ces stimulations sont différentes pour chacun des deux : la clomipramine atténue la réponse calcique à une stimulation par la sérotonine, et pas à une stimulation par la thrombine, alors que c'est l'inverse pour le lithium. Les chercheurs de l'équipe japonaise dont on a parlé précédemment (qui ont étudié les effets neuroprotecteurs du lithium sur la toxicité induite par le glutamate) ont aussi recherché quel est l'effet du lithium sur la teneur cellulaire en calcium après une stimulation des récepteurs au NMDA par le glutamate (Hough et coll) ; ils ont observé que le lithium, en aigu, a un effet inhibiteur sur l'augmentation de la concentration cellulaire en calcium induite par le glutamate ; ils retrouvent le même effet avec la carbamazépine ; mais, en chronique, le lithium tend à augmenter la teneur cellulaire en calcium, ce qui soulève quelques questions sur le mécanisme des effets neuroprotecteurs du lithium dans ce modèle (puisqu'il est connu que la toxicité du glutamate sur les neurones se fait, au moins en partie, par une augmentation du calcium intracellulaire). Karkanias et coll ont étudié très attentivement les effets du lithium sur différents types de récepteurs au glutamate, et montré que tous sont sensibles au lithium. Mais, dans leur modèle (patch clamp), le lithium augmente ou diminue la conductance selon le type de récepteur. Concernant la carbamazépine, plusieurs travaux lui ont trouvés des actions indépendantes du calcium ; ce serait notamment le cas de son action anticonvulsivante dans l'hippocampe (Schumacher et coll) et de sa capacité à stimuler la libération de sérotonine (Dailey et coll). Ces derniers auteurs pensent que les propriétés anticonvulsivantes de la carbamazépine sont en partie liées à son effet agoniste sérotoninergique. Ils ont observé une augmentation de 200 à 400 % de la sérotonine dans l'hippocampe, selon la dose de carbamazépine injectée et le mode d'injection. Yamamoto et coll ont étudié d'une façon très approfondie les effets du valproate sur les canaux sodiques et calciques. Il est apparu que le valproate augmente l'expression des canaux sodiques sur la surface des neurones, ce qui a pour effet d'activer des canaux calciques et d'augmenter l'entrée de calcium dans la cellule, ainsi que d'augmenter la libération de neurotransmetteurs catécholaminergiques.
Quelques études concernaient la gabapentine et la lamotrigine, qui sont de nouveaux anticonvulsivants auxquels on commence aujourd'hui à trouver des propriétés thymostabilisatrices (surtout la lamotrigine). Whetzel et coll ont montré que la gabapentine a un effet inhibiteur sur la libération des monoamines cérébrales (dopamine, noradrénaline et sérotonine). Cet effet n'apparaît pas quand la gabapentine est donnée seule, mais elle inhibe la libération provoquée des monoamines (provoquée par une stimulation électrique, ou potassique, ou autre). Ces résultats sont intéressants puisqu'ils peuvent faire penser que la gabapentine a des effets anti-stress (une hypothèse que les auteurs n'évoquent pas, ils signalent seulement que la gabapentine augmente le turn-over du gaba, et interagit avec certains canaux calciques). Southam et coll ont étudié l'action pharmacologique de la lamotrigine. Ils ont observé qu'en dehors de son effet inhibiteur sur les canaux sodiques (son principal effet), la lamotrigine est un inhibiteur du recaptage de la sérotonine. Comparé à celui de la fluoxétine, cet effet apparaît assez faible (IC50 à 20-nanomolaire pour la fluoxétine et 480-micromolaire pour la lamotrigine), mais selon les auteurs, les deux molécules sont également capables d'inhiber le syndrome sérotoninergique produit par la paracholoroamphétamine. D'autre part, Bashkatova et coll ont rapporté que la lamotrigine (ainsi que la carbamazépine) sont capables de diminuer la production d'oxyde nitrique au moment des crises d'épilepsie ; reste à savoir si cette propriété a un intérêt dans leurs effets thymostabilisateurs.
