Carré titre







FOCUS

     
  • Traitement prophylactique au long cours dans les troubles bipolaires I & II (Marc L. Bourgeois)
  • O happy day ! (Jean Cottraux)
  • Suicide et catastrophes naturelles (Thierry Baubet)
  • Plaquettes électriques (Patrick Delbrouck)
  • Devenir à 12 mois des patients bipolaires hyospitalisés pour manie ou épisode mixte (Marc L. Bourgeois)
  • Profession : ECT-ologue ? (Patrick Delbrouck)
  • Vulnérabilité dépressive des femmes socialement défavorisées (Françoise Chastang)
  • Benzodiazépine et ECT (Patrick Delbrouck)
  • La santé mentale des adolescents sans domicile fixe (Françoise Chastang)









  • TRAITEMENT PROPHYLACTIQUE
    AU LONG COURS DANS LES TROUBLES BIPOLAIRES I & II

    Marc L. Bourgeois
     
    Le « Consortium international pour la recherche dans le trouble bipolaire », basé à Harvard, a étudié une longue cohorte de 317 patients suivis en Sardaigne à l'Université de Cagliari (188 sont bipolaires I (BPI) et 129 bipolaires II (BPII)). Critères diagnostiques
    DSM-IV pour un « rediagnostic ». En effet, cette cohorte est présentée comme « ...suivie prospectivement pendant un traitement au long cours de maintenance par lithium ». Pourtant, il s'agit, semble-t-il, d'une étude rétrospective, avec en moyenne 8,3 années de suivi avant lithium et 6,3 années après lithium. Ont été exclus les patients ayant reçu des antidépresseurs pendant plus de 12 semaines, ou des anticonvulsivants, et ceux ayant abusé d'alcool et de drogues. Le nombre, le calendrier et la durée des hospitalisations ne sont pas précisés. Les patients sont comparés à eux mêmes, et les BPI aux BPII. Bien sûr, il n'y a pas de groupe placebo.
    Il y a 65,5 % de femmes. L'âge moyen au début des troubles est de 26,8 ans pour les BPI et 33,2 ans pour les BPII (p < 0,001). On ne connaît pas l'âge actuel des patients ni l'année de leur prise en charge. Le premier épisode était dépressif pour 38,8 % des BPI et 96,1 % pour les BPII (p < 0,001). La manie a précédé la dépression chez 48,4 % des BPI et 8,5 % des BPII (p < 0,001). Il y a 4,3 % de cycles rapides chez les BPI contre 31 % chez les BPII (p < 0,001). 14,4 % et 16,3 % présentent un cycle continu (circularité ?). La maintenance sous lithium a duré 6,8 ans pour les BPI et 5,6 ans pour les BPII (p < 0,05). Les lithiémies moyennes étaient de 0,67 pour les BPI et 0,55 pour les BPII (p < 0,001). Il y a 60,1 % de femmes chez les BPI et 73,6 % chez les BPII (p < 0,01). 44,1 % des BPI sont mariés ou en relation stable contre 58,9 % chez les BPII (p < 0,01). L'histoire familiale ne montre guère de différence entre les deux groupes, sauf pour le suicide, beaucoup plus fréquent chez les parents de premier degré des bipolaires II (3,9 % chez les BPII contre 0,6 % chez les BPI, soit un risque 6,5 fois plus élevé). Il y a 58,5 % et 62 % des patients qui ont des antécédents familiaux de troubles affectifs ; 30,3 % et 29,5 % des antécédents de troubles bipolaires ; 28,2 % et 31 % de troubles unipolaires (NS).
    Les auteurs avaient fait trois hypothèses : (1) la lithiothérapie est associée à une plus grande réduction de la manie et de l'hypomanie des types bipolaires I et II. (2) Le temps passé en manie, hypomanie et le temps passé en dépression pendant la lithiothérapie, sont similaires. (3) Le trouble BPII n'est pas une forme atténuée de maladie bipolaire, mais en plus les bénéfices du lithium au long cours sont supérieurs pour ces formes bipolaires II.
    Les conclusions de l'étude montrent une réduction nette de la morbidité dépressive, aussi bien que maniaque dans les deux sous-types de trouble bipolaire, avec un bénéfice global supérieur pour les patients de type II et lorsque le traitement a été précoce (la durée de la maladie avant la prise du lithium est très fortement associée négativement avec l'amélioration clinique). Ne sont pas associés à l'amélioration sous lithium : le sexe, l'histoire familiale, l'éducation, le statut professionnel et marital, l'âge au début de la maladie, le nombre d'épisodes, et les pourcentages de temps malade (manie ou dépression), avant le traitement par lithium, et la présence de cycles rapides avant le traitement par lithium.
     
