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J A L O N S J A L O N S




LA DÉPRESSION SELON HELEN MAYBERG

Renaud de Beaurepaire
 
La première caractéristique clinique de la dépression est une humeur triste qui envahit tout le champ de la conscience. Or on pense qu'il existe des structures anatomiques cérébrales assez spécifiquement impliquées dans la régulation des états affectifs, gaieté et tristesse. Depuis quelques années, plusieurs équipes de chercheurs s'appliquent à délimiter ces structures d'une façon aussi précise que possible. C'est en poursuivant ce type de recherches, recherches qui utilisent essentiellement l'imagerie fonctionnelle cérébrale (par la caméra à positrons), qu'Helen Mayberg a élaboré un nouveau modèle de dépression. Ce modèle est en grande partie basé sur la découverte des propriétés étonnantes d'une aire corticale, l'aire 24a du cortex cingulaire, dont on connaissait l'implication dans les états affectifs, mais qui, selon H. Mayberg, pourrait avoir un rôle clé dans la dépression.
 

L'ANATOMIE DE LA DÉPRESSION AVANT HELEN MAYBERG

Il a été proposé, depuis une vingtaine d'années, un assez grand nombre de structures candidates dans l'élaboration d'une anatomie de la dépression. Ces structures étaient repérées de façon indirecte : survenue d'une dépression chez les patients présentant une lésion cérébrale localisée, études au scanner et à l'IRM non fonctionnelle, mode d'action des antidépresseurs chez l'animal et étude des cerveaux en post-mortem (ces deux dernières techniques permettent de mettre en évidence des modifications biochimiques sélectivement dans certaines régions du cerveau), et stimulations endocriniennes (qui orientent essentiellement vers l'hypothalamus). Mais c'est récemment, avec les études d'imagerie fonctionnelle (qui permettent de voir l'activité cérébrale des déprimés, ou de personnes chez lesquelles on provoque expérimentalement un état de tristesse), que l'anatomie de la dépression et des structures impliquées dans la régulation de l'humeur, est devenue une réalité concrète, directement observable.
Les études classiques étaient assez concordantes dans l'observation du fait que la lésion (dégénérescence, infarctus, tumeur, psychochirurgie) de certaines structures cérébrales facilite la survenue d'un état dépressif, alors que pour d'autres structures ce n'est que très peu le cas. Même si la délimitation entre les structures qui prédisposent à la dépression, et celles qui n'y prédisposent pas, restaient relativement floues, il apparaissait assez bien que des lésions frontales, temporales et striatales sont prédisposantes, et c'était surtout la question de la latéralisation des lésions qui était la plus débattue. D'un autre côté, comme le fait remarquer H. Mayberg, ces études de lésion ne permettent pas d'apprécier le rôle des régions non lésées dans la survenue d'une dépression. Néanmoins, il apparaissait assez probable que les états dépressifs observés dans des maladies neurologiques telles que la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington, ou des lésions caudées d'une autre origine, pouvaient avoir un lien avec des lésions ou dégénérescences des noyaux monoaminergiques (dopaminergiques, sérotoninergiques ou noradrénergiques), avec une désorganisation des circuiteries monoaminergiques entre les grandes structures, limbiques, frontales et striatales.
 
La psychochirurgie avait, de son côté, été utilisée, il y a quelques décennies, dans le traitement des dépressions résistantes, et on avait observé quelques cas d'améliorations remarquables après des lésions des aires 24 et 25 du cortex cingulaire (cingulotomie antérieure, sus ou sous callosale).
 
Les études d'imagerie non fonctionnelle (scanner, IRM simple) n'ont jamais rien retrouvé de spécifique. D'après ces études, il apparaissait seulement que toutes les formes d'atrophie cérébrale, même peu importantes (légères dilatations ventriculaires, anomalies de la substance grise sous-corticale, ou blanche périventriculaire, diminution globale du volume du cerveau) favorisent la survenue d'une dépression.
 
