Carré titre







FOCUS

   
  • Freud a-t-il existé ?) (Vincent Caillard)
  • ECT et prolactine (Patrick Delbrouck)
  • Transmission familiale des conduites suicidaires (Françoise Chastang)
  • ECT Texan (Patrick Delbrouck)
  • ECT : deux ou trois fois ? (Patrick Delbrouck)
  • Attitudes des adolescents face au suicide (Françoise Chastang)
  • Conduites d'immolation en Inde (Françoise Chastang)
  • ECT : plus c'est long, plus c'est bon ? (Patrick Delbrouck)
  • FREUD A-T-IL EXISTÉ ?

    Vincent Caillard
     
    Les américains sont décidément incorrigibles dans leurs excès et leur exigence du politiquement et du scientifiquement correct.
    Après avoir été probablement le peuple psychiatrique le plus naïf et le plus perméable et prosélyte quant aux idées et aux pratiques issues du courant psychanalytique, voilà qu'ils s'attaquent à la statue de leur ancien Commandeur.
    C'est ainsi que David Lynn et George Vaillant sont allés regarder dans un petit trou de serrure, pour évaluer la réelle pratique du père de la psychanalyse, au travers de ses écrits, et des écrits et témoignages de ses analysants. Ils ont ainsi identifié 43 analysants, incluant 10 psychanalyses thérapeutiques, 19 analyses didactiques, et 14 combinant les deux objectifs. Les auteurs pensent que ces cas représentent une majorité du temps que Freud a consacré à sa pratique pendant les années 1907-1939. Ils ont ensuite confronté les principes que Freud a lui-même édicté, à sa pratique réelle.
    Les principes mis en valeur sont l'anonymat, la neutralité, et la confidentialité. Freud recommandait en effet que l'analyste reste opaque quant à ses propres réactions émotionnelles et silencieux sur ses expériences. Le fait d'avoir des rapports personnels avec l'analysant ou de l'avoir connu dans une vie antérieure (à l'analyse) est pour l'analyste une difficulté majeure. Il doit s'abstenir de suggérer à l'analysant des choix ou des directions existentielles. Il doit enfin conserver le secret le plus absolu sur le contenu des séances.
    Or, l'examen de ces 43 analyses révèle que pour 31 d'entre elles (72 %), Freud avait un rapport personnel en dehors de la situation d'analyse, ou avait entretenu antérieurement des relations significatives avec son client ou un membre de sa famille. Dans tous les cas sans aucune exception, Freud a exprimé à un moment ou à un autre des sentiments personnels a son interlocuteur. En ce qui concerne le « devoir de réserve », les auteurs observent que Freud s'est montré directif auprès de 37 de ses analysants (86 % des cas). Le plus problématique de l'avis de nos censeurs modernes est la rupture de confidentialité, qui survient dans 23 cas (53 %), et dont nous sont livrés les détails, ainsi que la nature du lien de proximité, de rivalité ou de subordination ou domination hiérarchique de la personne à qui est faite la confidence sur l'analysant. Freud aurait ainsi, non seulement analysé sa propre fille Anna, ce qui est en dehors de l'orthodoxie, mais parlé de cette analyse à au moins trois collègues de celle-ci. Le recordman semble avoir été Otto Rank, dont l'analyse aurait fait l'objet d'indiscrétions auprès d'au moins 8 collègues, dont trois considérés comme des rivaux. La famille Brunswick a été assez touchée, puisque Freud a analysé les deux frères Mark et David, ainsi que l'épouse de Mark, tout en parlant des uns aux autres.
    Lynn et Vaillant dessinent ainsi de Freud tout en s'en défendant un peu hypocritement, le portrait peu flatteur d'un praticien peu scrupuleux, notoirement « pipelette », sans doute assez efficace dans sa pratique thérapeutique, mais pas pour les raisons professées. Notamment, l'absence de neutralité, l'adoption d'une position de gourou tout puissant, ou l'utilisation de techniques directives dont certaines évoquent les prescriptions cognitivo-comportementales jettent un doute sur la pureté du dogme psychanalytique, dans la mesure où les tables de la loi ont été gravées de préceptes sans aucun rapport avec l'expérience (au sens scientifique du terme) qui était censée les faire naître.
    Que penser de cet article, placé en tête du numéro de février 1998 du plus important journal de psychiatrie américain ? Le lecteur non analysé ni analyste, pas particulièrement freudien mais toutefois imprégné (comme tout le monde) d'un certain nombre de règles techniques telles que la neutralité bienveillante ou la non intervention respectueuse de la liberté de l'autre, ne peut se retenir d'un certain malaise face à ce qui est présenté comme à l'intersection de la recherche historique, de la critique épistémologique et de la mise en garde méthodologique, à une époque (formidable) où l'on doit rendre des comptes sur sa pratique, en tester les fondements et en démontrer les résultats... aux tiers payants. Cet article n'est quant à lui ni neutre ni bienveillant.
     