    Importante étude dont les limites méthodologiques sont largement compensées par la perspective à très long terme (plus de 14 ans en moyenne).
     
    Tondo L., Baldessarini R.J., Hennen J., Floris G. (1998) -
    Lithium maintenance treatment of depression and mania in bipolar I
    and bipolar II disorders. Am. J. Psychiatr., 155, 5, 638-645.
     

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    HAPPY DAY !

    Jean Cottraux
     
    Une étude (Koenig et coll., 1998) a suivi un échantillon de 87 patients âgés, hospitalisés pour des problèmes médicaux et présentant des symptômes dépressifs. La religiosité était mesurée par une échelle de dix questions cotées de 0 à 5 et validée par 85 ecclésiastiques représentant 18 groupes religieux d'obédience chrétienne et deux d'obédience israélite. Suivis durant 47 semaines 54 % des patients ont eu une rémission. La croyance religieuse mais non la participation aux activités religieuses ou la pratique religieuse privée (lecture de la Bible et prière) représentait un prédicteur de rémission. La conclusion des auteurs est que la religion ne guérit pas mais aide à faire face aux problèmes médicaux et permet une résolution plus rapide de certains types de dépression. De plus une véritable foi plus qu'une pratique religieuse superficielle aide à affronter les problèmes physiques dans la mesure ou l'estime de soi n'est liée ni aux capacités productives, ni aux circonstances matérielles. » De toute manière le médecin doit valoriser ce type de croyances. Cette étude, la première de ce type, nous interpellera quelque part, mais où ? Comme le disait Saint Augustin : « La lumière luit dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l'ont pas comprise » Amen.
     
    Koenig H.G., George L.K, et Peterson B. L. Religiosity and remission
    of depression in medically ill older patients. American Journal of Psychiatry, 1998, 155,4, 536-52.
     

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    SUICIDE ET CATASTROPHES NATURELLES

    Thierry Baubet
     
    Différents troubles psychiatriques ont été décrits après des catastrophes naturelles : syndrome de stress post-traumatique, dépressions, anxiété... Les auteurs de cette étude, des confrères américains, vivent sous des cieux peu cléments puisque aux États-Unis, les inondations, ouragans, tremblements de terre, et autres tornades se succèdent. Les liens entre dépression et catastrophes naturelles d'une part, et dépression et suicide, d'autre part, étant bien établis, ils ont cherché à savoir si le taux de suicide augmentait significativement après de tels événements.
    L'analyse a porté sur les 377 comtés dans lesquels l'état de catastrophe naturelle a été décrété une fois par le gouvernement fédéral entre 1982 et 1989, avec un suivi de quatre années.
    Dans ces 377 comtés, toutes catastrophes confondues, le taux de décès par suicide a augmenté de 13,8 % (contre 1 % pour l'ensemble des U.S.). La différence est significative pour les inondations (13,8 %), les ouragans (18,9 %), les tremblements de terre (19,7 %), mais - bizarrement - pas pour les tornades ni les orages violents. Cette augmentation concernait les deux sexes, quel que soit l'âge.
    Ces chiffres, qui portent sur une vaste population (plus de 19 millions de personnes), posent d'inquiétantes questions en terme de santé publique. Ces situations de catastrophes naturelles pourraient-elles être responsables, à terme, de suicides par le biais de pathologies torpides, non identifiées ? Il serait certainement intéressant, pour prolonger ce travail, de réaliser des recherches en population générale après de tels événements afin d'évaluer la prévalence des pathologies dépressives et post-traumatiques, et le comportement de recherche de soins des patients.
     