Les antagonistes calciques (parfois proposés comme thymostabilisateurs) restent aussi une préoccupation pour certains chercheurs, mais les travaux concernent moins leur mode d'action que des modèles de dépression ou d'anxiété. Ainsi, Saade et coll ont étudié les effets de la nimodipine sur la dépression comportementale observée chez le rat après des chocs électriques inévitables dans les pattes. La nimodipine réduit le comportement de fuite des animaux, ce que les auteurs ont un certain mal à expliquer (effet antidépresseur, ou anxiolytique, ou anti-ischémique ?). Matsumoto et coll ont étudié les effets du diltiazem, de la flunarizine, de la nicardipine et du vérapamil dans deux modèles, le test de Vogel (test de conflit) et le test de Porsolt (test de désespoir) ; les antagonistes calciques ont tous un effet anxiolytique au test de Vogel (le traitement par le diltiazem doit être prolongé une semaine pour produire un effet) ; le diltiazem est le seul à avoir un effet antidépresseur au test de Porsolt ; les auteurs concluent que les antagonistes calciques ont des propriétés anxiolytiques et antidépressives qu'il conviendrait d'étudier plus avant. Une étude clinique a été rapportée par Giannini et coll, qui ont montré que le vérapamil, dont on connaît les propriétés antimaniaques, a un effet antimaniaque fortement potentialisé par l'oxyde de magnésium : 80 mg de vérapamil, associé ou non à 250 mg de MgO, en double aveugle, avec 10 maniaques dans chaque groupe, traités pendant 2 mois ; dans le groupe associant les deux molécules, les items « irritabilité », « hostilité », « tension » et « excitation » de la BPRS étaient significativement plus améliorés que dans le groupe recevant le vérapamil seul ; aucune explication physiologique à ces résultats.
 

MODE D'ACTION DES ÉLECTROCHOCS

Le mode d'action des électrochocs (EC) reste toujours une énigme. Plusieurs mécanismes d'action, assez divers, ont été proposés au congrès allant de la biologie moléculaire à la caméra à positrons, en passant par les processus de mémorisation.
L'idée d'une action neurotrophique des EC sur les neurones est une idée directrice importante. Pei et coll ont cherché l'effet des EC sur les protéines associées aux microtubules (les MAPs, et en particulier la MAP2), qui sont impliquées dans la morphologie des neurones, la croissance dendritique et axonale, et l'organisation des synapses. Ils ont montré que les EC, uniques ou multiples, augmentent significativement l'ARNm codant pour la MAP2 dans le gyrus dentatus, entre 6h et 24h après le dernier choc, avec un retour aux taux initiaux à la 48ème heure. Cette augmentation était bien localisée dans le gyrus dentatus, et ne débordait pas dans d'autres régions de l'hippocampe ou du cortex cérébral ; la synaptophysine (protéine déterminant l'épaisseur des membranes synaptiques) ainsi que les ARNm codant pour les protéines tau et MAP1B n'étaient pas modifiées par les EC. Les EC ont donc une action bien spécifique sur la réorganisation dendritique et synaptique dans une région très précise du cerveau (impliquée de façon très importante dans les processus de mémorisation), et apparemment pas ailleurs. D'autre part, l'équipe de Duman, dont on a déjà souvent eu l'occasion de rapporter les travaux dans Dépression, continue à explorer les effets des antidépresseurs en général, et des EC en particulier, sur l'expression d'un facteur neurotrophique, le BDNF (brain derived neurotrophic factor, qui dirige la pousse axonale, et pas dendritique, des neurones du gyrus dentatus). Ils avaient déjà rapporté l'année dernière que les EC augmentent intensément l'expression du BDNF dans l'hippocampe (voir Dépression N° 6) ; ils ont montré cette fois-ci que des séries d'EC produisent une croissance des fibres moussues du gyrus dentatus, et que deux semaines après les EC les changements morphologiques des fibres moussues étaient toujours visibles. Ils ont alors utilisé des souris mutantes synthétisant très peu de BDNF, et ils ont observé que chez ces souris la croissance des cellules moussues après les EC était bien inférieure à celle des souris normales. Ils ont alors injecté du BDNF dans le gyrus dentatus des souris mutantes, et ont été un peu déçus de voir que cela ne changeait pas la croissance des cellules moussues. Ils concluent donc que le BDNF est nécessaire, mais pas suffisant, pour faire croître les cellules moussues du gyrus dentatus. Ils ont par ailleurs recherché si les EC produisent une mort neuronale dans les régions étudiées, et n'ont rien trouvé. Ils pensent donc que la croissance neuronale des cellules du gyrus dentatus est un phénomène au centre de l'effet thérapeutique des EC, et que cette croissance neuronale ne survient pas en réaction à une mort neuronale de cellules de la région (Vaidya et coll).