Des modifications des neurotransmetteurs ou de leurs récepteurs avaient aussi focalisé l'attention sur certaines structures, en particulier le cortex frontal et l'hippocampe, et dans certains cas l'hypothalamus. Avec l'action des antidépresseurs, qui, chez l'animal, produisent des modifications des récepteurs dans les régions frontales et hippocampiques. Et les tests de stimulation sérotoninergiques, qui indiquent des anomalies des récepteurs dans l'hypothalamus. Des études à la caméra à positrons des récepteurs sérotoninergiques chez des patients cérébrolésés et déprimés, avaient retrouvé des anomalies dans le cortex temporal. Très récemment, une étude a montré des modifications des récepteurs 5-HT2 dans le cortex frontal-orbitaire et dans l'insula rostrale (Biver et coll. Brit J Psychiatry 1997 ; 171 : 444). Mais rien dans ces données disparates ne permettait de proposer une théorie unitaire dans les mécanismes cérébraux impliqués dans les variations de l'humeur.
 
La compréhension des mécanismes cérébraux impliqués dans la dépression a beaucoup évolué avec les techniques d'imagerie fonctionnelle (consommation de glucose ou flux sanguin cérébral). Dans des conditions de repos (en l'absence de stimulation, cognitive ou autre), ces études ont rapporté de façon assez constante des anomalies d'activité du cortex frontal (dorso-latéral et orbitaire), des cortex temporal et cingulaire, et de l'amygdale. La grande difficulté a été d'interpréter ces résultats en termes fonctionnels, c'est-à-dire à quels aspects de la dépression devait-on rapporter ces anomalies : étaient-elles au cœur même de la dépression, ou bien étaient-elles liées à des symptômes particuliers tels que le ralentissement, l'apathie, l'anxiété, ou encore à quelques uns des nombreux troubles cognitifs et somatiques caractéristiques de la maladie ? D'autant que toutes ces anomalies n'étaient pas univoques, elles étaient souvent variables selon les études, et aussi d'un patient à l'autre. Néanmoins, un résultat très constamment retrouvé était une corrélation entre une hypofrontalité et la gravité de la dépression, de même d'ailleurs qu'avec le ralentissement psychomoteur et quelques autres anomalies cognitives non spécifiques à la dépression.
 

LES RECHERCHES D'HELEN MAYBERG

H. Mayberg s'est attachée à résoudre la difficulté suivante : la dépression est un trouble de l'humeur, et il existe certainement des structures cérébrales impliquées dans la régulation de l'humeur, mais quand on regarde les résultats des études d'imagerie fonctionnelle cérébrale, on ne sait pas si les structures que l'on trouve dysfonctionnelles sont véritablement celles qui sont impliquées dans la tristesse de l'humeur, ou celles qui sont impliquées dans d'autres manifestations de l'état dépressif. Donc, il faut rechercher précisément quelles sont les structures impliquées dans l'humeur elle-même. Pour rechercher ces structures, H. Mayberg a créé un état transitoire de dépression (chez des volontaires sains et chez des déprimés), généralement en reprenant avec eux un événement de leur existence qui les avait rendus particulièrement tristes, mémoire autobiographique d'événements tristes et traumatisants, dont le seul souvenir plonge n'importe qui dans un état transitoire d'authentique tristesse, transitoire parce que résolutif en quelques minutes.
 