    Krug E.G., & coll.
    Suicide after natural disasters
    New England Journal of Medecine, 1998, 338, n° 6 : 373-8.
     

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    PLAQUETTES ÉLECTRIQUES

    Patrick Delbrouck
     
    Quel point commun peut unir une plaquette, un patient déprimé et une séance d'ECT : la sérotonine, bien sûr !
    Depuis quelques années, les plaquettes sanguines, ces bouts de cellules que l'on cantonnait au champ de la coagulation, se sont vues promues au rang, beaucoup plus honorables de substituts de cellules nerveuses. En effet, la découverte à leur surface de récepteurs se comportant de façon semblable à ceux existant sur les neurones en a fait des outils de laboratoires recherchés. Parmi les substances se fixant sur ces récepteurs, la sérotonine occupe une place centrale. On a pu ainsi tester simplement l'action plaquettaire de différentes substances sérotoninergiques pour en déduire leur mode d'action central.
    Par ailleurs, la sérotonine apparaît largement impliquée dans la physiopathologie dépressive, même si sa place exacte reste l'objet de discussions. De façon caricaturale, « la » dépression serait causée par un déficit en sérotonine, ce que confirmeraient les études cliniques et surtout le mode d'action présumé des antidépresseurs qui tous (peu ou prou) augmentent la concentration cérébrale en 5-HT.
    Enfin, la thérapeutique la plus efficace des états dépressifs étant l'électroconvulsivothérapie (ECT) il ne restait plus qu'à tester l'hypothèse d'une action des ECT sur les récepteurs sérotoninergiques. Cette question a déjà fait l'objet d'études utilisant essentiellement les techniques d'imagerie cérébrale, notamment la caméra à émission de positons, mais donnant des résultats souvent contradictoires. Peu de travaux, par contre, ont eu recours à une méthode certes moins précise, mais plus abordable, l'analyse des marqueurs plaquettaires.
    C'est ce que rapportent R. Stain-Malmgrem et coll. Ces auteurs ont composé un groupe de 12 patients (10 femmes et 2 hommes) répondant aux critères DSM-IIIR de troubles dépressifs majeurs. La moyenne d'âge était de 62 ans et la sévérité de la dépression était évaluée à l'aide de l'échelle de Montgomery-Asberg (MADRS). Tous les patients subissaient une période de sevrage de trois jours. Le protocole ECT était classique : six patients ont reçu des ECT unilatéraux (uni-ECT), cinq des ECT bilatéraux (bi-ECT) et un a commencé par des uni-ECT puis est passé à des bi-ECT en cours de traitement. Les dosages biologiques étaient effectués avant et après traitement.
    Les résultats confirment l'efficacité des ECT, puisque tous les patients ont été répondeurs, mais ce n'était pas l'objet de l'étude... Par ailleurs, les auteurs constatent une augmentation de la densité des récepteurs à la sérotonine après traitement, mais sans corrélation statistiquement significative avec l'amélioration clinique évaluée par la MADRS. Bien que les biais méthodologiques soient nombreux (notamment la faible durée de la période de wash-out), les auteurs pensent que leurs résultats sont valides car conformes à ceux de la littérature et cohérents pour tous les patients. Ils en concluent donc que l'ECT agirait en régulant les voies sérotoninergiques.
    Si on vous le dit !
     