    Lynn, D.L. et Vaillant, G.E.
    Anonymity, neutrality and confidentiality in the actual methods of
    Sigmund Freud : A review of 43 cases, 1907-1939
    Am. J. Psychiatry 155, 163-171, février 1998
     

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    ECT ET PROLACTINE

    Patrick Delbrouck
     
    L'efficacité de l'électroconvulsivothérapie (ECT) passe par la survenue d'une crise épileptique dont on peut évaluer l'intensité selon plusieurs paramètres. Certains auteurs insistent sur l'importance du seuil épileptogène et de la durée de la crise, d'autres accordent plus d'attention à la généralisation de l'activation EEG, témoin de la stimulation des centres diencéphaliques.
    Le déclenchement de la crise s'accompagne également de la stimulation de la sécrétion de plusieurs substances hormonales dont la prolactine. Plusieurs études ont ainsi démontré que la survenue d'une crise spontanée ou provoquée s'accompagne d'une élévation des taux plasmatiques de prolactine. De là à envisager que l'augmentation de ces taux après ECT soit le reflet de l'efficacité thérapeutique, il n'y a qu'un pas qu'ont testé S. Lisanby et coll.
    Ces auteurs ont constitué une population de 79 patients répondant aux critères RDC de troubles dépressifs majeurs de type endogène et ayant un score, à l'échelle de Hamilton à 24 items, supérieur à 18. Ces patients étaient répartis, par tirage au sort, en quatre groupes : le premier recevait une série d'ECT unilatéraux (Uni-ECT) à faible intensité (au niveau du seuil épileptogène), le deuxième une série d'Uni-ECT à forte intensité (2,5 fois le seuil épileptogène), le troisième une série d'ECT bilatéraux (Bi-ECT) à faible intensité et le dernier une série de Bi-ECT à forte intensité. Étaient considérés comme répondeurs, les patients qui, au terme de la série, avaient un score de dépression amélioré d'au moins 60 %, persistant une semaine après l'arrêt des chocs et en tout état de cause inférieur à 16.
    Les prélèvements sanguins étaient réalisés cinq minutes avant l'anesthésie, puis 5, 15 et 30 minutes après le choc. Ces dosages étaient effectués lors du deuxième ECT, lors du sixième et lors de l'avant dernier ECT. Tous les sujets inclus étaient sans traitement psychotrope depuis au moins cinq jours et depuis en moyenne 15 jours pour ceux ayant eu un traitement neuroleptique.
    Les résultats sont conformes aux données de la littérature. Les taux de prolactine augmentent en moyenne de 5 fois après ECT. Cette augmentation est plus marquée pour les ECT bilatéraux que pour les ECT unilatéraux et est plus importante pour les chocs à forte intensité que pour ceux à faible intensité. Les chocs unilatéraux à faible intensité s'avèrent par ailleurs peu thérapeutique par rapport aux trois autres protocoles, ce qui est également une donnée bien connue. L'importance de la sécrétion de prolactine dépend donc à la fois de l'intensité de la stimulation et de la position des électrodes. Ces deux paramètres étant quant à eux également liés à l'efficacité thérapeutique.
    Malheureusement, les amis de mes amis ne sont pas toujours mes amis, et les auteurs ne retrouvent aucun lien entre l'importance de la sécrétion de prolactine et l'amélioration clinique... Ils en concluent donc que le dosage de la prolactinémie n'est pas un bon marqueur de prédictibilité de l'efficacité thérapeutique des ECT et que cette élévation des taux sanguins n'est qu'un épiphénomène dans le mode d'action des électrochocs.
     