L'induction d'un état de tristesse est une technique qui a été utilisée par plusieurs auteurs ces dernières années, et les résultats sont parfois assez disparates pour certaines structures, mais les études sont concordantes pour retrouver, au moment de l'état aigu de tristesse, une augmentation de l'activité dans la partie ventro-médiane du cortex frontal et dans la partie antérieure du cortex cingulaire.
H Mayberg a, pour sa part, cherché à séparer ce qui appartient proprement à l'état de tristesse, de ce qui appartient aux troubles de l'attention et de la cognition. À sa propre surprise, elle a d'abord trouvé qu'il est impossible de séparer ces différents éléments : dès qu'un état de tristesse est induit chez un volontaire sain, elle a vu apparaître une réorganisation de l'activité cérébrale corticale et limbique, avec les structures dorsales qui diminuent d'activité, et les structures ventrales qui augmentent d'activité. Les structures dorsales sont les suivantes : aires 9, 44 et 46 du cortex frontal, aire 24b, 29, 30 et 31 du cortex cingulaire, et aire 40 du cortex pariétal. Les structures ventrales sont les suivantes : aire 47 du cortex frontal, aire 25 du cortex cingulaire, partie ventrale de l'insula, hippocampe et hypothalamus. Les aires frontales dorsales sont celles qui correspondent à l'hypofrontalité décrite chez les déprimés, les régions ventrales sont celles que l'on connaissait précédemment comme impliquées dans certaines formes d'attention sélective, et dans le contrôle de nombreuses fonctions somatiques (sommeil, sensibilité à la douleur, activité de l'axe hypothalamo-surrénalien).
 
Dans l'ensemble, les structures cérébrales qui apparaissent mobilisées au cours de ces états provoqués de tristesse sont assez semblables à ceux qui ont été décrits comme dysfonctionnels au cours des états dépressifs. Mais si l'induction d'un état de tristesse produit, d'une façon concordante, une augmentation de l'activité dans la partie antérieure du cortex cingulaire, les observations sont moins concordantes chez les déprimés. Chez les déprimés, il existe des divergences entre les chercheurs sur l'hypo- ou hyperactivité du cingulaire antérieur. Plusieurs raisons ont été invoquées pour expliquer ces différences (instabilité de l'humeur, prédominance de certains symptômes, sélection des patients, prise plus ou moins récente d'antidépresseurs, etc.). H. Mayberg propose sa propre explication, qui est très étonnante. Elle a montré (au cours d'un essai thérapeutique qui consistait à traiter les patients pendant 6 semaines par de la fluoxétine) que dans le cortex cingulaire antérieur (aire 24a), et seulement dans cette région là, l'activité était différente selon que les patients vont être répondeurs ou non répondeurs aux antidépresseurs. Les patients qui avaient une hyperactivité cingulaire antérieure ont bien répondu au traitement, alors que ceux qui avaient une hypoactivité se sont révélés être résistants au traitement. L'activité cingulaire antérieure aurait donc une valeur prédictive sur la réponse aux antidépresseurs. H. Mayberg pense que c'est du fait de sa situation que cette aire 24a a ces propriétés exceptionnelles. L'aire 24a est effectivement située entre les régions dorsales et ventrales dont on a parlé précédemment. Pour que ces régions, qui paraissent ne plus communiquer entre elles, qui paraissent évoluer chacune pour leur propre compte (hypoactives dorsalement, hyperactives ventralement), de façon permanente chez les déprimés, de façon transitoire chez les volontaires sains dans les conditions que l'on a vues, pour que ces régions puissent de nouveau communiquer entre elles (sous l'effet du traitement antidépresseur) il faudrait que la voie d'union (cette aire 24a) soit en quelque sorte « perméable », c'est-à-dire suffisamment active. L'aire 24a fonctionne « comme un pont entre les voies dorsales et ventrales » dit H. Mayberg, qui pense que cette fonction témoigne probablement de l'existence d'une plasticité dans les réseaux neuronaux, l'activité du cortex cingulaire antérieur pouvant être considérée comme un marqueur de l'état de fonctionnement de ces réseaux. L'hypoactivité métabolique de cette structure étant la « signature » qui permet d'identifier les dépressions à risque d'évolution péjorative.
 