    Stain-Malmgrem R., Tham A., Aberg-Wistedt A.
    Increased platelet 5-HT2 receptor binding after electroconvulisve therapy
    in depression.
    J. of ECT 1998, 14 : 15-24
     

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    DEVENIR À 12 MOIS DES PATIENTS BIPOLAIRES HOSPITALISÉS POUR MANIE OU ÉPISODE MIXTE

    Marc L. Bourgeois
     
    L'équipe de Cincinnati a recruté 134 patients bipolaires (critères DSM-IIIR) hospitalisés consécutivement pour le traitement d'un épisode maniaque ou mixte (106 ont été finalement étudiés, avec 60 épisodes maniaques et 46 épisodes mixtes). L'âge moyen = 24 ans dans les deux groupes. La durée de la maladie = 4 et 5 ans. Les scores moyens à l'échelle de manie de Young = 27 et 25, à l'échelle de dépression de Hamilton = 11 et 17, à l'échelle SAPS = 9 et 8. Il y a 62 % d'hommes pour la manie et 53 % pour les épisodes mixtes ; 50 % et 60 % de caucasiens ; 54 % et 48 % de sans emploi. Pour la comorbidité : alcool = 29 % et 38 % ; abus de substances = 38 % et 29 %. Pour le traitement à la sortie : thymorégulateur seul = 26 % et 22 % ; thymorégulateur + antipsychotique = 51 % et 48 % ; thymorégulateur + antidépresseur = 2 % et 2 % ; antipsychotique seul = 5 % et 2 % ; antidépresseur seul = 4 % et 3 %.
    Les patients ont été réévalués 2, 6 et 12 mois après la sortie.
    Les auteurs distinguent formellement la rémission syndromique (le patient ne remplit plus les critères de syndrome maniaque, mixte ou dépressif) ; la rémission symptomatique (pendant 8 semaines consécutives, le patient ne présente plus ou presque plus de symptômes psychiatriques, avec un score à l'échelle de manie de Young < 5, à l'échelle de dépression de Hamilton < 10, et un score < 2 à la SAPS) ; enfin la rémission fonctionnelle (retour au niveau de fonctionnement antérieur pendant au moins 8 semaines continues, avec évaluation par l'échelle d'ajustement prémorbide).
    L'observance complète (75 %-100 % d'adhérence à la prescription) fut de 43 % et 52 %. La non compliance partielle (25 %-75 % d'adhérence à la prescription) de 30 % et 24 % et la non compliance totale (0 %-25 % d'adhérence à la prescription) de 27 % et 24 %.
    Aucune différence dans l'évolution entre patients maniaques et patients ayant présenté un épisode mixte. Par contre, la rémission syndromique a concerné seulement 48 % de l'ensemble, la rémission symptomatique encore moins (26 %), tout comme la récupération fonctionnelle (24 %). Les prédicteurs de rémission syndromique sont : la plus courte durée de la maladie et une complète observance du traitement. Cette « compliance » thérapeutique était inversement associée avec l'existence d'un abus comorbide de substances. La récupération symptomatique et fonctionnelle fut plus rapide et plus fréquente chez les patients de statut socio-économique supérieur.
    Ainsi, c'est une minorité de patients bipolaires, qui, après l'hospitalisation, ont une évolution favorable, donnée qui confirme plusieurs études récentes sur le pronostic médiocre de la plupart des patients hospitalisés pour épisode bipolaire. Biais possible de recrutement : l'Hôpital Universitaire de Cincinnati sert à la fois de centre tertiaire régional et de centre primaire pour le secteur métropolitain de Cincinnati.
    Ainsi, outre la pharmacothérapie, suivie scrupuleusement par le patient et qui assure une rémission syndromique chez la plupart des bipolaires, une intervention complémentaire (réhabilitation psychosociale) est nécessaire pour assurer la récupération symptomatique et fonctionnelle.
     