    Lisanby S. H., Devanand D. P., Prudic J., Pierson D., Nobler M. S., Fitzsimons L., Sackeim H. A.
    Prolactin response to electroconvulsive therapy :
    effects of electrode placement and stimulus dosage.
    Biol. Psychiatry 1998, 43 : 146-155

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    TRANSMISSION FAMILIALE DES CONDUITES SUICIDAIRES

    Françoise Chastang
     
    Encore un article qui va ravir les partisans de l'individualisation du syndrome suicidaire. Dans le but de déterminer si la fréquence élevée des gestes suicidaires dans les familles de suicidants pouvait s'expliquer par une plus grande prévalence des troubles de personnalité et des comportements agressifs, Johnson et al ont mené une étude dont le principal mérite réside en l'évaluation standardisée des troubles psychiques de l'axe I et II du DSM III R de 37 jeunes suicidants de 13 à 19 ans, de 29 patients comparables en âge, sexe et conditions socio-économiques, sans antécédents autolytiques, hospitalisés pour raison psychiatrique, et de leurs proches. L'appréciation d'un trouble psychique a été classiquement réalisée à l'aide de la SADS (Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia) pour les troubles de l'axe I, le SCID II R (Structured Clinical Interview for the DSM III R personality disorders) pour les troubles de l'axe II, ainsi que l'échelle d'intention suicidaire de Beck.
    Les suicidants et leurs proches présentent bien entendu plus de troubles thymiques et de troubles de personnalité que les sujets contrôles. Les conduites suicidaires, tentatives ou décès par suicide, sont deux fois plus fréquentes dans les familles de suicidants que dans les familles des jeunes patients témoins. Cette différence significative persiste après prise en compte des diagnostics par des analyses statistiques multivariées, et s'avère d'autant plus marquée en cas de comportement agressif associé chez les jeunes suicidants. En d'autres termes, ces résultats sont en faveur d'une transmission des conduites suicidaires indépendante des diagnostics psychiatriques retrouvés.
    Il n'est bien sûr pas possible au décours de cette étude de déterminer si cette transmission est ou non d'origine génétique, et quelle est la part réelle de certains facteurs de risque tels les violences physiques et/ou sexuelles, ou les conflits familiaux. Il serait également possible de poser l'hypothèse, mais ceci n'est qu'une réflexion personnelle, que serait en fait transmis un mode de réponse familial à une situation de rupture dépassant les capacités d'adaptation du sujet et de son système familial.
    Malgré l'aspect un peu rébarbatif de leurs statistiques, les auteurs ont gardé un certain sens de l'humour. A la classique nécessité de prendre en compte la dynamique familiale dans la prise en charge des jeunes suicidants, ils ne manquent pas d'ajouter la recommandation d'être attentif aux enfants des adultes suicidants...
     
    Johnson BA, Brent DA, Bridge J, Connoly J. The familial aggregation
    of adolescent suicide attempts. Acta Psychiatr. Scand. 1998, 97, 18-24.