Une autre protéine connue pour être impliquée de façon importante dans la plasticité synaptique est la CaMK-II (Ca++/calmodulin-dependant protein kinase II), et deux auteurs japonais, Yamagata et Obata ont étudié les effets des EC sur cette protéine. Ils ont observé une inactivation transitoire de cette protéine, mais cette inactivation ne dure pas plus de 5 minutes après un choc. Ce court délai fait que l'on peut se demander si cette inactivation a une signification dans l'effet thérapeutique des EC. Elle pourrait être plus en relation avec les troubles de la mémoire qui suivent les EC, car on sait que la CaMK-II a un rôle important dans les processus de mise en mémoire.
Trepel et Racine ont étudié, dans le cortex du rat, la potentiation à long terme (LTP, concomitant électrique des processus de mémorisation) après un EC, et observé que l'acquisition d'une trace mnésique (dont témoigne la présence d'une LTP) disparaît si l'EC est fait moins d'une heure après cette acquisition, et se maintient si l'EC est fait six heures après, ce qui est plus ou moins conforme à ce que l'on pouvait attendre. Cependant, les effets des EC ne sont pas uniformes sur les traces mnésiques comme l'ont montré Oliveira et coll. Ces auteurs ont observé qu'administré 2 heures avant l'apprentissage d'une tâche d'évitement et d'une peur conditionnée, un EC abolit la mise en mémoire des 2 tâches, mais quand l'EC est administré 4 heures avant les apprentissages, la mise en mémoire de la tâche d'évitement ne se fait toujours pas, alors que l'apprentissage de la peur conditionnée se fait bien. Il existerait donc différentes formes de traitement des informations mnésiques, plus ou moins sensibles aux EC. Les auteurs font remarquer que ces résultats pourraient être dus à des biais expérimentaux, parce que les protocoles expérimentaux d'apprentissage utilisent des stimulations électriques dans les pattes des animaux, et les EC modifieraient les réponses aux stimulations dans les pattes d'une façon variable selon les protocoles. Compliqué.
Quoiqu'il en soit, il apparaît que les EC agissent sur le glutamate, qui est un neurotransmetteur impliqué de façon très importante dans les processus de LTP. C'est encore l'équipe de Duman qui a apporté les éléments les plus intéressants sur ce sujet. Ces auteurs ont montré (Hiroi et coll) que les EC augmentent, dans le cortex frontal, le nombre de certains sous-types de récepteurs au NMDA (NMDA-R1 et -R2B) et pas d'autres (NMDA-R2A). Ces augmentations sont contemporaines d'une induction à long terme des facteurs de transcription de l'AP-1, composés d'isomorphes de delta-FosB complexé à JunD, dans les mêmes neurones corticaux où l'on trouve des récepteurs au NMDA augmentés. Pour les auteurs, des EC répétés sont associés à une réorganisation dynamique des récepteurs au NMDA, avec une plasticité comportementale (tolérance aux convulsions motrices) qui dépend de la régulation transcriptionnelle des produits du gène fosB. De leur côté Rosa et coll ont étudié les anomalies à long terme de la transmission glutamatergique que les EC produisent dans l'hippocampe. Ils ont étudié les modifications d'un autre type de récepteur glutamatergique, l'AMPA (le GluR1), qu'ils ont trouvé significativement augmenté dans le gyrus dentatus et la corne d'Ammon (champ CA3) 24 heures après les EC. Brunson et coll ont étudié (immunohistochimie du gaba et de son transporteur, puis microscopie électronique) les modifications des systèmes gabaergiques dans le cortex (frontal, pariétal et cingulaire) chez le rat après des EC. Ils ont trouvé que les EC produisent de profonds changements neurochimiques et architecturaux dans les terminaisons axonales gabaergiques, ainsi que la constitution de « patchs » dépourvus de gaba, en lieu et place des terminaisons gabaergiques habituelles, ces modifications étant réversibles au bout de 4 jours. Ces anomalies pourraient témoigner d'une intense activité neuronale. Pekary et coll ont aussi observé que les EC augmentent la teneur de l'hippocampe, de l'amygdale et du cortex piriforme, en peptides dérivés du TRH (thyrotropin-releasing hormone), et que l'intensité de cette augmentation des dérivés du TRH est corrélée à un effet antidépresseur sur le modèle du test de Porsolt. Ils ont aussi retrouvé un autre peptide, l'EEP (p-glu-glu-pro-NH2), peptide sans relation avec le TRH, mais qui est aussi augmenté par les EC, qui apparaît avoir la même distribution limbique, et qui a le même potentiel antidépresseur.