    Keck P.E., Mcelroy S.L., Strakowski S.M., et coll. (1998) - 12-month outcome of patients with bipolar disorder following hospitalization for a manic or mixed episode. Am. J. Psychiatr., 155, 5, 646-652.
     

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    PROFESSION : ECT-OLOGUE ?

    Patrick Delbrouck
     
    La réalisation pratique d'électrochocs devient un acte technique de plus en plus complexe. Jadis, le psychiatre appuyait négligemment sur le bouton de l'appareil sans se poser trop de questions ; aujourd'hui, la prise en compte de l'anesthésie, de ses interactions avec les traitements psychotropes, le choix entre différentes positions d'électrodes, du type de courant, des caractéristiques de stimulation, des critères d'évaluations... imposent une formation qui pour la plupart d'entre nous se fait encore sur le tas...
    Si les conditions de l'anesthésie restent l'affaire de l'anesthésiste, le psychiatre ne peut ignorer les répercussions de ce geste itératif sur la santé de son patient. Indépendamment des conséquences organiques, le fait d'être transféré dans un « bloc opératoire », une salle de « déchocage » ou « d'urgences » pour y être endormi, puis de passer par une salle de « réveil » sécurise certainement la réalisation des ECT mais au prix d'une dramatisation de l'acte pour le patient comme pour le psychiatre peu habitué à fréquenter ces lieux où la mort et la souffrance des corps s'exposent dans une théatralisation impudique.
    Par ailleurs, les appareils modernes offrent une variété de protocoles (ECT unilatéral, ECT bilatéral, MMECT...) répondant à des indications différentes et nécessitant une analyse approfondie de l'état du patient. La prise en compte des troubles organiques associés (pathologie cardio-vasculaire, cérébrale, respiratoire, endocrinienne) impose des adaptations et parfois des traitements adjuvants (bêtabloquants, caféine, oxygène, théophylline, atropine...) qui seuls permettent la réalisation d'ECT dans presque toutes les situations.
    L'évaluation de la crise est l'un des aspects du traitement qui c'est le plus modifié ces dernières années. La généralisation du monitoring EEG suppose d'en interpréter le tracé, d'en analyser les types de fin de crise, d'en mesurer l'amplitude et la durée. La surveillance de la crise, qui bien souvent demeure infra-clinique, devient plus complexe. La prise en compte de paramètres plus abstraits comme l'index de concordance EEG/EMG ou l'index de suppression post-critique est aussi subtile que leur intérêt est discuté.
    Enfin, plusieurs indications « limites » nécessitent une connaissance approfondie, sinon des mécanismes d'action de l'ECT (mal connus pour l'instant), tout du moins des modifications physiologiques qu'il provoque.
    Ainsi, le choix de l'anesthésique, du type de courant administré, de la position des électrodes, des traitements adjuvants, de la fréquence des séances... permet de proposer non plus une série d'ECT en prêt à porter, mais sur mesure, en garantissant une efficacité maximale pour des effets secondaires minimum.
    Tel est, en résumé, le contenu d'un récent éditorial de Max Fink (1). La question de la qualification des praticiens réalisants des ECT devient un problème d'actualité aux États-Unis, et donc probablement en France dans les années à venir. En effet, la plupart des psychiatres font peu d'ECT (< 10 par an) ce qui ne les incite guère à investir dans une formation de plus en plus technique. Il en découle une sous-utilisation de ce traitement, limitée aux indications « classiques » selon un protocole unique. Les progrès apportés à leur réalisation pénètrent très lentement le milieu scientifique et les développements à venir font l'objet de diffusion quasi-clandestine. Ainsi, la stimulation magnétique transcrânienne se voit tour à tour réduite à une expérience originale ou propulsée comme la révolution en cours...
    Pour pallier à cette situation, les associations américaines proposent deux types d'approche. La première consiste à créer une certification pour la réalisation des ECT, avec une formation continue. La seconde propose de limiter la réalisation des ECT à des centres spécialisés, agréés, à la manière de ce qui existe déjà pour les centres d'évaluation et de traitement des troubles du sommeil.
    Qu'en est-il en France ? La formation aux électrochocs est malheureusement quasi-inexsitante. La plupart des psychiatres apprennent au lit du malade, de confrères plus anciens, et ont une connaissance superficielle de cette technique. La réalisation d'ECT est considérée, souvent à juste titre, comme une activité annexe, en raison du peu de malades traités individuellement par praticiens, et ne fait l'objet d'aucune évaluation ni formation continue. La pénurie d'anesthésistes et les modifications récentes des conditions de réalisation des anesthésies risquent de renforcer le fossé entre ceux qui en font et ceux qui n'en font pas (ou peu) créant une inégalité d'accès à une thérapeutique efficace. Cette situation n'est certes pas plus dramatique que celle des autres pays européens, mais est-ce une consolation ?
    Alors, à quand un diplôme « d'ECT-ologue » qui pourquoi pas inclurait une formation d'anesthésie et de réanimation de base ?
     