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    ECT TEXAN

    Patrick Delbrouck
     
    Le recours à l'électroconvulsivothérapie (ECT) reste souvent source de polémiques, même dans des pays se définissant comme pro-ECT à l'instar des États-Unis. Ainsi, plusieurs états affichent des politiques très restrictives et encadrées pour l'utilisation de l'ECT et certains même en interdisent la pratique. Les raisons de ces attitudes sont avant tout politiques, et répondent aux pressions de groupes organisés comme l'Église de Scientologie.
    Au Texas, depuis 1993 et suite à plusieurs scandales dans des cliniques privées, l'usage des ECT est réglementé et fait l'objet d'un registre tenu par les autorités administratives et judiciaires. Chaque série d'ECT fait l'objet d'une déclaration obligatoire précisant l'origine géographique du patient, le lieu de réalisation du choc, le type de matériel utilisé, l'identité du psychiatre ; l'âge, le sexe, l'origine ethnique, le mode d'admission et le diagnostic du patient ; le type de traitement (unilatéral, bilatéral ou mixte) ; le nombre de chocs de la série ainsi que le nombre total de chocs sur les trois et douze derniers mois ; la réalisation d'ECT d'entretien ; et la survenue de complications (fracture, apnée prolongée, arrêt cardiaque, décès, interruption prématurée de la série). Ce registre contient également une évaluation de l'évolution clinique et des effets secondaires, selon une échelle à cinq points (aucun, mineur, modéré, important, très important), effectuée avant et 2 à 4 semaines après la fin de la série. Les données sont transmises dans les 30 jours qui suivent l'arrêt des ECT et tous les trimestres en cas d'ECT d'entretien. Tout décès de patients dans les deux semaines qui suivent l'arrêt des ECT fait l'objet d'une autopsie médico-légale.
    L'étude que rapporte H. Reid et coll. correspond à l'exploitation des informations contenues dans cette base pour les 19 premiers mois de sa mise en place.
    Durant cette période (1er septembre 1993 au 31 mars 1995), il y a eu 2 583 rapports représentant 15 240 chocs. Un tiers des hôpitaux texans ont pratiqué des ECT avec une moyenne de 52 séries par centre. 6 % des psychiatres ont réalisé ces chocs avec une moyenne de 22 séries par médecins « pratiquants ».
    Dans 90 % des cas, l'indication des ECT était une pathologie dépressive, contre 10 % de troubles schizophréniques ou apparentés et 2 % de pathologies organiques (principalement des états démentiels).
    Les caractéristiques socio-démographiques montrent une sur-représentation des femmes, des personnes âgées qui correspond principalement à l'indication même des ECT (dépression et sujets fragilisés) et des patients de race blanche. Les auteurs expliquent ce dernier résultat comme la conséquence d'une inégalité de la couverture sociale par rapport aux populations noires, asiatiques ou hispaniques.
    Les protocoles de réalisation sont classiques : 73 % ECT bilatéraux, 19 % ECT unilatéraux et 8 % ECT mixtes. 85 % des patients reçoivent moins de 10 chocs par série et 80 % moins de 15 chocs sur les douze derniers mois.
    La réponse thérapeutique est bonne ou très bonne dans 77 % des cas et s'accompagne même d'une amélioration des performances mnésiques dans les mêmes proportions. Il faut cependant prendre ces résultats avec réserve compte tenu du mode d'évaluation de ces items qui ne sont pas standardisés et qui laisse une large place à la subjectivité du psychiatre. La tolérance est bonne avec deux apnées rapportées sur les 15 240 traitements.
    A noter cependant la survenue de huit décès déclarés. Deux apparaissent en relation directe avec l'anesthésie (un arrêt cardiaque en salle de réveil chez un patient insuffisant cardiaque connu, et une embolie pulmonaire massive survenue 16 heures après le choc), deux sont consécutifs à un suicide, et les cinq derniers semblent sans relation avec la réalisation de sismothérapie.
    Les auteurs concluent que l'ECT reste un moyen sûr et efficace de traiter les patients déprimés, notamment les personnes âgées qui supportent mal les traitements antidépresseurs et qui constituent la moitié de leur population. Ils espèrent que ces données officielles serviront à combattre les campagnes médiatiques
    anti-ECT qui se multiplient aux États-Unis et plaident enfin pour une approche scientifique des questions qui peuvent encore se poser face à ce traitement.
     
    Reid W. H., Keller S. MPH., Leaterman M., Mason M.
    ECT in Texas : 19 months of mandatory reporting.
    J. Clin. Psychiatry 1998, 59 : 8-13

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    ECT : DEUX OU TROIS FOIS ?