En réalité, les EC produisent une très grande quantité de remaniements divers dans le cerveau, ce dont témoigne une étude de Koubi et coll qui ont étudié la synthèse protéique (mesurée par l'incorporation de méthionine marquée) dans l'ensemble du cerveau immédiatement après un seul EC. Quatre à cinq heures après l'EC, ils ont retrouvé une augmentation importante de la synthèse protéique dans les 35 structures cérébrales qu'ils ont analysées (en particulièrement dans l'hippocampe, le locus coeruleus et l'amygdale, ainsi que dans plusieurs structures de l'hypothalamus telles que les noyaux paraventriculaire et ventromédian). Pour faire une liaison entre ces travaux et ceux rapportés dans le chapitre suivant, on rapporte ici l'étude de Henry et coll qui ont étudié à la caméra à positrons (TEP) les effets des EC sur la consommation cérébrale en glucose. Chez 6 déprimés, qui n'avaient pris aucun traitement depuis au moins 15 jours, ils ont fait deux examens TEP, un avant, et un après une série d'EC cliniquement efficaces. Ils ont retrouvé une diminution de la consommation de glucose (témoin d'une baisse d'activité) dans toutes les régions étudiées (63 régions), à l'exception d'une, qui correspond à la substance noire, dont le métabolisme parait augmenté. Ils concluent que leurs résultats s'accordent bien avec l'effet thérapeutique connu des EC dans la maladie de Parkinson, ainsi qu'avec l'augmentation de l'HVA dans le LCR après EC, rapportée précédemment par d'autres auteurs. Ces résultats sont aussi intéressants dans le cadre des liens entre ralentissement et dépression. Cette étude est à rapprocher de celle de Koubi et coll, citée juste avant : on voit que dans le cas d'EC faits chez l'animal on retrouve une augmentation du métabolisme dans pratiquement tout le cerveau, alors que chez les déprimés c'est une diminution du métabolisme qui apparaît après les EC. La principale différence (outre le fait qu'il s'agit d'animaux et d'êtres humains) est que dans le travail de Koubi, l'étude du métabolisme a été faite immédiatement après les EC chez des animaux sains, alors que dans le travail de Henry, l'étude du métabolisme a été faite chez des malades déprimés puis guéris. On pourrait donc imaginer une physiopathologie de la dépression derrière ces résultats, où les EC auraient déclenché toute une série d'activités et de réorganisations neuronales intenses pendant quelques jours ou semaines, pour que le cerveau passe d'un état global « activement déprimé » à un état global de repos, qui serait celui de la guérison ; une façon beaucoup trop simple d'appréhender la physiopathologie de la dépression, comme on va le voir dans le chapitre suivant. En fait, les résultats de Henry sont difficiles à expliquer.