Les traitements antidépresseurs produisent aussi tout un ensemble de modifications métaboliques cérébrales. Chez les patients qui sont améliorés par le traitement (et pas chez ceux qui sont résistants au traitement), on voit l'activité métabolique augmenter dans le compartiment dorsal, surtout dans la partie dorsale du cortex frontal, alors que dans le compartiment ventral, le métabolisme diminue, pour revenir à une activité normale, c'est à dire assez faible (cortex cingulaire sous génual, insula antérieure, hippocampe et cortex frontal ventral sont des régions normalement assez peu actives dans des conditions basales). À l'inverse, le métabolisme de ces régions ventrales est encore augmenté par le traitement chez les patients résistants au traitement. Ces effets divergents entre répondeurs et non répondeurs, remarque H. Mayberg, suggèrent des adaptations différentes entre les régions cibles lors des traitements sérotoninergiques. Inutile d'insister sur le très grand intérêt d'une telle remarque dans un tel contexte. Cela ouvre vers une nouvelle voie de recherches sur le mode d'action des antidépresseurs qui est de trouver une réponse à la question : par quel mécanisme de plasticité neuronale, les antidépresseurs permettent-ils de réorganiser l'activité métabolique cérébrale des déprimés, autour de « l'utilisation » de cette aire 24a du cortex cingulaire antérieur, voie supposée de passage entre un cerveau dorsal et un cerveau ventral, voie obligatoire de la stabilisation des affects ?
La guérison suppose donc l'activation des régions dorsales déprimées, et l'inhibition des régions ventrales hyperactives, en particulier du compartiment cingulaire ventral. Or on sait que cette partie ventrale du gyrus cingulaire est impliquée dans les fonctions végétatives. Sa stimulation, que ce soit chez l'animal ou chez l'homme, produit tout un ensemble de modifications végétatives et endocriniennes, qui sont celles qui apparaissent perturbées dans la dépression.
 

LE MODÈLE D'HELEN MAYBERG

H. Mayberg propose un « modèle à trois compartiments », qui correspondent aux trois régions dysfonctionnelles observées à la caméra à positrons.
 
Un compartiment dorsal : parties dorsales des cortex frontal et cingulaire, et cortex pariétal. Il serait à l'origine, par son hypoactivité, des symptômes déficitaires de la dépression (apathie, ralentissement, troubles des fonctions exécutives, troubles de l'attention). Les structures les plus impliquées seraient le cortex frontal dorso-latéral (aires 9 et 46), la partie antéro-dorsale du cortex cingulaire (aire 24b), le cortex pariétal inférieur (aire 40) et le striatum. L'assimilation entre l'hypofonctionnement de ce compartiment et les symptômes cités vient de ce que l'on connaît de ces structures par l'analyse des syndromes neurologiques discrets et focaux, et aussi par les études d'imagerie fonctionnelle qui établissent des cartes cognitives (il existe une littérature abondante à ce sujet, citée dans l'article de Mayberg). Ces différentes structures sont aussi richement interconnectées. Enfin, elles communiquent avec le compartiment ventral par des voies qui passent par les cortex cingulaire antérieur, dorsal et postérieur, l'ensemble noyau caudé-putamen, et le thalamus médio-dorsal.
 
Un compartiment ventral : cortex paralimbique (cortex cingulaire sous génual et insula ventrale), structures sous corticales (surtout hypothalamus) et du tronc cérébral (H. Mayberg ne précise pas très bien). Toutes ces structures sont impliquées dans la régulation du sommeil, de la prise alimentaire, de la libido, et des grandes fonctions végétatives et endocriniennes (en particulier l'axe corticotrope). Le rôle de ces structures dans ces fonctions est très bien établi chez l'animal, par toutes sortes de techniques. Comme dans le compartiment dorsal, ces structures sont aussi bien interconnectées, et elles communiquent avec le compartiment dorsal par les parties antérieures et postérieures du gyrus cingulaire, le striatum ventral, le thalamus antérieur, et l'hippocampe.
 