    Patrick Delbrouck
     
    La réalisation pratique d'une série d'électrochocs (ECT) oppose deux attitudes : les uns sont partisans de deux séances par semaine et les autres préfèrent trois chocs hebdomadaires. Indépendamment des possibilités de disposer d'un anesthésiste, le choix de l'une ou de l'autre méthode n'est pas sans conséquence sur le devenir du patient.
    En effet, comme l'ont montré plusieurs auteurs, si l'efficacité antidépressive est comparable dans les deux méthodes, la rapidité d'action diffère. Dans une récente publication, Shapira et coll. enfoncent le clou en rajoutant un nouveau paramètre : celui de la tolérance.
    Ces auteurs ont constitué un échantillon de 31 patients répondants aux critères RDC de trouble dépressif majeur avec manifestations psychotiques. Ceux-ci étaient répartis, de façon aléatoire, en deux groupes : l'un (n = 17) recevait trois chocs par semaine, l'autre (n = 14) bénéficiait de deux chocs réels plus un choc simulé par semaine. Les conditions de réalisation étaient les mêmes pour les deux groupes et ne comportaient que des ECT bilatéraux selon des critères standardisés.
    L'évaluation dépressive se faisait à l'aide de l'échelle de Hamilton à 21 items, passée avant le début de la série et avant chaque choc. Les patients ayant amélioré leur score de plus de 50 % et ayant bénéficié d'au moins quatre chocs étaient considérés comme répondeurs, ceux ayant un score inférieur à 10 étaient considérés comme guéris.
    L'évaluation cognitive était particulièrement complète, explorant la mémoire antérograde et rétrograde, mais aussi la fluence verbale, le mini-mental test et autres tests de vocabulaire et d'intelligence. Ces tests étaient effectués deux jours avant le début de la série, après le huitième choc réel et un mois après la fin de la série.
    Les résultats de ce travail sont particulièrement intéressants. D'abord, ils confirment certaines données connues, notamment l'absence de différence, en terme d'efficacité, entre les deux méthodes. Par contre, la série à trois ECT par semaine s'améliore plus rapidement que celle à deux ECT. Ainsi, le temps nécessaire pour arriver à une amélioration de plus de 50 % est supérieur à 15 jours dans le groupe à deux ECT contre 7 jours dans celui à trois ECT.
    Revers de la médaille, les effets secondaires cognitifs sont plus marqués dans le groupe ECT*3 par rapport à celui ECT*2. Cette différence est nette pour toutes les épreuves et à tous les temps de l'évaluation. Un mois après l'arrêt de la série, le groupe ECT*3 continue de présenter des perturbations mnésiques et de la fluence verbale supérieures à celles du groupe ECT*2 (p = 0,0005). En dehors de leurs conséquences pratiques, ces résultats montrent également que la fréquence, autant que le nombre total de chocs, influent sur la tolérance des ECT.
    Les auteurs en concluent que si la réalisation de trois chocs par semaine amène plus rapidement une amélioration antidépressive, c'est au prix d'effets secondaires mnésiques et cognitifs importants et persistants encore un mois après la fin des ECT. Ils préconisent donc, en l'absence d'urgence, de préférer un protocole s'articulant autour de deux séances par semaine, d'efficacité comparable et beaucoup mieux toléré. A moins de moduler, en commençant par trois chocs la première semaine, puis deux ECT hebdomadaires par la suite... Mais cela sera sans doute l'objet d'une future publication...
     
    Shapira B., Tubi N., Drexler H., Lidsky D., Calev A., Lerer B.
    Cost and benefit in the choice of ECT schedule. Twice versus three times weekly ECT.
    Br. J. Psychiatry 1998, 172 : 44-48

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    ATTITUDES DES ADOLESCENTS FACE AU SUICIDE

    Françoise Chastang
     
    Qu'y a-t-il de commun entre la perception qu'ont les adolescents des gestes suicidaires et les idées suicidaires si courantes à l'adolescence ? Apparemment beaucoup de choses, si l'on en croit l'étude de D. Stein et coll réalisée chez 525 jeunes Israéliens des deux sexes âgés de 16 à 18 ans (hommes : 48 % ; femmes : 52 %) représentatifs de la population générale, auxquels un questionnaire spécifique recherchant leur point de vue sur les comportements suicidaires, leurs réactions et leur perceptions, leurs attitudes par rapport à ces conduites, ainsi que leurs propres tendances suicidaires, a été soumis lors de l'examen de routine précédant le service militaire.
    L'analyse en composantes principales montre que plus de la moitié des réponses peuvent se ranger en quatre grandes catégories ou type d'attitudes. La première concerne le droit et le devoir qu'a chaque société de prévenir les conduites suicidaires, d'aider les suicidants y compris sous la contrainte, ainsi que les conditions dans lesquels le suicide est acceptable (les maladies incurables par exemple). La seconde concerne les rapports entre les conduites suicidaires et les troubles psychiques, les hospitalisations et le traitement des suicidants. La troisième est en rapport avec le droit des personnes à parler des conduites suicidaires, et le quatrième axe souligne la nécessité de ne pas banaliser de telles conduites.
    Le sexe et l'engagement religieux apparaissent très associés aux attitudes des jeunes face au suicide. Par exemple, les jeunes femmes sont plus tolérantes que les hommes face au suicide. Les adolescentes sont moins engagées que les adolescents dans le domaine de la prévention du suicide mais défendent le droit d'en parler, et considèrent plus volontiers ces conduites autolytiques comme des actes compréhensibles qui ne sont pas forcément en rapport avec un trouble psychique. De même, les jeunes sans engagement religieux sont manifestement plus compréhensifs vis-à-vis du suicide. Ces éléments sont certainement en rapport avec une approche généralement plus empathique de la part des femmes, et traduisent la condamnation du suicide par les religions judéo-chrétiennes.
    Mais le résultat le plus important de cette étude montre que les attitudes des adolescents face au suicide varient avec le degré d'idéation suicidaire. Les jeunes qui se sentent capables de réaliser un geste autolytique pensent que le suicide ne devrait pas faire l'objet d'action de prévention, qu'il peut se justifier, et qu'il ne reflète pas nécessairement l'existence d'un trouble psychique. Ceux qui songent au suicide défendent le droit d'en parler, et ceux qui ont déjà réalisé ce type d'acte ajoutent que l'acte autolytique peut être en rapport avec une pathologie mentale. En résumé, une grande tolérance ou compréhension du suicide serait en relation chez les jeunes avec une idéation suicidaire plus marquée. En poussant le raisonnement plus loin, ce que font les auteurs, il est possible d'envisager que les taux croissants de gestes suicidaires puissent être en rapport avec une attitude générale plus tolérante vis-à-vis du suicide, et qu'une attitude opposée puisse être relativement protectrice.
    Les gestes suicidaires constituent certes un sujet de santé publique dont on parle actuellement beaucoup, trop selon certains qui craignent non sans raisons la dispersion d'information et d'interlocuteurs, et la banalisation/médiatisation du geste suicidaire qui peut devenir le comportement actuellement admis voire attendu des jeunes qui ont une souffrance à exprimer. Rappelons cependant que l'histoire des adolescents français ces siècles derniers montre que les pics de conduites suicidaires ne sont malheureusement pas spécifiques à notre époque, et apparaissent en fait plus en rapport avec des malaises sociaux qu'avec une plus grande tolérance.
     