 

IMAGERIE CÉRÉBRALE

La plupart des études portant sur le métabolisme cérébral chez les déprimés (comparant l'activité fonctionnelle avant et après traitement), montrent qu'il existe chez eux une forme de désorganisation de l'activité cérébrale, avec des régions hypoactives et d'autres hyperactives, et qu'après traitement l'activité n'est pas quantitativement très différente, mais que les structures hyper ou hypoactives ne sont plus les mêmes. Une très intéressante communication sur ce sujet a été faite par Mayberg et coll. Les auteurs ont observé, à la caméra à positrons, une série de modifications du métabolisme cérébral qui progresse à mesure qu'un état dépressif est sur la voie de la guérison ; il apparaît que, pendant cette période, le métabolisme augmente dans l'aire 9 du cortex frontal et l'aire 31 du cortex cingulaire, et diminue dans l'aire 25 du cortex cingulaire et la partie antérieure de l'insula. Leur analyse de ces données est que la guérison d'une dépression est contemporaine d'une redistribution étagée de l'activité métabolique cérébrale, avec une augmentation d'activité dans les parties dorsales du cerveau, et une diminution dans les parties ventrales. Ces changements sont à l'inverse de ceux que l'on observe chez des volontaires sains quand on provoque chez eux « un état aigu de tristesse passagère ».
Les auteurs ont aussi rapporté les résultats d'une étude faite chez des déprimés en période de rémission, qui montrent que lors de l'induction d'un état aigu de tristesse, les déprimés guéris ont les changements déjà connus dans l'insula et l'aire 25 du cortex cingulaire, mais pas les autres modifications observées chez les volontaires sains. Les déprimés réagiraient donc d'une façon particulière même quand ils sont en état de rémission, leur activité cérébrale différente des contrôles témoignant de leur vulnérabilité dépressive. La même équipe de chercheurs (Liotti et coll) a montré dans un travail précédent que les états de tristesse passagère produisent une diminution des temps de réaction quand un stimulus est présenté dans le champ visuel gauche, ce qui correspond à un ralentissement du traitement de l'information dans l'hémisphère droit, et les auteurs avaient corrélé cette diminution du temps de réaction à des diminutions de flux sanguin cérébral dans les régions fronto-pariétales (régions précédemment citées comme dorsales) avec une prédominance à droite. Ils ont cette fois-ci rapporté une étude électrophysiologique (potentiels évoqués visuels) chez des déprimés en rémission chez lesquels est induit un état aigu de tristesse ; les résultats ont confirmé les données antérieures, avec un enregistrement de voltages plus faibles des ondes tardives
(P-350 à 600) à droite dans les régions fronto-occipitales lors de l'état de tristesse. Ces résultats renforcent l'hypothèse selon laquelle les états de tristesse affective affectent les systèmes d'alerte ou de vigilance de l'hémisphère droit. (Une revue des travaux de Mayberg est proposée dans la rubrique Jalons de ce numéro de Dépression).
Une autre étude très intéressante sur le même sujet a été rapportée par Drevets et coll. Ils ont retrouvé une augmentation de l'activité métabolique dans l'amygdale gauche chez les déprimés. Selon eux, cette activité est augmentée de 7,1 % dans les dépressions familiales pures, de 9,8 % chez les bipolaires déprimés, et de 6,6 % chez les maniaques, comparativement à des contrôles sains (résultats tous significatifs). Ils ont aussi observé que plus le métabolisme est élevé dans l'amygdale, plus le cortisol est élevé, et proposent (reprenant une hypothèse formulée par McEwen il y a quelques années) que l'hyperactivité de l'amygdale gauche a un rôle dans l'hypercortisolisme souvent observé chez les déprimés. La même équipe de chercheurs (Simpson et coll) a aussi étudié les liens entre le flux sanguin dans le cortex frontal inféro-médian (CFIM) et les états émotionnels. Ils ont utilisé un test cognitif où des personnes sont susceptibles d'être anxieuses si elles ont des difficultés à répondre aux questions du test, et ils ont corrélé les états d'anxiété des personnes au flux sanguin dans le CFIM, ainsi que dans une région de l'hypothalamus qui est en étroite connexion avec le CFIM ; il est apparu qu'il existe une corrélation étroite entre l'état anxieux et l'activité du CFIM et de l'hypothalamus. Pour les auteurs, ces régions anatomiques ont une place importante dans un réseau complexe de connexions qui entrent en jeu dans l'organisation et le traitement des états affectifs.