Quant au troisième compartiment, il est seulement représenté par la partie antérieure du gyrus cingulaire, celle qui correspond à l'aire 24a. Selon H. Mayberg, cette structure peut être isolée sur plusieurs arguments : ses caractéristiques architectoniques, ses connexions réciproques avec les parties dorsales et ventrales du cortex cingulaire, et sa fonction clé chez les déprimés comme on l'a vu précédemment (hyperactive elle prédit une réponse favorable aux antidépresseurs, hypoactive elle prédit une résistance). Ces caractéristiques uniques font supposer qu'elle a un rôle très important dans les interactions fonctionnelles entre les compartiments dorsaux et ventraux. Elle pourrait ainsi contrôler des ensembles de structures situées très à distance, structures impliquées dans les fonctions disparates que sont l'humeur, les fonctions cognitives, motrices, somatiques, autonomiques et endocriniennes. La dépression ne serait plus un trouble d'une ou de quelques unes de ces fonctions, mais une incapacité à coordonner les interactions entre ces différentes composantes, la composante ventrale prenant l'ascendant sur la composante dorsale, et l'inhibant.
 

CONCLUSION

La localisation cérébrale de l'humeur n'est toujours pas une question résolue, même si les structures cingulaires antérieures apparaissent très impliquées. Le très grand intérêt du modèle d'H. Mayberg est de monter que la dépression n'est pas liée à un dysfonctionnement localisé d'une structure qui serait spécifiquement impliquée dans l'humeur, mais est contemporaine d'une réorganisation de l'activité cérébrale, avec une inversion du gradient dorso-ventral. Le compartiment dorsal, celui des fonctions cognitives supérieures, devient inactif (le déprimé a perdu la liberté de penser), le compartiment ventral, celui de la régulation des grandes fonctions homéostatiques, devient hyperactif (la dépression est une maladie à expression somatique). Le cortex cingulaire antérieur, structure clé entre les compartiments dorsal et ventral, a des fonctions dont H. Mayberg ne parle pas dans son article, en particulier celle de donner une coloration affective aux événements perçus dans l'environnement (voir Dépression N° 5). Il manque à l'article d'H. Mayberg, une analyse plus détaillée des fonctions du cortex cingulaire et de ses connexions. Il faut rappeler que cette partie du cortex est intimement en relation avec l'amygdale, qui est probablement la structure cérébrale la plus impliquée dans les émotions. Avec une balance d'activité entre le cortex cingulaire et l'amygdale, l'hyperactivité de l'un semblant inactiver l'autre, et vice versa. Or l'amygdale est une structure qui apparaît assez constamment dysfonctionnelle dans la dépression (voir les nombreuses publications de l'équipe de Raichle, en particulier leur publication princeps : Drevets et coll, J Neurosci, 1992 ; 12 : 3628). Mais tous ces travaux sont en constante évolution. On trouvera un compte rendu des derniers travaux d'H. Mayberg (ainsi que de ceux de Drevets) dans la rubrique biologie de ce même numéro de Dépression.
 
Mayberg H.S. Limbic-cortical dysregulation : a proposed model of depression.
J Neuropsychiatry Clin Neurosci 1997 ; 9 : 471-481
 

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NEUROPEPTIDES, SOMMEIL ET DÉPRESSION

Patrick Delbrouck
 
Le sommeil et la dépression sont intimement liés. Au niveau clinique, les insomnies sont constantes dans les troubles dépressifs. Au niveau physiopathologique, plusieurs hypothèses étiologiques ont impliqué une dysrégulation des mécanismes du sommeil dans la dépression. Aussi, les récents progrès dans la compréhension de la biochimie du sommeil normal et pathologique (1) ne sont pas sans répercussion sur notre conception des états dépressifs.
Les neuropeptides sont des substances qui agissent au niveau du système nerveux central comme neuromédiateurs ou comme neuromodulateurs. Ils jouent également un rôle dans la sécrétion des hormones hypophysaires dont plusieurs sont en relation étroite avec les cycles du sommeil.
 