    Fink Max
    Certification in ECT.
    J. of ECT 1998, 14 h 1-4
     

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    VULNÉRABILITÉ DÉPRESSIVE DES FEMMES SOCIALEMENT DÉFAVORISÉES

    Françoise Chastang
     
    Des publications de plus en plus nombreuses s'intéressent à la santé mentale des personnes en situation précaire, et tentent d'analyser les relations complexes entre la survenue d'un trouble psychique, thymique le plus souvent et l'existence d'une vulnérabilité psychique ancienne.
    Une étude longitudinale sur 2 ans est actuellement en cours à Sydney chez des femmes issues d'un milieu peu favorisé, et ayant des enfants à charge, les objectifs étant d'évaluer les effets des facteurs de personnalité, des événements de vie et du support social chez ces femmes connues depuis les travaux de Brown et Harris comme ayant un haut risque de dépression.
    Une évaluation assez complète avec recherche d'un état dépressif grâce au DIS (Diagnostic Interview Schedule), détermination des facteurs de personnalité, d'une morbidité psychique globale, des événements de vie et du support social a été réalisée chez 193 femmes âgées de 16 à 50 ans. Soixante deux pour cent ont connu ces dernières années une stabilité affective. Seulement 4 % travaillent à temps plein, et 11 % à temps partiel ; 81 % reçoivent des aides financières du gouvernement. Comme attendu, la morbidité psychique est élevée, la prévalence ponctuelle des troubles thymiques étant de 17 % et la prévalence vie entière de 29 %. Le diagnostic de dépression est associé à des facteurs de personnalité et à une perception négative des soins parentaux dans l'enfance, ainsi qu'à une présence peu aidante et peu rassurante du partenaire. Les antécédents familiaux de dépression et les événements de vie négatifs, à type de problèmes financiers ou de voisinage, ou de maladie grave au sein de la famille, sont plus fréquemment rapportés par les femmes actuellement dépressives et, fait intéressant, ce dernier résultat demeure pertinent après prise en compte de la morbidité psychique globale et des facteurs de personnalité.
    L'ensemble de ces données démontre à nouveau, s'il en est besoin, l'utilité et la pertinence des modèles de vulnérabilité dans la compréhension de certains types de dépression. Des événements de vie douloureux, alimentés par des distorsions cognitives notamment dans les relations interpersonnelles contribuent à raviver une vulnérabilité psychique ancienne, et peuvent ainsi induire, voire pérenniser une symptomatologie dépressive, plus particulièrement chez des personnes en situation sociale défavorisée.
     
    Boyce P, Harris M, Silove D, Morgan A, Wilhem K, Hadzi-Pavlovic D. Psychosocial factors associated with depression : a study of socially disavantaged women with young children. J Mental Nerv Dis 1998, 186, 3-11.
     