    Steib D, Brom D, Elizur A, Witzum E. The association between attitudes toward suicide and suicidal ideation in adolescents
    Acta Psychiatr Scand 1998, 97, 195-201.

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    CONDUITES D'IMMOLATION EN INDE

    Françoise Chastang
     
    Les conduites d'immolation sont définies comme étant des conduites de sacrifice à travers lesquelles une personne donne sa vie pour une idée, une cause ou une personne. Les moyens utilisés sont divers, allant de l'empoisonnement volontaire, la grève de la faim, la noyade, à l'immolation par le feu. Ces conduites sont a priori à considérer comme des suicides altruistes. Dans l'Inde ancienne, les femmes préféraient se sacrifier pour éviter d'être capturées par les armées ennemies. Plus récemment, plus de 150 immolations ont suivi l'assassinat de deux premiers ministres hindous, Indira et Rajiv Gandhi, et ces conduites ont été également utilisées comme moyen de protestation contre des décisions politiques. Ce phénomène, qui a pourtant émaillé l'histoire de l'Inde, n'a que rarement fait l'objet d'études psychopathologiques.
    Les vingt-deux jeunes étudiants qui ont tenté de se sacrifier en automne 1990 pour protester contre des décisions gouvernementales portant sur une nouvelle réglementation d'accès aux études et au travail ont été évalués par de nombreuses échelles dont la BPRS (Brief Psychiatric Rating Scale), l'échelle d'intention suicidaire de Pierce, l'échelle de dépression et de paranoïa de Pasricha qui est un instrument simple écrit en hindou, ainsi que le questionnaire d'hostilité de Caine. Parmi ces jeunes gens (12 hommes et 10 femmes) dont la moyenne d'âge est de 18,2 ans, 6 sont décédés au décours de leur geste. Neuf d'entre eux (soit 41 %) se sont immolés par le feu, et les autres se sont empoisonnés le plus souvent avec des dérivés organo-phosphorés. Soixante et un pour cent considéraient que les directives ministérielles n'étaient pas convenables, et 39 % estimaient que les conséquences sur leurs proches étaient négatives. Soixante sept pour cent jugeaient leur geste justifié, et 64 % espéraient faire pression sur le gouvernement. Un seul présentait des troubles psychiatriques de type dysthymie et toxicomanie au sens du DSM III R, et l'évaluation de la personnalité notait que 17 se révélaient relativement ambitieux, 16 plutôt impulsifs et 5 se décrivaient comme altruistes. Cette absence de troubles psychopathologiques associée à une intention suicidaire conséquente contraste avec les résultats des rares études portant sur les sujets décédés d'immolation par le feu chez lesquels sont retrouvés soit des états dépressifs majeurs, soit des schizophrénies.
    Ce mode ultime de protestation, pour lequel l'abord psychopathologique n'est manifestement pas satisfaisant, mériterait sans aucun doute une approche socioculturelle et anthropologique.
     