LE SYSTEME HYPOTHALAMO- HYPOPHYSO-CORTICOSURRÉNAL

La sécrétion de cortisol est sous la dépendance d'un système de régulation complexe. La corticotropin-
releasing hormone (CRH) est sécrétée au niveau hypothalamique (noyau paraventriculaire). Elle entraîne une sécrétion d'adrenocroticotropine hormone (ACTH) antéhypophysaire qui provoque une libération rapide des hormones corticosurrénaliennes : essentiellement les glucocorticoïdes, et accessoirement les androgènes et les minéralocorticoïdes. En plus de son action endocrine, la CRH influence directement le sommeil.
L'injection régulière de CRH provoque une diminution du sommeil lent profond (SLP), du sommeil paradoxal (SP) et une augmentation du sommeil lent léger (SLL). Par ailleurs, elle diminue la sécrétion de l'hormone de croissance (GH) (2). Pourtant, ces résultats sont très sensibles à la méthodologie employée. Si l'on remplace les injections itératives par une perfusion continue, les modifications du sommeil disparaissent. De même, si les injections sont effectuées entre 08 h 00 et 18 h 00 et non plus entre 22 h 00 et 01 h 00, là encore l'effet sur le sommeil est mineur. Ainsi, l'administration de CRH durant les premières heures de la nuit provoque des effets endocrines rapides au niveau du cortisol et de la GH, et des effets plus retardés sur le SLP. On constate également une diminution de la sécrétion de mélatonine après administration de CRH (3).
Ces modifications sur le sommeil, comme sur les sécrétions hormonales, sont comparables à celles que l'on constate dans certains états dépressifs, mais également chez les personnes âgées.
L'administration d'ACTH induit une diminution du SP, une augmentation de la latence d'endormissement et une multiplication des éveils intra-sommeil. Par contre, l'effet sur le SLP est plus modéré (4). Ces modifications correspondent à un état d'hyper-vigilance cérébrale comparable à celui retrouvé dans les états anxieux.
A l'inverse, la perfusion de cortisol, comme son administration itérative, entre 23 h 00 et 07 h 00 provoque une augmentation du SLP, une diminution du SP et une libération accrue de GH (5). Le cortisol aurait donc une action opposée à celle de la CRH, via un mécanisme de rétrocontrôle négatif. Cette constatation impliquerait une action de la CRH sur le sommeil indépendante de celle du cortisol.
L'axe hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien semble donc jouer un rôle central à la fois dans la régulation du sommeil mais peut-être aussi dans les mécanismes biologiques de certaines dépressions.
 

HORMONE ANTIDIURÉTIQUE

L'hormone antidiurétique (ADH) est un peptide formé de neuf acides aminés, sécrété par les noyaux supra-optiques et para-ventriculaires de l'hypothalamus, et stocké dans la post-hypophyse. L'ADH joue un rôle central dans l'équilibre hydroélectrolytique de l'organisme. Elle a également une action au niveau du système nerveux central où elle agirait comme cofacteur sur l'axe hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien. L'administration nasale d'ADH provoquerait une augmentation du SLL et une diminution du SLP et du SP (6). Là encore, des perturbations comparables à celles retrouvées dans les états dépressifs. L'action de ce neuropeptide pourrait n'être que le reflet de son action sur les voies du cortisol.
 

HORMONE DE CROISSANCE

L'hormone de croissance (GH) est la substance dont les liens avec le sommeil sont les mieux établis. En effet, elle est principalement sécrétée, au niveau antéhypophysaire, durant les périodes de SLP. Par ailleurs, dans les états dépressifs, la baisse de SLP s'accompagne d'une diminution des taux de GH.
La sécrétion de cette hormone est sous la dépendance de la Growth-hormone releasing hormone (GHRH). Or cette dernière possède une puissante action hypnotique. Ainsi, l'administration de GHRH s'accompagne d'une augmentation du SLP à condition d'être injectée de façon discontinue (7). Par ailleurs, son action est fortement dépendante de celle de la CRH. Aussi, plus que l'action de l'une ou l'autre de ces substances, c'est plutôt l'équilibre entre les deux qui expliquerait les perturbations du sommeil dans les états dépressifs. Il faut également ajouter à ce couple l'action de la somatostatine qui diminuerait celle de la GHRH.
La GHRH augmenterait la quantité de SLP alors que la GH serait plus active sur la quantité de SP. Ainsi, dans l'acromégalie par tumeur hypophysaire, on constate une diminution du SP qui se corrige après adénomectomie (8).
En résumé, le sommeil serait sous le contrôle d'une double influence, celle médiée par la CRH qui exercerait une action anti-sommeil, et celle médiée par la GHRH qui aurait une activité pro-sommeil. Les troubles du sommeil constatés dans les états dépressifs pourraient être le reflet d'une hyperactivité de l'axe corticotrope qui modifierait le rapport GHRH/CRH.
Dans cette hypothèse, on peut imaginer que la GHRH pourrait avoir des vertus antidépressives qui restent largement à explorer.
 