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    BENZODIAZÉPINES ET ECT

    Patrick Delbrouck
     
    L'utilisation conjointe des benzodiazépines et des électrochocs (ECT) a toujours fait couler beaucoup d'encre, même si dans la réalité le problème apparaît le plus souvent théorique. En effet, d'un côté on prescrit des médicaments aux vertus anti-épileptiques et de l'autre on cherche à provoquer une crise d'épilepsie qui serait thérapeutique... par ses effets anticomitiaux ! C'est cela aussi le merveilleux psychiatrique...
    L'utilisation des benzodiazépines est large en psychiatrie. Des indications hypnotiques aux propriétés anxiolytiques, nos patients ont de multiples raisons de recourir à ce type de produits. Lorsque que l'heure des ECT a sonné, un dilemme se pose alors au thérapeute : arrêter un traitement dont on connaît aujourd'hui les complications de sevrage et dont l'intérêt anxiolytique n'est pas négligeable, ou bien le poursuivre en prenant le risque de limiter l'impact des ECT. Le choix est cornélien et certains hésitent encore.
    Mais voilà que Andrew Kristal (1) et coll. arrivent pour sauver les malheureux indécis... Ces auteurs sont partis de deux constatations à priori opposées : d'une part, il existe des patients à qui l'on ne peut arrêter un traitement benzodiazépinique en raison d'une dépendance importante ou à cause d'une anxiété majeure ; et d'autre part, il est illogique de réaliser des ECT à des sujets sous benzodiazépines (BZD). Pour contourner cet obstacle ils ont utilisé une molécule qui bloque les récepteurs aux BZD au niveau du complexe macromoléculaire GABA : le flumazenil. Cette substance antagonise en quelques minutes les effets des BZD provoquant parfois un syndrome de sevrage aigu avec rebond d'anxiété, tension intérieure et crise d'épilepsie. Ces effets secondaires font qu'elle est peu utilisée en pratique en dehors des cas particuliers que représentent les surdosages médicamenteux.
    Pour démontrer son intérêt dans les ECT, ils ont constitué deux populations : l'une de 35 personnes répondant aux critères DSM-IV de dépression et prenant des benzodiazépines, l'autre composée de 49 sujets répondant au même diagnostic mais ne prenant pas de BZD. Les deux groupes ont été traités selon le même protocole ECT, sauf que le groupe BZD recevait en plus 0,4-0,5 mg de flumazenil une à trois minutes avant l'anesthésie.
    Au niveau des résultats thérapeutiques, il n'existe aucune différence entre les deux groupes (72 % de répondeurs). Au niveau de la crise elle-même, les auteurs ne retrouvent aucune élévation statistiquement significative des durées cliniques et/ou électrophysiologiques. Ils n'ont pas non plus constaté la survenue de crises prolongées. Par contre, ils rapportent une plus grande fréquence des manifestations anxieuses, des agitations, des tremblements et des tachycardies dans le groupe flumazenil/benzodiazépines que dans le groupe témoin, témoignant d'un syndrome de sevrage à minima.
    Ils en concluent que l'administration de flumazenil ne modifie pas l'efficacité des ECT et qu'elle est relativement bien tolérée... à condition d'injecter une BZD à la fin de la crise EEG pour limiter les manifestations de sevrage.
    Moralité : les benzo, si tu peux pas t'en passer... tu peux pas t'en passer !
     