D'autres études d'imagerie cérébrale abordaient les questions des neurotransmetteurs et de différents types de récepteurs dans la dépression. Sachant, d'après des éléments cliniques (étude des plaquettes) et d'après des études de cerveaux en post-mortem, qu'il existe probablement des anomalies du transporteur de la sérotonine (SERT) dans le cerveau des déprimés, Malison et coll ont utilisé la technique du SPECT pour étudier in vivo les SERT chez 15 déprimés et 15 contrôles. Seuls le striatum et le cerveau moyen ont été étudiés. Les auteurs ont observé une diminution significative du SERT dans le cerveau moyen (où sont situés, entre autres, les neurones sérotoninergiques). Cette observation confirme les résultats des études des plaquettes et des cerveaux en post-mortem (d'ailleurs une étude en post-mortem, de Ohuoha et coll, rapportée au congrès, a fait état d'une diminution de 50 % du SERT dans le cortex frontal des déprimés). Ces données sont intéressantes sur le plan physiopathologique, dans le sens où les antidépresseurs les plus répandus, les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine, sont des bloqueurs du SERT, c'est-à-dire ne font finalement qu'aggraver cette diminution du SERT observée chez les déprimés. Mann et coll ont abordé la question d'une autre manière, en étudiant (à la caméra à positrons chez 28 déprimés non traités) la réponse de diverses régions du cerveau, en particulier du cortex frontal, à une stimulation par la fenfluramine (à la fois inhibiteur du recaptage et agoniste sérotoninergique post-synaptique) ; ils ont observé que cette stimulation sérotoninergique produit une inhibition de l'activité du cortex frontal, dans les régions mêmes où sont retrouvées les anomalies des récepteurs sérotoninergiques dans les cerveaux des déprimés en post-mortem, et cela d'autant plus que les malades avaient des antécédents de tentative de suicide. Les auteurs pensent donc que leurs résultats confirment l'existence d'un lien entre manque de sérotonine cérébrale et dépression, et surtout confirment le lien entre le suicide et des réponses inhibitrices du cortex frontal à des stimulations sérotoninergiques.
Bencherif et coll ont étudié à la caméra à positrons les récepteurs aux opiacés de type mu chez des déprimés, avant et après traitement antidépresseur, sachant que chez l'animal les antidépresseurs augmentent les récepteurs mu. Ils ont trouvé que les récepteurs mu sont beaucoup plus bas avant traitement dans certaines régions du cerveau, surtout les régions corticales (cortex cingulaire antérieur, frontal, pariétal, temporal), mais aussi dans certaines régions sous corticales (thalamus, noyau caudé et amygdale) ; ils ont aussi montré que la diminution des récepteurs mu avant traitement était corrélée aux scores à l'échelle de dépression de Beck dans le striatum, le cortex cingulaire et l'amygdale, mais uniquement chez les femmes. Pour les auteurs, ces résultats indiquent que chez les femmes la dépression et la réponse aux antidépresseurs ont un lien avec l'état des récepteurs aux opiacés de type mu.
 
Enfin, deux études d'imagerie concernaient les personnes âgées déprimées. Les deux études (IRM), l'une américaine de Kumar et coll, l'autre coréenne de Kim et coll, rapportaient les mêmes résultats : le volume du cerveau des personnes âgées déprimés est globalement diminué. Kumar et coll ont observé que plus la dépression est sévère, plus le cerveau est petit, surtout le cortex frontal. Et Kim et coll ont montré une corrélation inverse entre le volume du cortex préfrontal et l'intensité des idées délirantes, ainsi qu'avec de faibles performances au Wisconsin Card Sorting Test. Ces auteurs pensent que le volume du cortex frontal permet de faire la différence entre dépressions délirantes et non délirantes chez les personnes âgées.

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