GALAMINE

La galamine est un neuropeptide qui stimulerait la sécrétion de GHRH et par là même augmenterait la quantité de SP. Mais plus intéressante est son action au niveau du locus coeruleus (9). Cette substance inhiberait l'activité des neurones de ce noyau et provoquerait une action anti-CRH. Les relations entre GHRH et galamine restent mal connues.
 

DELTA SLEEP INDUCING PEPTIDE

Le delta sleep inducing peptide (DSIP) est une substance bien documentée chez l'animal où elle induirait l'apparition de SLP. Chez l'homme, son étude est moins fournie et les résultats obtenus sont contradictoires. On ne retrouve pas de liens entre taux plasmatique et quantité de SLP, et l'administration thérapeutique à des insomniaques ne s'est pas avérée concluante.
 

NEUROPEPTIDE Y

Le neuropeptide Y est un polypeptide de 36 acides aminés, sécrété au même endroit et libéré en même temps que la noradrénaline. Il exercerait une fonction importante dans la régulation de l'anxiété, de la mémoire, et de l'appétit.
Au niveau du sommeil, il aurait une action sur l'endormissement et diminuerait la sécrétion d'ACTH et de cortisol (10). Son mécanisme d'action passerait par un blocage des récepteurs GABAA, comme les benzodiazépines dont il partage plusieurs caractéristiques.
 

CHOLÉCYSTOKININE

La cholécystokinine (CCK) est une hormone polypeptidique sécrétée au niveau duodénal et jejunal où elle exerce une action centrale sur la digestion. Au niveau du système nerveux central, elle jouerait un rôle dans la sensation de satiété. Au niveau du sommeil, son administration se traduit par une discrète augmentation du SP. Mais, surtout, elle est capable de provoquer des attaques de panique chez des sujets souffrants d'anxiété avec agoraphobie (11).
 

VASOACTIVE INTESTINAL POLYPEPTIDE

Le vasoactive intestinal polypeptide (VIP) est également un polypeptide initialement isolé au niveau digestif, mais qui exerce aussi un rôle de neuromédiateur. Très influencé par l'alternance lumière/obscurité, il semble jouer un rôle central dans la synchronisation des rythmes biologiques. Il aurait, par ce biais, une action sur l'apparition des cycles de sommeil. Ainsi, l'administration de VIP, produit une avance de phase dans la sécrétion de cortisol, et dans l'apparition des différents stades de sommeil (12). Son action serait en partie liée à celle de la prolactine.
 

CONCLUSIONS

La régulation du sommeil est sous la dépendance d'un système complexe où l'action des neuropeptides apparaît centrale. Les perturbations du sommeil, dans le cadre du vieillissement, comme dans celui des états dépressifs pourrait être le reflet de dysrégulations biochimiques.
Certaines se précisent, comme les relations entre GHRH et CRH qui expliquerait à la fois les perturbations polysomographiques des états dépressifs et les anomalies biologiques constatées sur le cycle du cortisol.
D'autres ouvrent des pistes intéressantes comme le rôle de synchroniseur interne jouer par la VIP qui pourrait apporter un sang neuf aux théories chronobiologiques de la dépression.
D'autres enfin restent largement inconnues et seules de futures études permettront de préciser leur importance dans la physiopathologie des états dépressifs.
 

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