    Singh SP, Santosh PJ, Avasthi A, Kulhara P. A psychosocial study of
    « self-immolation » in India. Acta Psychiatr Scand 1998, 97, 71-75.
     

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    ECT : PLUS C'EST LONG, PLUS C'EST BON ?

    Patrick Delbrouck
     
    L'activité antidépressive de l'électroconvulsivo-thérapie (ECT) n'est plus à démontrer, même si ses mécanismes d'action restent mal connus. Parmi les hypothèses à la mode, celle formulée par Sackeim gagne actuellement du terrain. Cet auteur a insisté dès 1983, sur l'action anticonvulsivante des ECT. Il a suggéré que l'effet thérapeutique ne passe pas par la survenue d'une crise d'épilepsie, mais au contraire par les mécanismes qui y mettent fin. Cet effet anticonvulsivant se mesure en pratique, au travers de deux paramètres : le seuil épileptogène qui augmente au cours d'une série de chocs, et la durée de la crise qui elle diminue avec le nombre de traitements. Plusieurs études ont retrouvé un lien entre seuil épileptogène et efficacité antidépressive, ainsi qu'entre seuil et durée de la crise. Par contre, les rares études publiées sur les liens entre durée de la crise et action antidépressive ont été négatives.
    H. Kales et coll. ont testé cette dernière hypothèse au travers d'une étude aussi élégante que décevante. A partir d'une population de patients répondants aux critères DSM-IIIR de trouble dépressif majeur et ayant bénéficié de séries d'électrochocs entre 1987 et 1993, ils ont constitué un échantillon de 29 hommes et de 85 femmes représentant 145 séries d'ECT. L'âge moyen de cette population était de 61 ans (de 14 ans à 89 ans). 57 séries correspondaient à des chocs uniquement unilatéraux (position d'Elia des électrodes), 60 à des chocs uniquement bilatéraux et 28 à des séries débutées en unilatéral et poursuivies en bilatéral. Tous les chocs étaient réalisés sous anesthésie générale au methohexital et curarisation, avec apport d'oxygène. Les patients ayant reçu des benzodiazépines, de la caféine ou de la théophylline ont été exclus. En cas de crise inférieure à 25 secondes, une nouvelle stimulation était effectuée.
    L'évaluation de la crise reposait sur l'enregistrement de l'EEG et de l'EMG ainsi que sur la méthode du brassard. L'évaluation de la symptomatologie dépressive se faisait au travers de l'échelle de Hamilton à 17 items (HRSD-17) mesurée tous les trois chocs.
    Le traitement statistique des résultats fait l'objet d'un chapitre particulièrement détaillé qui constitue l'intérêt principal de cette publication. Les auteurs ont essayé plusieurs méthodes de régression selon les variables étudiées et exposent les avantages et les inconvénients des différentes solutions avant de justifier leur choix pour une transformation racine carrée de la durée de la crise... Les amateurs apprécieront, les autres risquent de passer directement aux résultats, malheureusement moins palpitants.
    Les auteurs confirment bien l'élévation du seuil épileptogène et la réduction de la durée de la crise en fonction du nombre de traitements (81s à ECT1, 61s à ECT5 et 51s à ECT10). Ils montrent la forte corrélation existant entre la durée de la crise EEG et celle de la crise EMG. Ils constatent l'amélioration du score à l'HRSD-17 sous l'effet du traitement, mais ils ne retrouvent aucune corrélation entre la durée de la crise et l'amélioration clinique.
    Ils en concluent que les mécanismes qui élèvent le seuil épileptogène (limitent l'initiation de la crise) et ceux qui diminuent sa durée sont vraisemblablement différents.
    Si ces résultats sont conformes aux données de la littérature, ils n'apportent rien de plus. Si les mécanismes d'action antidépressive des ECT passent par leur effet anticonvulsivant, l'appréciation du seuil apparaît plus importante que celui de la durée. Par ailleurs, on ne peut que s'interroger sur l'absence d'effet antidépresseur majeur des antiépileptiques pourtant largement utilisés en psychiatrie.
     
    Kales H., Raz J., Tandon R., Maixner D., DeQuardo J., Miller A., Becks L.
    Relationship of seizure duration to antidepressant efficacy in electroconvulsive therapy.
    Psychological Medicine 1997, 27 : 1373-1380

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