    Kristal A. D., Watts B. V., Weiner R. D., Moore S., Steffens D. C., Lindhal V.
    The use of flumazenil in the anxious and benzodiazepine-dependent ECT Patient.
    J. of ECT 1998, 14 h 5-14
     

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    LA SANTÉ MENTALE DES ADOLESCENTS SANS DOMICILE FIXE

    Françoise Chastang
     
    Devant le problème actuel posé par l'augmentation régulière du nombre de jeunes sans domicile fixe, un article récent de Sleegers et coll. a un double intérêt. Il donne non seulement une estimation de la prévalence des troubles mentaux dans cette population particulière à haut risque psychiatrique, mais aussi un aperçu des problèmes méthodologiques rencontrés dans ce type d'enquête.
    Cinquante jeunes vivant à Amsterdam, âgés de moins de 24 ans, sans domicile fixe depuis au moins 3 mois, ont été évalués en face à face par le Diagnostic Interview Schedule, qui permet de poser un diagnostic psychiatrique ponctuel et sur la vie entière selon les critères DSM III R. Quatre vingt huit pour cent de ces adolescents sans domicile fixe sont de sexe masculin, et 54 % ont entre 19 et 21 ans. La moitié d'entre eux sont sans domicile depuis au moins 3 ans. Quasiment tous ont un parcours personnel émaillé d'événements de vie particulièrement douloureux ; 27 % ont perdu leur père ou leur mère ; 33 % ont été physiquement maltraités, 22 % ont subi des abus sexuels ; 27 % ont déjà réalisé des tentatives de suicide ; 50 % ont des antécédents familiaux de gestes suicidaires ; la notion d'une maladie grave chez un proche est retrouvée dans la moitié des cas ; 52 % ont été victimes de vol, et 48 % ont déjà été incarcérés. La prévalence ponctuelle des troubles psychiques est de 2 à 10 fois supérieure à celle notée chez les jeunes de même âge issus de la population générale. Les troubles anxieux sont 2 fois plus fréquents chez les sans domicile qu'en population générale (18 % vs 7,7 %) et les troubles dépressifs 5 fois plus fréquents (11 % vs 2 %). Neuf pour cent des adolescents étudiés sont schizophrènes, alors que la prévalence en population générale est inférieure à 1 % pour la même tranche d'âge. La toxicomanie occasionnelle ou non, et le trouble de personnalité antisociale concerne un jeune sans domicile fixe sur deux.
    Ces résultats ne font que confirmer ce que l'on savait déjà, à savoir la forte prévalence des troubles psychiques chez les sans domicile fixe. Mais l'aspect le plus intéressant de l'article réside certainement dans l'approche critique des problèmes méthodologiques. Une revue sérieuse des 18 principaux articles portant sur les troubles psychiques des adolescents sans domicile fixe montre parfaitement les raisons pour lesquelles les résultats des différentes enquêtes sont assez différents. Tout d'abord, il n'existe pas de définition consensuelle d'un sans domicile fixe. Ce terme doit-il s'entendre au sens strict, ou bien concerne-t-il également les personnes temporairement hébergées par des amis ? A partir de quelle durée considère-t-on qu'un individu est sans domicile ? De plus, dans le cadre de ces études concernant les jeunes, quelle définition précise donne-t-on à l'adolescence ? Les sans domicile fixe étant par définition une population relativement mouvante et marginale, comment évaluer leur nombre dans une ville donnée ?
    De plus, l'utilisation d'outils diagnostiques standardisés n'est pas sans poser des problèmes d'interprétation dans cette sous-population spécifique. Certains symptômes comme les troubles du sommeil, la négligence corporelle, la rareté des relations sociales, l'instabilité affective et professionnelle sont intimement liés à la condition même du sans domicile fixe, et peuvent contribuer à une surestimation de certains diagnostics psychiatriques, et plus particulièrement de la personnalité antisociale.
    La question fondamentale du rapport de causalité entre la forte morbidité psychique, la fréquence élevée des événements de vie et la condition des sans domicile fixe reste entière. Dans l'espoir d'apporter quelques éléments de réponse, une enquête longitudinale de suivi de ces jeunes marginalisés a débuté en juin 1996 à Amsterdam.
     
    Sleegers J, Spijker J, Van Limbeck J, Van Engeland H. Mental health problems among homeless adolescents. Acta Psychiatr Scand 1998, 97, 253-259.

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